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Actualités

Déclaration de Mme Koumba Boly Barry, Rapporteuse spéciale sur le droit à l'éducation sur les dimensions culturelles du droit à l’éducation

24 juin 2021

47e session du Conseil des droits de l'homme - Point 3 de l’agenda

Genève, le 24 juin 2021

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureuse de pouvoir m’adresser aujourd'hui, et en présentielle, à la 47ème session du Conseil des droits de l'homme en tant que Rapporteuse spéciale sur le droit à l'éducation.

Je présente aujourd’hui mon rapport thématique sur les dimensions culturelles du droit à l’éducation (A/HRC/47/32), éléments cruciaux pour la réalisation du droit universel à une éducation inclusive et de qualité, comme le demande l'Objectif de développement durable 4. 

Ce travail permet de comprendre le droit à l’éducation comme un droit culturel à part entière. J’invite tous les Etats, de même que tous les autres acteurs dans le champ de l’éducation, à adopter cette approche car elle rend beaucoup plus substantiel le contenu du droit à une éducation inclusive et de qualité. 

Dans le cadre de la préparation du rapport, je voudrais remercier pour leurs contributions significatives les experts ayant participé à une réunion tenue à Genève en 2020, ainsi que quelques 90 États, autorités publiques, institutions nationales des droits de l’homme, organisations non gouvernementales et autres experts qui ont également apporté leur contribution en répondant à mon questionnaire. Je remercie également l’équipe du Haut-Commissariat aux droits de l’homme pour son soutien.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Le droit à l’éducation est le droit de chacun d’accéder aux ressources culturelles nécessaires pour développer librement son processus d’identification, vivre des relations dignes de reconnaissance mutuelle tout au long de son existence, affronter les défis cruciaux auxquels notre monde doit faire face, et de s’adonner aux pratiques qui permettent de s’approprier ces ressources et d’y contribuer.

Le manque de pertinence culturelle des systèmes éducatifs empêche de façon dramatique la réalisation du droit à l’éducation. Le défi est de prodiguer un enseignement inclusif et de qualité, qui permet l’épanouissement de la diversité culturelle et des droits culturels de chacun, reflète cet épanouissement et prend appui sur celui-ci.

Les systèmes éducatifs, souvent très centralisés, restent peu adaptés aux besoins des sociétés multiculturelles et organisent une hiérarchie entre les cultures, les visions du monde et les façons qu’ont les personnes de se concevoir en tant qu’êtres humains. 

Ils sont ainsi loin de répondre aux objectifs du droit à l’éducation tels qu’ils sont énoncés dans les instruments internationaux, et perpétuent des discriminations, des exclusions et des ségrégations allant à l’encontre du principe des objectifs de développement durable de ne laisser personne de côté.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

J’ai identifié, dans mon rapport, plusieurs éléments importants permettant de remédier à ces problèmes. 

Comme vous l’avez remarqué, je n’ai pas procédé à une approche par groupe (en détaillant les droits des minorités, des migrants, des peuples autochtones, des personnes handicapées, des femmes ou encore des enfants). 

J’ai préféré poser les grands principes et lignes d’action permettant de redonner à l’éducation toute sa pertinence culturelle et d’assurer, pour toute personne, « le droit à une éducation et une formation de qualité qui respectent pleinement son identité culturelle », tel qu’énoncé dans la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle. 

Un premier élément est de d’assurer :

  • La capacité d’adaptation des acteurs des systèmes éducatifs à la diversité des ressources culturelles des apprenants et de celles qui sont présentes dans les territoires, impliquant aussi une capacité d’appropriation de ces ressources ;
  • La capacité d’enrichissement de tous, à partir de la valeur de ces ressources culturelles particulières, dans le respect de l’ensemble des droits de l’homme ;
  • Et la capacité d’inclusion des personnes et des ressources dans la vie éducationnelle.

Ainsi, les éléments propices au respect de la diversité et des droits culturels de chacun dans l’éducation sont :

    • La valorisation des ressources culturelles présentes ;
    • La participation à la vie éducationnelle de tous les acteurs pertinents, y compris les apprenants dans toute leur diversité ;
    • Un certain degré de décentralisation en faveur des acteurs locaux et mise en place d’une certaine autonomie des écoles pour assurer la pertinence culturelle des apprentissages ;
    • La mise en place de méthodes d’observation participatives et systémiques ;
    • Le respect des libertés dans le champ éducationnel, notamment.

Ce qui compte, c’est de considérer la vie éducationnelle comme une relation vivante entre des acteurs (élèves, éducateurs, organisations et autres acteurs associés) et des ensembles de connaissances qui forment des ressources communes. 

Participer signifie trois actions en boucle : accéder, pratiquer, contribuer, qui sont essentielles pour toutes les parties prenantes de la vie éducationnelle. Une personne s’approprie une ressource culturelle non seulement lorsqu’elle la découvre et développe sa pratique en l’utilisant, mais aussi quand elle y contribue.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

L’expression « dimensions culturelles » au pluriel fait référence à une diversité de diversités : diversité des personnes et de tous les acteurs qui participent à la vie éducationnelle, diversité des savoirs et des disciplines. Comprendre le droit à l’éducation comme un droit culturel amène plusieurs changements de perspective. 

Tout d'abord, on pourrait penser que la diversité culturelle rend impossible toute universalité, cependant un droit universel qui ne repose pas sur une valorisation de la diversité culturelle ne peut être véritablement universel. 

Ensuite, l’adjectif « culturel » pris dans son sens large couvre non seulement les arts ou les patrimoines, mais toutes les disciplines éducatives. Ce qui doit être recherché est une synergie entre tous ces domaines, à l’opposé des pratiques répandues consistant à les compartimenter.

Troisièmement, il ne faut pas limiter la question culturelle aux communautés linguistiques, religieuses ou ethniques. Il faut aborder la diversité culturelle en englobant toutes les diversités, historiques, patrimoniales, sociales, celles liées au genre ou aux handicaps, et aussi celles qui sont dues à des cheminements de vie particuliers ou à des situations de pauvreté ou de violence.

Quatrièmement, le droit à l’éducation ne se réduit pas à un droit à bénéficier d’une transmission de savoirs. Le droit de participer à une éducation de qualité signifie pour chacun une chance d’accéder, d’avoir recours et de contribuer à une diversité de savoirs élaborés, développés et partagés par un nombre indéfini d’êtres humains.

En conséquence, s’éduquer et être éduqué signifie aussi interagir avec des personnes, des communautés et des institutions.

Il faudrait également changer de perspective pour comprendre la force des vulnérabilités et s’appuyer sur celle-ci, pour dégager les potentiels culturels des divers groupes de personnes qui se trouvent gravement en situation défavorisée. 

Enfin, il faut considérer que la vie éducationnelle et chaque ressource culturelle sont des biens communs.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Les valeurs clés de la vie éducationnelle peuvent être résumées ainsi :

  • Réciprocité. Les expériences d’apprentissage sont réciproques tout en étant asymétriques.
  • Reconnaissance de soi, des autres et des choses, grâce à des communautés de savoirs.
  • Accès, pratique et contribution de tous à la vie éducationnelle.
  • Expérience des interrelations au sein d’un écosystème auquel participent de nombreux acteurs, publics, civils et privés.

Parmi les acteurs de la vie éducationnelle se trouvent les acteurs privés, y compris les écoles privées, lesquelles permettent la diversité du paysage éducatif. 

Une action publique, respectueuse des libertés d’enseignement, peut prendre la forme d’un large éventail de mesures, allant, selon les demandes et les situations, du financement d’écoles privées à la volonté d’intégrer dans le système général d’enseignement une éducation interculturelle et multiculturelle reflétant la diversité des apprenants. 

Je souligne à ce propos l’importance de respecter les Principes d’Abidjan sur le droit à l’éducation, lesquels rappellent les obligations des États de prioriser le financement d’une éducation publique gratuite de qualité et de réglementer la participation du secteur privé dans l’éducation. L’exigence de respect de la diversité culturelle et des droits culturels concerne les institutions éducatives tant publiques que privées. 

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

J’ai reçu, en réponse à mon questionnaire un nombre impressionnant de contributions. J’ai été particulièrement intéressée par la pratique de nombreux Etats de mettre en place une éducation interculturelle. Je suis, comme eux, convaincue que l’éducation interculturelle est la mieux à même de permettre la réalisation d’un droit à une éducation inclusive et de qualité et de rendre à l’éducation toute sa pertinence culturelle, et donc son efficacité. 

Je voudrais ajouter que l'éducation devrait aussi être interdisciplinaire. Il est certes nécessaire de garantir l’accès des disciplines spécifiques pour assurer la dimension culturelle du droit à l’éducation (i.e. l’éducation artistique, aux patrimoines, aux langues, aux contributions des diverses religions, à la citoyenneté et aux droits de l’homme). Mais les disciplines doivent aussi dialoguer et les savoirs se croiser. Par exemple, le patrimoine culturel immatériel, comme le recommande l’UNESCO, devrait être intégré autant que possible comme contenu des programmes scolaires dans toutes les disciplines pertinentes.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

J’attire votre attention sur la recommandation dans mon rapport selon laquelle la diversité culturelle doit être reconnue comme une caractéristique fondamentale des sociétés contemporaines devant non seulement être reflétée mais aussi valorisée dans le système éducatif, formel et non formel, à tous les niveaux. 

La diversité culturelle doit s’entendre dans un sens large, incluant toutes les diversités, non seulement linguistiques, ethniques et religieuses, mais aussi sociales ou liées au genre, ou liées à toute autre situation telle que le handicap ou la pauvreté. Elle touche toutes les personnes impliquées dans la vie éducative ainsi que les ressources culturelles. Et elle couvre toutes les disciplines éducatives.

Il est nécessaire de centrer la gouvernance participative des systèmes éducatifs sur la relation de droit qui constitue le cœur et le principe de toute vie éducationnelle entre les titulaires du droit à l’éducation (apprenants) et les porteurs d’obligations, avec pour objectif d’assurer la participation de tous à une diversité de savoirs en synergie.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Comme toujours, j’attends avec plaisir le dialogue avec les membres du Conseil et la société civile pour discuter du contenu de mon rapport et des enjeux mais également pour soulever toute autre question pertinente relative au droit à l’éducation.

Je vous remercie pour votre attention.

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