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Discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Discours liminaire de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet à l’occasion de la première Journée européenne de commémoration de l’abolition de la traite des esclaves du Parlement européen

02 décembre 2020

« Reconnaître le passé, réparer le présent et construire l’avenir »

Le 2 décembre 2020

Excellences,
Chers collègues et amis,

C’est pour moi un honneur de m’exprimer à l’occasion de la première Journée européenne de commémoration de l’abolition de la traite des esclaves, qui a pour thème  « Reconnaître le passé, réparer le présent et construire l’avenir ». Je salue l’intergroupe « Antiracisme et diversité » du Parlement européen pour avoir organisé cet événement aux côtés du Réseau européen des personnes d’ascendance africaine et du Réseau européen contre le racisme.

À mesure que la pandémie de COVID-19 continue de s’aggraver et de faire des victimes, la crise sociale et économique qui l’accompagne menace de déclencher de nouvelles vagues de pauvreté et d’inégalités, et de réduire à néant des dizaines d’années de progrès durement acquis en matière de développement.

Cette année restera dans les mémoires comme un tournant dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée ; une année marquée par les protestations mondiales face au meurtre de George Floyd durant son arrestation.

L’immense solidarité mondiale envers les victimes de la violence raciale a incité les gens à protester contre le racisme et la discrimination raciale et a suscité d’importantes discussions sur les séquelles de l’esclavage et du colonialisme.

Elle a également déclenché un débat urgent en juin dernier devant le Conseil des droits de l’homme, et l’adoption ultérieure d’une résolution chargeant le HCDH de préparer un rapport complet sur le racisme et les violations des droits de l’homme systémiques contre les Africains et les personnes d’ascendance africaine r les forces de l’ordre. Comme le prévoit la résolution, le rapport, qui sera présenté en juin prochain, portera également sur la responsabilité, la réparation pour les victimes et les actions menées par les gouvernements en réponse aux manifestations pacifiques contre le racisme. Les interventions d’aujourd’hui serviront à sa préparation.

La discrimination raciale est en effet une menace omniprésente et une violation des droits de l’homme.

Le lien entre les formes et manifestations passées et présentes du racisme a été explicitement établi dans la Déclaration et le Programme d’action de Durban, adoptés par consensus en 2001 lors de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. La Conférence mondiale de Durban représente un véritable tournant dans notre lutte commune contre ces graves problèmes.

La Conférence a présenté les origines profondes du racisme contemporain dans l’histoire, a reconnu que l’esclavage et la traite des esclaves sont des crimes contre l’humanité – ce qui aurait toujours dû être le cas – et a analysé l’héritage de certains des chapitres les plus effroyables de notre histoire. La Déclaration de Durban stipule que l’esclavage et la traite des esclaves « sont l’une des principales sources [...] du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée ». Elle affirme également que « les Africains et les personnes d’ascendance africaine, de même que les personnes d’ascendance asiatique et les peuples autochtones, ont été victimes du colonialisme et continuent à en subir les conséquences », soulignant que « les effets [...] de ces structures et pratiques [...] ont contribué à des inégalités sociales et économiques persistantes ».

Dans cette optique, la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine a pour thème « Reconnaissance, justice et développement ». Le programme d’activités de la Décennie, que j’ai l’honneur de coordonner, souligne l’importance de la reconnaissance, notamment par la promotion de la culture, de l’histoire et du patrimoine des personnes d’ascendance africaine et par l’éducation, la recherche et son intégration dans les programmes scolaires.

La reconnaissance est en effet le premier pas vers une lutte globale contre le fléau du racisme et de la discrimination raciale qui nous affligent encore aujourd’hui.

La COVID-19 en est un exemple frappant. En raison des inégalités généralisées et de la discrimination systémique, les minorités raciales et ethniques ont été touchées de manière disproportionnée par la COVID-19. Elles constituent également une grande partie des 40 millions de personnes qui sont encore victimes de formes contemporaines d’esclavage.

Parmi les principales causes de l’exposition des personnes à l’esclavage figure en effet la discrimination raciale omniprésente et de longue date, qui est profondément liée à aux inégalités en matière d’accès à la justice, à l’éducation, aux services de santé, à la terre, aux moyens de subsistance ou aux possibilités d’emploi décent.

Excellences,

Le respect de la dignité humaine, l’égalité des droits et la non-discrimination sont les fondements des droits de l’homme, comme en témoignent les deux premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Ce n’est pas une coïncidence si la race et la couleur sont les premiers motifs de discrimination mentionnés à l’article 2. Comme nous le savons tous, non seulement le racisme a fait partie des aspects déterminants de la Seconde Guerre mondiale, mais la fin de cette dernière a également été le point de départ de mouvements d’indépendance dans le monde entier. Des mouvements qui visaient à rompre avec le colonialisme des puissances occidentales qui avaient, pendant des siècles, institutionnalisé l’esclavage des Africains et des personnes d’ascendance africaine.

En décembre 1965, l’Assemblée générale des Nations Unies a créé la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Son but était « [d’]adopter toutes les mesures nécessaires pour l’élimination rapide de toutes les formes et de toutes les manifestations de discrimination raciale et [de] prévenir et combattre les doctrines et pratiques racistes afin de favoriser la bonne entente entre les races et d’édifier une communauté internationale affranchie de toutes les formes de ségrégation et de discrimination raciales ».

La Conférence mondiale de Durban de 2001, ainsi que la Conférence d’examen de Durban de 2009 ont aidé la communauté internationale à réfléchir aux domaines dans lesquels elle n’avait pas suffisamment agi et aux moyens de renforcer son action pour créer des sociétés justes et équitables, sans racisme ni discrimination raciale.

Au niveau international, diverses mesures ont été prises par les États Membres, les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies et l’ensemble du système des Nations Unies, les organisations régionales, les institutions nationales des droits de l’homme et la société civile. Il s’agit notamment de mesures législatives, de plans d’action nationaux contre la discrimination et de mécanismes nationaux de surveillance et de plainte. D’autres mesures visant à renforcer les capacités nationales de lutte contre la discrimination raciale comprennent la collecte de données et la recherche, l’engagement communautaire et la sensibilisation, ainsi que des activités éducatives et de rapprochement.

Nous avons constaté qu’un certain nombre de mesures positives ont été prises dans l’Union européenne, comme la publication en 2018 du tout premier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), qui décrit la situation des personnes d’ascendance africaine dans la région.

Le rapport Être noir dans l’UE a examiné les témoignages de près de 6 000 personnes d’ascendance africaine dans 12 États membres de l’Union européenne, et a conclu que la discrimination raciale était omniprésente dans touts les aspects de leur vie. Je salue l’adoption ultérieure par le Parlement européen d’une résolution sur les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine en Europe. C’est à cette occasion que le Parlement a reconnu publiquement cette forme spécifique de racisme et de discrimination, alimentée par les abus historiques et les stéréotypes négatifs dont font l’objet les personnes d’ascendance africaine. Je salue également le lancement de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine dans certains pays européens, comme la Belgique et les Pays-Bas, à la suite des visites du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine.

Pourtant, il est évident que la profondeur et la portée des changements apportés dans les différents pays n’ont pas été suffisantes. Lors du débat urgent organisé en juin dernier par le Conseil des droits de l’homme, j’ai demandé à ce dernier d’examiner la violence raciale, le racisme systémique et la discrimination au sein de la police, qui reflètent notre incapacité à reconnaître et à confronter l’héritage de l’esclavage et du colonialisme. Comme l’a souligné la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, « de nombreuses manifestations contemporaines de la discrimination raciale doivent être interprétées comme la continuation de formes et de structures historiques d’injustice et d’inégalité raciale auxquelles nous n’avons pas suffisamment remédié ».

À cet égard, le récent lancement du plan d’action contre le racisme de la Commission européenne pour les cinq prochaines années est important, car il reconnaît le colonialisme et l’esclavage comme étant à l’origine du racisme. En déclarant que l’esclavage est un crime contre l’humanité et en faisant du 2 décembre la Journée européenne pour l’abolition de la traite des esclaves, l’Union européenne franchit une étape importante dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.

Dans la pratique, ce processus louable nécessitera de réparer les torts causés par des siècles de violence et de discrimination, notamment à travers des excuses officielles, des processus d’établissement de la vérité et des réparations sous diverses formes. Une consultation globale et inclusive des personnes concernées devrait favoriser la justice, la responsabilité et la réconciliation.

La Rapporteuse spéciale sur le racisme, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine et les mécanismes de suivi de la Déclaration et du Programme de Durban ont tous demandé à ce que des mesures de justice réparatrice soient prises. Dans un rapport adressé au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels a également fait référence à l’importance des processus de mémorialisation.

Tous ces processus devraient stimuler l’engagement civique, la réflexion critique et les discussions sur la représentation du passé, tout en soulignant ses conséquences contemporaines, comme la persistance des stéréotypes raciaux, de la discrimination, de l’exclusion ou de la violence.

Comme le montre cet événement, reconnaître le passé est la première étape en vue de réparer le présent et un facteur clé pour construire le futur.

Excellences,
Chers amis,

L’année prochaine marquera à la fois le 20e anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Durban, et la moitié de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine.

J’appelle les États membres de l’Union européenne à soutenir la création de l’Instance permanente pour les personnes d’ascendance africaine. Ce serait une avancée remarquable lors de l’examen à mi-parcours, et un tremplin vers un autre objectif important de la Décennie internationale : l’élaboration d’un projet de déclaration des Nations Unies sur la promotion et le plein respect des droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine.

Cela est de la plus haute importance.

La lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée est plus cruciale et plus urgente que jamais, que ce soit en ligne ou hors ligne. Il est très préoccupant de constater que la discrimination est exacerbée par les technologies numériques, voire même souvent par des personnalités et des autorités publiques.

Les États doivent faire preuve d’une volonté politique plus forte, soutenue par des actions concrètes, pour lutter efficacement contre le racisme structurel et systémique et la discrimination raciale ancrés dans les sociétés.

L’événement d’aujourd’hui nous montre l’urgence de mettre en valeur notre humanité commune et de réparer tout héritage qui laisserait supposer le contraire.

Je vous remercie pour votre action en faveur des droits de l’homme.

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