Un expert du Comité des droits de l’homme s’inquiète du triplement du nombre de morts violentes au Mexique en douze ans
17 octobre 2019
Comité des droits de l'homme
18 octobre 2019
Les féminicides, les violences contre les LGBTI, les mauvais traitements contre les personnes détenues et l'engagement de l'armée pour remplir des missions de police figurent au nombre des préoccupations exprimées par les membres du Comité
Le nombre de morts violentes au Mexique a triplé en douze ans, s'est inquiété un membre du Comité des droits de l'homme alors qu'était examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport soumis par ce pays au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Persistent au Mexique des problèmes déjà mentionnés dans les précédentes observations du Comité, s'agissant notamment du niveau de violence extrême imputable, dans ce pays, à des acteurs non étatiques comme étatiques, a insisté l'expert.
Face aux féminicides, l'efficacité de l'État se mesurera à l'aune du nombre de condamnations prononcées dans ce contexte, a pour sa part déclaré une experte, avant de recommander en outre que les femmes qui portent plainte pour des faits de violence bénéficient d'une protection immédiate et non plus dans un délai de 24 heures comme c'est actuellement le cas.
La violence contre les LGBTI a également été évoquée: les organisations concernées font état de 288 meurtres impunis en 2018, alors que les statistiques officielles ne mentionnent, elles, que six cas depuis plusieurs années, a-t-il été souligné.
Un expert s'est en outre inquiété que selon certaines informations, 80% des personnes détenues au Mexique auraient subi des mauvais traitements. Ont été déplorées les conditions de détention difficiles qui prévalent dans ce pays, notamment du fait de la surpopulation et du manque de nourriture. À ce sujet, la délégation a affirmé que les centres de détention fédéraux n'étaient pas confrontés à la surpopulation et que ce problème concernait les prisons des États fédérés. Elle a ajouté que le Mexique est en train de créer un registre d'écrou unique au niveau national.
Les membres du Comité se sont par ailleurs dit préoccupés par le manque de capacité des forces de police, qui a pour corollaire l'engagement de l'armée pour remplir des missions policières – avec le risque de violations des droits de l'homme que cela comporte. Cette militarisation des forces de l'ordre ne semble guère propice à une réduction de la violence, a fait observer un expert. Ont été citées des informations selon lesquelles, entre 2006 et 2016, la Commission nationale des droits de l'homme avait déjà reçu près de 10 000 plaintes contre l'armée. Des inquiétudes ont en outre été exprimées face aux pouvoirs très larges accordés à la justice militaire mexicaine.
Un expert a pour sa part fait observer que seules de très rares condamnations avaient été prononcées pour des faits intervenus durant la « sale guerre » (des années 1970 et 1980).
Si la nomination d'un Procureur spécial pour la recherche des victimes de disparition forcée a été particulièrement saluée, a toutefois été déploré le manque de moyens dont disposent les services médico-légaux pour identifier les dépouilles. À ce sujet, la délégation a indiqué qu'un « diagnostic national » était en cours pour identifier les lacunes dans les services médicolégaux relatifs aux disparitions.
Au cours du dialogue, certains membres du Comité ont salué les évolutions au Mexique dans la protection des défenseurs des droits de l'homme et dans la législation contre la torture, ainsi que la nomination d'une commission chargée de faire la lumière sur la mort de 43 étudiants en 2014 dans l'État de Guerrero. Une experte s'est également réjouie de l'adoption en 2013 d'une loi générale sur les victimes, mais a relevé que son application laissait à désirer, les victimes se heurtant en effet à des obstacles très nombreux pour accéder aux mesures de compensation. Seules 4,5% des victimes ont obtenu réparation, par manque de volonté politique et du fait d'obstacles administratifs, entre autres, a-t-elle fait observer.
Au cours du dialogue, la délégation mexicaine a pour sa part fait savoir que le Sénat mexicain venait d'approuver un décret visant à éliminer de la Constitution la procédure d'arraigo – une modalité de détention pendant l'enquête, à laquelle le Mexique avait été invité à renoncer lors de son Examen périodique universel. Pour donner effet à d'autres recommandations internationales, le Gouvernement vient, en outre, de déposer un projet de loi visant l'interdiction explicite du châtiment corporel dans tous les contextes, a ajouté la délégation.
Présentant le rapport de son pays, Mme Martha Delgado Peralta, Sous-Secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l'homme au Secrétariat aux relations extérieures du Mexique, a d'abord fait état des progrès survenus au Mexique dans l'application des droits défendus par le Pacte, citant en particulier la réforme constitutionnelle visant la parité entre les sexes dans les organes de l'État.
Autre progrès: le Mexique a adopté des mesures d'action affirmative au profit de la participation politique des peuples autochtones, a poursuivi la cheffe de délégation, avant d'attirer notamment l'attention sur la création de l'Institut national des peuples autochtones, dont la mission est de remédier à la discrimination structurelle dont les peuples autochtones et les Afro-mexicains sont victimes.
Quant à la Commission exécutive d'aide aux victimes, elle a été créée pour donner suite aux recommandations internationales faites au Mexique en matière d'octroi de garanties de non-répétition, a souligné Mme Delgado Peralta.
Héritage douloureux du passé, le problème des disparitions forcées a fait l'objet de nouvelles mesures d'enquête et d'identification des dépouilles, en collaboration avec les familles des victimes, a ajouté la cheffe de délégation.
Le problème de la criminalité organisée est abordé par le biais de la coopération internationale, a en outre indiqué Mme Delgado Peralta. Insistant sur le caractère crucial dans ce contexte du contrôle de la vente d'armes et du blanchiment d'argent, elle a prié le Comité de faire des recommandations sur ces questions aux États concernés.
Vingt-deux personnes ont été tuées le 3 août dernier à El Paso, au Texas, a ensuite rappelé la cheffe de la délégation mexicaine, dénonçant dans ce contexte la responsabilité des discours de haine et demandant ici aussi au Comité de se prononcer vigoureusement sur ces questions.
La délégation mexicaine était aussi composée de M. Socorro Flores Liera, Représentant permanent du Mexique auprès des Nations Unies à Genève; de la Secrétaire de la Commission sénatoriale des droits de l'homme; ainsi que de représentantes et représentants de la Commission nationale de recherche des personnes, de la Commission nationale pour prévenir et éradiquer la violence envers les femmes et de la Commission exécutive d'aide aux victimes. Le pouvoir judiciaire, de même que les Secrétariats à la justice, aux relations extérieures et à la marine, étaient également représentés.
Les observations finales du Comité sur le rapport du Mexique seront rendues publiques à l'issue de la session, le 8 novembre prochain.
Cet après-midi à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la République tchèque (CCPR/C/CZE/4).
Examen du rapport
Présentation
Le Comité est saisi du sixième rapport périodique du Mexique (CCPR/C/MEX/6), établi sur la base d'une liste de points à traiter qui lui avait été soumise par le Comité (procédure simplifiée d'établissement des rapports).
Présentant le rapport de son pays, MME MARTHA DELGADO PERALTA, Sous-Secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l'homme au Secrétariat aux relations extérieures du Mexique, a d'abord fait état des progrès survenus au Mexique dans l'application des droits défendus par le Pacte, citant en particulier la réforme constitutionnelle visant la parité entre les sexes dans les organes de l'État, ainsi que la réforme du pouvoir judiciaire et des organes autonomes. Elle a notamment fait observer que la moitié des membres des deux chambres du Parlement mexicain sont d'ores et déjà des femmes.
Autre progrès, a poursuivi la cheffe de délégation, le Mexique a adopté des mesures d'action affirmative au profit de la participation politique des peuples autochtones. En particulier, depuis 2018, dans les treize districts fédéraux où les autochtones représentent 60% au moins de la population, les partis politiques doivent présenter des candidatures – pour moitié féminines – émanant des peuples autochtones. Le Mexique a également réformé sa Constitution pour reconnaître les peuples et communautés afro-mexicains qui, historiquement, avaient été rendus invisibles.
C'est en 2018 qu'a été créé l'Institut national des peuples autochtones (INPI, selon l'acronyme en espagnol), dont la mission est de remédier à la discrimination structurelle dont les peuples autochtones et les Afro-mexicains sont victimes, a par ailleurs indiqué Mme Delgado Peralta. Le Mexique a aussi ratifié la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail, relative aux peuples indigènes et tribaux, laquelle prévoit notamment la consultation des peuples autochtones s'agissant des décisions qui les concernent.
Par ailleurs, a indiqué la Sous-Secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l'homme, le Sénat de la République est en train d'examiner une initiative visant à ériger en infraction la violence motivée par l'origine, l'ethnie, la religion, la couleur ou encore la langue de la victime.
Quant à la Commission exécutive d'aide aux victimes, elle a été créée pour donner suite aux recommandations internationales faites au Mexique en matière d'octroi de garanties de non-répétition, a souligné Mme Delgado Peralta.
Le Gouvernement mexicain reconnaît les responsabilités qui lui incombent au niveau international et a présenté ses excuses publiques à des personnes dont les cas avaient été soulevés par le Comité, a d'autre part indiqué la cheffe de délégation. Elle a cité, à cet égard, le cas de la journaliste Lydia Cacho Ribeiro ou encore ceux de plusieurs victimes de la « sale guerre » des années 1970 et 1980. Elle a ajouté que l'État mexicain condamnait toutes les violences exercées contre les défenseurs des droits de l'homme.
Pour donner concrètement effet aux droits à la vie et à la liberté, le Gouvernement mexicain a créé une nouvelle Garde nationale et a signé un accord avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour que les membres de cette Garde connaissent les normes des droits de l'homme et les enjeux relatifs aux groupes vulnérables, a par ailleurs fait valoir Mme Delgado Peralta.
Héritage douloureux du passé, le problème des disparitions forcées a fait l'objet de nouvelles mesures d'enquête et d'identification des dépouilles, en collaboration avec les familles des victimes, a également souligné la cheffe de délégation.
Quant au problème de la criminalité organisée, il est abordé par le biais de la coopération internationale, a poursuivi Mme Delgado Peralta. Insistant sur le caractère crucial dans ce contexte du contrôle de la vente d'armes et du blanchiment d'argent, elle a prié le Comité de faire des recommandations sur ces questions aux États concernés.
Mme Delgado Peralta a par ailleurs affirmé que les autorités mexicaines s'efforçaient d'appliquer des politiques répondant aux besoins des migrants. Quelque 1,29 million de migrants irréguliers ont ainsi reçu une aide humanitaire, a-t-elle précisé. Le Gouvernement s'efforce de remédier aux problèmes qui sont à l'origine des flux migratoires, en collaboration avec les pays du triangle nord de l'Amérique centrale, a-t-elle ajouté.
Vingt-deux personnes ont été tuées le 3 août dernier à El Paso, au Texas, a ensuite rappelé la cheffe de la délégation mexicaine, dénonçant dans ce contexte la responsabilité des discours de haine et demandant au Comité de se prononcer vigoureusement sur ces questions.
Soucieux d'instaurer une société inclusive, prospère et heureuse grâce au respect strict des droits humains, le Mexique a lancé des politiques d'éradication de la pauvreté et de lutte contre la corruption, a déclaré Mme Delgado Peralta. Elle a précisé que l'élaboration du présent rapport avait bénéficié de la participation des organisations de la société civile, avec lesquelles l'État continuera de dialoguer après l'examen du rapport.
Examen du rapport
Questions et observations des membres du Comité
S'agissant du cadre d'application du Pacte, une experte a prié la délégation de donner des informations sur la saisine des tribunaux supérieurs par les justiciables au Mexique dans le cadre de la procédure d'amparo, ainsi que sur l'invocation de dispositions du Pacte devant les tribunaux.
La délégation a en outre été priée de décrire la participation des organisations de la société civile à l'élaboration du présent rapport.
Un expert a salué les évolutions au Mexique dans la protection des défenseurs des droits de l'homme et dans la législation contre la torture. Il a également salué la nomination d'une commission chargée de faire la lumière sur la mort de 43 étudiants en 2014 dans l'État de Guerrero.
Plusieurs questions ont par ailleurs porté sur la composition et le mandat de la Commission exécutive d'aide aux victimes.
Un expert s'est dit préoccupé par la persistance, au Mexique, de problèmes déjà mentionnés dans les précédentes observations du Comité, s'agissant notamment du niveau de violence extrême imputable au Mexique à des acteurs non étatiques comme étatiques. Le nombre de morts violentes a triplé en douze ans, a constaté l'expert.
D'autres membres du Comité se sont dit préoccupés par le manque de capacité des forces de police, qui a pour corollaire l'engagement de l'armée pour remplir des missions policières – avec le risque de violations des droits de l'homme que cela comporte. Cette militarisation des forces de l'ordre ne semble guère propice à une réduction de la violence, a fait observer un expert, avant de s'interroger sur la capacité de la Garde nationale de renverser la tendance.
Le féminicide, une forme extrême de violence fondée sur le genre, doit être érigé en crime au niveau national, a pour sa part recommandé une experte. Elle a demandé combien de sentences avaient été prononcées à ce jour contre des auteurs de féminicide. L'efficacité de l'État se mesurera à l'aune du nombre de condamnations prononcées dans ce contexte, a insisté l'experte, avant de s'enquérir des mesures prises par l'État dans la ville de Ciudad Juarez.
La même experte a ensuite recommandé que les femmes qui portent plainte pour des faits de violence bénéficient d'une protection immédiate et non plus dans un délai de 24 heures comme c'est actuellement le cas. Elle a en outre recommandé que ces femmes ne soient plus soumises à un processus de conciliation avec leur conjoint violent, faisant en effet observer que ce processus est une forme de revictimisation.
Une autre experte a salué l'adoption en 2013 d'une loi générale sur les victimes, mais a relevé que son application laissait à désirer, les victimes se heurtant en effet à des obstacles très nombreux pour accéder aux mesures de compensation. Seules 4,5% des victimes ont obtenu réparation, par manque de volonté politique et du fait d'obstacles administratifs, entre autres, a-t-elle fait observer.
Cette même experte a par ailleurs salué la nomination d'un Procureur spécial pour la recherche des victimes de disparition forcée, entre autres mesures utiles dans ce domaine. Mais, a-t-elle ajouté, l'efficacité de ces mesures est notamment limitée par le fait que les services médico-légaux manquent de moyens pour identifier les dépouilles.
La violence contre les LGBTI a également été évoquée: les organisations concernées font état de 288 meurtres impunis en 2018, alors que les statistiques officielles ne mentionnent que six cas depuis plusieurs années, a souligné un expert.
Un expert a demandé si le Mexique envisageait d'interdire les interventions chirurgicales visant à attribuer un genre aux enfants intersexes, jusqu'à ce que ces enfants soient devenus assez âgés pour se prononcer eux-mêmes sur la question. La délégation a par ailleurs été priée de donner des statistiques sur le nombre d'enfants intersexes au Mexique, sur leur inscription à l'état civil et sur la sécurité sociale dont ils bénéficient.
Si la loi fédérale autorise l'avortement en cas de viol, l'application de cette disposition semble limitée par certaines règles procédurales locales, a d'autre part fait observer un expert. Un tiers des femmes qui avortent à Mexico City viennent d'autres États, a-t-il souligné, avant de demander s'il était prévu d'harmoniser les différents règlements concernant cette question. L'expert a en outre déploré que les femmes qui demandent des soins après un avortement clandestin soient parfois dénoncées à la police par les personnels soignants.
Un expert a fait observer que seules de très rares condamnations avaient été prononcées pour des faits intervenus durant la « sale guerre ». Tout en prenant note de l'intention du nouveau Président mexicain d'ouvrir les archives et de faire ériger un mémorial aux victimes, il a voulu savoir s'il était prévu de poursuivre des responsables présumés toujours vivants et d'accorder des dédommagements aux survivants.
Un membre du Comité s'est dit préoccupé par les attaques verbales lancées par des élus contre des juges. La question de la valorisation du statut de magistrat au Mexique a été posée.
Un expert a demandé si Gouvernement mexicain envisageait d'augmenter le budget des services destinés aux peuples autochtones vivant loin des centres urbains.
D'autres questions ont porté sur la participation des femmes au marché de l'emploi et sur le respect du principe d'un salaire égal pour un travail de valeur égale.
Un expert a relevé qu'au Mexique, les femmes et les jeunes sont particulièrement exposés aux mauvais traitements et à la torture. Il a voulu savoir dans quelle mesure la militarisation de la police contribue à cet état de fait. Il a en outre regretté que très peu de condamnations soient prononcées par rapport au nombre de plaintes déposées et que, selon des informations, 80% des personnes détenues au Mexique auraient subi des mauvais traitements. Une experte a demandé si le Mexique acceptait les visites de prisons de la part de mécanismes internationaux.
Citant un arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui pointe la très grande vulnérabilité des migrants sans papiers sur le territoire mexicain, une experte a demandé quelles mesures avaient été prises pour sécuriser les migrants, y compris pour ce qui est des zones de transit propices au trafic.
Un expert s'est inquiété des pouvoirs très larges accordés à la justice militaire mexicaine, qui peut notamment ordonner des écoutes téléphoniques visant des civils.
Un expert a déploré que ne soient pas respectées les décisions des tribunaux mexicains imposant la consultation obligatoire des peuples autochtones concernés par les projets industriels ou miniers sur leurs territoires.
Un expert a recommandé que l'État mexicain s'emploie à restaurer la confiance des défenseurs des droits de l'homme, ébranlée par le scandale du logiciel espion Pegasus.
Un expert s'est inquiété du taux de rotation très important parmi les magistrats des tribunaux supérieurs mexicains.
Les experts se sont par ailleurs félicités de l'institution du Procureur spécial pour les infractions commises contre la liberté d'expression et ont demandé à la délégation d'expliquer l'engagement de l'État dans ce mécanisme, compte tenu notamment des importantes réductions budgétaires. Les menaces à l'encontre des journalistes constituent une préoccupation importante pour le Comité, ont indiqué les experts. Ils ont relevé que si la diffamation a été décriminalisée au niveau fédéral, cette infraction existe toujours dans huit États fédérés du pays.
Un expert s'est inquiété de l'absence de registre centralisé de toutes les personnes détenues au Mexique et des conditions de détention difficiles qui prévalent dans ce pays, notamment du fait de la surpopulation et du manque de nourriture.
S'agissant de la responsabilité des militaires pour les violations des droits de l'homme, un expert a mentionné des informations indépendantes selon lesquelles, en 2016, la Commission nationale des droits de l'homme avait déjà reçu près de 10 000 plaintes contre l'armée depuis 2006.
Réponses de la délégation
La délégation a indiqué que le Pacte avait rang constitutionnel au Mexique pour toutes les questions relatives aux droits de l'homme. Elle a ajouté qu'il était possible d'utiliser les observations du Comité à l'appui de raisonnements juridiques normatifs au Mexique. Dans deux décisions relatives aux droits de l'homme prises l'an dernier, les tribunaux mexicains ont donné raison au droit international contre le droit national, a fait valoir la délégation.
La délégation a par ailleurs souligné que toutes les initiatives du pouvoir législatif ne doivent pas être appréhendées comme des menaces pour le pouvoir judiciaire.
La délégation a en outre fait valoir que des mesures ont été prises pour remédier aux inégalités entre les sexes au sein du personnel judiciaire: deux concours ont ainsi été organisés à l'intention des femmes uniquement.
Le fait de priver de vie une femme est considéré comme un féminicide dès lors que cette privation de vie est motivée par le sexe de la victime, a ensuite expliqué la délégation. Toutes les enquêtes sont menées avec, en point de mire, la question de savoir si ce critère est rempli, a assuré la délégation.
Entre 2015 et septembre 2019, plusieurs centaines de municipalités ont fait des signalements de féminicides ou de crimes aggravés, a poursuivi la délégation. Un juge fédéral a obligé la ville de Mexico à créer un système d'alerte permettant de faire de tels signalements, a-t-elle fait valoir.
La « loi sur l'accès des femmes à une vie sans violence » (2017) a permis au Mexique de se mettre en conformité avec droit international s'agissant de ce problème, a d'autre part souligné la délégation. Le programme intégral de prévention de cette violence, prévu par la loi, fera l'objet d'une évaluation tous les six ans, a-t-elle précisé.
Toutes les entités fédérées ont introduit le féminicide dans leurs codes pénaux, a précisé la délégation, avant de préciser qu'en 2017, sur 766 délits de ce type signalés, 543 ont été portés devant le système pénal et 103 ont donné lieu à une condamnation.
L'État a aussi agi pour remédier à la vulnérabilité des travailleuses et travailleurs domestiques, qui bénéficient désormais d'un salaire minimal et de la sécurité sociale, a poursuivi la délégation. Le Mexique travaille actuellement à la ratification de la Convention n° 189 de l'Organisation internationale du Travail sur les travailleuses et travailleurs domestiques, a-t-elle précisé.
S'agissant de l'avortement, la délégation a notamment souligné que les hôpitaux et centres de santé publique ont l'obligation légale de fournir des services d'interruption volontaire de grossesse (IVG) aux femmes victimes d'un viol, même en l'absence de plainte et de consentement d'une quelconque autorité de tutelle. L'objection de conscience des médecins est admise en la matière, mais les praticiens sont alors tenus d'orienter leurs patientes vers d'autres intervenants prêts à pratiquer l'IVG, a fait savoir la délégation.
La lutte contre les disparitions forcées dépend des autorités fédérales, qui ont fait de ce problème leur première priorité, a ensuite déclaré la délégation. Tout d'abord, des ressources financières – 400 millions de pesos au total – sont allouées au système national de recherche, le budget de 2020 devant apporter à cet égard 200 millions supplémentaires. En outre, 28 commissions locales de recherche ont déjà été créées sur les 32 prévues, a ajouté la délégation.
D'autre part, si la priorité du Gouvernement est la recherche des personnes disparues en ce moment même, il doit aussi procéder à l'identification des restes découverts depuis 2006 dans quelque 3000 fosses communes clandestines.
Les registres des personnes disparues recensaient, en 2018, environ 40 000 noms, a poursuivi la délégation, avant d'ajouter que les données trop fragmentaires ne permettent malheureusement pas toujours de lancer de véritables recherches. C'est pourquoi le Gouvernement a initié la création d'un registre national centralisé.
Les femmes de 15 à 25 ans représentent 45% des femmes enregistrées comme disparues, a d'autre part indiqué la délégation.
Enfin, un « diagnostic national » est en cours pour identifier les lacunes dans les services médicolégaux relatifs aux disparitions, a fait savoir la délégation.
L'État mexicain est, d'autre part, résolu à apporter des réponses aux questions laissées ouvertes par la « sale guerre », a déclaré la délégation. Le Gouvernement reconnaît l'existence d'une période marquée par des actions systématiques contre, notamment, les étudiants et les militants des droits de l'homme – des faits étayés par la Commission nationale des droits de l'homme. Le Gouvernement entend rendre hommage aux victimes à travers des lieux de mémoire érigés dans les bâtiments des forces de sécurité, a indiqué la délégation, avant de rappeler que le Gouvernement a présenté des excuses publiques à Martha Camacho, une victime de la « sale guerre ». Un fichier informatique est aussi en cours de création qui recensera toutes les violations des droits de l'homme commises pendant les années 1970 et 1980, a ajouté la délégation.
La Commission exécutive d'aide aux victimes, qui compte 27 000 personnes dans son registre, a déjà déboursé plus d'un milliard de pesos en indemnisations, a par ailleurs fait valoir la délégation. Les unités de médecine légale ont mené des enquêtes ayant bénéficié à des centaines de victimes et à des collectifs de victimes. Il manque toujours une politique globale d'aide aux victimes au Mexique, a admis la délégation, faisant état d'une différence de traitement selon que les dossiers sont traités par les autorités fédérales ou locales.
Dans tous les cas, la lourde charge de travail de la Commission exécutive impose que des moyens financiers et humains supplémentaires lui soient octroyés. À l'heure actuelle, le Gouvernement procède à un audit général de l'action de la Commission, a indiqué la délégation.
La délégation a répété que son Gouvernement entendait confier à la nouvelle Garde nationale le soin de « faire respecter le droit à la vie », dans un contexte de grande violence due aux activités de la criminalité transnationale organisée.
Des représentants de l'armée et de la marine mexicaines au sein de la délégation ont ensuite précisé que l'action des militaires dans les opérations de sécurité était toujours limitée dans le temps et contrôlée par les autorités civiles et que les soldats et officiers impliqués suivaient des enseignements spécialisés dans les droits de l'homme. Plus de 7000 plaintes (dans le cadre de cette action) ont été enregistrées de 2012 à 2018, mais seulement 300 en 2019, a en outre souligné la délégation.
S'agissant de la discrimination pour des motifs liés à l'orientation sexuelle, la délégation a fait savoir que les discours homophobes sont punissables au Mexique. Elle a aussi indiqué que les opérations chirurgicales sur les enfants intersexes ne sont autorisées que pour des raisons médicales.
Le Gouvernement a procédé à un recensement de la population afro-mexicaine pour mieux cibler les programmes de soutien qui lui sont destinés, a d'autre part fait valoir la délégation.
Le Mexique est attaché à la non-discrimination à l'égard des groupes historiquement privés de leurs droits, en particulier les Afro-Mexicains qui, en 2015, représentaient 1,4 million de personnes, soit 2,4 % de la population. L'Institut national des peuples autochtones est désormais chargé de défendre les droits des Afro-Mexicains et des peuples autochtones.
À l'heure actuelle, 122 consultations sont en cours relativement à des projets énergétiques ou miniers, conformément aux obligations internationales et régionales du Mexique en matière de protection des droits des peuples autochtones, a souligné la délégation. La notion de consultation obligatoire n'est pas toujours simple à appréhender, car elle implique de consulter parfois plusieurs peuples autochtones sur un même sujet, a-t-elle affirmé.
S'agissant des lieux de détention, la délégation a affirmé que les centres de détention fédéraux n'étaient pas confrontés à la surpopulation et que ce problème concernait les prisons des États fédérés. Elle a en outre assuré que les personnes détenues sont correctement prises en charge et qu'elles bénéficient d'un suivi pour leur réinsertion.
D'autre part, le Mexique est en train de créer un registre d'écrou unique au niveau national, a indiqué la délégation.
La Cour suprême a statué que les tribunaux militaires n'ont pas compétence pour juger des civils. Par ailleurs, certains délits entre militaires mêmes relèvent de la justice civile. Le parquet a pris en 2014 les mesures nécessaires pour transférer 344 affaires pénales des tribunaux militaires vers les tribunaux civils. Depuis lors, les tribunaux militaires n'ont plus été saisis d'affaires impliquant des civils, a déclaré la délégation.
Il n'a été procédé à une aucune expulsion d'étrangers ces dernières années, a ensuite indiqué la délégation en réponse à la question d'une experte. Le Mexique est aujourd'hui confronté à des flux migratoires dont la gestion est une responsabilité des gouvernements concernés, a-t-elle ajouté. La politique nationale du Mexique tient compte des besoins particuliers de protection des personnes victimes de torture ou de violations des droits de l'homme dans leur pays d'origine ou de transit, a-t-elle en outre assuré.
Au cours du dialogue, la délégation mexicaine a par ailleurs fait savoir que le Sénat mexicain venait d'approuver un décret visant à éliminer de la Constitution la procédure d'arraigo – une modalité de détention pendant l'enquête, à laquelle le Mexique avait été invité à renoncer lors de son Examen périodique universel.
Pour donner effet à d'autres recommandations internationales, le Gouvernement vient, en outre, de déposer un projet de loi visant l'interdiction explicite du châtiment corporel dans tous les contextes, a ajouté la délégation.
Les dernières élections ont entraîné « un changement non seulement de gouvernement mais aussi de régime », a assuré la délégation. Elle a cité pour preuve de l'engagement des nouvelles autorités l'adoption récente d'un Plan national d'éradication de la torture et la mise en place d'un programme national de lutte contre la traite des êtres humains.
La délégation a ensuite décrit le mécanisme de protection créé en 2012 à l'intention des défenseurs des droits de l'homme et des journalistes au Mexique, précisant que l'institution qui en a la charge dispose d'un budget d'environ 50 millions de dollars et protège plus de mille personnes.
La délégation a par ailleurs rappelé que le Président Obrador s'est lui-même engagé à présenter, tous les deux mois, l'action de la commission qu'il a chargée de faire la lumière sur la mort de 43 étudiants à Ayotzinapa – une affaire emblématique.
Remarques de conclusion
MME DELGADO PERALTA a dit que son pays avait conscience du chemin qu'il lui reste à parcourir. Elle a souligné que le Mexique était doté d'un cadre juridique solide, qui devra être étendu aux autorités locales. Le suivi de l'application des quelque 3400 recommandations faites au Mexique par les instances internationales et régionales sera facilité par une plateforme en ligne, a fait savoir la Sous-Secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l'homme. Elle a salué la contribution des organisations non gouvernementales à la rédaction et à l'examen du rapport.
Le Président du Comité, M. AHMED AMIN FATHALLA, s'est dit satisfait que la question des disparitions forcées soit une priorité pour l'État fédéral. Il a néanmoins souligné que plusieurs questions demandaient encore que leur soient apportées des réponses, s'agissant notamment de l'harmonisation entre les entités fédérées et fédérales, de la disparition des étudiants d'Ayotzinapa, des conditions d'imposition de l'état d'urgence et de la place de la justice militaire.
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Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
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