Le Haut-Commissaire Volker Türk exhorte le Conseil des droits de l’homme à « raviver l’esprit, l’élan et la vitalité » de la Déclaration universelle des droits de l’homme
27 février 2023
Prononcé par: Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Président de l’Assemblée générale,
Monsieur le Président du Conseil des droits de l’homme,
Excellences, Mesdames et Messieurs les représentants,
Les droits de l’homme sont le langage commun de l’humanité que nous partageons.
C’est pour nous un moyen de communiquer les uns avec les autres, en tant qu’individus, au sein des sociétés, entre les pays, ainsi qu’avec notre environnement et la planète. La reconnaissance de la dignité humaine, la nécessité de fonder les rapports de pouvoir sur le respect sont au cœur de cette démarche.
Les droits de l’homme nous unissent et peuvent surmonter la polarisation, en particulier dans notre quête d’équité, de prospérité partagée et de justice.
Commençons par le commencement.
Il y a soixante-quinze ans, dans un monde secoué par une horreur sans précédent, le mouvement des droits de la personne contemporain a pris sa source dans de nombreux courants, dans de nombreuses cultures et traditions dans l’histoire sans fin de la poursuite des libertés.
La grande vague des mouvements d’indépendance, qui ont repoussé la domination étrangère, la colonisation et l’exploitation des luttes antiracistes et antiapartheid, et plus loin dans le temps, la lutte pour mettre fin à l’esclavage. Le mouvement ouvrier. Le féminisme. Et plus récemment, le combat pour nos vies, pour la justice environnementale et climatique.
À une époque de menaces existentielles, des États d’Afrique, d’Asie, des Amériques, d’Europe et du Moyen-Orient ont conçu, ensemble, un manuel pour la prévention de la misère, de la guerre et du mal.
Ces 75 dernières années ont été marquées par de profondes avancées et des résultats remarquables, des réalisations qui doivent être honorées, préservées et bien mieux financées.
Notre système est fondé sur des traités, et nous disposons de toute une architecture institutionnelle visant à promouvoir et protéger les droits de l’homme, y compris ce Conseil et ses procédures révolutionnaires que sont l’EPU et les procédures spéciales.
Nous sommes beaucoup plus conscients aujourd’hui des valeurs et des engagements qui les sous-tendent.
Nous avons également assisté à la croissance d’autres mouvements novateurs qui s’inspirent des principes des droits de l’homme. Parmi eux, les mouvements pour les droits des peuples autochtones, Black Lives Matter, #MeToo ou encore les Vendredis pour l’avenir. Les jeunes, en particulier, parlent constamment la langue des droits de l’homme lorsqu’ils expriment leurs préoccupations. Je rends hommage à tous les défenseurs et défenseuses des droits humains d’hier et d’aujourd’hui.
Les droits de l’homme sont une force avec laquelle il faut compter, non pas car ils servent les intérêts des plus forts, mais car ils font rêver les plus humbles.
Pourtant, comme nous le savons trop bien aujourd’hui, l’oppression du passé peut refaire surface, sous différents avatars.
L’ancien autoritarisme, avec sa brutale répression des libertés, et le carcan étouffant du patriarcat. Les vieilles guerres d’agression destructrices d’une époque révolue avec des conséquences mondiales, comme nous l’avons encore vu en Europe avec l’invasion insensée de l’Ukraine par la Fédération de Russie.
La nouvelle intelligence artificielle, qui brouille les frontières entre réalité et fiction et soulève des risques sans précédent – et le monde en ligne tumultueux où les mensonges viraux menacent nos élections, notre santé, notre sécurité, et j’en passe.
Espérons que 2023 sera le moment où nous pourrons enfin nous détourner de l’exploitation des technologies numériques à des fins de profits et d’oppression, et investir davantage dans l’innovation numérique pour relever nos plus grands défis : la pauvreté, les changements climatiques et les inégalités.
Le moment est venu de faire renaître l’espoir des droits de l’homme pour toutes et tous.
Pourtant, une grande partie des progrès accomplis au fil des décennies est en train d’être freinée, voire inversée dans certaines régions, notamment en ce qui concerne les femmes et les filles, l’espace civique et les libertés dont on jouit en temps de paix et grâce au développement durable. La liste est longue.
En nous tournant à la fois vers le passé et vers l’avenir, en nous disant « plus jamais ça », et dans l’intérêt de la justice transgénérationnelle, nous devons à tout prix raviver l’esprit, l’élan et la vitalité qui ont donné naissance à la Déclaration universelle des droits de l’homme il y a 75 ans.
Nous devons forger un nouveau consensus mondial autour des droits de l’homme, élargir son soutien et avancer ensemble, sachant que notre survie dépend de ce langage commun que nous devons retrouver.
Nos institutions – qui existent pour faire progresser tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sur un pied d’égalité, ainsi que le droit au développement et le droit à un environnement propre, sain et durable – sont dans une position unique pour reconstruire ce respect partagé de la dignité de chaque personne.
Nous devons promouvoir et mettre en œuvre une vision des droits de l’homme du XXIe siècle permettant de transformer, de trouver des solutions et d’unifier, et pour que chaque individu puisse se voir reflété dans sa recherche de justice et de sens dans la vie.
C’est dans ce contexte que nous avons lancé cette année l’initiative « Droits humains 75 », avant tout pour rétablir la confiance.
La confiance entre les États : la confiance qu’ils agiront dans le respect du droit international et des accords qu’ils ont eux-mêmes rédigés, et qu’ils œuvreront ensemble pour le bien commun.
La confiance entre les citoyens et leurs gouvernements, qui ont promis de les représenter et de les servir.
La confiance entre les communautés.
La confiance avec les futures générations et la planète.
Nous pouvons nous élever au-dessus de la mêlée et utiliser les droits de l’homme, non pas comme une arme dans le contexte des changements géopolitiques – non pas comme quelque chose que l’on garde pour les jours meilleurs à venir – mais comme ce qu’ils sont et ont toujours été censés être : une solution pour nous aider à faire face aux maux qui détruisent notre monde.
J’invite tous les États Membres et tous les acteurs concernés à montrer l’exemple pour faire progresser tous les droits de l’homme dans le monde et dans leur propre pays. Alors que nous célébrons cette année ces anniversaires importants1, profitons de cette occasion pour redynamiser et adapter notre travail. Et pour tempérer la situation.
Pour surmonter nos différences, par la solidarité et un dialogue sincère, en travaillant au-delà des clivages géopolitiques avec une vision claire pour faire avancer les besoins de chaque pays et les droits de tous.
Je vous demande donc à tous d’approfondir l’engagement interrégional, de raviver l’esprit d’universalité qui est le fondement de notre travail et de veiller à ce que les discussions importantes sur les situations préoccupantes – auxquelles aucun pays n’échappe – ainsi que sur le racisme et le droit au développement, progressent, dans l’intérêt de tous.
Je vous encourage à veiller à ce que les violations graves et les atteintes aux droits de l’homme soient prises en compte, où qu’elles se produisent, et à ne pas tomber dans le piège du déni ou de la dissimulation.
Je vous encourage à aborder les droits de votre peuple à vivre à l’abri du besoin et de la peur sur un pied d’égalité et avec la même insistance, afin que tous les droits de l’homme puissent se renforcer mutuellement et soutenir le renouvellement du contrat social si nécessaire entre les institutions de l’État et leurs peuples.
Je vous appelle à communiquer au public votre engagement sincère en faveur des droits de l’homme et à contrer la marée montante de la haine et de la division.
Je vous demande de contribuer à remettre le monde sur la voie de la réalisation des promesses de paix durable, de développement sain et de justice. De veiller à renforcer la solidarité au sein des pays et entre eux dans le cadre des débats indispensables sur la réforme de l’architecture financière internationale, l’héritage du colonialisme et les indemnisations face aux changements climatiques.
Et je vous demande de contribuer à rétablir l’engagement de notre génération en faveur des droits de l’homme en partageant avec nous les promesses de transformation que vous aimeriez faire lors de l’événement de haut niveau que nous avons prévu en décembre.
Pour ma part, je m’engage à maintenir avec les États une collaboration pratique et fondée sur des principes. Je me dois de vous renvoyer la réalité que nous constatons, dans le cadre de notre suivi attentif et méthodique, et de travailler avec vous pour apporter des améliorations. J’ai aussi l’obligation de dénoncer les tendances qui portent atteinte aux droits de l’homme. Comme d’habitude, je présenterai le 7 mars un bilan mondial détaillé sur la situation dans certains pays et régions, outre les diverses déclarations concernant des pays spécifiques qui font partie de l’ordre du jour de cette session du Conseil.
Je serai toujours prêt à écouter vos préoccupations. Notre volonté de dialoguer sincèrement, pour chercher des dénominateurs communs, même en cas de profonds désaccords, est, je crois, au cœur de notre langage commun. Dialoguer, cependant, n’est pas une fin en soi, mais cela doit nous faire avancer et, en fin de compte, nous aider à apporter un changement positif dans la vie des gens.
Je m’efforcerai donc de promouvoir les progrès de tous les droits de l’homme, sans distinction, dans chaque région et dans toutes les activités des Nations Unies.
Je ferai tout mon possible pour répondre aux demandes de coopération, de bons offices et de conseils des États, et pour que le HCDH et l’écosystème des droits de l’homme soient inclusifs et réactifs.
Nous avons plus en commun que nous le pensons. Et si nous revenons à nos origines – et que nous regardons vers l’avenir, vers ce que le monde pourrait être – nous pouvons constater que la Déclaration universelle des droits de l’homme exprime non seulement une sagesse ancienne que connaissent toutes les cultures, mais garantit aussi notre survie.
Merci, Monsieur le Président.
Certains passages de ce discours ont été prononcés en français et en espagnol.
[1] 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; 30e anniversaire de la Déclaration de Vienne, qui a conduit à la création du HCDH ; 25e anniversaire de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme ; 75e anniversaire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.