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Déclarations Procédures spéciales

Communiqué de presse de Mme Marie-Thérèse Keita-Bocoum à l’issue de sa quatrième visite en République centrafricaine

11 février 2015

12 février 2015

Mesdames, messieurs, bonsoir et merci d’assister à cette conférence de presse.     

Je conclue ma quatrième visite en République centrafricaine et je voudrais remercier le gouvernement centrafricain pour son soutien continu pour mon mandat, sa coopération et sa disponibilité durant cette visite. Je voudrais également remercier la MINUSCA, et en particulier la division des droits de l’homme pour l’organisation de ma visite mais aussi les féliciter pour leur travail assidu au quotidien aux cotés des centrafricains. Durant mon séjour, je me suis entretenue avec les plus hautes autorités de l’Etat, y compris la Présidente, les ministres de la Défense, de la Justice, de la Réconciliation et des Affaires Sociales et de l’Action Humanitaire, mais aussi avec le Procureur de la République à Bangui, la Présidente du comité préparatoire du Forum de Bangui et le directeur adjoint de la Police nationale. J’ai aussi rencontré des représentants des groupes armés  et des leaders religieux. J’ai eu de longs échanges avec le leadership et les différentes composantes de la MINUSCA, la coordinatrice humanitaire et les agences des Nations Unies, le corps diplomatique et la société civile. Je remercie tous ces acteurs engagés dans la voix de la réconciliation centrafricaine pour leur soutien et leur engagement avec mon mandat.

J’ai également pu me rendre à l’intérieur du pays, notamment à Berberati et Bambari, ou j’ai pu me rendre compte de la situation des déplacés internes et des défis sécuritaires. Je me rendrais également demain à Yaloké avec la Coordinatrice Adjointe des Nations Unies pour les Affaires Humanitaires et le Rapporteur Spécial sur les droits des personnes déplacées.  

Comme vous le savez, mon mandat me demande d’évaluer et vérifier la situation des droits de l’homme en République centrafricaine et en rendre compte en vue  de formuler des recommandations concernant l’assistance technique et le renforcement des capacités dans les domaines des droits de l’homme.  J’ai présenté un rapport préliminaire au Conseil des droits de l’homme en juin 2014 basé sur mes deux premières visites dans le pays. Cette mission me permettra de faire une mise à jour oral de mon rapport devant le Conseil des droits de l’homme le 24 mars prochain. Le Conseil a également prévu un dialogue interactif sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine, avec un accent particulier sur la lutte contre l’impunité à sa session de juin. Enfin, je présenterai un rapport final au Conseil à sa session de septembre.

Permettez-moi de vous présenter brièvement quelques conclusions préliminaires aujourd’hui à l’issue de cette visite de presque 15 jours :

Comme je l’ai souligné dans mon communiqué de presse annonçant ma venue, je suis satisfaite de voir que plusieurs initiatives positives ont été prises. Ici, je souhaite souligner la tenue des consultations de base qui continuent en ce moment et qui donne l’opportunité au peuple de se prononcer sur les contours de leur société de demain. A souligner aussi sont les mesures pour la lutte contre l’impunité, notamment les premières arrestations des principaux présumés responsables de crimes graves des droits de l’homme et l’adoption en Conseil des ministres de la loi sur la Cour Pénale Spéciale. Le Gouvernement de transition a aussi commencé à déployer ses représentants sur le territoire, une étape cruciale dans la restauration de l’Etat de droit. J’ai aussi appris que certains déplacés et réfugiés commencent à rentrer dans le pays ou rejoindre leurs lieux de résidence habituel.

La situation sécuritaire cependant reste au cœur de toutes les préoccupations des centrafricains comme de la communauté internationale. La sécurité à Bangui s’est quelque peu améliorée avec le déploiement des forces internationales et des forces nationales, même si la récente vague d’enlèvements et de braquages crée à nouveau un environnement d’insécurité. J’ai appris aujourd’hui la libération du Ministre Sayo, et je me réjouis de cette libération. Je déplore que les groupes armés continuent à opérer sur une grande partie  du territoire et continue à terroriser les populations civiles. L’autorité de l’Etat est très peu présent en dehors de Bangui et la population n’a pas la possibilité de bénéficier de la protection de l’Etat pour assurer sa sécurité, et lui permettre d’avoir accès à la justice, la santé, l’éducation et à jouir du développement économique et culturel. Les affrontements forcent toujours les populations à se déplacer.

De plus, mes nombreux échanges ainsi que mes visites de terrain m’ont permis de noter plusieurs problèmes sur lesquels nous devons tous travailler en étroite collaboration en vue de l’avènement d’ une société centrafricaine basée sur le respect des droits de l’homme, l’égalité devant la loi et le respect de l’autorité de l’Etat. Quels sont-ils ?

  1. La question des droits des minorités

J’ai pu me rendre dans les quartiers musulmans de Bangui et à l’intérieur du pays et discuter avec les autorités religieuses et des représentants de la société civile pour mieux comprendre leur situation. Je suis très préoccupée du fait que la minorité musulmane ne peut toujours pas prendre pleinement part à la vie politique, économique et sociale de son pays, en raison de son assimilation avec le mouvement armé ex-Seleka mais aussi des effets d’une discrimination historique.  On ne peut pas prendre en otage toute une frange de sa population en raison d’une appartenance religieuse. Les jeunes musulmans veulent retourner à l’école, retrouver leurs emplois et leurs maisons, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Ceci est également valable pour une partie non-négligeable de Chrétiens dans des régions à majorité musulmane ou occupées par les ex-Seleka. Ils doivent aussi pouvoir vivre chez eux en sécurité, accéder à leurs biens et propriétés et bénéficier de la protection de l’Etat.

Les minorités ont le droit de pratiquer leur culture, leur foi et d’utiliser leur langue sans discrimination. J’encourage le gouvernement centrafricain de continuer à déployer et même à redoubler ces efforts pour protéger ces droits et promouvoir la cohésion sociale et la réconciliation, notamment par la sensibilisation, avec le soutien de la communauté internationale.

  1. Personnes déplacées

Je ne vais pas m’étendre sur ce sujet étant donné que la directrice adjointe d’OCHA et le Rapporteur Spécial sur les droits des personnes déplacées se prononceront en détail sur cette question samedi lors de leur conférence de presse. Cependant je souhaiterai vous rappeler que les personnes déplacées doivent bénéficier selon le droit international des mêmes droits et libertés que le reste de la population. Les autorités nationales ont la responsabilité première de fournir une protection aux personnes déplacées.  J’ai rappelé aux autorités ces principes – la liberté de mouvement, le libre choix de la résidence et le droit de retour. Ces principes doivent s’appliquer en toutes circonstances, y compris pour les déplacés de Yaloké, qui doivent pouvoir partir s’ils le souhaitent. J’ai aussi réitéré aux autorités la nécessité d’une stratégie pour faciliter le retour des déplacés et réfugiés qui s’appuie sur la sécurisation des biens et des propriétés.

  1. Violations graves des droits de l’homme, y compris les traitements infligés à ceux accusés de sorcellerie.

Les violations graves au droit à la vie et à l’intégrité physique restent préoccupantes. En majorité ces cas sont liés à des attaques contre des civils par des éléments armés dans différentes parties du pays. Je rappelle aux éléments armés leurs obligations de respecter les populations civiles et les humanitaires. J’ai rencontré des leaders des Anti-Balaka et des Ex-Selekas et j’ai insisté sur la nécessité de déposer les armes, de libérer les infrastructures publiques et de ne pas obstruer le processus de réconciliation au travers des consultations de base.

J’ai aussi pu lire des rapports accablants sur des cas de personnes accusées de sorcellerie, notamment à Bouar, qui ont conduits à des actes de tortures et des meurtres, particulièrement sur des vieillards et des enfants. Ces actes incluent des brulures terribles et prétendument des enterrements de personnes vivantes. Sous couvert d’accusation de sorcellerie, ces pratiques sont apparemment le fait d’individus armés voulant extorquer des villageois. Ces pratiques sont inadmissible et contraire aux lois nationales et internationales, et j’ai alerté les autorités sur ces pratiques et leur ai demandé d’arrêter les personnes responsables sans plus attendre et de dénoncer publiquement ces crimes odieuxet d’entamer une campagne de sensibilisation pour décourager ces actes.

Je suis toujours inquiète des violences faites aux femmes et l’absence d’autorité judicaire et de police efficace sur le terrain fait que les femmes ne peuvent déposer plainte et obtenir justice et réparation. J’en appelle aussi à la responsabilité des forces internationales de respecter les droits des femmes et de croire que je porterais à l’attention de Conseil des droits de l’homme toutes les violences faites aux femmes qui me seront rapportées.

  1. Lutte contre l’impunité

La lutte contre l’impunité est essentielle pour un retour à la paix. L’archevêque de Bangui et d’autres leaders religieux musulmans ont insisté sur le fait que le pardon est important mais il faut qu’il y ait réparation. La loi est la même pour tous, y compris les seigneurs de guerre. L’amnistie pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité n’est pas acceptée par le droit international. Il faut établir les responsabilités et rendre la justice afin de permettre une réconciliation. Le but c’est une justice réparatrice car la nation doit être réparée.

La réforme des forces de sécurités centrafricaines est primordiale pour la lutte contre l’impunité. Je me réjouis des premiers bataillons de la police et de l’armée qui ont été formés par la MINUSCA et déployés conjointement pour assurer la sécurité des citoyens. J’encourage les acteurs impliqués à définir au plus vite une stratégie de DDR [Désarmement-Démobilisation-Réintégration] sur la base de critères clairs et centrée sur une réintégration communautaire et sa mise en application rapide. Ces programmes doivent enfin être accompagnés d’un désarmement civil et de la réforme du secteur de la sécurité avec le soutien de la communauté internationale.

  1. Réconciliation

Je salue les nombreuses initiatives centrafricaines et internationales en faveur de la réconciliation. La plateforme interreligieuse joue un rôle important pour apaiser les populations. J’invite toutes les autorités religieuses à continuer à se mobiliser pour appeler au calme et à la réconciliation. J’ai également rencontré un grand nombre d’associations de la société civiles dynamiques et engagées en faveur de la paix.

Cependant la multiplication des factions armées sans structure de commandement clair complique la tâche de ceux qui travaille à la cohésion sociale. Les populations veulent la paix, tous ceux que j’ai rencontrés ont insisté sur leur besoin de paix et de sécurité pour enfin reprendre une vie normale.  Je mets en garde tous ceux qui s’opposent à la paix qu’ils devront faire face à leurs responsabilités. J’encourage les initiatives en faveur des jeunes, y compris les jeunes des bandes armés qui n’ont pas commis de crimes, afin qu’ils retrouvent un travail pour faciliter leur réinsertion dans la société.

Avant de conclure, je voudrais lancer un appel à la communauté internationale de redoubler ses efforts  pour renforcer la coopération technique et améliorer les réponses aux problèmes de ce pays. L’Etat et les organisations de la société civile ont besoin de nous tous pour reconstruire une société fonctionnelle basée sur les principes universels des droits de l’homme.

FIN

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