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Arrestations massives, allégations de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées aux mains de la police et des forces armées : les experts du CAT s’inquiètent de la réponse des autorités salvadoriennes face à l’augmentation de la criminalité

18 novembre 2022

Il existe en El Salvador de nombreux défis liés à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et parmi ces défis figurent les obstacles à la justice transitionnelle ; les causes qui ont conduit à la violence exponentielle des organisations criminelles, ainsi que les réponses de l’État à ce phénomène et leurs conséquences pour les droits de l’homme; la surpopulation carcérale et les conditions de détention déplorables ; la faiblesse du cadre institutionnel de protection des droits de l’homme; la subordination du pouvoir judiciaire ; ou encore les nombreux défis liés à la politique migratoire.

Tel est la constat dressé par un membre du Comité contre la torture (CAT, selon l’acronyme anglais) à l’occasion de l’examen du rapport soumis par El Salvador au titre de la Convention. Plusieurs rapports s’accordent à dire qu’El Salvador est l’un des pays ayant les plus forts taux de criminalité et d’homicides, a souligné cet expert.

Le phénomène de la violence est lié aux activités de différentes organisations criminelles, principalement les maras (bandes criminelles), a rappelé l’expert, avant de s’inquiéter des mesures draconiennes adoptées par les autorités face à l’augmentation de la criminalité. La situation s’est à cet égard particulièrement aggravée en mai dernier face aux multiples meurtres qui ont conduit les autorités à durcir leur politique, avec des arrestations massives qui auraient touché plus de 46 000 personnes en 110 jours dans un contexte où l’état d’urgence a été prolongé pour la cinquième fois, a-t-il souligné.

Les personnes détenues pendant l’état d’urgence n’ont pas eu droit aux garanties procédurales d’un procès équitable, a poursuivi l’expert, faisant observer que l’organisation Cristosal a recensé la mort de 63 personnes alors qu’elles étaient en détention officielle pendant l’état d’urgence, dont certaines mortes des suites de la torture ou du manque de soins médicaux. En outre, a-t-il ajouté, les adolescents liés à des gangs qui sont reconnus coupables de crimes graves peuvent désormais être condamnés comme des adultes et purger des peines dans des centres de détention pour adultes.

L’expert a fait part de ses préoccupations face à l’augmentation du nombre de personnes tuées par la Police nationale civile et par les forces armées, ainsi que face aux informations qui font état d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de disparitions forcées, d’actes de torture et de recours excessif à la force sans qu’aucun auteur ne soit poursuivi.

Partageant ce constat, une experte, elle aussi membre du Comité, a indiqué que le Comité est très préoccupé par les informations faisant état d’arrestations massives, de détentions et de procès collectifs menés sans que les charges retenues contre les personnes jugées n’aient été prononcées, dans le contexte de l’état d’exception en cours. Elle a fait observer que depuis que l’état d’exception a été décrété, de nombreuses informations font état de l’utilisation de la torture contre des membres présumés de gangs. L’experte a fait part de ses préoccupations s’agissant des allégations de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées d’enfants aux mains de la police et des forces armées, en particulier dans le contexte de la lutte contre la criminalité organisée.

Concernant les crimes commis dans le cadre du conflit armé (1980-1992), la lutte contre l’impunité reste incomplète et il est indispensable d’avancer en la matière, a-t-il par ailleurs été affirmé.

Présentant le rapport de son pays, Mme Adriana Mira, Vice-Ministre des relations extérieures d’El Salvador, a souligné que la sécurité publique a été décrétée question de priorité nationale et que, depuis juin 2019, est exécuté le « Plan contrôle territorial » qui s’est notamment fixé pour objectifs la récupération des territoires dominés par des groupes criminels – qui sont les principaux violateurs des droits de l’homme en El Salvador. La réponse des groupes criminels à ces actions de l’État a été extrêmement violente, en mars de cette année, avec une vague d’homicides ayant coûté la vie à au moins 92 personnes et face à laquelle l’État a dû réagir avec fermeté en adoptant un régime d’exception, qui a été prorogé à plusieurs reprises par l’Assemblée législative, a expliqué la Vice-Ministre, avant d’assurer que les mesures prises par le Gouvernement l’ont été dans les cadres constitutionnels, légaux et conventionnels auxquels le pays est soumis.

Outre le Code pénal, a d’autre part indiqué Mme Mira, plusieurs lois prévoient expressément l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que la protection contre ces crimes.

La loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix a été déclarée inconstitutionnelle en 2016 et l’Assemblée législative étudie actuellement l’approbation d’une loi sur la justice transitionnelle, a par ailleurs indiqué la Vice-Ministre. Les enquêtes sur les crimes commis au cours du dernier conflit armé interne sont menées par un Groupe spécial du bureau du Procureur général de la République, qui s’appuie sur une politique de poursuites pénales des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans le contexte du conflit armé en El Salvador, a-t-elle fait savoir.

La loi prévoit le principe de non-sanction de la migration irrégulière des réfugiés et des apatrides et stipule qu’aucun étranger ne peut être expulsé en cas de danger pour sa vie, sa liberté ou sa sécurité, a d’autre part souligné la Vice-Ministre.

Outre Mme Mira, la délégation salvadorienne était également composée, entre autres, de M. Conan Castro, Secrétaire juridique de la Présidence ; de M. Carlos Alvarenga, Vice-Ministre de la santé ; ainsi que de représentants du Ministère de la justice et de la sécurité publique, du bureau du Procureur général de la République, de la Police nationale, de l’Institut salvadorien pour le développement de la femme, et du Conseil national de l’enfance et de l’adolescence.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport d’El Salvador et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 25 novembre.

Lundi matin, à 10 heures, le Comité tiendra une séance publique consacrée au suivi des articles 19 et 22 de la Convention, ainsi qu’à la question des représailles exercées contre les personnes et les institutions qui collaborent avec le Comité.

Examen du rapport

Le Comité est saisi du troisième rapport périodique d’El Salvador (CAT/C/SLV/3), établi sur la base d’une liste de points à traiter que le Comité avait transmise au pays.

Présentation

Présentant le rapport de son pays, MME Adriana Mira, Vice-Ministre des relations extérieures d’El Salvador, a rappelé qu’El Salvador a connu des périodes de son histoire qui ont été marquées par de graves violations des droits de l’homme, comme le conflit armé interne passé ; mais depuis, a-t-elle ajouté, le pays a parcouru un chemin qui l’a conduit à d’importantes transformations, réformes de lois et création d’institutions pour garantir les droits de l’homme.

Dans la période d’après-conflit, a poursuivi la Vice-Ministre, El Salvador a été confronté à de nouveaux défis liés à la sécurité publique, avec des violences qui se sont exprimées sous de multiples formes, y compris à travers une violence institutionnelle, car les gouvernements avant l’administration du Président Nayib Bukele n’ont pas abordé la question de la sécurité de manière ferme, permettant aux groupes criminels de maintenir le contrôle de territoires, ce qui a affecté des communautés entières et a contribué à perpétuer et aggraver la violence, a expliqué Mme Mira.

Les progrès qui ont été réalisés n’empêchent pas El Salvador de reconnaître qu’il y a encore de nombreux défis à relever, a poursuivi la Vice-Ministre.

Mme Mira a souligné que la législation nationale érige le crime de torture en « crime contre l’humanité » et est conforme à la Convention puisqu’elle établit que tous les actes de torture constituent un crime. En outre, les infractions au degré de tentative sont également punissables et l’action pénale pour les délits de torture est imprescriptible.

Outre le Code pénal, d’autres lois prévoient expressément l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que la protection contre ces crimes : il en va ainsi, notamment, du Code de procédure pénale, de la Loi organique de la Police nationale civile (PNC), de la Loi pénitentiaire, de la Loi spéciale pour la protection intégrale de l’enfance et de l’adolescence, de la Loi intégrale spéciale pour une vie exempte de toute violence contre les femmes ou encore de la Loi spéciale d’inclusion des personnes handicapées.

La loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix a été déclarée inconstitutionnelle en 2016 et l’Assemblée législative étudie actuellement l’approbation d’une loi sur la justice transitionnelle, a par ailleurs indiqué la Vice-Ministre salvadorienne des relations extérieures.

Les enquêtes sur les crimes commis au cours du dernier conflit armé interne sont menées par un Groupe spécial du bureau du Procureur général de la République, qui s’appuie sur une politique de poursuites pénales des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans le contexte du conflit armé en El Salvador, a d’autre part fait savoir Mme Mira. En 2010, a-t-elle ajouté, a été créée la Commission nationale de recherche des enfants disparus dans le contexte du conflit armé interne ; et en 2017, a été créée la Commission nationale pour la recherche des adultes disparus dans ce même contexte.

La législation pénale a également connu des réformes pour répondre aux normes internationales, notamment en ce qui concerne les infractions pénales relatives à la disparition forcée, a poursuivi Mme Mira. Un cadre national d’enquête et de poursuite des cas de disparition forcée a également été créé.

El Salvador dispose par ailleurs d’une loi spéciale sur la migration et les étrangers, en vigueur depuis 2020, qui réglemente la mobilité humaine et établit les droits de demander refuge, asile et résidence temporaire pour des raisons humanitaires, entre autres. Elle réglemente aussi les droits et les garanties spéciales s’agissant des victimes de trafic illicite de migrants, des demandeurs d’asile, des apatrides et des réfugiés, ainsi que des personnes qui invoquent une protection pour des raisons humanitaires, a indiqué Mme Mira.

La loi prévoit le principe de non-sanction de la migration irrégulière des réfugiés et des apatrides et stipule qu’aucun étranger ne peut être expulsé en cas de danger pour sa vie, sa liberté ou sa sécurité, a souligné la Vice-Ministre.

La sécurité publique a été décrétée question de priorité nationale et, depuis juin 2019, est exécuté le « Plan contrôle territorial » qui s’est fixé pour objectifs la récupération des territoires dominés par des groupes criminels – qui sont les principaux violateurs des droits de l’homme en El Salvador –, la lutte contre les sources financement des bandes criminelles et l’adoption de mesures d’intervention spécifiques dans les centres pénitentiaires, a indiqué Mme Mina.

Face à ces actions de l’État, la réponse des groupes criminels a été extrêmement violente, en mars de cette année, avec une vague d’homicides ayant coûté la vie à au moins 92 personnes et face à laquelle l’État a dû réagir avec fermeté en adoptant un régime d’exception, qui a été prorogé à plusieurs reprises par l’Assemblée législative, a expliqué la Vice-Ministre.

Avec ce régime d’exception, a précisé Mme Mina, l’État n’a restreint les droits qu’au niveau nécessaire pour contenir la situation alarmante de danger public, de risque pour la sécurité de l’État et pour la population salvadorienne ; en outre, les actions des institutions chargées de la sécurité publique sont soumises à un contrôle par le biais de mécanismes internes et d’un contrôle constitutionnel permanent, a souligné la Vice-Ministre. Le bureau du Procureur pour la défense des droits de l’homme d’El Salvador, qui jouit d’un large mandat constitutionnel, est également un mécanisme de suivi de l’action publique et de garantie des droits de l’homme des citoyens dans le cadre du régime d’exception, a-t-elle par ailleurs précisé.

Les mesures prises par le Gouvernement l’ont été dans les cadres constitutionnels, légaux et conventionnels auxquels le pays est soumis, a assuré Mme Mina en conclusion de sa présentation.

Questions et observations des membres du comité

M. CLAUDE HELLER, Président du Comité et corapporteur pour l’examen du rapport d’El Salvador, a souligné que le Comité n’ignore pas les conditions exceptionnelles dans lesquelles se trouve El Salvador depuis le conflit armé interne qui a ensanglanté le pays de 1980 jusqu’aux Accords de paix de Chapultepec de 1992.

Il existe de nombreux défis liés à la Convention, a souligné l’expert, citant les obstacles à la justice transitionnelle ; les causes qui ont conduit à la violence exponentielle des gangs et des organisations criminelles, ainsi que les réponses de l’État à ce phénomène et leurs conséquences pour les droits de l’homme; la surpopulation carcérale et les conditions de détention déplorables ; la faiblesse du cadre institutionnel de protection des droits de l’homme; la subordination du pouvoir judiciaire ; ainsi que les nombreux défis liés à la politique migratoire.

M. Heller s’est par ailleurs dit inquiet des ingérences et des attaques visant l’institution nationale des droits de l’homme, ainsi que de la baisse de son financement. Il s’est également inquiété que le pays n’ait pas ratifié le Protocole facultatif à la Convention qui permettrait la création du mécanisme national de prévention et de pouvoir bénéficier des recommandations du Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT).

Concernant les crimes commis dans le cadre du conflit armé (1980-1992), le corapporteur a relevé qu’en 1993, la Commission de la vérité, soutenue par l’ONU, avait publié un rapport documentant les cas de plus de 75 000 personnes torturées, tuées ou disparues pendant le conflit armé et recommandé que les responsables soient traduits en justice. Cependant, l’adoption de la loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix en 1993 a permis la mise en place d’un mécanisme d’impunité qui a duré plus de deux décennies et dont les effets perdurent jusqu’à aujourd’hui, a observé l’expert, avant de relever que cette loi a été déclarée inconstitutionnelle en juillet 2016, ce qui a ouvert la possibilité d’enquêter sur les crimes du conflit armé. Outre cette déclaration d’inconstitutionnalité, a-t-il ajouté, il y a eu la création de la Commission nationale de recherche des enfants disparus et de la Commission nationale de recherche des adultes disparus – deux mécanismes qui semblent aujourd’hui sous-financés. La lutte contre l’impunité reste incomplète et il est indispensable d’avancer en la matière, a insisté M. Heller. Il a par ailleurs regretté l’impossibilité d’accéder aux archives militaires dans le cadre des enquêtes sur les graves violations des droits de l’homme commises durant le conflit.

S’agissant de la sécurité publique et de l’administration de la justice, l’expert a indiqué que le Comité est préoccupé par le fait que la nouvelle Police nationale civile a été récemment impliquée dans de nombreuses violations des droits de l’homme, y compris des exécutions extrajudiciaires et un usage excessif de la force.

Plusieurs rapports s’accordent à dire que, depuis la fin du conflit armé en 1992, El Salvador est l’un des pays où le taux de criminalité est le plus élevé de la région, a poursuivi M. Heller. Selon les informations officielles, en 2015, le record historique de 103 homicides pour 100 000 habitants a été atteint, ce qui représenterait l’un des taux les plus élevés au monde, a-t-il insisté. Le phénomène de la violence est lié aux activités de différentes organisations criminelles, principalement les maras (bandes criminelles), a-t-il rappelé. Il a été largement documenté que les maras et les gangs exercent un contrôle et une influence considérables dans certains territoires du pays, a ajouté l’expert.

M. Heller s’est inquiété des mesures draconiennes adoptées par les autorités face à l’augmentation de la criminalité et aux nombreux meurtres commis par des membres de gangs ; la situation s’est à cet égard particulièrement aggravée en mai dernier face aux multiples meurtres qui ont conduit les autorités à durcir leur politique, avec des arrestations massives qui auraient touché plus de 46 000 personnes en 110 jours dans un contexte où l’état d’urgence a été prolongé pour la cinquième fois.

Le Président de la République a ordonné le décret d’une urgence maximale dans toutes les prisons de sécurité et de haute sécurité, avec l’enfermement des détenus dans leurs cellules tous les jours de la semaine, a poursuivi l’expert. Les personnes détenues pendant l’état d’urgence n’ont pas eu droit aux garanties procédurales d’un procès équitable, y compris pour ce qui est du droit d’accès à un avocat, du droit de se voir notifier les charges retenues à leur encontre et le motif de leur détention, ou encore du droit de ne pas s’incriminer elles-mêmes.

L’organisation Cristosal a recensé la mort de 63 personnes alors qu’elles étaient en détention officielle pendant l’état d’urgence, dont certaines mortes des suites de la torture ou du manque de soins médicaux, a relevé M. Heller.

Dans les affaires impliquant des membres de gangs, les procès pénaux peuvent se dérouler en l’absence des détenus ou sous la présidence de « juges sans visage » dont l’identité est tenue secrète, tandis que la limite antérieure de deux ans de détention provisoire a été abolie, a par ailleurs relevé M. Heller. En outre, a-t-il ajouté, les adolescents liés à des gangs qui sont reconnus coupables de crimes graves peuvent désormais être condamnés comme des adultes et purger des peines dans des centres de détention pour adultes plutôt que dans des maisons de correction pour mineurs.

M. Heller a aussi fait part de ses préoccupations face à l’augmentation du nombre de personnes tuées par la Police nationale civile et par les forces armées, ainsi que face aux informations qui font état d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de disparitions forcées, d’actes de torture et de recours excessif à la force sans qu’aucun auteur ne soit poursuivi.

Selon les informations de la Direction générale des prisons, jusqu’en décembre 2020, El Salvador comptait 36 691 personnes détenues. Depuis l’instauration du régime d’exception, 94 000 personnes sont privées de liberté alors que les prisons du pays peuvent accueillir environ 50 000 détenus, a par ailleurs relevé le corapporteur.

M. Heller a ensuite déploré que la criminalisation de la migration et l’absence de voies de migration sûres, ordonnées et régulières aient aggravé les violations des droits de l’homme des migrants dans la région. Il s’est dit inquiet de l’absence d’enquêtes rapides et efficaces et de coopération transrégionale sur de nombreux cas de décès et/ou de disparitions de migrants, en augmentation au cours de la dernière décennie.

Les chiffres les plus récents du Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC) indiquent qu’à la fin de 2019, il y aurait en El Salvador un total de 454 000 déplacements liés aux conflits et à la violence. C’est sans aucun doute l’un des plus grands défis auxquels l’État soit confronté en matière de droits de l’homme, a insisté M. Heller.

MME ANA RACU, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport d’El Salvador, a souhaité savoir si le personnel médical qui s’occupe des prisonniers a reçu une formation sur le Protocole d’Istanbul.

Malgré certaines dispositions positives figurant dans la législation de procédure pénale du pays, dans la pratique, les détenus ne bénéficient pas toujours de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, y compris pour ce qui est du droit d’avoir accès à un avocat indépendant et à un médecin indépendant de leur choix, et du droit de contacter un parent ou un proche, a par ailleurs souligné l’experte.

Le Comité a reçu des informations selon lesquelles, tant dans les centres de détention que dans les prisons, les avocats commis d’office font l’objet de fouilles rigoureuses lorsqu’ils entrent dans les établissements et en sortent. Ces perquisitions sont effectuées par des membres des forces armées qui vérifient même les notes prises par les avocats de la défense lors de leurs entretiens avec leurs clients, s’est inquiétée Mme Racu.

Un autre problème soulevé par certaines sources est l’absence de législation spécifique pour signaler les cas de violence institutionnelle et policière, a poursuivi l’experte.

Le Comité est très préoccupé par les informations faisant état d’arrestations massives, de détentions et de procès collectifs menés sans que les charges retenues contre les personnes jugées n’aient été prononcées, dans le contexte de l’état d’exception en cours, a d’autre part souligné Mme Racu. Elle a par ailleurs fait observer que depuis que l’état d’exception a été décrété, de nombreuses informations font état de l’utilisation de la torture contre des membres présumés de gangs. La corapporteuse a fait part de ses préoccupations s’agissant des allégations de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées d’enfants aux mains de la police et des forces armées, en particulier dans le contexte de la lutte contre la criminalité organisée.

Mme Racu s’est également dite préoccupée par le fait que la loi de 2017 sur la santé mentale autorise la médication forcée, l’utilisation de contraintes physiques et l’institutionnalisation involontaire de personnes souffrant de handicaps psychosociaux ou intellectuels.

El Salvador est confronté à des problèmes majeurs dans le domaine de la violence sexiste et de la violence domestique, a également souligné Mme Racu. Plusieurs organes conventionnels des droits de l’homme et ONG de défense des droits de l’homme sont préoccupés par l’interdiction totale de l’avortement, y compris dans les cas où la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste, lorsque la vie de la mère est en danger ou encore lorsque le fœtus n’est pas viable, obligeant alors les femmes et les filles à recourir à des avortements illégaux et dangereux.

Réponses de la délégation

La délégation a indiqué que l’institution nationale des droits de l’homme, le Bureau du Procureur pour la défense des droits de l’homme, a un mandat constitutionnel qui est de veiller aux droits de l’homme dans le pays et notamment d’exercer un contrôle sur les activités de l’État et de diffuser les informations sur les droits de l’homme. Cette institution dispose de son propre budget et son mandat est protégé par toute une série de garanties. L’ancienne Procureure a eu l’occasion de réaliser deux visites dans des centres de détention hautement sécurisés. La Procureure récemment nommée a pu discuter de l’état d’exception et de la situation des détenus lors d’une rencontre avec le Président et d’autres haut-dignitaires de l’État, a précisé la délégation.

S’agissant des « maras » (bandes criminelles), la délégation a fait savoir qu’au regard des violences dans le pays, il a été décidé de qualifier dans la législation de « terroristes » les membres des bandes criminelles et autres gangs dans le pays. Une telle définition est conforme aux normes internationales, a assuré la délégation, expliquant longuement en quoi la qualification de « terroriste » correspondait bien à ces gangs et bandes criminelles.

La délégation a par ailleurs indiqué que les centres de détention ont été réformés depuis l’arrivée du nouveau Président. Le travail du système pénitentiaire vise à apporter à toutes les personnes privées de liberté des conditions favorables à leur propre développement avec des soutiens différenciés pour les femmes, les étrangers ou les personnes ayant un handicap. Les autorités pénitentiaires veillent en permanence à garantir les droits de l’homme des personnes privées de liberté, a insisté la délégation. Le droit à la santé des personnes privées de liberté est prioritaire, a-t-elle ajouté, précisant qu’à leur entrée dans le centre de détention, tous les détenus sont examinés par un médecin. Par ailleurs, une prise en charge médicale est assurée pour les détenus 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. La délégation a indiqué que toutes les mesures prises dans le domaine sanitaire avaient permis une gestion efficace de la pandémie de COVID-19. D’autres mesures ont été prises pour assurer de meilleures conditions de vie en détention notamment en améliorant les infrastructures d’hygiène, l’alimentation, ou encore l’aération des locaux et les parloirs. Tout est mis en œuvre afin d’assurer une approche humaine de la détention.

De nombreuses autres mesures sont prises pour permettre la réinsertion des personnes détenues dans la société, notamment grâce à un accompagnement à leur sortie de prison, a d’autre part souligné la délégation.

La délégation a indiqué que depuis la mise en place de toutes ces mesures, aucune émeute ni aucun cas de violences à grande échelle n’ont été constatés dans les centres détention.

La situation n’est peut-être pas encore idéale dans les prisons, mais elle s’améliore, a affirmé la délégation. Elle a ajouté que la torture et les mauvais traitements étaient interdits en toute circonstance dans les centres de détention. Les directions de prison ont l’obligation d’informer immédiatement le Procureur en cas de suspicion de mauvais traitements sur un détenu.

Dans le contexte de l’état d’exception, la délégation a indiqué que 1223 inculpés ont pu bénéficier d’une alternative à la peine de prison ; en outre, 892 mineurs en conflit avec la loi ont été libérés par ordre judiciaire. Ces données montrent l’attachement d’El Salvador à un système de procès équitable pour l’ensemble des détenus, que ce soit dans un contexte normal ou dans le contexte d’un état d’exception, a déclaré la délégation.

La délégation a par ailleurs affirmé que l’état d’exception avait enregistré des résultats positifs. Ainsi, le nombre d’enquête pour homicide, disparition de personne et extorsion a sensiblement diminué depuis l’instauration de cet état d’exception, ce qui, a affirmé la délégation, témoigne de la diminution des activités criminelles des gangs.

Quelque 90 enquêtes ont été ouvertes pour le décès de personnes en détention depuis l’entrée en vigueur de l’état d’exception, a d’autre part indiqué la délégation, précisant que ces enquêtes étaient toujours en cours.

La délégation a d’autre part souligné que ce sont des juges spécialisés qui traitent des jeunes en conflit avec loi. En outre, les mineurs privés de liberté sont séparés des adultes et ils bénéficient de formations professionnelles et de lieux de vie adaptés à leur âge.

Aucune plainte n’a été reçue pour d’éventuels mauvais traitements dans les centres de réinsertion de jeunes, a ajouté la délégation.

La délégation a par ailleurs indiqué qu’El Salvador avait entrepris de nombreux efforts pour permettre aux jeunes de s’épanouir afin qu’ils ne tombent pas entre les mains des gangs. Elle a souligné que le pays s’était doté d’un cadre global national de protection de l’enfance. Il existe en outre une entité chargée de la réinsertion des jeunes en conflit avec la loi une fois qu’ils sont libérés.

S’agissant des crimes commis durant le conflit armé, la délégation a rappelé qu’un groupe de procureurs avait été créé en 2016 pour enquêter sur ces crimes et mettre au jour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. En 2018, une unité d’enquête a repris le mandat de ce groupe et a vu ses compétences élargies, l’objectif étant de disposer de critères objectifs pour permettre la poursuite de ces crimes.

Concernant cette période, 207 affaires délictueuses ont fait l’objet d’enquêtes, la majorité concernant des massacres, a indiqué la délégation. Sur ces cas, 27 en sont à l’étape de l’instruction ; pour les autres, l’enquête est en cours, a précisé la délégation.

Pour ce qui concerne les féminicides et les violences fondées sur le genre, la délégation a indiqué qu’elle transmettrait ultérieurement par écrit des informations au Comité.

La délégation a d’autre part indiqué qu’il n’y avait pas de pénalisation absolue de l’avortement en El Salvador. Il y a un certain nombre d’exceptions [à l’interdiction de l’avortement], notamment l’état de nécessité : en cas de danger pour la vie de la mère, un médecin peut être autorisé à procéder à un avortement. Il y a donc un certain nombre de cas où l’interruption volontaire de grossesse est permise, notamment en cas d’urgence, a souligné la délégation.

Pour ce qui est de la question migratoire, le pays dispose de nombreuses politiques publiques, a par ailleurs indiqué la délégation. Cependant, ces politiques n’ont pas permis d’atténuer le phénomène d’immigration irrégulière, a-t-elle regretté.

Depuis plusieurs années, El Salvador travaille avec l’équipe d’anthropologie d’Argentine afin de retrouver et d’identifier les migrants disparus, a en outre fait savoir la délégation.

Elle a enfin précisé qu’El Salvador avait adopté le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.


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