Discours d’ouverture de Madame Kyung-wha Kang, Haut-Commissaire adjoint aux droits de l’Homme des Nations Unies à la Conférence sur le dialogue national sur la Justice transitionnelle
14 avril 2012
Tunis, le 14 avril 2012
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand honneur pour moi d’être parmi vous aujourd’hui, pour participer à cet événement important dans l’histoire de la Tunisie.
Les droits humains étaient à la source des appels du peuple tunisien à la liberté, la dignité et la justice sociale. Leurs violations pendant des décennies ont creusé la tombe de la dictature de l’ancien régime. Aujourd’hui, elles doivent être au cœur de toute réforme politique, économique, culturelle et sociale.
Je salue les efforts considérables qui ont été déployés depuis le 14 janvier 2011 pour initier les changements politiques, législatifs et institutionnels nécessaires pour que les sacrifices du peuple tunisien ne soient pas vains.
Je rends hommage au peuple tunisien, aux femmes et aux jeunes, aux martyrs et aux blessés, pour les avancées qu’il est déjà parvenu à accomplir en si peu de temps, en particulier les progrès enregistrés dans le domaine de la liberté d’expression et d’association, l’organisation d’élections libres et démocratiques et les travaux en vue de l’adoption d’une nouvelle constitution. Le combat du peuple tunisien pour la dignité et pour un système politique respectueux des droits humains doit être soutenu nationalement et internationalement afin qu’il aboutisse à des changements réels, concrets, profonds et durables.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
La pleine réalisation des aspirations légitimes du peuple tunisien et la mise en place d’une véritable démocratie exigent la plus grande vigilance dans les premiers stades de la transition. Le plus grand défi auquel la Tunisie est confronté aujourd’hui est la mise en place d’une nouvelle conception de l’Etat qui soit entièrement responsable envers son peuple : un Etat de droit. Des consultations nationales inclusives sont nécessaires pour développer cette conception et parvenir à un consensus national ; c’est la raison pour laquelle je salue particulièrement le lancement du dialogue national lors de cette conférence.
La rupture véritable avec le passé et la solidité des fondations d’une nouvelle démocratie dépendent aussi de la lumière qui sera faite sur les violations des droits humains qui ont eu lieu dans le passé.
L'expérience dans d’autres pays a démontré que le respect du droit à la vérité et l’établissement des responsabilités sont des éléments essentiels pour éradiquer l'impunité et prévenir la répétition des violations des droits humains. En même temps, l’absence de lutte contre la culture de l'impunité qui régnait sous l’ancien régime pourrait menacer sérieusement les acquis démocratiques, ou même la pérennité du nouveau système.
La mise en place d’un processus de justice transitionnelle joue un rôle déterminant à cet égard. Ce processus inclut des mécanismes non judiciaires de recherche de la vérité, tels que les commissions d'enquête et les commissions vérité et réconciliation. Il doit inclure également des mécanismes judiciaires effectifs pour entamer des poursuites et juger de façon équitable les auteurs de graves violations des droits humains. Ces mécanismes, non-judiciaires autant que judiciaires, doivent assurer aux victimes des réparations adéquates. Enfin, tout processus de justice transitionnelle effectif doit être accompagné de mesures pour garantir la non-répétition à l’avenir des violations et des réformes institutionnelles nécessaires pour éliminer les causes profondes des violations.
La mise en place de tout ce processus et des différents mécanismes correspondants pose des défis importants pour tout Etat. L'Organisation des Nations Unies est activement engagée à soutenir le processus de justice transitionnelle dans divers pays à travers le monde entier. Au sein de l'ONU, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) a été désigné comme l'entité responsable de la direction des efforts de l’organisation en matière de justice transitionnelle. Cela signifie que le HCDH est responsable de l'élaboration de politiques et de normes pertinentes dans ce domaine, et de prodiguer conseils et assistance technique aux gouvernements afin de renforcer les capacités au niveau national pour la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle respectueux des droits de l’homme. Bien entendu, le HCDH travaille en partenariat étroit avec d’autres entités onusiennes, et particulièrement le PNUD.
Durant les dix dernières années, le Haut-Commissariat a soutenu des programmes de justice transitionnelle dans plus de 20 pays en participant à la conception et à la mise en œuvre de consultations nationales inclusives. Au Togo, par exemple, notre Bureau a facilité ces consultations par l’organisation de 167 réunions dans cinq régions du pays, réunissant plus de 2000 personnes, et en publiant un rapport résumant les conclusions et les principales recommandations, y compris la mise en place d’une commission vérité et réconciliation. Celle-ci fut créée en 2009 et a fonctionné avec l’appui de notre bureau à Lomé. Elle a soumis son rapport final le 3 avril de cette année.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
L’une des préoccupations majeures de notre bureau est de contribuer à ce que tout processus de justice transitionnelle soit entrepris dans le respect des principes et des normes du droit international des droits humains. Les bonnes pratiques élaborées sur la base des expériences d’autres pays constituent une source d’inspiration importante. Toutefois, les expériences ne sont pas à calquer et chaque pays doit trouver son propre modèle ; D’où l’importance de consultations nationales inclusives permettant à chaque pays de trouver le modèle approprié qui correspond véritablement à ses besoins. Nous concevons les consultations nationales comme une forme de dialogue dynamique permettant à tous les concernés de s'exprimer librement, dans un environnement sécurisé, en vue d'élaborer les bases d’un programme de justice transitionnelle qui correspondra véritablement au contexte national. Je suis convaincue que le peuple tunisien a le courage, la détermination, la force et les capacités de développer son propre modèle de justice transitionnelle.
Pour que les efforts de justice transitionnelle soient efficaces, ils doivent être fondés sur le respect des droits humains, et doivent mettre un accent particulier sur les droits et les besoins des victimes et leurs familles. Ces efforts ne seront évidemment efficaces que s’ils sont accompagnés d’une volonté politique suffisante et du plein engagement du gouvernement. Une approche de justice transitionnelle fondée sur les droits humains requiert donc que ces programmes soient conçus dans le contexte d'une consultation approfondie avec les communautés touchées par l'oppression ou le conflit, de sorte que les programmes correspondent le mieux à leurs besoins et leurs droits.
Enfin, nous demeurons convaincus qu’un minutieux processus de consultations est le vecteur le plus sûr pour créer au sein des populations, un fort sentiment d'appropriation des approches de justice transitionnelle. Il est également le plus sûr moyen de promouvoir et garantir leur compréhension et leur participation au fonctionnement des mécanismes de justice transitionnelle, tout au long de leur phase opératoire.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Sur toutes ces questions, la société civile constitue une force motrice fondamentale. La participation pleine et entière des femmes et des organisations de défense des droits humains dans le processus est un facteur essentiel de réussite. Je tiens à souligner tout particulièrement le rôle fondamental des organisations de défenseurs des droits humains et des organisations pour les droits des femmes qui sont toujours en première ligne dans la lutte pour la démocratie, trop souvent au prix de dures pertes et souffrances. Les femmes jouent un rôle fondamental dans la société tunisienne et ont été à l’avant-garde de la résistance à l’oppression et dans la lutte pour la démocratie. Le respect de leurs droits est une condition fondamentale pour construire l’avenir de la Tunisie.
J’ai été ravie d’apprendre lors de ma rencontre hier avec des représentants de la société civile tunisienne l’existence de plusieurs réseaux et coalitions créés pour contribuer activement au processus de la justice transitionnelle. Leur engagement dans le processus permettra de renforcer et d’approfondir l'impact de leurs efforts pour contribuer à l’établissement des responsabilités pour les violations passées et à la réconciliation ainsi qu’à la reconstruction d’un système démocratique fondé sur le respect des droits humains et la primauté du droit.
Tous ces efforts doivent bien entendu être appuyés par la communauté internationale, lorsque cela est nécessaire et opportun. Comme vous le savez, le Haut-commissariat a ouvert en juillet 2011 un Bureau à Tunis à la demande des autorités tunisiennes et avec l’encouragement et l’appui de la société civile. Notre Bureau entretient des relations de confiance avec ses différents partenaires. Il contribue déjà au renforcement des capacités nationales dans différents secteurs tels que la justice et la sécurité. Notre objectif est de contribuer à une réforme des législations et des institutions en conformité avec les normes internationales des droits humains. Il apporte également son appui à la société civile.
Le Haut-commissariat est disposé également à mettre à la disposition du peuple tunisien et de son gouvernement toute son expérience et sa capacité d’assistance en matière de justice transitionnelle, à commencer par l’organisation du dialogue national qui posera les jalons pour la mise en place de tous les mécanismes requis.
Monsieur le President,
Mesdames et Messieurs,