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Le Conseil des droits de l’homme est informé que des tortures et exécutions sommaires de prisonniers de guerre sont perpétrées dans le contexte de la guerre en Ukraine et que la situation reste très préoccupante au Mali

31 mars 2023

31 mars 2023

Le Conseil des droits de l’homme a tenu ce matin un dialogue avec l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, M. Alioune Tine, suivi d’un dialogue avec le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, M. Volker Türk, qui a présenté les conclusions du rapport périodique du Haut-Commissariat aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Ukraine.

M. Türk a déploré qu’après treize mois de guerre de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, les violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international soient devenues « une routine choquante ». En utilisant une méthodologie rigoureuse, a-t-il indiqué, le Haut-Commissariat a vérifié plus de 8400 décès de civils et plus de 14 000 civils blessés depuis le 24 février 2022. La plupart des victimes résultent de l'utilisation par les forces russes d'armes explosives dans des quartiers résidentiels, a précisé M. Türk.

Dans les zones occupées de l'Ukraine, le Haut-Commissariat a recensé de nombreuses exécutions sommaires et attaques ciblées contre des civils depuis février 2022 par les forces militaires russes, y compris ses groupes armés affiliés, tel le groupe Wagner ; le Haut-Commissaire a aussi recensé 621 cas de disparition forcée et de détention arbitraire. Des entretiens avec 89 civils libérés de détention ont indiqué que 91 % d'entre eux avaient été torturés ou maltraités par le personnel russe. Le Haut-Commissariat a par ailleurs documenté 91 cas de disparition forcée et de détention arbitraire par les forces de sécurité ukrainiennes ; sur les 73 victimes interrogées, 53% avaient été torturées ou maltraitées, a indiqué M. Türk.

Plus de 400 prisonniers de guerre, des deux côtés, ont été interrogés par le Haut-Commissariat, a ensuite indiqué le Haut-Commissaire. L'Ukraine a accordé un accès libre et confidentiel aux lieux d'internement. La Fédération de Russie, en revanche, n’a pas donné accès au Haut-Commissariat, malgré ses demandes multiples, ce qui signifie que les entretiens avec les prisonniers de guerre ukrainiens n'ont pu avoir lieu qu'après leur libération, a expliqué M. Türk, faisant en outre observer que ce manque d'accès signifie également que les nombres de cas ne sont pas comparables. Plus de 90% des prisonniers de guerre ukrainiens interrogés ont dit avoir été torturés ou maltraités et près de la moitié des prisonniers de guerre russes interrogés ont indiqué avoir été torturés ou maltraités, a précisé le Haut-Commissaire. Le Haut-Commissariat a documenté l'exécution sommaire par le personnel russe de prisonniers de guerre ukrainiens peu après leur capture ; il a également documenté l'exécution sommaire par les forces armées ukrainiennes de prisonniers de guerre russes et de personnel hors de combat, immédiatement après leur capture.

Même dans le bain de sang de la guerre, les règles du droit international humanitaire protègent la vie et la dignité des civils, des soldats blessés ou malades et des prisonniers de guerre, et personne n'est au-dessus de ces lois, a insisté le Haut-Commissaire.

L’Ukraine a fait une déclaration en tant que pays concerné, avant que de nombreuses délégations** ne prennent part au dialogue avec le Haut-Commissaire.

Présentant son rapport, M. Tine a pour sa part tenu à exprimer toute sa satisfaction pour la qualité de la coopération dont il bénéficie de la part du Gouvernement malien. Evoquant le contexte de sécurité au Mali, il a déclaré qu’en dépit des efforts notables des autorités maliennes, la situation restait très préoccupante, avec des attaques contre les civils, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et les Forces de défense et de sécurité malienne par les groupes extrémistes violents tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et d’autres groupes similaires, ainsi que des individus armés non identifiés dont le mode opératoire s’apparente à celui des groupes extrémistes violents.

Le Mali est confronté à de sérieux défis dont les indicateurs les plus évidents sont l’augmentation continue du nombre des personnes déplacées internes ainsi que la dégradation de l’éducation dans le pays, avec la fermeture de 1958 écoles (situation en décembre 2022) en raison de l’insécurité, a souligné l’Expert indépendant. Il a en outre fait part de ses graves préoccupations face au rétrécissement de l’espace civique au Mali.

Le Mali, par la voix de son Ministre de la justice et des droits de l’homme du Mali, a fait une déclaration à titre de pays concerné, avant que de nombreuses délégations* ne prennent part au dialogue avec l’Expert indépendant.

À 15 heures cet après-midi, le Conseil tiendra un dialogue de haut niveau pour évaluer l’évolution de la situation des droits de l’homme en République centrafricaine, en mettant l’accent sur la situation des enfants, avant d’examiner un rapport du Haut-Commissaire sur l’assistance technique et le renforcement des capacités au Soudan du Sud.

Dialogue avec l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali

Le Conseil est saisi du rapport de l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali (A/HRC/52/81, à paraître en français), couvrant la période du 1er au 30 novembre 2022.

Présentation du rapport

M. ALIOUNE TINE, Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, a d’abord tenu à exprimer ici toute sa satisfaction pour la qualité de la coopération dont il bénéficie de la part du Gouvernement malien.

En ce qui concerne le contexte de sécurité, l’Expert indépendant a déclaré qu’en dépit des efforts notables des autorités maliennes, la situation restait très préoccupante, avec des attaques contre les civils, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et les Forces de défense et de sécurité malienne par les groupes extrémistes violents tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et d’autres groupes similaires, ainsi que des individus armés non identifiés dont le mode opératoire s’apparente à celui des groupes extrémistes violents.

Le Mali est confronté à de sérieux défis dont les indicateurs les plus évidents sont l’augmentation continue du nombre des personnes déplacées internes ainsi que la dégradation de l’éducation dans le pays, avec la fermeture de 1958 écoles (situation en décembre 2022) en raison de l’insécurité. Le nombre des personnes déplacées internes est passé de 362 907 à 412 387 au 31 décembre 2022, a indiqué M. Tine.

Pour ce qui est de la situation des droits humains, l’Expert indépendant a dit noter des avancées, avec notamment l’adoption, en novembre 2022, d’un décret d’application de la Loi fixant les règles générales relatives à la réparation des préjudices causés par les violations graves des droits de l’homme ; ou encore l’adoption, en février 2023, d’un projet de texte relatif à la création d’une direction nationale des droits de l’homme.

En matière de lutte contre l’impunité, l’Expert indépendant a dit noter la condamnation de plusieurs personnes pour des crimes liés à l’esclavage par ascendance lors d’une session spéciale de la Cour d’assises de Kayes en février-mars 2023 – ce qui est une première au Mali, a-t-il souligné. M. Tine a ensuite rappelé que cela fait exactement une année que plusieurs civils, dont le nombre reste à déterminer, auraient été tués lors d’une opération menée par les forces maliennes, accompagnées de personnels militaires russes, dans le village de Moura, entre le 27 et le 31 mars 2022.

M. Tine s’est dit aussi préoccupé par l’impact dévastateur que la crise et le conflit continuent d’avoir sur les populations civiles dans la période couverte par son rapport, la MINUSMA faisant état d’un nombre de civils tués étant passé de 584 en 2021 à 1277 en 2022, tandis que le nombre de cas de violence basée sur le genre est passé de 9540 cas en 2021 à 14 264 en 2022.

L’Expert indépendant a fait part de ses graves préoccupations face au rétrécissement de l’espace civique au Mali. Il a indiqué avoir lui-même fait l’objet d’attaques verbales sur les réseaux sociaux avant et pendant sa visite en février 2023. Plusieurs défenseurs des droits humains, journalistes, autres professionnels des médias avec lesquels M. Tine s’est entretenu ont évoqué des sujets tabous – comme par exemple les allégations de violations ou d’atteintes aux droits humains attribuées aux Forces de défense et de sécurité maliennes et aux membres du personnel militaire et de sécurité russe – qu’ils n’osent plus aborder par peur de représailles des autorités maliennes de la transition ou de leurs sympathisants. Plusieurs défenseurs des droits humains ont déclaré avoir été victimes de l’hostilité de certaines autorités étatiques et ont indiqué que l’État malien chercherait à « saboter » le travail des défenseurs des humains qu’il considère comme des « ennemis de la nation » qui serviraient d’alliés aux grandes puissances étrangères hostiles aux autorités du Mali. Ce rétrécissement de l’espace est extrêmement préoccupant au moment où le pays s'engage dans un processus électoral et où le débat d'idées sur les programmes et les politiques doit être encouragé, a souligné M. Tine.

Au chapitre des recommandations, M. Tine a exhorté le Mali et la communauté internationale à repenser les réponses à la crise multidimensionnelle à laquelle fait face le pays, en mettant l’accent sur des stratégies intégrées garantissant la sécurité humaine, le développement et le respect des droits humains. Il a souligné l’importance pour la communauté internationale de maintenir les liens avec le Mali et de les renforcer, car garantir la sécurité du Mali, épicentre de la menace terroriste, c’est garantir la sécurité régionale, a-t-il insisté. L’Expert indépendant a enfin mis en garde contre l’instrumentalisation politique des droits de l’homme qui rend son travail, celui de la société civile, des défenseurs des droits humains et des organisations internationales de plus en plus difficile.

Pays concerné

M. MAMOUDOU KASSOGUE, Ministre de la justice et des droits de l’homme du Mali, a dit déplorer « l’approche d’ensemble » du rapport de l’Expert indépendant qui, selon lui, est essentiellement à charge, notamment lorsqu’il évoque « la dégradation rapide et continue de la situation sécuritaire particulièrement au nord et au centre du pays, qui semblent échapper au contrôle des autorités maliennes ». Selon le Ministre, cette affirmation ne tient pas compte des nombreux efforts et des avancées notables réalisées par le Mali. De la même manière, il est regrettable de constater que les éléments factuels fournis par le Gouvernement du Mali n’ont pas été pris en compte et que le rapport insinue qu’il y aurait un manque de volonté politique ou une incapacité de l’État à engager des poursuites [face aux violations]. Or, les autorités de la transition sont résolues à mettre un terme à l’impunité comme l’atteste la tenue, en 2021, 2022 et 2023, de plusieurs sessions spéciales d’assisses pour juger les cas de violations graves des droits de l’homme. De plus, des poursuites sont systématiquement engagées chaque fois que des allégations crédibles de violations graves des droits de l’homme sont connues de la justice militaire ou des juridictions de l’ordre judiciaire, a assuré le Ministre malien de la justice et des droits de l’homme.

M. Kassogue a assuré que l’espace démocratique au Mali ne souffre d’aucune forme de restriction. La liberté d’expression et d’opinion demeurent des droits constitutionnels au Mali; mais, à l’instar des autres pays, l’exercice des libertés civiques y est encadré par la loi en vue de protéger les droits de la personne humaine et de préserver l’ordre public. Le Mali dispose en outre d’une Commission nationale des droits de l’homme, qui agit en toute indépendance et sans aucune complaisance pour le suivi et le respect des droits des citoyens maliens, a ajouté le Ministre.

M. Kassogue a également fait état des réformes politiques et électorales engagées au Mali, de manière inclusive et transparente, avec l’implication de toutes les forces vives et des partenaires du pays tels que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l’Union Africaine et les Nations Unies. Une loi électorale a notamment été élaborée et promulguée, a-t-il précisé. L’élaboration d’un projet de nouvelle constitution est également en cours, a-t-il ajouté.

S’agissant de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, le Gouvernement reste engagé dans sa mise en œuvre « diligente et intelligente », malgré les difficultés actuelles, a d’autre part déclaré le Ministre. En outre, le climat sécuritaire s’améliore progressivement dans les régions du centre, grâce à la montée en puissance des Forces armées maliennes et le retour de l’administration et des services sociaux de base, a-t-il affirmé. En matière de justice transitionnelle, le Gouvernement a approuvé une politique nationale de réparation, a-t-il ajouté, précisant qu’une agence spécialement dédiée à cette question a même été créée.

En conclusion, le Ministre malien a réitéré la ferme détermination de son Gouvernement à garantir et protéger les droits de l’homme, tout en s’opposant fermement à leur politisation.

Aperçu du dialogue

D’aucuns ont relevé la situation complexe dans laquelle se trouve la Mali, marquée par la présence de groupe terroristes extrémistes dont les attaques constituent un véritable défi pour le pays. Dans ce contexte, la communauté internationale devrait continuer de fournir au Mali, selon ses besoins et en respectant les principes de la Charte de l’ONU, tout l’appui et l’assistance technique dont ce pays a besoin pour restaurer et garantir la stabilité et la sécurité des civils. Il faudrait également continuer de soutenir les mécanismes et efforts locaux en faveur de la paix et de la justice transitionnelle, a-t-il été ajouté.

Le Mali a été félicité pour les mesures prises par son Gouvernement pour parvenir à s’acquitter de ses obligations. Ont notamment été saluées l’adoption d’un chronogramme consensuel, établi avec l’Union africaine, la CEDEAO et les partenaires locaux, pour le retour à un ordre constitutionnel et la tenue d’élections ; l’adoption d’un plan d’action de stabilisation des régions du centre ; la promulgation de la loi électorale ; et la création d’une Commission vérité, justice et réconciliation.

Un groupe de pays a déploré que le Gouvernement malien ne semble pas reconnaître la gravité de la situation et nie en bloc la réalité des graves atteintes aux droits de l’homme commises par l’armée malienne et les hommes du groupe paramilitaire russe Wagner. Cette attitude risque de laisser entendre aux auteurs de violences qu’ils sont protégés par l’État malien et peuvent donc agir en toute impunité, a-t-il été souligné. L’obstruction faite par le Mali au travail de la Division des droits de l’homme de la MINUSMA – Division dont le Chef a été expulsé en février dernier – sape les efforts de la communauté internationale et est une preuve de la « fuite en avant » des autorités maliennes, a-t-il été affirmé.

Une délégation a condamné l’attitude de certains États qui cherchent à discréditer les autorités maliennes et a affirmé que le retrait de leurs troupes des forces de la MINUSMA et le « chantage » qu’ils opèrent, selon elle, par le biais de la réduction de leur aide humanitaire n’arrangent pas la situation, dans un contexte où les besoins humanitaires n’ont jamais été aussi élevés.

Des intervenants se sont alarmés de l’implication des forces armées maliennes dans les violences contre les civils, de l’enrôlement des d’enfants et du rétrécissement de l’espace de la société civile, pourtant indispensable à la tenue d’élections inclusives.

Des questions ont été posées à l’Expert indépendant s’agissant notamment de la manière dont la communauté internationale pourrait venir en aide en Mali, y garantir l’impunité pour les crimes commis – y compris par les forces de Wagner – et permettre au pays de tenir des élections démocratiques, crédibles et inclusives.

*Liste des participants : Belgique (au nom du BENELUX), Union européenne, Islande (au nom des pays nordiques et baltes), Côte d’Ivoire (au nom du Groupe des pays africains), Sierra Leone, Burkina Faso, États-Unis, Chine, Venezuela, Égypte, Royaume-Uni, Espagne, Soudan, Soudan du Sud, Libye, Sénégal, Mauritanie, Botswana, Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), Niger, Australie, Fédération de Russie, Tchad, Irlande, France, Centre indépendant de recherches et d'initiative pour le dialogue,

Société anti-esclavagiste, Centre du commerce international pour le développement, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme - FIDH, Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme, Elizka Relief Foundation, Interfaith International, Human Rights Research League.

Réponses et remarques de conclusion de l’Expert indépendant

M. TINE a insisté sur le fait que, dans son travail, il avait montré les progrès réels réalisés par le Mali, s’agissant notamment de l’adoption du calendrier de transition, de la rédaction de la nouvelle Constitution et de la lutte contre l’esclavage et contre l’impunité.

Pour lutter contre les violences basées sur le genre, l’Expert indépendant a jugé nécessaire d’améliorer de manière globale la sécurité au Mali, de renforcer la présence de l’État, et de prononcer des sanctions.

L’Expert indépendant a aussi rappelé qu’il avait communiqué des témoignages précis au Gouvernement concernant les activités du personnel de sécurité russe – ou « Wagner » - autour de l’aéroport de Mopti ; M. Tine a dit apprécier que le Gouvernement ait indiqué que des enquêtes seraient menées sur les crimes présumés.

Les élections approchant, la liberté de circuler et de s’exprimer devient très importante : il faut à cet égard que l’espace civique au Mali soit un peu plus ouvert, a recommandé M. Tine, appelant à renoncer à toute politisation dans le domaine des droits de l’homme.

Le problème essentiel du Mali est le problème sécuritaire, a souligné l’Expert indépendant, avant d’insister sur la nécessité de chercher une solution au niveau régional. Dans ce contexte, la coopération africaine, appuyée par la communauté internationale, est indispensable pour résoudre durablement le problème du terrorisme au Mali, a-t-il déclaré. Sécuriser le Mali, c’est sécuriser toute la région, a-t-il insisté à plusieurs reprises. M. Tine a aussi estimé nécessaire de lier les réponses sécuritaires à l’enjeu du développement.

Enfin, la fermeture des écoles est une véritable bombe à retardement pour l’avenir, a mis en garde l’Expert indépendant.

Dialogue autour du rapport périodique du Haut-Commissariat sur la situation des droits de l’homme en Ukraine

Le Conseil est saisi d’une présentation orale, par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, des conclusions du rapport périodique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Ukraine.

Présentation

M. VOLKER TÜRK, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a déploré qu’après treize mois de guerre de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, les violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international soient devenues « une routine choquante » : dans tout le pays, les gens sont confrontés à des souffrances et des pertes massives, à la privation, au déplacement et à la destruction. De plus, a-t-il observé, les effets de cette guerre ont des répercussions dans le monde entier, y compris sur des pays qui ne sont pas impliqués.

M. Türk a d’abord expliqué qu’en utilisant une méthodologie rigoureuse, le Haut-Commissariat avait vérifié plus de 8400 décès de civils et plus de 14 000 civils blessés depuis le 24 février 2022. La plupart des victimes résultent de l'utilisation par les forces russes d'armes explosives dans des quartiers résidentiels, a précisé M. Türk. Dans les zones occupées de l'Ukraine, le Haut-Commissariat a recensé de nombreuses exécutions sommaires et attaques ciblées contre des civils depuis février 2022 par les forces militaires russes, y compris ses groupes armés affiliés, tel le groupe Wagner. Le Haut-Commissaire a aussi recensé 621 cas de disparition forcée et de détention arbitraire.

Des entretiens avec 89 civils libérés de détention ont indiqué que 91 % d'entre eux avaient été torturés ou maltraités par le personnel russe, notamment par diverses formes de violence sexuelle. Cinq des victimes de disparition forcée étaient des garçons, dont un âgé de 14 ans seulement : ces cinq enfants ont tous été torturés ou maltraités.

Sur les 109 cas documentés de violences sexuelles commises par le personnel russe, la plupart ont eu lieu dans des lieux de détention. Des viols ont été perpétrés dans des zones contrôlées par les forces russes, principalement à l'encontre de femmes, dont trois filles âgées de moins de 18 ans.

Le Haut-Commissariat a documenté 91 cas de disparition forcée et de détention arbitraire par les forces de sécurité ukrainiennes. Sur les 73 victimes interrogées, 53% avaient été torturées ou maltraitées. Le Haut-Commissariat a enregistré 24 cas de violences sexuelles commises par le personnel ukrainien.

La Cour pénale internationale, a aussi rappelé M. Türk, a émis des mandats d'arrêt pour des crimes de guerre présumés, à savoir la déportation et le transfert illégaux d'enfants ukrainiens des régions occupées de l'Ukraine vers la Fédération de Russie.

Plus de 400 prisonniers de guerre, des deux côtés, ont été interrogés par le Haut-Commissariat. L'Ukraine a accordé un accès libre et confidentiel aux lieux d'internement. La Fédération de Russie, en revanche, n’a pas donné accès au Haut-Commissariat, malgré ses demandes multiples, ce qui signifie que les entretiens avec les prisonniers de guerre ukrainiens n'ont pu avoir lieu qu'après leur libération. Ce manque d'accès signifie également que les nombres de cas ne sont pas comparables, a précisé le Haut-Commissariat.

Plus de 90% des prisonniers de guerre ukrainiens interrogés ont dit avoir été torturés ou maltraités. Le Haut-Commissariat a documenté le décès de cinq prisonniers de guerre à la suite de blessures subies lors d'actes de torture au cours de leur internement. Il est essentiel que les observateurs internationaux et le personnel de la mission de surveillance des droits de l'homme en Ukraine aient un accès illimité à toutes les personnes détenues par les forces russes, a demandé le Haut-Commissaire.

Près de la moitié des prisonniers de guerre russes interrogés ont indiqué avoir été torturés ou maltraités. La plupart de ces actes de torture se seraient produits peu après leur capture ; le Haut-Commissariat n’a pas constaté de schéma durable de mauvais traitements graves dans les lieux d'internement plus permanents.

Le Haut-Commissariat a documenté l'exécution sommaire par le personnel russe de prisonniers de guerre ukrainiens peu après leur capture. Le Haut-Commissariat continue de rassembler et d’analyser des informations sur l'incident dévastateur d'Olenivka, en juillet 2022, au cours duquel au moins cinquante prisonniers de guerre ukrainiens ont été tués.

Le Haut-Commissariat a aussi documenté l'exécution sommaire par les forces armées ukrainiennes de prisonniers de guerre russes et de personnel hors de combat, immédiatement après leur capture : le Haut-Commissariat a connaissance d'enquêtes menées par les autorités ukrainiennes, mais pas, à ce jour, de poursuites judiciaires, a dit M. Türk.

Même dans le bain de sang de la guerre, les règles du droit international humanitaire protègent la vie et la dignité des civils, des soldats blessés ou malades et des prisonniers de guerre, et personne n'est au-dessus de ces lois, a insisté le Haut-Commissaire.

Par ailleurs, la guerre de la Fédération de Russie contre l'Ukraine entraîne de fortes augmentations des prix des produits de base qui aggravent les tensions et les inégalités dans toutes les régions. La crise mondiale du coût de la vie porte atteinte à la vie et aux moyens de subsistance d'environ 1,6 milliard de personnes, a plongé plus de 71 millions de personnes dans la pauvreté et menace la stabilité de nombreux pays. Il est essentiel pour la vie de dizaines de millions de personnes dans le monde que l'initiative sur les céréales de la mer Noire continue d'apporter son soutien à la sécurité alimentaire mondiale, bien au-delà de la date butoir actuelle de mai 2023, a demandé le Haut-Commissaire.

Enfin, M. Türk a mis en garde contre le risque énorme auquel la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia est exposée, avec un impact potentiel sur des millions de personnes à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Pays concerné

Pour la délégation de l’Ukraine, « le Conseil a reçu à de nombreuses reprises des preuves indéniables que la cause fondamentale » des violations des droits de l'homme des résidents de l'Ukraine depuis 2014 est « l’agression russe injustifiée et non provoquée » contre l’Ukraine. « Ce crime international suprême » entraîne d'autres crimes atroces, crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, dont beaucoup « présentent des signes explicites de génocide », a affirmé la délégation. L'Ukraine poursuivra ses efforts en vue de la création d'un tribunal spécial chargé de poursuivre les dirigeants politiques et militaires russes pour le crime d'agression, a-t-elle ajouté.

« La brutalité russe dans ses formes les plus barbares » se manifeste dans le traitement inhumain des prisonniers de guerre ukrainiens, qui sont soumis à la torture et à l'exécution par des coups violents, l'électrocution, la strangulation, la violence sexuelle ou la torture par le feu, a poursuivi la délégation ukrainienne.

Aucun enfant ne devrait jamais vivre des horreurs telles que celles infligées aux enfants ukrainiens par les agresseurs russes, a ensuite souligné la délégation. Elle a estimé que les mandats d'arrêt délivrés par la Cour pénale internationale contre M. Poutine et Mme Lvova-Belova pour la déportation et le transfert illégal d'enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie constituaient une étape importante pour obliger la Fédération de Russie à répondre des crimes internationaux les plus graves commis contre l'Ukraine et pour rendre justice aux victimes.

La délégation a dit avoir pris note des informations sur les violations présumées du côté ukrainien, informations qui, a-t-elle assuré, seront examinées de près en vue de prendre les mesures nécessaires, conformément à la législation nationale et aux obligations internationales de l'Ukraine. En effet, même face à l'agression, l'Ukraine reste attachée à ses obligations en vertu du droit humanitaire international et du droit des droits de l'homme, et entend poursuivre sa coopération ouverte et constructive avec les mécanismes humanitaires et des droits de l'homme internationaux.

Le seul moyen de mettre fin aux crimes de la Fédération de Russie contre le peuple ukrainien et de sauver des vies est que l'Ukraine exerce « son droit légal et moral » à la légitime défense en vertu de la Charte des Nations Unies », avec l’appui de la communauté internationale, et qu'elle obtienne « la défaite de l'agresseur », a conclu la délégation.

Aperçu du dialogue

La Fédération de Russie a fermement été condamnée par une immense majorité des délégations pour la « guerre injustifiée et brutale » qu’elle mène contre l’Ukraine, d’aucuns dénonçant les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité que les forces russes commettent, y compris contre les civils, depuis plus d’une année maintenant.

En cherchant à « détruire » une État souverain et indépendant, la Fédération de Russie a provoqué un « chaos » dans le monde avec les conséquences que l’on sait sur la sécurité alimentaire et énergétique, a-t-il été affirmé. La communauté internationale ne peut rester silencieuse face aux nombreuses victimes civiles de cette guerre et face au ciblage d’infrastructures civiles, face aux détentions arbitraires, aux disparitions forcées et aux exécutions sommaires et extrajudiciaires, face aux violences sexuelles, ou encore face aux transferts forcés et aux déportations d’enfants, a-t-il été souligné. Ont particulièrement été dénoncés le transfert, le tri dans des camps de filtration et la déportation forcée d’enfants ukrainiens pour être adoptés illégalement par des familles russes et naturalisés, comme le décrit le rapport du Haut-Commissariat. Toutes ces actions « systématiques » et « délibérées » de la Fédération de Russie sont constitutives de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, a-t-il été rappelé, nombre d’intervenants se réjouissant de la décision de la Cour pénale internationale de lancer des mandats d’arrêt internationaux contre le Président Vladimir Poutine et la Commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova. Il s’agit d’un pas majeur vers la reddition de comptes, a-t-il été souligné.

Certaines délégations ont estimé qu’il y avait un silence sur les crimes commis par l’Ukraine, notamment contre les populations russophones et s’agissant des cas de torture et d’exécutions extrajudiciaires de soldats russes qui s’étaient pourtant rendus. Les causes profondes de la guerre résultent de la « politique hégémonique » des États-Unis et de leurs alliés et de leur volonté d’étendre l’OTAN aux frontières de la Fédération de Russie pour l’encercler, en méprisant ses exigences de sécurité, a-t-il également été affirmé, d’aucuns dénonçant une propagande antirusse et une politisation des droits de l’homme. Des États intensifient le conflit et jettent de l’huile sur le feu en transférant massivement des armes vers l’Ukraine, a-t-il également été dit.

Fédération de Russie et Ukraine doivent se mettre autour d’une table pour entamer des négociations, ont insisté des organisations non gouvernementales (ONG). L’attention du Conseil a par ailleurs été attirée sur l’emprisonnement d’objecteurs de conscience en Ukraine et de journalistes en Fédération de Russie.

De nombreuses questions ont été posées au Haut-Commissaire, s’agissant notamment de la manière de mettre en œuvre l’obligation redditionnelle pour les auteurs de crimes.

**Liste des intervenants : Estonie (au nom d’un groupe de pays), Union européenne, Lituanie, Liechtenstein, Ordre souverain et militaire de Malte, Irlande, République tchèque, États-Unis, Allemagne, Portugal, Japon, Chine, Chypre, France, Lettonie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Fédération de Russie, Canada, Pologne, Venezuela, Slovaquie, Pays-Bas, République de Moldova, Autriche, Royaume-Uni, Espagne, Albanie, Türkiye, Géorgie, Monténégro, Australie, Croatie, Bélarus, Roumanie, Bulgarie, République populaire démocratique de Corée, Belgique, République arabe syrienne, Slovénie, Commissaire aux droits de l'homme du Parlement ukrainien, Mouvement international de la réconciliation, Institute for Reporters’ Freedom and Safety, Conscience and Peace Tax International (CPTI), Institute for Human Rights, Fondation de la Maison des droits de l'homme, World Federation of Ukrainian Women's Organizations, United Nations Watch, Amnesty International, Partners For Transparency, iuventum e.V., Meezaan Center for Human Rights.

Réponses et remarques de conclusion du Haut-Commissaire

M. TÜRK a souligné que la situation en Ukraine devait être appréhendée dans un contexte général de violations flagrantes de la Charte des Nations Unies et du droit international. Il a rappelé que la Fédération de Russie ne permettait pas au Haut-Commissariat d’enquêter dans les territoires occupés et que, depuis 2014, le Haut-Commissariat devait surveiller la situation depuis le territoire sous contrôle de l’Ukraine.

Le Haut-Commissariat applique une méthode rigoureuse pour établir la validité des allégations dont il est saisi à distance, a poursuivi M. Türk. Le Haut-Commissariat continue de documenter les transferts forcés d’enfants vers la Fédération de Russie, a-t-il indiqué, avant de souligner que le Haut-Commissariat regrette une nouvelle fois de ne pas avoir accès aux territoires concernés, ce qui l’empêche de vérifier l’ampleur exacte du problème. Le Conseil doit demander à la Fédération de Russie de donner des informations sur ces enfants et de faciliter leur retour auprès de leurs familles, a plaidé le Haut-Commissaire. Il faut éviter toute adoption d’enfants séparés de leurs parents pendant et immédiatement après un conflit international, a-t-il rappelé.

Le Haut-Commissariat continuera de travailler à la reddition de comptes pour les crimes commis en Ukraine, a assuré M. Türk, demandant à la communauté internationale d’appuyer cet effort.

Le Haut-Commissariat poursuit par ailleurs ses évaluations sur les allégations de génocide en Ukraine sur la base des éléments dont il dispose, a ajouté M. Türk. Quant au traitement des prisonniers de guerre, il est régi par des normes internationales très claires, a-t-il rappelé. Tous les États doivent, en particulier, veiller au rapatriement des prisonniers de guerre blessés et malades, a-t-il souligné.

Le Haut-Commissariat a documenté quelque 140 crimes sexuels imputables, dans la majorité des cas, aux forces russes. Ces crimes sont pour l’essentiel assimilables à des actes de torture sur des personnes détenues ; une minorité consiste en viols collectifs par des soldats russes, a précisé M. Türk.

La guerre en Ukraine a entraîné une crise du coût de la vie sans précédent, a observé le Haut-Commissaire, jugeant indispensable de poursuivre l’initiative des Nations Unies pour l’exportation de céréales par la mer Noire et demandant aux parties en présence de traiter la question de la sécurité alimentaire de manière séparée des autres questions.


Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel.
Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.

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