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Examen de l’Égypte devant le CAT : il est fait état d’informations concernant un recours généralisé à la détention arbitraire et d’allégations de disparitions forcées et de torture ou de mauvais traitements

15 novembre 2023

Le Comité contre la torture (CAT) a examiné, hier après-midi et cet après-midi, le rapport présenté par l’Égypte au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

À l’occasion de cet examen, plusieurs experts membres du Comité ont salué ce qu’ils ont qualifié d’attitude positive et ouverte de l’Égypte, eu égard notamment à ses apports au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture. Il a été constaté que les dispositions constitutionnelles actuelles relatives à la torture reflétaient la volonté politique de l’Égypte de respecter ses obligations découlant du droit international, et un expert a félicité l’Égypte d’avoir mis en place un cadre législatif cohérent pour éviter l’extorsion d’aveux sous la torture.

Un expert a cependant indiqué que le Comité était informé d'un recours généralisé, en Égypte, à la détention arbitraire sans inculpation ni contrôle judiciaire et sans que les garanties juridiques fondamentales ne soient respectées. D'autres allégations font état de détentions préventives prolongées, de disparitions forcées et de cas de torture ou de mauvais traitement infligés par des policiers, des agents de la sécurité nationale, des agents des services de renseignement et des militaires, ainsi que par des gardiens de prison, a-t-il ajouté.  Le Comité a reçu des rapports alléguant que plus de 4000 disparitions forcées ont eu lieu depuis cinq ans, a précisé cet expert.

Le même expert a mentionné d’autres informations parvenues au Comité concernant les conditions de détention dans le nouveau centre de réhabilitation et de correction de Badr, et qui font état d’allégations de mauvais traitements, de tentatives de suicide et de détenus qui seraient soumis à un éclairage 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans leurs cellules.

Un autre membre du Comité a rappelé que, dans son rapport annuel 2016-2017, le Comité avait noté des « indications bien fondées de recours systématique à la torture sur le territoire égyptien » et avait relevé que le Gouvernement avait « rejeté les recommandations du Comité tendant à ce qu’il mette immédiatement fin à la pratique de la détention au secret [et] qu’il crée une autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de torture, de disparition forcée et de mauvais traitements ».  Il a été demandé si l’Égypte envisageait d'abolir la détention au secret et de veiller à ce que toutes les personnes en détention, en particulier les mineurs, bénéficient de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de la privation de liberté. Des questions ont aussi porté sur le procès des auteurs d’actes de torture allégués sur un ressortissant italien décédé en 2016. 

Un expert a demandé si l’Égypte envisageait de modifier sa législation pénale pour y incorporer une définition complète de la torture conforme à la définition de la Convention.

Présentant le rapport de son pays, M. Khaled Aly El Bakly, Ministre adjoint aux affaires étrangères, chargé des droits de l'homme et des affaires humanitaires et sociales internationales, et Chef du Secrétariat technique du Haut Comité permanent des droits de l'homme de l’Égypte, a insisté sur le fait que son Gouvernement avait élaboré une méthodologie et un plan d'action pour combattre et prévenir la torture. M. El Bakly a exclu que l’on puisse parler en Égypte de « torture systématique » étant donné l’existence d’un système fonctionnel de prévention. Les droits et libertés sont garantis à tous, sans exception ni discrimination, y compris aux personnes qui font l’objet de sanctions privatives de liberté, a-t-il ajouté.

Le plan d'action adopté par l'État pour prévenir la torture intègre un cadre législatif solide qui criminalise la torture sous toutes ses formes, a insisté M. El Bakly. Le système judiciaire rejette les aveux ou les preuves obtenus sous la torture et apporte les garanties nécessaires dès les premières heures de détention, a-t-il assuré. Plusieurs mécanismes existent pour recevoir les plaintes et enquêter sur toute allégation de torture, de même que pour empêcher l’impunité et renforcer le droit à réparation.

M. El Bakly a ensuite décrit les voies ouvertes aux citoyens pour dénoncer toute allégation de torture ou de mauvais traitements. Il a fait savoir que le Ministère de l’intérieur avait pris des mesures disciplinaires et juridiques à l'encontre de ses employés dans un certain nombre d'incidents allant des mauvais traitements à l'usage de la cruauté, des procédures pénales ayant été engagées dans 222 incidents de novembre 2019 à mai 2023.

Outre M. El Bakly, la délégation égyptienne était également composée de M. Ahmed Ihab Abdelahad Gamaleldin, Représentant permanent de l’Égypte auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants des Ministères des affaires étrangères et de la justice, du parquet et du Comité national de coordination de la lutte et de la prévention des migrations illégales et de la traite des personnes.

Pendant le débat avec le Comité, la délégation a notamment fait savoir que toute allégation de torture ou de mauvais traitements faisait l’objet d’une enquête d’office par le parquet, une plainte formelle n’étant pas indispensable pour cela. Concernant les allégations relatives au Centre correctionnel de Badr, où 22 détenus sont décédés, elles ont fait l’objet d’un suivi par les autorités compétentes et il a été établi que ces décès n’avaient rien à voir avec la torture ni l’usage de la force, a d’autre part indiqué la délégation.

La délégation a par ailleurs déclaré que le chiffre mentionné par un expert de 4000 disparitions forcées était très loin des quelque 890 cas recensés au fil des ans par les autorités, 275 cas étant actuellement en suspens ; la délégation a déploré des allégations qui, a-t-elle dit, portent atteinte à la réputation de son pays. Il n’y a pas en Égypte de lieux de détention secrets ou échappant au contrôle des autorités, a par ailleurs déclaré la délégation. 

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Égypte et les publiera à l’issue de sa session, le 24 novembre.

 

Le Comité achèvera demain à partir de 15 heures l’examen du rapport de la Slovénie, entamé ce matin.

 

Examen du rapport de l’Égypte

Le Comité est saisi du cinquième rapport périodique de l’Égypte (CAT/C/EGY/5) ainsi que des réponses du pays (en anglais seulement) à une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.

Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, M. KHALED ALY EL BAKLY, Ministre adjoint aux affaires étrangères, chargé des droits de l'homme et des affaires humanitaires et sociales internationales, Chef du Secrétariat technique du Haut Comité permanent des droits de l'homme de l’Égypte, a d’abord indiqué que ce Haut Comité, créé en 2018, supervisait le suivi des engagements de l'État à appliquer ses objectifs au titre de la Stratégie nationale pour les droits de l’homme 2021-2026, y compris pour ce qui est du droit à l'intégrité physique, de la lutte contre la torture sous toutes ses formes et des enquêtes sur les allégations de torture. Selon la Constitution de 2014, la torture sous toutes ses formes et manifestations constitue un crime imprescriptible, a précisé M. El Bakly.

Le Ministre adjoint a insisté sur le fait que le Gouvernement égyptien avait élaboré une méthodologie et un plan d'action pour combattre et prévenir la torture. M. El Bakly a exclu que l’on puisse parler en Égypte de « torture systématique » – comme le rapportent certaines allégations – étant donné l’existence d’un système fonctionnel de prévention. Les droits et libertés sont garantis à tous, sans exception ni discrimination, y compris aux personnes qui font l’objet de sanctions privatives de liberté, a-t-il ajouté.

Les efforts visant à prévenir la torture s’inscrivent dans le cadre d’une vision globale et d’un ensemble intégré de mesures destinés à promouvoir et à protéger les droits de l’homme en Égypte, a précisé le Ministre adjoint, qui a cité à cet égard la levée de l’état d’urgence en octobre 2021, l’ouverture d’un dialogue politique national ou encore l’adoption d'amendements législatifs pour renforcer les droits civils.

Le plan d'action ainsi adopté par l'État pour prévenir la torture intègre un cadre législatif solide qui criminalise la torture sous toutes ses formes, a insisté M. El Bakly. Le système judiciaire rejette les aveux ou les preuves obtenus sous la torture et apporte les garanties nécessaires dès les premières heures de détention, a-t-il assuré. Plusieurs mécanismes existent pour recevoir les plaintes et enquêter sur toute allégation de torture, de même que pour empêcher l’impunité et renforcer le droit à réparation, a-t-il ajouté. Ces mesures sont accompagnées de programmes de formation et de sensibilisation visant à assurer un changement de culture, y compris dans les écoles, les universités et au sein de la famille, a indiqué M. El Bakly.

Le Ministre adjoint a par ailleurs mentionné un nouveau projet de loi actuellement discuté au Parlement et destiné à moderniser le Code de procédure pénale et à renforcer les garanties nécessaires. De plus, un certain nombre de « centres correctionnels et de réinsertion communautaire » (prisons) ont été créés et modernisés dans toutes les régions du pays, qui remplacent d'anciennes prisons et s’inspirent des meilleures pratiques, notamment les règles Nelson Mandela. Les visites d'inspection des prisons et des centres de détention sont effectuées par le Conseil national des droits de l'homme et d’autres entités de défense des droits de l'homme, et plus de 52 visites ont été faites depuis un an, a précisé le Ministre adjoint.

M. El Bakly a ensuite décrit les voies ouvertes aux citoyens pour dénoncer toute allégation de torture ou de mauvais traitements, notamment le système unifié affilié au Conseil des ministres et un mécanisme similaire de réception des plaintes au Conseil national des droits de l'homme. Il a par ailleurs souligné l’interaction positive du Gouvernement égyptien avec les plaintes reçues de plusieurs mécanismes des Nations Unies et de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, y compris s’agissant de la résolution de cas de disparition forcée.

Le Ministre adjoint a fait savoir que le Ministère de l’intérieur avait pris des mesures disciplinaires et juridiques à l'encontre de ses employés dans un certain nombre d'incidents allant des mauvais traitements à l'usage de la cruauté, des procédures pénales ayant été engagées dans 222 incidents de novembre 2019 à mai 2023. D’autres mesures disciplinaires et judiciaires ont été prises à l'encontre de médecins, d’enseignants et d’employés d'agences gouvernementales ayant agressé verbalement ou physiquement des citoyens ou eu recours à des châtiments corporels sur des écoliers.

M. El Bakly a en outre fait savoir que le Gouvernement avait préparé un projet de loi sur l'asile, prévoyant notamment la création d’un comité permanent pour les questions relatives aux réfugiés qui sera chargé de récolter des données statistiques et d’améliorer tous les aspects du soutien, des soins et des services prodigués aux réfugiés.

M. El Bakly a enfin précisé que les victimes de torture et de traitements cruels ont le droit d'intenter une action en justice pour exiger une indemnisation devant les autorités et tribunaux compétents, et que des jugements ont déjà été rendus pour indemniser les victimes de telles pratiques. Enfin, malgré des capacités économiques limitées, le Gouvernement égyptien a participé à deux reprises au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, en 2014 et 2019, a fait valoir M. El Bakly.

Questions et observations des membres du Comité

M. BAKHTIYAR TUZMUKHAMEDOV, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Égypte, s’est enquis de la place de la Convention dans l’ordre juridique interne égyptien et a voulu savoir en particulier si un traité international prévalait ou non sur une loi nationale ou sur une décision judiciaire en cas de conflit entre les deux. Il a aussi voulu savoir si la Constitution garantissait le droit de ne pas être soumis à la torture tant aux citoyens qu’aux étrangers, y compris aux apatrides et aux migrants sans papiers. Il a demandé pourquoi l'Égypte n’était pas partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ni à sept protocoles facultatifs se rapportant aux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. 

Rappelant que la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam (1990) stipule clairement qu'il n'est pas permis de soumettre un individu à la torture physique ou psychologique ou à toute forme de maltraitance, de cruauté ou d'indignité, l’expert s’est interrogé sur l'équilibre entre la Convention contre la torture, ou le droit international, et l'Islam au sein du système constitutionnel égyptien. M. Tuzmukhamedov a ensuite demandé si la torture constituait un délit autonome en droit égyptien et si elle pouvait constituer une circonstance aggravante entraînant une peine plus sévère. Il a aussi demandé des statistiques relatives au nombre de procès pour torture devant les tribunaux égyptiens et à l’invocation de la Convention dans ce contexte.

Le corapporteur a fait observer que le Code pénal égyptien contenait de nombreux articles qui prescrivent la peine de mort, et qu'il s'agissait très souvent d'une peine obligatoire, qui ne laisse pas d'autre choix au juge que de prononcer cette peine. Plusieurs crimes relevant de la loi antiterroriste sont également passibles de la peine de mort, ce qui augmente le nombre d'infractions passibles de la peine capitale, a poursuivi l’expert.  Il a prié la délégation de dire quelle était la fréquence des condamnations à mort prononcées par les tribunaux égyptiens et pour quels crimes.

M. Tuzmukhamedov a mentionné le cas d’Ahmed Saddouma, avant de demander à quelle indemnisation une personne soumise à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants avait droit en Égypte.

M. Tuzmukhamedov a aussi fait remarquer que l'article 204 de la Constitution, qui stipule qu'aucun civil ne sera jugé par un tribunal militaire, était assorti de multiples exceptions, « dont certaines assez vagues », qui étendent la juridiction militaire aux infractions commises par des civils contre des biens militaires. L’expert a demandé combien de civils – et pour quels chefs d'accusation – avaient été jugés par des tribunaux militaires pendant la période couverte par le rapport, et combien de civils étaient incarcérés dans des centres de détention militaires.

L’expert a ensuite demandé si l'Égypte appliquait une méthodologie pour évaluer l'efficacité des programmes de formation et d'éducation dans la réduction du nombre de cas de torture et de mauvais traitements. Il a prié la délégation de dire ce qui était fait pour former les soldats égyptiens participant aux missions de maintien de la paix de l'ONU aux dispositions de la Convention et des Conventions de Genève relatives à la torture.

Plusieurs autres questions du corapporteur ont porté sur le nombre de personnes condamnées en vertu de la loi contre le terrorisme et sur le respect, dans ce contexte, des garanties juridiques et des voies de recours prévues par la loi.

M. Tuzmukhamedov a par ailleurs demandé combien de plaintes pour actes de torture avaient donné lieu à des sanctions en Égypte.

M. ERDOGAN ISCAN, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Égypte, a constaté que les dispositions constitutionnelles actuelles relatives à la torture reflétaient la volonté politique de l’Égypte de respecter ses obligations découlant du droit international. Il a toutefois demandé si l’Égypte envisageait de modifier sa législation pénale pour y incorporer une définition complète de la torture conforme à la définition énoncée à l'article premier de la Convention. Il a par ailleurs recommandé au pays d’introduire, pour les actes de torture, des peines minimales obligatoires ou des peines progressives allant jusqu'à la peine maximale qui tiennent compte de la gravité de l'acte, comme le prévoit l'article 4 de la Convention. Les circonstances atténuantes ne devraient pas être applicables au crime de torture et toute possibilité d'impunité doit être écartée, a par ailleurs rappelé l’expert.

M. Iscan a ensuite demandé quelles mesures et procédures étaient appliquées pour garantir que, dans la pratique, toutes les personnes détenues bénéficient de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de la privation de liberté. L’expert s’est interrogé sur l’existence de systèmes de surveillance vidéo dans les lieux de privation de liberté et dans les salles d'interrogatoire.

Le Comité est informé d'un recours généralisé à la détention arbitraire sans inculpation ni contrôle judiciaire et sans que les garanties juridiques fondamentales ne soient respectées, a ensuite indiqué M. Iscan. Le Comité est aussi informé d'allégations faisant état de détentions préventives prolongées, de disparitions forcées et de cas de torture ou de mauvais traitement infligés par des policiers, des agents de la sécurité nationale, des agents des services de renseignement et des militaires, ainsi que par des gardiens de prison, en violation de la législation nationale et du droit international, a poursuivi l’expert.  Le Comité a reçu des rapports alléguant que plus de 4000 disparitions forcées ont eu lieu depuis cinq ans, a-t-il précisé. D’autres informations parvenues au Comité, concernant les conditions de détention dans le nouveau centre de réhabilitation et de correction de Badr, font état d’allégations de mauvais traitements, de tentatives de suicide et de détenus qui seraient soumis à un éclairage 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans leurs cellules, a ajouté M. Iscan.

M. Iscan a demandé si l’Égypte envisageait d'abolir la détention au secret et de veiller à ce que toutes les personnes en détention, en particulier les mineurs, bénéficient de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de la privation de liberté. Il a regretté que des personnes incarcérées en Égypte soient encore placées à l'isolement de manière répétée.

M. Iscan a ensuite demandé quelles mesures avaient été prises pour définir strictement le terrorisme afin de garantir que la législation antiterroriste ne soit pas utilisée pour restreindre les droits consacrés par la Convention contre la torture. En particulier, l’expert a voulu savoir si des mesures ont été prises pour garantir que la durée maximale de la garde à vue dans les affaires liées au terrorisme n'excède pas 48 heures, renouvelable une seule fois, et qu'à l'issue de cette période, les personnes détenues soient présentées à un juge.

M. Iscan a insisté sur le fait que l'interdiction de la torture était absolue et non susceptible de dérogation et que l'article 2 de la Convention stipulait explicitement qu'aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, de stabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne pouvait être invoquée pour justifier la torture. L’expert a demandé si la législation et la pratique égyptiennes étaient compatibles avec cette obligation, et si l'État partie envisageait de procéder à des modifications pour garantir la pleine conformité avec les exigences de la Convention.

M. Iscan a ensuite salué la création par l’Égypte du Conseil national des droits de l'homme. Il a demandé si ce Conseil était indépendant et s’il pouvait effectuer des visites inopinées et accéder librement à tous les lieux de privation de liberté, civils et militaires.

M. Iscan a d’autre part voulu savoir si le ministère public pouvait ouvrir une enquête d'office lorsqu'il y a des raisons de croire que des actes de torture ou des mauvais traitements ont été commis et ordonner que les victimes présumées fassent l'objet d'un examen médico-légal. L’expert s’est enquis du nombre de plaintes reçues par les autorités compétentes concernant des infractions relevant de la Convention telles que des actes ou tentatives de torture ou de mauvais traitements ou encore la complicité, la participation ou l'acquiescement à de tels actes. D’autres questions de l’expert ont porté sur l'indemnisation des victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements.

Enfin, M. Iscan a félicité l’Égypte d’avoir mis en place un cadre législatif cohérent pour éviter l’extorsion d’aveux sous la torture. Il s’est enquis du nombre d'affaires dans lesquelles des accusés ont allégué que leurs aveux avaient été extorqués sous la torture, ainsi que des suites données à ces allégations.

M. Iscan a par la suite prié la délégation de commenter les allégations faisant état d’usage superflu de la force et d’armes à feu par la police égyptienne et d’arrestations massives de manifestants pacifiques ces dernières années.

L’expert a par ailleurs demandé à la délégation des informations sur les mesures prises pour prévenir la violence envers les femmes, y compris la violence domestique.

Un autre expert membre du Comité a posé des questions concernant, d’une part, la responsabilité des supérieurs hiérarchiques en cas d’actes de torture commis par un fonctionnaire, et, d’autre part, le procès des auteurs d’actes de torture allégués sur un ressortissant italien décédé en 2016. 

Un expert a rappelé que, dans son rapport annuel 2016-2017, le Comité avait noté des « indications bien fondées de recours systématique à la torture sur le territoire égyptien » et avait relevé que le Gouvernement avait « rejeté les recommandations du Comité tendant à ce qu’il mette immédiatement fin à la pratique de la détention au secret [et] qu’il crée une autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de torture, de disparition forcée et de mauvais traitements ». L’expert a demandé quelle était, plusieurs années après, la position du Gouvernement s’agissant de ces recommandations.

Une experte a fait part de son inquiétude face à des recrutements de mineurs par des milices opérant dans le nord du Sinaï. Il a été relevé que plusieurs autres organes de traités avaient exprimé des préoccupations s’agissant de la traite des êtres humains en Égypte.  Un expert a mentionné d’autres préoccupations parvenues au Comité s’agissant de violations de la Convention n° 182 de l’Organisation internationale du Travail sur les pires formes de travail des enfants, y compris l’exploitation d’enfants dans les régions touristiques.

D’autres questions ont porté sur l’accès des justiciables à un avocat et sur la situation des femmes détenues en Égypte. Plusieurs experts ont salué ce qu’ils ont qualifié d’attitude positive et ouverte de l’Égypte, eu égard notamment à ses apports au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

Réponses de la délégation

Les dispositions de la Convention sont entièrement transcrites dans le droit national et peuvent ainsi être invoquées devant les tribunaux, a indiqué la délégation, qui a évoqué à cet égard plusieurs décisions rendues par la justice égyptienne.

La délégation a ensuite indiqué qu’en Égypte, la torture est érigée en crime dans des termes qui correspondent aux exigences de la Convention : le crime est en effet distinct et imprescriptible, aucun argument – y compris les ordres d’un supérieur – ne pouvant être invoqué pour le justifier. Le supérieur qui donne un ordre de torture est lui aussi sanctionné, a ajouté la délégation.

Les tribunaux ont par ailleurs réaffirmé que les preuves obtenues sous la torture ne sont pas prises en compte, a aussi fait savoir la délégation.

La torture est sanctionnée par la révocation des fonctionnaires coupables, voire par des sanctions pénales lourdes, reflétant la tolérance zéro dont fait l’objet ce comportement, a dit la délégation.

La stratégie nationale relative aux droits de l’homme insiste sur l’intégrité physique des personnes, a poursuivi la délégation. Dans ce contexte, le Gouvernement entend revoir la liste des crimes entraînant la peine de mort, compte tenu en particulier des attitudes culturelles de la population, a-t-elle indiqué. En l’état, la peine de mort est appliquée avec toutes les garanties d’un procès équitable et sans arbitraire, a-t-elle assuré. La peine de mort s’applique en cas d’homicide, de viol, de menaces pour la sécurité nationale, de crimes liés à la drogue ou encore de mise en danger de la sécurité de l’État, a précisé la délégation. Les statistiques montrent cependant que les juges, s’ils ne sont pas confrontés à des crimes entraînant la peine de mort obligatoire, tendent à prononcer des peines de prison, a fait remarquer la délégation.

M. Saddouma est accusé d’être membre d’un groupe terroriste, a d’autre part souligné la délégation.

De 2020 à janvier 2023, a en outre précisé la délégation, quelque 440 formations aux droits de l’homme, y compris à la lutte contre la torture, ont été organisées à l’intention de plus de dix mille fonctionnaires de justice.  La délégation a par la suite indiqué que la qualité des formations aux droits de l’homme dispensées aux fonctionnaires était régulièrement évaluée.

Les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont été respectées même pendant la période de l’état d’urgence, qui a été levé en 2022, a assuré la délégation, avant d’ajouter que les restrictions apportées pendant la COVID-19 étaient elles aussi conformes aux obligations de l’État.

La délégation a ensuite décrit le rôle et le fonctionnement du parquet égyptien, en particulier sa compétence à superviser des visites inopinées de centres de détention. Le parquet publie des manuels et directives relatifs à la prévention de la torture, toute allégation à cet égard entraînant l’ouverture d’une enquête, a souligné la délégation.

Le bureau du procureur est compétent pour contrôler les lieux de privation de liberté de manière annoncée, inopinée ou sur plainte, a ensuite indiqué la délégation, précisant que les registres d’écrou sont vérifiés, entre autres mesures de contrôle. Le personnel chargé des inspections reçoit un manuel concernant la méthode à suivre et les aspects à contrôler. Il n’y a pas de lieux de détention secrets ou échappant au contrôle des autorités, a déclaré la délégation. 

Le bureau du procureur est également compétent pour inspecter les centres de soins médicaux.

Il existe en Égypte plusieurs mécanismes chargés de contrôler les conditions de détention, a par la suite insisté la délégation.

La délégation a ensuite présenté la vision de son Gouvernement concernant la lutte contre la traite des êtres humains, qui est axée sur une approche pénale tenant compte des droits des victimes. Le Gouvernement a organisé des activités destinées à appliquer la loi de manière intégrée, y compris s’agissant de la formation des fonctionnaires de police, de justice et médico-sociaux concernés. Il mène parallèlement des processus de sensibilisation, avec l’Organisation internationale pour les migrations, visant tant les Égyptiens que les ressortissants étrangers en Égypte. Le Ministère de l’intérieur joue un rôle important : de 2019 à mars 2023, 442 personnes suspectées de traite ont été arrêtées.

Les autorités veillent aussi à la protection des personnes les plus vulnérables face à la traite, a poursuivi la délégation, avant d’évoquer les lignes téléphoniques d’urgence gérées par l’État et ouvertes aux plaintes des victimes d’exploitation, ainsi que la procédure d’aiguillage (des victimes) vers les refuges, y compris plusieurs centres spécialisés dans l’accueil des femmes et des enfants. Les autorités oeuvrent enfin à la réintégration sociale, scolaire et professionnelle des victimes, lesquelles ont aussi accès à un fonds d’indemnisation.

Toute personne, y compris tout enfant, victime d’exploitation aux fins de prostitution est considérée en Égypte comme une victime, a précisé la délégation.

La délégation a donné d’autres informations concernant la prise en charge des enfants sans abri et a fait état de la coopération du Gouvernement avec les organisations de la société civile sur le problème des mariages contractuels.

La délégation a par ailleurs indiqué que, dans l’affaire Regeni, les autorités avaient mené une enquête pour trouver l’auteur des faits incriminés. Le procureur a ordonné une autopsie pour comprendre les raisons du décès. Quelque 120 témoins ont été entendus et les autorités judiciaires ont émis plusieurs demandes d’entraide judiciaire, y compris avec l’Italie. Quinze réunions bilatérales ont eu lieu entre enquêteurs des deux pays. En l’état, le bureau du procureur estime qu’un gang criminel a procédé à un vol avec violence, et que les forces de l’ordre égyptienne sont hors de cause, a indiqué la délégation.

Le Code de procédure pénale régit la détention provisoire, qui doit être réalisée dans un lieu adapté à cet effet et sur la base d’un mandat écrit et circonstancié émis par un juge, a ensuite expliqué la délégation. Le prévenu peut faire appel de ce mandat, a-t-elle ajouté. La durée de la détention provisoire dépend du délit visé, a-t-elle en outre souligné. Le Gouvernement respecte à la lettre la loi en vigueur s’agissant de l’élargissement des personnes détenues de manière provisoire, a par ailleurs assuré la délégation.

Le placement à l’isolement est une mesure disciplinaire décidée par la direction de la prison, a d’autre part indiqué la délégation, avant de préciser que les cellules disposent d’un lit et de sanitaires.

Le parquet de la sûreté de l’État enquête sur des crimes particulièrement graves sous la houlette du Procureur général, a par ailleurs fait savoir la délégation.

Toute allégation de torture ou de mauvais traitements fait l’objet d’une enquête d’office par le parquet, une plainte formelle n’étant pas indispensable pour cela, a indiqué la délégation, évoquant notamment une enquête ouverte par le parquet à la suite d’une vidéo de détenus diffusée sur les réseaux sociaux. Le parquet prend aussi en compte les allégations de décès subséquents à des mauvais traitements subis en prison ou dans un poste de police.

Les allégations relatives au Centre correctionnel de Badr, où 22 détenus sont décédés, ont fait l’objet d’un suivi par les autorités compétentes : il a été établi que ces décès n’avaient rien à voir avec la torture ni l’usage de la force, a assuré la délégation.

Aucun principe de la charia, qui constitue une source de droit en Égypte, ne vient justifier la torture ou les mauvais traitements, a poursuivi la délégation. Dans le système pénal égyptien, tout préjudice à l’intégrité physique est interdit, conformément aux normes internationales. L’Égypte a formulé des réserves à certaines dispositions de traités internationaux qu’elle a ratifiés qui entrent en contradiction avec la charia ; mais cela n’est pas le cas s’agissant de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a précisé la délégation.

L’interprétation de la charia en Égypte relève de la Cour suprême constitutionnelle, a ajouté la délégation. Cette Cour prend en compte tous les engagements pris par l’Égypte sur le plan international.

L’adhésion aux instruments internationaux relève de la souveraineté des États, a rappelé la délégation en réponse à une question relative à l’adhésion du pays à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. La position de l’État est informée par l’état de la société et est susceptible d’évoluer, a-t-elle ajouté.

La délégation a déclaré que le chiffre mentionné par un expert de 4000 disparitions forcées était très loin des quelque 890 cas recensés au fil des ans par les autorités, 275 cas étant actuellement en suspens. Certaines disparitions s’expliquent par l’affiliation à des groupes terroristes, a-t-elle ajouté. La délégation a déploré des allégations qui, a-t-elle dit, portent atteinte à la réputation de son pays.

La délégation a ensuite fait état de la réhabilitation de centres de détention destinés aux femmes condamnées. L’État a pris des mesures de soutien aux femmes surendettées incapables de rembourser leurs dettes, qui sont nombreuses à se retrouver derrière les barreaux, a-t-elle indiqué.

Les Casques bleus égyptiens reçoivent une formation aux règles des Nations Unies et au droit international humanitaire et des droits de l’homme, y compris en ce qui concerne la Convention contre la torture, a d’autre part souligné la délégation.

L’enrôlement de mineurs dans les forces armées est interdit et il n’existe aucune milice en Égypte, a également souligné la délégation.

Toute victime de mauvais traitement peut demander un dédommagement devant un tribunal, a par ailleurs rappelé la délégation.

La définition du terrorisme dans le droit égyptien est alignée sur celle adoptée par d’autres pays. Les personnes accusées d’actes de terrorisme bénéficient des mêmes garanties procédurales que les autres justiciables, y compris pour ce qui concerne l’irrecevabilité des preuves obtenues sous la torture, a indiqué la délégation.

La Constitution consacre le rôle des avocats en tant que partenaires du système judiciaire et garants de l’État de droit, a aussi tenu à souligner la délégation. Elle a répondu à d’autres questions des experts portant sur l’indépendance des magistrats.

La traduction de civils devant des tribunaux militaires est bien encadrée et les procédures impliquent les mêmes garanties que devant les tribunaux civils, y compris l’interdiction de recourir à la torture pour recueillir des aveux, a en outre indiqué la délégation.

L’Égypte accueille quelque 410 000 réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a ensuite fait savoir la délégation.  Le Gouvernement respecte le principe de non-refoulement et n’expulse aucun réfugié venu en Égypte pour des raisons humanitaires, même s’il est entré illégalement, a-t-elle précisé. Les réfugiés arrêtés en raison de leur situation irrégulière sont libérés s’ils s’enregistrent auprès du HCR. Il n’existe pas en Égypte de centre de détention pour migrants et réfugiés, a ajouté la délégation.

S’agissant du recours à la force, la délégation a indiqué que la loi réglementait l’action de la police pour disperser les foules. La police peut utiliser des gaz lacrymogènes et des canons à eau et pour faire face au vandalisme, elle peut tirer des balles en caoutchouc. Les policiers ont le droit d’utiliser leur arme à feu à des fins d’autodéfense et de manière proportionnée au danger encouru, a indiqué la délégation. Entre novembre 2019 à mai 2023, 769 incidents imputables à des policiers ont été soumis aux tribunaux disciplinaires, dont 380 ont entraîné une condamnation, a précisé la délégation.

Pour prévenir les mauvais traitements et les actes de torture, le Gouvernement informe les détenus de leurs droits, y compris le fait que leur lieu de détention peut faire l’objet d’inspections. Le Gouvernement a mis en place plusieurs mécanismes pour dénoncer les mauvais traitements, lesquels font l’objet d’enquêtes rapides et de sanctions, a ajouté la délégation.

Enfin, la délégation a indiqué que l’Égypte avait présenté un rapport intermédiaire au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes relatif à la lutte contre la violence envers les femmes.

La délégation a d’autre part assuré que les autorités coopéraient avec les titulaires de procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme et qu’elles avaient pour priorité de remplir leurs obligations envers les organes de traités.

Remarques de conclusion

M. AHMED IHAB ABDELAHAD GAMALELDIN, Représentant permanent de l’Égypte auprès des Nations Unies à Genève, a insisté sur le fait que les institutions de l’État avaient la volonté de lutter contre toutes les formes de torture et de renforcer la confiance du public envers la justice. Le débat sur la lutte contre la torture est permanent dans la police et dans les milieux universitaires, notamment, et le Gouvernement reconnaît le rôle important joué par la société civile dans la détection des violations des droits de l’homme, a-t-il ajouté.

M. EL BAKLY a pour sa part assuré que son pays était ouvert aux recommandations du Comité et à la coopération avec les organes conventionnels des Nations Unies.

 

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