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Déclaration de Mme Marie-Thérèse Keita Bocoum, Experte indépendante sur la situation des droits de l'homme en République centrafricaine, à la 38ème session du Conseil des droits de l’homme

Arrière

04 juillet 2018

4 juillet 2018

M. le Président, distingués représentants, Mesdames et messieurs,

Je vous remercie de cette opportunité de partager mes observations sur la situation en République centrafricaine.

Ma dernière visite à Bangui et Bangassou s’est déroulée du 12 au 22 juin. J’ai pu échanger avec le Premier ministre, des membres du gouvernement, du parlement, du corps diplomatique, de la société civile, des organisations non gouvernementales et des Nations Unies, des humanitaires, ainsi que des représentants de l’Etat, des victimes et des personnes déplacées. Du 26 au 28 avril, j’ai effectué une visite à Libreville pour échanger avec des représentants du Bureau régional des Nations Unies pour l'Afrique centrale, de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale et du corps diplomatique. Du 26 au 28 juin, je me suis rendue à New York où j’ai consulté des représentants des Nations Unies et du corps diplomatique. Je remercie tous ceux qui ont permis le bon déroulement de ces missions.

M. le Président, Malgré des progrès dans le domaine des réformes institutionnelles depuis le début d’année, la situation sécuritaire et politique s’est fortement détériorée. Elle affecte gravement la population, dont le sentiment d’insécurité et la perte de confiance dans les acteurs de la protection s’accroissent.

Je déplore la détérioration de la situation humanitaire et le nombre croissant d'attaques contre les humanitaires, leurs équipements et les casques bleus. J'exhorte les autorités locales à renforcer leur autorité légitime et à condamner ces actes odieux.

L'État a fait des efforts pour protéger la population, déployer l’administration et les forces de sécurité nationale dans quelques régions. Mais il reste fragilisé par les abus continus des groupes armés, méprisant leurs engagements pour la paix. Je condamne également toutes les attaques contre les lieux de culte, y compris l’assassinat récent de l’Abbé Firmin Gbagoua par des hommes armés à Bambari et j’appelle l’Etat centrafricain et la MINUSCA à protéger efficacement la population et les lieux de culte afin d’éviter une dérive confessionnelle du conflit.

Toutes les victimes que j’ai rencontrées m’ont partagé leur traumatisme renouvelé depuis les événements à Bangui en avril et mai. J'ai aussi noté la régression de la situation à Bambari et entendu des victimes à Bangassou qui réclament des activités économiques et sociales de base, la sécurité et la liberté de mouvement.

Il est urgent de renforcer la protection des droits de l’homme en République centrafricaine, et en particulier des droits économiques et sociaux, tout en réitérant les acquis du Forum de Bangui liés à la justice, au droit à la vérité et à la réconciliation.

M. le Président, J'ai été informée des nombreux discours de haine et d'incitation à la violence visant à manipuler la population. Sur ce point, j’exprime ma satisfaction au gouvernement assisté par la MINUSCA pour l’adoption du Plan national de prévention de l’incitation à la haine et à la violence.

En effet, une communication appropriée dans ce contexte de crise est fondamentale pour présenter en toute transparence les efforts du gouvernement centrafricain et de ses partenaires en faveur de la population.

M. le Président, Le gouvernement m’a fait part de sa détermination à développer une stratégie de justice transitionnelle, qui consisterait à faire face aux exactions massives commises dans le passé, établir les responsabilités, garantir la non-répétition des conflits et reconstruire la confiance et la cohésion nationale. Elle comprend des mécanismes judiciaires et nonjudiciaires dont la Commission vérité, les réformes institutionnelles et les mesures de réparation. Cette volonté mérite un appui renforcé de la communauté internationale pour se réaliser.

Les conclusions du forum de Bangui et le RCPCA représentent les deux piliers fondateurs d’une stratégie de justice transitionnelle et de réconciliation. Ils restent largement incontestés et défendus. Pour autant, je regrette que la mise en œuvre du RCPCA traîne, de même que j’encourage l’évaluation des conclusions du forum de Bangui sans plus tarder.

Les récentes décisions des cours d'assises ont été appréciées par la majorité des centrafricains. La Cour pénale internationale continue ses enquêtes. La Cour pénale spéciale, quasiment opérationnelle, doit bénéficier d’un financement durable pour permettre à son personnel de se concentrer sur le travail judiciaire. J’appelle maintenant l’Etat et tous ses partenaires à réfléchir immédiatement au financement et à l’application de mesures de protection des victimes et témoins, de l’aide légale et des réparations judiciaires.

Un comité a été créé pour établir une Commission de Vérité et Réconciliation, mais il tarde à démarrer ses activités malgré le besoin grandissant d’organiser des dialogues intercommunautaires et intergénérationnels, où cela est possible. En outre, ce comité devrait promptement consulter la population sur le mandat de la Commission de Vérité.

S’agissant des réformes institutionnelles clés, des processus d’assainissements (vetting) sont en cours et ont permis la formation et le déploiement de trois bataillons de FACA et la formation en cours de 500 policiers et gendarmes. La Commission Nationale des droits de l'homme installée en 2017 n’est toujours pas opérationnelle faute de moyens. Le DDRR tarde à démarrer. Le redéploiement de l'administration territoriale et judiciaire est en cours mais son effectivité est entravée par le manque de moyens logistiques et l’insécurité. De même, des réflexions ont débuté sur une réforme de la justice et une stratégie des droits de l'homme.

Indépendamment des réparations judiciaires, d’autres réparations nonjudiciaires individuelles et collectives, telles que la construction de routes, d’écoles et de centres de santé, devraient intervenir afin d'atténuer les rancœurs et frustrations et de réduire les disparités. Je souligne encore les demandes spécifiques des femmes et des jeunes pour plus de participation aux programmes de développement et à la prise de décision politique.

M. le Président, J’insiste sur la nécessité d'engager immédiatement une discussion inclusive sur la complémentarité et l’ordonnancement de tous les mécanismes inclus dans chaque pilier de justice transitionnelle pour en assurer la cohérence. De même, un financement approprié de chaque pilier est capital.

Or, la situation actuelle révèle des faiblesses dans la coordination des activités de justice transitionnelle, tant au sein du système des Nations Unies, que de la communauté internationale et du gouvernement.

La MINUSCA pourrait jouer un rôle accru de conseil des plus hautes autorités centrafricaines et de coordination des activités des partenaires autour d'une approche programmatique de la justice transitionnelle. Un renforcement de l’assistance technique est indispensable pour en assurer le succès.

M. le Président, Je voudrais insister sur les aspects régionaux du conflit en RCA et la nécessité d’engager l’ensemble des Etats d’Afrique centrale et les organisations régionales pour la stabilisation du pays et le développement régional.

Lors de ma visite à Libreville en avril, j’ai évoqué le rôle crucial que la CEEAC soutenue par UNOCA pourrait jouer dans l’harmonisation des stratégies de lutte contre la circulation illicite des armes et des ressources naturelles, des groupes armés et des mercenaires, de la régulation de la transhumance et de la protection des réfugiés. Je me réjouis que des commissions bilatérales et tripartites soient envisagées avec les pays voisins.

M. le Président, J’encourage de nouveau les facilitateurs de l’Initiative africaine à considérer les appels de la population à plus de transparence et d’inclusion dans les négociations de paix et notamment les besoins des populations rurales et des femmes. De même, j’invite la société civile à rester dans son rôle d'observateur impartial et indépendant de l'impact des décisions politiques sur les droits de l'homme.

M. Le Président, La situation en République centrafricaine devient insoutenable. Elle révèle plus que jamais l’urgence de renforcer simultanément la protection des civils, l’aide humanitaire, les initiatives de paix et le développement. Il demeure impérieux de redoubler d’efforts pour faire face aux nombreux défis que la République centrafricaine doit surmonter pour une paix durable.

M. Le Président, honorables membres du Conseil, je vous remercie de votre attention.

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