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Communiqués de presse Organes conventionnels

LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE ENTAME L'EXAMEN DE LA SITUATION EN AUSTRALIE AU TITRE DE LA PROCÉDURE D'ACTION URGENTE

12 mars 1999


APRÈS-MIDI

HR/CERD/99/21
12 mars 1999



Il se penche sur les modifications récemment envisagées ou apportées à la loi sur les droits fonciers autochtones


Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a entamé, cet après-midi, au titre de la procédure d'action urgente, l'examen de la situation en Australie eu égard aux modifications récemment envisagées ou apportées à la loi de 1993 sur les droits fonciers autochtones.

Présentant le rapport spécial de son pays sur la question, conformément à la demande adressée à l'Australie par le Comité en août 1998, M. Andrew Goledzinowski, Chargé d'affaires à la Mission permanente de l'Australie auprès des NationsUnies à Genève, a souligné que l'invitation que son pays a lancée au Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M.Maurice Glélé Ahanhanzo, reste valable, même si celui-ci a dernièrement déclaré qu'à la lumière des événements récemment intervenus en Australie, une telle visite n'est plus aussi prioritaire qu'auparavant. En vertu des amendements apportés à la loi sur les droits fonciers autochtones, 79% des terres australiennes sont susceptibles d'être revendiqués par les détenteurs de droits fonciers autochtones, a affirmé la délégation.

L'expert chargé de l'examen de la situation en Australie, Mme Gay McDougall, a souligné que selon les indicateurs sociaux, les autochtones continuent d'être défavorisés par rapport au reste de la population. Il semblerait que les objectifs principaux de la loi originelle sur les droits fonciers autochtones (1993), à savoir la protection et la reconnaissance des droits fonciers autochtones, ne figurent plus parmi les objectifs clefs de la loi sur les droits fonciers autochtones telle qu'amendée en 1998, a-t-elle souligné avant d'ajouter que la loi amendée semble constituer un retour en arrière par rapport aux droits que reconnaissaient les arrêts Mabo et Wik.

Les membres suivants du Comité sont également intervenus : M. Mahmoud Aboul-Nasr, M. Ion Diaconu, M. Michael Parker Banton, M. Mario Jorge Yutzis, M. Carlos Lechuga Hevia, M. Luis Valencia Rodriguez, Mme Deci Zou et MmeShanti Sadiq Ali.

Lundi 15 mars, à 10 heures, le Comité poursuivra l'examen de la situation en Australie.


Présentation du rapport spécial de l'Australie

Présentant le rapport spécial de son pays, M. Andrew Goledzinowski, Chargé d'affaires à la Mission permanente de l'Australie auprès des NationsUnies à Genève, a fait part de la récente nomination pour cinq ans, à compter du mois prochain, du Commissaire pour les autochtones au sein de la Commission pour l'égalité des chances. Il a rappelé que l'Australie avait invité le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, M.Maurice Glélé Ahanhanzo, à se rendre dans le pays en 1998, mais pour des raisons de santé, le Rapporteur spécial n'avait pas pu donner suite à l’invitation. Dernièrement, il a fait savoir qu'à la lumière des événements intervenus récemment en Australie, sa visite ne revêt pas la même priorité ou l’urgence qu'auparavant et a peut de chance de se produire cette année. Néanmoins, du point de vue de l'Australie, cette invitation lancée au Rapporteur spécial reste valable.

La délégation australienne a par ailleurs souligné que dans le cadre de la loi sur les droits fonciers autochtones (Native Title Act) de 1993, on a établi une distinction entre le passé et l'avenir. La dépossession des terres autochtones était certes tragique mais il était difficile voire impossible de revenir en arrière, a indiqué la délégation. On s'est donc orienté vers l'avenir afin d'éviter toute nouvelle annulation des droits fonciers.

La délégation australienne a affirmé qu'il avait été impossible de parvenir à un accord avec les autochtones et avec les autres acteurs concernés dans le cadre du processus de consultation qui a mené à la modification de la loi de 1993 sur les droits fonciers autochtones. Avant l'arrêt Wik, nombreux étaient ceux qui partaient de l'hypothèse, qui s'est avérée fausse à l'issue de cet arrêt, selon laquelle les droits fonciers autochtones n'existaient pas dans le contexte des baux de pâturage. En vertu du régime de confirmation au titre de la loi sur les droits fonciers autochtones, 79% des terres australiennes sont encore susceptibles d'être revendiqués par les détenteurs de droits fonciers autochtones, a déclaré la délégation. Les droits fonciers autochtones constituent un dossier complexe pour l'Australie, a reconnu la délégation.

Le Gouvernement a réexaminé le fonctionnement de la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances et entend conférer les fonctions actuelles du Commissaire à la justice sociale pour les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres à la Commission dans son ensemble dont l'un des trois présidents adjoints sera chargé des questions relatives à la justice sociale et à la discrimination raciale concernant les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres.

Le rapport de l'Australie contenant les informations sur les modifications récemment envisagées ou apportées à la loi de 1993 intitulée Native Title Act (loi sur les droits fonciers autochtones), publié le 22janvier dernier sous la côte CERD/C/347, rappelle qu'en juillet 1998, le Parlement australien a adopté une loi portant modification de la loi sur les droits fonciers autochtones (Native Title Amendment Act) qui apportait à la loi sur les droits fonciers autochtones une série de modifications dont la majorité sont entrées en vigueur en septembre 1998. La loi sur les droits fonciers autochtones de 1993 et son amendement de 1998 constituaient la suite donnée sur le plan législatif par des gouvernements successifs du Commonwealth d'Australie à deux décisions historiques de la Haute Cour, à savoir l'arrêt Mabo de juin 1992 et l'arrêt Wik de décembre 1996. L'arrêt Mabo reconnaissait pour la première fois que les autochtones d'Australie avaient, en common law, des droits découlant de leurs liens traditionnels
avec la terre et l'arrêt Wik affirmait que ces droits reconnus par la loi pouvaient exister même lorsqu'il s'agissait d'une terre faisant l'objet d'un bail de pâturage. Dans son arrêt Wik, la Haute Cour a également estimé que «lorsqu'il y avait incompatibilité entre les droits dont jouissaient les titulaires de droits fonciers autochtones et les droits conférés au preneur de bail, les droits du preneur à bail devaient l'emporter dans la mesure de cette incompatibilité».

En vertu des modifications apportées à la loi sur les droits fonciers autochtones, toutes les demandes de décision relatives à un droit foncier autochtone et d'indemnisation au titre de cette loi sont désormais présentées directement à la Cour fédérale et non au Tribunal national des droits fonciers autochtones. Ce dernier tribunal conserve néanmoins la fonction de médiateur dans les cas où la Cour fédérale estime qu'une médiation entre auteurs de revendications aiderait à résoudre les questions en suspens entre les parties. Les requérants qui satisfont au critère appliqué aux fins d'enregistrement obtiennent d'importants droits procéduraux au titre de la loi : ils peuvent notamment être parties à un processus fondé sur le droit de négocier et ont le droit d'être informés et de présenter des observations quant à certaines activités accomplies par les gouvernements et quant aux activités d'extraction minière et acquisitions obligatoires auxquelles le droit de négocier ne s'applique pas. «Pour être enregist
rés, les requérants doivent être autorisés au nom du groupe requérant; montrer qu'à première vue certains au moins des droits fonciers autochtones et intérêts revendiqués peuvent être établis; montrer qu'un membre au moins du groupe requérant a ou avait un lien physique traditionnel avec une partie au moins de la terre; garantir qu'aucun droit foncier autochtone revendiqué ne consiste en l'affirmation d'un droit de propriété sur des minéraux, etc., dans le cas où la Couronne en est entièrement propriétaire; ne pas exiger de droits exclusifs au large des côtes; et assurer que les droits fonciers autochtones revendiqués n'ont pas été éteints de toute autre manière. Le fait qu'une demande ne satisfait pas au critère nécessaire à l'enregistrement n'empêche pas la procédure relative à cette demande de se poursuivre devant la Cour fédérale.

Désormais, la loi sur les droits fonciers autochtones dispose que l'extinction des droits fonciers autochtones de par l'octroi d'un régime de possession exclusive antérieur peut être confirmée par les États et les Territoires. Le régime octroyé pouvait être la pleine propriété ou le bail à des fins résidentielles, commerciales ou communautaires, ou encore certains baux agricoles. Ce n'est seulement qu'un faible pourcentage de la superficie totale de l'Australie qui risque d'être visé par le régime de confirmation, affirme le rapport. Les modifications apportées à la loi ont également expressément confirmé que les éleveurs peuvent légitimement poursuivre leurs activités au titre de leur bail de pâturage, nonobstant l'existence concomitante de droits fonciers autochtones et, conformément à l'arrêt Wik, que l'exercice des droits de pâturage l'emporte sur l'exercice des droits fonciers autochtones sur les terres faisant l'objet de baux de pâturage. En vertu des modifications apportées à la loi, les seules mo
dalités selon lesquelles le droit foncier autochtone afférent à une terre faisant l'objet d'un bail de pâturage peut être éteint sont l'accord avec les titulaires de droits fonciers autochtones ou l'acquisition de la terre par les pouvoirs publics en vertu d'une législation non discriminatoire.

Le rapport spécial de l'Australie souligne qu'en 1994, a été créé le Fonds pour la terre des aborigènes et des insulaires du détroit de Torres (Fonds pour la terre) dont le rôle est d'aider les autochtones à acheter des terres «puisque de nombreux droits fonciers autochtones avaient déjà été éteints». Outre le financement du Fonds pour la terre, le Gouvernement pense que pendant la période allant de 1996-97 à 1999-2000, il aura dépensé, pour les droits fonciers autochtones, un total de 268 millions de dollars australiens. La part du continent australien qui, à l'heure actuelle, appartient aux aborigènes ou est contrôlée par eux s'établit à 15%, indique le rapport.


Examen du rapport spécial de l'Australie

L'expert chargé de l'examen de la situation en Australie, Mme Gay MacDougall, a rappelé que l'Australie possède deux grands groupes de populations autochtones, à savoir les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres, qui représentent 372000 personnes soit environ 2% de la population australienne totale. Les indicateurs sociaux témoignent que les autochtones continuent d'être défavorisés par rapport au reste de la population, a affirmé Mme MacDougall. A cet égard, les pratiques foncières discriminatoires de l'Australie du point de vue racial ont gravement hypothéqué les droits des communautés autochtones australiennes jusqu'à l'adoption de l'arrêt Mabo en 1992 qui a mis fin à la doctrine de la terra nullius en vigueur jusque là.

Mme McDougall a souligné l'aspect capital de l'arrêt Wik, qui reconnaissait que les droits fonciers autochtones pouvaient exister même dans le cas de terres faisant l'objet d'un bail de pâturage. Selon Mme McDougall, il semblerait pourtant que les objectifs principaux de la loi originelle sur les droits fonciers autochtones (1993), à savoir la protection et la reconnaissance des droits fonciers autochtones, ne figurent plus dans les objectifs principaux de la loi sur les droits fonciers autochtones amendée (1998). Il semble que la loi amendée constitue un retour en arrière par rapport aux droits que reconnaissaient les arrêts Mabo et Wik, a affirmé MmeMcDougall. Selon son interprétation de l'arrêt Wik, Mme McDougall relève que l'existence d'un bail de pâturage n'éteint pas nécessairement les droits fonciers autochtones et qu'en cas de conflit entre les droits de pâturage et les droits des détenteurs autochtones, les droits du bail de pâturage doivent prévaloir seulement dans la mesure de l'incompatibilité
. Aussi, l'experte a-t-elle demandé à la délégation de lui indiquer si cette interprétation de la décision de la Haute Cour est la bonne. L'arrêt Wik n'exige-t-il pas une approche au cas par cas totalement contraire à celle qui est retenue dans le cadre des amendements apportés à la loi de 1993 qui introduisent, eux, «une extinction aveugle» des droits autochtones, a demandé Mme McDougall ? Si des détenteurs de droits fonciers non autochtones ont acquis leurs droits après l'adoption de l'arrêt Mabo (juin 1992) et de la loi de 1993 sans enquêter sur la possibilité de coexistence de droits fonciers autochtones, ils l'ont fait à leur risque et péril, a estimé l'experte.

Mme McDougall a également souligné que dans la loi sur les droits fonciers autochtones de 1993, les détenteurs de droits fonciers autochtones avaient obtenu la reconnaissance de droits significatifs dans le contexte des futures actions affectant leurs droits de propriété, en échange d'un accord de légitimation des actions passées du Gouvernement australien portant extinction de droits autochtones. L'une des questions essentielles consiste donc aujourd'hui à savoir si l'amendement apporté à la loi de 1993 a sérieusement porté atteinte à ce compromis négocié en accordant une place plus importante aux intérêts des détenteurs de droits fonciers non autochtones, y compris pour ce qui est des utilisations futures de la terre. Parmi les dispositions de l'amendement à la loi de 1993 qui ont essuyé des critiques, figurent celles concernant la validation d'actes passés qui étaient jusque là invalides, ainsi que celles concernant la confirmation de l'extinction des droits et les restrictions apportées au droit de nég
ocier, a indiqué Mme McDougall.

Les dispositions contenues dans les amendements à la loi de 1993 en vertu desquelles les détenteurs de baux de pâturage pourront dans l'avenir s'engager dans des activités de production primaire semblent accorder une certaine préférence aux intérêts des détenteurs de droits non autochtones, a relevé Mme McDougall. Il semble malheureusement que les dispositions de la loi réprimant la discrimination raciale (Racial Discrimination Act) soient dépassées par les dispositions de la Loi sur les droits fonciers de 1993 et les amendements qui lui ont été apportés en 1998, a ajouté l'experte. MmeMcDougall a demandé à la délégation dans quelle mesure les budgets et pouvoirs attribuésau président adjoint de la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances qui sera chargé des questions de discrimination raciale et des questions autochtones seront équivalentes au budget et aux pouvoirs dont bénéficiaient les deux commissaires qui étaient jusque là chargés de ces questions.

Mme McDougall a regretté que le rapport spécial présenté par l'Australie n'analyse pas la compatibilité des amendements apportés à la loi sur les droits fonciers de 1993 avec les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Le Président du Comité, M. Mahmoud Aboul-Nasr, a indiqué avoir reçu un grand nombre de plaintes émanant de ressortissants et d'organisations non gouvernementales australiens et s'est dit «de plus en plus convaincu» de la validité de la décision que le Comité avait prise le 11 août dernier concernant le souhait d'examiner la compatibilité des décisions législatives prises en Australie avec les dispositions de la Convention.

Un autre membre du Comité a jugé exorbitants les critères imposés aux autochtones pour être enregistrés et pouvoir jouir des droits procéduraux qui leur sont accordés au titre des amendements apportés à la loi sur les droits fonciers autochtones. Un expert a rappelé qu'en août 1998, le Gouvernement du Queensland avait prononcé l'extinction définitive de droits fonciers autochtones sur 12% de son territoire. Cet expert a relevé qu'il semble que les autochtones ne fassent plus confiance au Gouvernement pour qu'il agisse de bonne foi.

La délégation australienne a indiqué que, depuis son entrée en fonction, l'actuel Gouvernement a établi un Conseil consultatif multiculturel, ce qui témoigne de sa volonté de promouvoir un large débat sur les moyens de promouvoir une société multiculturelle.

La common law accorde une marge d'appréciation au Gouvernement en ce qui concerne la discrimination, mais cette marge d'appréciation est très étroite pour ce qui est de la discrimination raciale, a souligné la délégation. Elle a par ailleurs relevé que l'interprétation interne de la loi sur la discrimination raciale (Racial Discrimination Act, 1975) met davantage l'accent sur l'égalité formelle que sur l'égalité de fond.

Les modifications apportées en 1998 à la loi sur les droits fonciers autochtones ne rendent pas la loi discriminatoire, a assuré la délégation. Elle a mis l'accent sur l'équilibre atteint, grâce à ces modifications, entre les différents droits et intérêts. La loi sur les droits fonciers autochtones telle que modifiée poursuit les mêmes objectifs que la loi de 1993, à savoir la reconnaissance et la protection des droits des populations autochtones de l'Australie, a expliqué la délégation.

La délégation a affirmé qu'elle est d'accord avec l'interprétation de l'arrêt Wik retenue par MmeMcDougall. Le Gouvernement estime en effet que les droits de pâturage n'éteignent pas les droits fonciers autochtones, qui peuvent coexister avec les baux agricoles. Néanmoins, il n'est pas toujours facile de savoir quelle était la nature des droits accordés aux preneurs à bail dans le cadre des baux de pâturage, d'autant plus que le droit foncier en Australie est une question qui relève des États et Territoires et non pas du pouvoir fédéral et que les États et Territoires ont donc établi en la matière leur propre droit foncier.

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