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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DE LA CÔTE D'IVOIRE
12 mars 2003
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CERD
62ème session
12 mars 2003
Après-midi
Il adopte une décision demandant au Suriname
un rapport urgent face aux informations selon lesquelles
les droits des communautés autochtones du pays
seraient gravement affectés
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a entamé, cet après-midi, l'examen du rapport périodique de la Côte d'Ivoire sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le Comité a également adopté une décision sur le Suriname dans laquelle, notant que ce pays n'a jamais présenté de rapport, et devant les informations selon lesquelles les droits des communautés autochtones seraient gravement affectés dans ce pays, il prie le Suriname de lui présenter d'urgence un rapport concernant toutes les informations utiles à ce sujet, et ce, avant le 30 juin 2003, de façon à ce qu'il puisse être examiné lors de sa session d'août 2003.
Présentant le rapport de la Côte d'Ivoire, Mme Victorine Wodié, Ministre ivoirienne déléguée aux droits de l'homme, a déclaré que depuis le 19 septembre 2002, «une sale guerre dont les Ivoiriens ne parviennent toujours pas à fixer les mobiles véritables est en passe d'anéantir les efforts qui viennent d'être décrits». La crise sociopolitique que vit le pays a produit des effets néfastes sur l'appareil judiciaire ivoirien qui ne fonctionne plus que dans les zones sous contrôle gouvernemental, a-t-elle indiqué. «Mon pays, tout en souhaitant une issue heureuse à la crise entre les États-Unis et l'Iraq, voudrait qu'un intérêt plus soutenu soit accordé à la grave crise humanitaire que connaît la Côte d'Ivoire», a-t-elle dit.
La délégation ivoirienne est également composée, entre autres, du Représentant permanent de la Côte d'Ivoire auprès des Nations Unies à Genève, M. Claude Béké Dassys, ainsi que de représentants du Ministère des relations extérieures et des Ivoiriens de l'étranger; du Ministère délégué aux droits de l'homme; du Ministère de l'intérieur et de la décentralisation; du Ministère délégué chargé de la défense et de la protection civile; du Ministère du travail, de la fonction publique et de la réforme administrative; du Ministère délégué chargé de la lutte contre le sida; de la Mission permanente de la Côte d'Ivoire auprès des Nations Unies à Genève.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport ivoirien, M. Mohamed Aly Thiam, a souligné que la Côte d'Ivoire vit et subit une crise caractérisée par l'ampleur d'actes haineux et xénophobes qui ont donné lieu à des exactions contre les segments les plus vulnérables des populations ivoiriennes. Il apparaît que la manipulation des questions relatives à la nationalité et à la domanialité sont au cœur des crises qui bouleversent la Côte d'Ivoire, a-t-il poursuivi. L'impossibiité pour le nouveau Premier Ministre Diara, issu des Accords de Marcoussis, de composer un gouvernement de réconciliation est indicatif de l'impasse dans laquelle se trouve la crise ivoirienne, a déclaré M. Thiam. Les brutalités et la violence meurtrière ont atteint une telle amplitude que des milliers d'Ivoiriens, fuyant les exactions, se sont réfugiés dans les pays voisins, a ajouté M. Thiam tout en soulignant que le risque de famine est quasiment inéluctable.
Les membres suivants du Comité sont également intervenus: MM. Luis Valencia Rodríguez, Régis de Gouttes, Ion Diaconu et Nourredine Amir.
En fin de séance, le Comité a entendu plusieurs de ses membres s'exprimer sur les questions ayant trait aux travaux du Groupe de travail intergouvernemental sur le suivi de la Conférence de Durban. Il a été rappelé aux experts que ce Groupe de travail a pour mandat de faire des recommandations en vue de mettre en œuvre efficacement le Programme d'action et la Déclaration de Durban et de préparer des normes internationales complémentaires afin de renforcer et de mettre en œuvre les instruments internationaux de lutte contre le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie. Ont pris la parole dans le cadre de cette discussion: MM Mario Jorge Yutzis, Alexandre Sicilianos, Raghavan Vasudevan Pillai, Régis de Gouttes, Ion Diaconu, ainsi que Mme Patricia Nozipho January-Bardill et MM. Yuri A.Reshetov, Kurt Herndl, Jose A.Lindgren Alves, Patrick Thornberry. M. de Gouttes a en outre présenté le projet de décision du Comité sur le Suriname.
Le Comité poursuivra demain matin, à 10 heures, l'examen du rapport de la Côte d'Ivoire en entendant les réponses apportées par la délégation aux questions posées cet après-midi par les experts.
Présentation du rapport de la Côte d'Ivoire
Présentant le rapport de son pays, MME VICTORINE WODIÉ, Ministre déléguée chargée des droits de l'homme, a indiqué que la Côte d'Ivoire, qui n'entend pas se dérober à ses engagements internationaux, l'a chargée d'effectuer le déplacement à Genève pour répondre à la convocation du Comité, malgré la crise militaro-politique que traverse le pays. Le long silence de la Côte d'Ivoire (le présent rapport couvre la période allant de 1982 à 2001) s'explique par le fait qu'il n'existait pas une structure technique chargée de la rédaction des rapports, a-t-elle indiqué. Or, à ce jour, le problème est réglé puisqu'un comité interministériel chargé de la rédaction des rapports a été constitué et le Ministère délégué aux droits de l'homme, créé en août 2002, s'attèle à cette tâche.
Mme Wodié a souligné que le dernier recensement général de la population de la Côte d'Ivoire (1998) met en évidence la multi-ethnicité de cette population de 16 millions dont 26% d'étrangers. La mort du Président Félix Houphouët Boigny en 1993 et les difficultés d'une transition en douceur au sommet de l'État ont révélé la fragilité du miracle ivoirien, a fait observer la Ministre déléguée. C'est ce que nous a confirmé le premier coup d'État militaire qu'a connu le pays en décembre 1999, à la tête duquel se trouvait le général Robert Guei. Malgré tout, ce dernier a pris l'initiative de soumettre au peuple une nouvelle Constitution qui a été votée à 86% des suffrages exprimés, à l'appel unanime de tous les partis politiques. C'est cette loi fondamentale qui rythme désormais la vie politique ivoirienne, a rappelé Mme Wodié.
L'avènement de la deuxième république avec l'arrivée au pouvoir du Président Laurent Gbagbo le 26 octobre 2000, a sans doute constitué pour l'Ivoirien moyen un nouveau printemps, a déclaré la Ministre déléguée. Grâce à une gestion subtile du processus politique, qui a permis de constituer un large Gouvernement d'ouverture, et grâce à une reprise en main vigoureuse des finances publiques, la Côte d'Ivoire paraissait avoir pris véritablement un réel nouveau départ. Malheureusement, et ce depuis le 19 septembre 2002, «une sale guerre dont les Ivoiriens ne parviennent toujours pas à fixer les mobiles véritables est en passe d'anéantir les efforts qui viennent d'être décrits», a déclaré Mme Wodié.
Mme Wodié a rappelé que le système judiciaire ivoirien est moniste. L'un des principes essentiels de la justice ivoirienne est celui du double degré de juridiction qui permet au justiciable non satisfait des décisions rendues à son encontre en première instance de saisir une juridiction supérieure à celle qui a rendu la décision critiquée. «La crise sociopolitique que vit la Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre dernier a également produit des effets néfastes sur l'appareil judiciaire ivoirien qui ne fonctionne plus que dans les zones sous contrôle gouvernemental», a indiqué la Ministre déléguée.
Dans la Constitution actuellement en vigueur, celle du 1er août 2000, 22 articles au total sont consacrés aux seules questions de droits humains et de libertés publiques, a par ailleurs souligné Mme Wodié. Elle a rappelé que l'article 2 de la loi fondamentale consacre la condamnation de toute forme de discrimination raciale en énonçant le principe du caractère sacré des êtres humains et leur égale dignité. Cette égalité concerne l'accès à la santé, à l'éducation, à la culture, à la formation professionnelle et à l'emploi, a-t-elle précisé. La création récente du Ministère délégué aux droits de l'homme participe de cette volonté de veiller au respect des droits de l'homme pour tous, notamment par la protection des plus faibles et des populations vulnérables, a-t-elle ajouté. Elle a souligné que l'action majeure, en raison de la précarité des conditions de vie des populations africaines, reste la création de l'Assurance maladie universelle qui permet l'accès facile et dans des conditions d'égalité aux soins de santé pour tous ceux qui résident en Côte d'Ivoire, Ivoiriens comme non-Ivoiriens.
En Côte d'Ivoire, a poursuivi Mme Wodié, 63,6% de la population ne sait ni lire ni écrire. L'importance de ce chiffre a conduit l'État à mobiliser plus de 40% de son budget de fonctionnement à l'éducation et à l'instruction. Son action concerne non seulement toutes les populations résidant habituellement en Côte d'Ivoire mais également les élèves et étudiants réfugiés, notamment Libériens qui, avant la crise militaro-politique que connaît le pays étaient au nombre de 78 177. La situation de crise actuelle a occasionné un déplacement important de populations du Nord sous contrôle des mouvements rebelles au Sud dans la zone sous contrôle gouvernemental, a indiqué la Ministre déléguée. Pour ces populations, le Gouvernement a organisé une nouvelle rentrée scolaire à partir du 6 juin 2003, qui a nécessité la mobilisation de plus de 6 milliards de francs CFA.
Mme Wodié a attiré l'attention du Comité sur le drame réel que vivent les populations de la Côte d'Ivoire où la détresse immense. Le Coordonnateur pour les actions humanitaires en Afrique de l'Ouest a stigmatisé à juste raison le peu d'intérêt accordé au drame des populations déplacées (800 000) abandonnées à elles-mêmes au moment où, avant même la probable guerre en Iraq, le communauté internationale se préoccupe davantage du sort des futures victimes de cet affrontement non encore engagé. «Mon pays, tout en souhaitant une issue heureuse à la crise entre les États-Unis et l'Iraq, voudrait qu'un intérêt plus soutenu soit accordé à la grave crise humanitaire que connaît la Côte d'Ivoire», a déclaré Mme Wodié.
Depuis quelques mois, a poursuivi la Ministre déléguée, on entend partout dans le monde dire que la Côte d'Ivoire est un pays xénophobe et raciste où règne la discrimination ethnique et religieuse. À l'appui de ces critiques récurrentes, a-t-elle rappelé, l'on évoque tour à tour la politique d'identification engagée par le gouvernement qui viserait à catégoriser la population ivoirienne; le charnier de Yopougon découvert en octobre 2000; des querelles ethniques et religieuses; les exécutions de populations musulmanes originaires du Nord du pays ou de l'Afrique de l'Ouest; les escadrons de la mort, dont une mission d'établissement des faits de l'ONU dépêchée en Côte d'Ivoire en décembre dernier a attribué la paternité à l'entourage du Chef de l'État et de son épouse. «La délégation que je conduis n'entend pas se dérober face à ces accusations d'une extrême gravité et se tient à votre entière disposition», a assuré la Ministre déléguée. Elle a ajouté que le Gouvernement ivoirien, qui n'a rien à cacher, apporte régulièrement la preuve du caractère diffamatoire des allégations susmentionnées.
Mme Wodié a rappelé que la Côte d'Ivoire, qui s'est vu attribuer le prix de l'OUA en 1999, à Alger, pour la qualité de l'accueil des réfugiés logés chez l'habitant, compte au Nord, considéré comme exclusivement de confession musulmane, aussi bien des mosquées que des églises, alors qu'au Sud, les temples et les églises coexistent avec des mosquées. La Ministre déléguée a par ailleurs expliqué que la politique d'identification avait pour seul objectif de procéder à un recensement fiable de l'ensemble de la population à l'effet d'apprécier les besoins en matière de santé, d'éducation, d'investissement pour mieux sécuriser les personnes et les biens.
La violente guerre qui a été imposée à mon pays a exposé les populations dans les zones occupées à de graves exactions et exécutions sommaires qui ont été volontairement occultées par les médias étrangers, a déclaré Mme Wodié qui a précisé qu'elle avait introduit le 5 novembre 2002 une requête officielle du Gouvernement auprès du Secrétaire général des Nations Unies à l'effet de dépêcher d'urgence une mission d'enquête sur l'ensemble du territoire pour constater ces graves violations. «Le Gouvernement de la Côte d'Ivoire, qui vient seulement de recevoir une suite favorable à sa demande du 5 novembre 2002, attend l'arrivée de cette mission», a-t-elle indiqué. Elle a précisé que la mission d'établissement des faits qui a séjourné dans son pays du 24 au 29 décembre 2002 a produit un rapport dont les conclusions ont été fermement contestées par le Gouvernement ivoirien et qui contient, en bien des points, des informations et accusations erronées et sans fondement.
Mme Wodié a indiqué que le 27 novembre 2002, la Côte d'Ivoire, qui a adhéré à l'Organisation internationale des migrations en juin 2000, a signé un accord de siège avec cette organisation à Abidjan. Parallèlement, est envisagée la création d'un observatoire des migrations internationales. Par ces actes, a assuré la Ministre déléguée aux droits de l'homme, la Côte d'Ivoire entend accorder une attention toute particulière à la situation des migrants.
La condition pour une perspective meilleure en matière de droits de l'homme en Côte d'Ivoire est sans aucun doute le rétablissement de la paix auquel le Gouvernement s'attèle malgré la situation de légitime défense dans laquelle il se trouve, a déclaré Mme Wodié. La fin de la guerre va permettre d'exécuter le Plan d'action national des droits de l'homme validé le 29 mai 2002 en mettant notamment l'accent sur l'organisation d'une session annuelle du Parlement sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire; la lutte pour la réduction de la pauvreté et pour l'emploi; et l'harmonisation de la législation nationale avec les dispositions des traités internationaux et régionaux de droits de l'homme auxquels le pays est partie. La réunion d'Accra de la semaine écoulée a ouvert la voie à la constitution d'un gouvernement équilibré destiné à œuvrer efficacement au retour à la paix en Côte d'Ivoire, a conclu Mme Wodié.
Les cinquième à quatorzième rapports périodiques de la Côte d'Ivoire, réunis en un seul document (CERD/C/382/Add.2), soulignent que la Côte d'Ivoire est un pays multiethnique et de forte immigration qui comptait 15 366 672 en 1998. Sa population autochtone (74% de la population totale) se répartit en 66 ethnies, issues des quatre grands groupes que sont les Akans, les Mandés, les Gur et les Krou. La population d'origine étrangère se chiffrait en 1998 à 26% de la population totale. Elle provient généralement des pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) (95%) et principalement des États frontaliers de la Côte d'Ivoire (86, 8%), que sont le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, le Ghana et le Libéria. Les Burkinabè représentent à eux seuls 56% de la population étrangère (soit environ 15% de la population totale du pays). Il est important de noter que 47% de cette population étrangère n'est pas en réalité composée d'immigrants, mais de personnes nées en Côte d'Ivoire de parents immigrés, précise le rapport. Le pays connaît une grande diversité religieuse : musulmans (38, 6%), catholiques (19, 4%), animistes (11, 9%), protestants (6, 6%) et autres mouvements spirituels.
Le rapport souligne que dans le préambule de la Constitution d'août 2000, le peuple de Côte d'Ivoire déclare avoir la conscience de sa diversité aussi bien ethnique que culturelle et religieuse et énonce son désir de bâtir une nation unie. La Constitution interdit les partis ou groupements politiques créés sur des bases régionales, confessionnelles, tribales, ethniques ou raciales. Le rapport précise par ailleurs que le Code pénal prévoit et punit tous les actes ayant pour dessein la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, confessionnel ou politique. Il réprime la diffamation, les injures ou menaces envers un groupe de personnes qui appartiennent par leur origine à une race, à une ethnie ou à une religion déterminée; le refus à une personne de l'accès soit de lieux ouverts au public, soit à un emploi, soit à un logement en invoquant uniquement sa race, son ethnie ou sa religion; les atteintes à l'intégrité physique d'une personne, notamment au moyen de scarification, tatouage indélébile, limage de dents ou par tout autre procédé de nature à caractériser son appartenance à une ethnie ou à un groupement humain déterminé. En outre, le Code du travail spécifie que «..aucun employeur ne peut prendre en considération le sexe, l'âge, l'ascendance nationale, la race, la religion, l'opinion politique ou religieuse … pour arrêter ses décisions en ce qui concerne, notamment, l'embauche, la conduite et la répartition du travail..». Au niveau ethnique, poursuit le rapport, le groupe krou a le plus faible taux d'analphabétisme (37, 7%), suivi par les Akans (50, 6%), les Mandé du Sud (57, 7%), les Mandé du Nord (69, 6%) et les Gurs (75, 5%). Le rapport affirme néanmoins que le système éducatif ivoirien est fondé sur le principe cardinal de l'égalité de tous quant à l'accès à l'éducation.
Examen du rapport
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport ivoirien, M. Mohamed Aly Thiam, a souligné que la Côte d'Ivoire vit et subit une crise caractérisée par l'ampleur d'actes haineux et xénophobes qui ont donné lieu à des exactions contre les segments les plus vulnérables des populations ivoiriennes. Un certain nombre de facteurs découlant de cette situation peuvent entraver les efforts déployés par l'État pour appliquer la Convention, a fait observer l'expert. Il a rappelé qu'actuellement, une faction de la rébellion contrôle le Nord, une seconde faction l'Ouest et, entre les deux, le Gouvernement administre le Centre et le Sud. Cette situation rend malaisé un examen purement technique des informations contenues dans le rapport soumis à l'examen du Comité, a estimé M. Thiam. Il a dit que l'actuel Gouvernement de Laurent Gbagbo est arrivé aux commandes de l'État alors que le pays était déjà en proie à des troubles résultant de l'élection présidentielle. L'émergence du multipartisme après trois décennies des partis uniques n'a pas permis de réaliser une transition pacifique vers la démocratie pluraliste, a-t-il poursuivi. La survivance de la personnalisation des relations de pouvoir au détriment de son institutionnalisation a affecté les règles de coexistence. La forte personnalisation de la course à la magistrature a conduit à bâtir des stratégies ethno-religieuses qui ont abouti à une réglementation de la nationalité fondée sur l'exclusion. Le résultat de la manipulation de la question de la nationalité corrompt le concept d'ivoirité qui découle de la considération par certains qu'il est naturel qu'un pays définisse les conditions d'octroi de sa citoyenneté, a affirmé M. Thiam. L'opposition des autres à l'exploitation de ce concept serait l'une des causes les plus importantes de la crise qui secoue actuellement le pays, a-t-il ajouté. Il a fait observer que selon l'auteur du concept d'ivoirité, M. Konan Bédié, ce concept n'est pas inhérent à la citoyenneté ivoirienne mais à des considérations socio-culturelles identitaires marquant l'appartenance à une communauté qui se situe géographiquement sur le territoire ivoirien.
M. Thiam a souligné que si la nouvelle Constitution adoptée en 2002 marque une avancée remarquable par rapport à celle de 1961, en ce sens notamment qu'elle proclame le multipartisme, garantit la séparation des pouvoirs, abolit la peine de mort et fait une grande place à la promotion et au respect des droits de l'homme, elle provoque également de nombreux ressentiments, en particulier du fait de son article 35 qui subordonne l'éligibilité à la présidence de la République ainsi qu'à la présidence et à la vice-présidence de l'Assemblée nationale, à la condition que le candidat soit issu de père et de mère tous deux Ivoiriens de souche. Ce fait n'est cependant pas spécifique à la Côte d'Ivoire, a souligné M. Thiam.
Les questions domaniales rurales sont, elles aussi, à l'origine de litiges entre les Ivoiriens eux-mêmes et entre les Ivoiriens et les étrangers, a poursuivi M. Thiam. À cet égard, la juxtaposition d'un droit coutumier et d'un droit moderne est à l'origine de la complexité du problème, a-t-il souligné. Il a rappelé que la nouvelle loi en la matière pose notamment le principe selon lequel seules les personnes ayant la nationalité ivoirienne ne peuvent désormais acquérir, céder et transmettre la propriété domaniale rurale. Par ailleurs, la loi sur le droit foncier ne permet pas aux non-Ivoiriens de transmettre leurs biens immeubles à leur descendance; ils ne peuvent que les revendre avant que ceux-ci ne tombent dans le domaine public de l'État. Il apparaît donc que la manipulation des questions relatives à la nationalité et à la domanialité sont au cœur des crises qui bouleversent la Côte d'Ivoire, a insisté M. Thiam. Il a rappelé que l'introduction de l'exigence de la carte de séjour pour les étrangers en 1990, pour des besoins d'identification, d'investissement et de recettes fiscales, a été le point de départ de l'émergence et de l'accentuation de la différence entre les Ivoiriens et les étrangers.
L'impossiblité pour le nouveau Premier Ministre Diara, issu de l'Accord de Marcoussis, de composer un gouvernement de réconciliation est indicatif de l'impasse dans laquelle se trouve la crise ivoirienne, a poursuivi M. Thiam. Les brutalités et la violence meurtrière ont atteint une telle amplitude que des milliers d'Ivoiriens, fuyant les exactions, ont pris le chemin de l'exil et se sont constitués réfugiés dans les pays voisins, a-t-il fait observer. Il a également souligné que, dans la mesure où la situation de guerre a empêché ou ralenti les activités agricoles (desquelles le pays tire 90% de ses recettes d'exportation), le risque de famine est quasiment inéluctable.
M. Thiam a souligné que de nombreuses allégations portant sur des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des tortures et des traitements inhumains et dégradants sont signalées par de nombreuses sources. Ces actes sont perpétrés de manière ciblée contre des groupes particuliers, soit en raison de leur appartenance ethnique, soit en raison de leur confession religieuse, a-t-il précisé. Le problème est que chaque composante politique ou sociale rejette sur les autres la responsabilité des atrocités commises, a-t-il ajouté. Il est effarant de constater que certaines tortures seraient perpétrées par la population civile sur fond d'incitation à la haine ethnique et à la xénophobie. La question est aujourd'hui: quand et comment arrêter cette spirale de destruction, de viols, de pillages, de profanation et de génocide dont l'existence de charniers prouve l'horrible réalité? À ce stade, il convient en outre de savoir quelles sont les mesures concrètes entreprises par le Gouvernement ivoirien pour donner vie, corps et vigueur aux accords de Marcoussis qui ont jeté les fondements de la réconciliation et de l'unité nationale, a souligné M. Thiam. Quelles nouvelles mesures sont envisagées pour empêcher que des organes de presse et des partis ne propagent la haine ethnique et la xénophobie et n'incitent à des actes de violence, s'est-il interrogé, soulignant par ailleurs que la FIDH a dénoncé la dérive xénophobe à laquelle certains organes de presse ont cédé? Attirant l'attention sur la situation humanitaire, M. Thiam a par ailleurs rappelé que 600 000 personnes seraient déplacées dans le pays dont 300 000 auraient fui Bouaké et 70 000 Daloa.
Il serait intéressant d'entendre la délégation sur l'existence des charniers en Côte d'Ivoire, a affirmé l'expert, précisant que les informations de diverses sources donnent la description d'un génocide ciblé visant des groupes précis. Selon de nombreuses sources, a poursuivi M. Thiam, la mutinerie qui a éclaté le 19 septembre 2002 résulterait de l'inégalité de développement entre le Nord des mosquées et de la pauvreté et le Sud des églises et de la prospérité. Si de telles allégations sont avérées, la délégation peut-elle donner des informations sur les mesures correctives figurant dans les politiques et programmes du Gouvernement, a demandé M. Thiam?
M. Thiam a d'autre part relevé que malgré les informations fournies sur les textes constitutionnels et législatifs interdisant la discrimination raciale, aucun exemple sur l'application pratique de ces textes n'est fourni, ni sur la possibilité d'invoquer directement la Convention devant les tribunaux nationaux.
Plusieurs membres du Comité ont souligné que dans le contexte de crise profonde et d'affrontement armé que vient de connaître la Côte d'Ivoire, la présence d'une délégation de haut niveau représente indiscutablement un geste et un signal importants pour le Comité comme pour l'ensemble du système des droits de l'homme des Nations Unies.
Selon les informations circulant dans la presse, a fait observer un expert, l'Accord d'Accra prévoirait que le Gouvernement soit constitué le 14 mars prochain, un compromis ayant apparemment été trouvé s'agissant de la répartition des ministères contestés, grâce à la constitution d'un conseil national de sécurité. Selon le rapport présenté par le Haut Commissaire adjoint aux droits de l'homme, M. Bertrand Ramcharan, le conflit en Côte d'Ivoire serait essentiellement politique et non pas à caractère ethnique, a également souligné cet expert. Il s'est en outre enquis des éventuels textes législatifs relatifs à l'interdiction des organisations ou groupes incitant à la haine raciale.
Relevant que la Côte d'Ivoire avait vécu quarante ans sans conflit, un autre membre du Comité s'est demandé ce qui avait bien pu se passer pour que le pays en arrive là où il est aujourd'hui, d'autant plus que les lois qui semblent avoir agi comme catalyseur du mécontement (loi sur la nationalité, par exemple), se retrouvent dans les législations de nombreux autres pays à travers le monde.
Décision sur le Suriname
Dans sa décision sur le Suriname, le Comité note que la République du Suriname, qui a ratifié en 1985 la Convention, n'a jusqu'à présent jamais présenté de rapport devant le Comité. Or, selon les informations qui résultent de l'examen de la situation du Suriname par le Comité des droits de l'homme en octobre 2002, ainsi que d'un rapport transmis au CERD le 18 décembre 2002 par un groupe d'organisations non gouvernementales représentant les populations indigènes et tribales, les droits des communautés autochtones, notamment les Marrons et les Amérindiens, seraient gravement affectés au Suriname: outre les discriminations dont seraient victimes ces communautés, dans les domaines de l'emploi, de l'enseignement, de la culture, de la participation à tous les secteurs de la société, il est fait état surtout de l'absence de reconnaissance légale de leurs droits à la terre et à ses ressources, du refus de consulter ces communautés au sujet des concessions d'exploitation forestière et minière accordées à des sociétés étrangères et des menaces que feraient peser sur leur santé et sur l'environnement les activités des compagnies minières, en particulier par les déversements de mercure.
Considérant que ces problèmes rencontrés par les communautés autochtones appellent une attention immédiate, le Comité prie l'État partie de lui présenter d'urgence un rapport concernant toutes les informations utiles à ce sujet, et ce, avant le 30 juin 2003, de façon à ce qu'il puisse être examiné lors de la 63ème session du Comité, en août 2003. Le Comité décide que, dans l'éventualité où aucun rapport ne serait reçu avant la date susmentionnée, il examinera la situation au Suriname au titre de sa procédure de révision, lors de sa 63ème session, en août 2003.
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