Skip to main content

Communiqués de presse Procédures spéciales

Mission au Cameroun du Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, M. Olivier De Schutter (16-23 juillet 2012) Conclusions préliminaires

23 juillet 2012

23 juillet 2012
Yaoundé

I. Introduction

Le Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation a effectué une visite officielle au Cameroun du 16 au 23 juillet 2012, à l'invitation du Gouvernement. Il a pu rencontrer au cours de la mission plusieurs membres du Gouvernement, y compris le vice-premier Ministre et Ministre de la Justice, le Ministre de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du Territoire, la Ministre des Affaires Sociales, le Ministre des Finances, le Ministre du Commerce, le Ministre de la Santé Publique, la Ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille, le Ministre de la Forêt et de la Faune, le Ministre du Travail et de la Sécurité Sociale, et le Ministre de l'Elevage, des Pêches et des Industries Animales. Il a également eu des entretiens de haut niveau au Ministère des relations extérieures, où il a été reçu par le Ministre délégué, au Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières, au Ministère de la Recherche Scientifique et de l'Innovation, et au Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural, où il a été reçu par la Ministre déléguée au développement rural. Il a eu des entretiens avec plusieurs députés de l'Assemblée nationale, y compris son président et le président de la Commission des lois constitutionnelles. Il a tenu une réunion de travail avec l'Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD). Il a rencontré aussi le président et des membres de la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés.

Afin de compléter son information, le Rapporteur spécial a également effectué plusieurs visites de terrain. Il a visité les prisons principale et centrale de Yaoundé. Il s'est déplacé dans la région de l'Extrême Nord, à Maroua et Kousseri, ainsi que dans plusieurs localités avoisinantes ; et dans la région du Sud, où il s'est rendu à Kribi et sur des plantations voisines. Il a également réuni quatre tables rondes avec des organisations de la société civile, dans la capitale et à Maroua, rencontrant au total les représentants de près de quarante organisations non gouvernementales. Enfin, il a eu plusieurs échanges avec les agences des Nations Unies présentes dans le pays.

Le Rapporteur spécial remercie l'ensemble des acteurs qui ont facilité la mission. Il a bénéficié d'une coopération très efficace de la part du Ministère des Relations Extérieures, et d'une excellente collaboration de la part du Centre pour les droits de l'homme et la démocratie en Afrique centrale. Il est également reconnaissant au directeur des opérations du Programme alimentaire mondial au Cameroun et Coordonnateur Résident du Système des Nations Unies au Cameroun.

Le Rapporteur spécial expose ici les observations préliminaires qu'il croit être en mesure de proposer au terme de sa mission. La mission donnera lieu à un rapport présenté au Conseil des Droits de l'Homme à sa vingt-deuxième session, en mars 2013.

II. Situation de l'insécurité alimentaire

1. Situation générale
En dépit de l'adoption d'une série de mesures visant à la réduction de la pauvreté, le Cameroun a fait peu de progrès vers l'élimination de la pauvreté et la faim au cours des dix dernières années. La proportion de la population qui vit en-dessous du seuil de pauvreté est restée quasiment stable (autour de 40 %) depuis 2001; l'insécurité alimentaire n'a que faiblement diminué.  

Ce constat général masque des disparités importantes. Dans l'ensemble du pays, les personnes dans les zones rurales sont plus vulnérables à l'insécurité alimentaire que celles qui vivent dans les centres urbains: 9,6 % des ménages ruraux, comparés à 6,7 % dans les zones urbaines, n'ont pas accès à une nourriture suffisante en raison de la pauvreté et de leur incapacité à produire assez de nourriture pour leur propre consommation.

Les données statistiques sur la malnutrition présentent un tableau similaire. Environ 33 % des enfants souffre de malnutrition chronique, ce qui entrave gravement leur croissance et leur développement. La situation est particulièrement grave dans les zones rurales, comme en témoigne l'indice d’insuffisance pondérale chez les enfants, affectant 20 % en milieu rural contre 7 % en milieu urbain. Des disparités fortes existent également entre les régions. L'insécurité alimentaire va de 17,9 et 15,4 % dans les régions de l'Extrême Nord et du Nord à 0,7 et 2,0 % dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.

2. La situation dans les régions du Nord (Amadoua, Nord et Extrême-Nord)
Le haut niveau de l'insécurité alimentaire dans les régions du Grand Nord, qui couvre la zone agro écologique soudano-sahélienne, est lié à des conditions climatiques et aux aléas climatiques récurrents, y compris des inondations en 2010 et des sécheresses en 2009 et 2011. Selon une évaluation de la sécurité alimentaire effectuée en 2011, 81 pour cent des ménages ruraux dans la région du Grand Nord, où résident 30 pour cent des Camerounais, sont dans une situation d'insécurité alimentaire. Au moment de la visite du Rapporteur spécial, le gouvernement avait déclaré une situation d'urgence dans la région de l'Extrême-Nord, et un appel à l'aide internationale avait été lancé. Une unité d'alerte précoce (National Early Warning Unit) avait été créée au sein du ministère de l'Agriculture et d'autres structures de gouvernement pour coordonner la réponse aux situations d'urgence alimentaire récurrente.

Le Rapporteur spécial salue ces initiatives. Mais lors de sa rencontré à Maroua avec des membres du « cluster » humanitaire, réunissant des représentants du gouvernement et des organisations des Nations Unies, alors qu'ils étaient en train de mettre en place l'opération humanitaire pour aider les ménages dans les zones affectés par la sécheresse, il a été frappé par la capacité limitée de ces structures et des faibles ressources dont elles disposent pour faire face à la crise humanitaire. Il rappelle également que des interventions en amont, visant à renforcer la capacité de production locale et à préparer la population à faire face aux impacts des chocs climatiques, sont à la fois plus efficaces et moins coûteuses que des interventions entamées une fois que la crise se déroule. Il appelle les partenaires du Cameroun à en tirer les conséquences s'agissant des modalités de déclenchement de leur réponse aux appels à la communauté internationale.

3. Groupes marginalisés ou vulnérables

a) Le droit à l'alimentation des détenus
Lors de sa visite des prisons principale et centrale de Yaoundé, le Rapporteur spécial a pu évaluer la situation du droit à l'alimentation des détenus. Les détenus hommes ont droit à une seule ration quotidienne, généralement composée de fufu, de maïs, de mil, ou de riz, et comprenant parfois des légumes verts et occasionnellement du poisson ou de la viande. Une partie des détenus, estimée à environ un tiers dans la prison centrale de Yaoundé, reçoivent des visites de la part des membres de leurs familles, qui apportent des vivres supplémentaires ; et afin de faciliter cela, l'administration pénitentiaire veille dans toute la mesure du possible à ce que les détenus soient incarcérés à proximité de leur région d'origine.

Le Rapporteur spécial estime que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Lorsqu'un Etat décide de priver une personne de sa liberté, il s'engage à la traiter avec humanité et à lui garantir des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine et n'aboutissant pas à des traitements inhumains ou dégradants. Ceci implique notamment qu'il doit lui fournir une nourriture suffisante et adéquate, sans que la possibilité pour le détenu de s'alimenter adéquatement puisse devoir dépendre des contributions que les membres de la famille du détenu peuvent faire de l'extérieur. Il doit en outre être tenu compte des besoins particuliers des femmes enceintes et allaitantes.

L'argument d'une insuffisance des ressources budgétaires disponibles ne saurait être retenu. A l'occasion précisément d'une décision concernant le Cameroun, le Comité des Droits de l'Homme a rappelé que l'article 20 de l' Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus doit toujours être observé, « même si des considérations économiques ou budgétaires peuvent rendre ces obligations difficiles à respecter ». Le Rapporteur spécial appelle par conséquent à une amélioration immédiate des conditions d'alimentation des détenus, et à l'adoption de mesures, dans l'ensemble de la chaîne pénale allant des autorités de poursuite aux autorités judiciaires, visant à limiter le recours à la détention préventive.

b) Populations autochtones
Les communautés autochtones du Cameroun comprennent les peuples autochtones des forêts ou "Pygmées" vivant de chasse, de pêche et de cueillette (les Bagyeli ou Bakola, Baka et Bedzan); les pasteurs nomades Mbororo (les Wodaabe, Jafun, et Galegi); et les communautés de montagne Kirdi. Au total, les Pygmées sont estimés à entre 30-50.000, ce qui représente environ 0,25 % de la population totale. Le Mbororo constituent un groupe plus important, environ 1,85 million de personnes (environ 9 % de la population totale).

Plusieurs études démontrent que les communautés autochtones du Cameroun sont particulièrement menacées dans la jouissance de leur droit à une nourriture suffisante. Le Rapporteur spécial se félicite des divers efforts visant à combattre la discrimination rencontrée par les peuples autochtones et accordant une attention particulière à ces groupes dans les politiques publiques. Il encourage le gouvernement à renforcer ces efforts en offrant une reconnaissance spécifique à ces groupes autochtones, conformément au droit international. En particulier, il encourage le Gouvernement à s'assurer que le projet de loi sur les populations marginales actuellement en cours d'élaboration intègre la définition des peuples autochtones, telle qu’adoptée dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Les populations autochtones bénéficient d'une protection spécifique en droit international. Selon la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, ceux-ci « ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires. Aucune réinstallation ne peut avoir lieu sans le consentement préalable - donné librement et en connaissance de cause - des peuples autochtones concernés et un accord sur une indemnisation juste et équitable et, lorsque cela est possible, la faculté de retour » (article 10). En outre, les États doivent prendre « des mesures efficaces pour protéger ce droit et faire en sorte que les peuples autochtones puissent comprendre et être compris dans les procédures politiques, juridiques et administratives, en fournissant, si nécessaire, des services d'interprétation ou d'autres moyens appropriés » (article 13).

Les Pygmées assurent leur subsistance grâce à la chasse et à la cueillette, ainsi qu'à l'utilisation de produits forestiers non ligneux (miel, ignames sauvages, chenilles, fruits, escargots, etc.). Ils dépendent ainsi directement de l'accès aux forêts pour leur alimentation, et la forêt fait partie intégrante de leur identité culturelle. Or, ses rencontres avec différents groupes de pygmées conduisent le Rapporteur spécial à conclure que, jusqu'à présent, l'avis de ces communautés n'est pas pris en compte dans les décisions portant sur les concessions des territoires dont ils dépendent pour leur subsistance. En outre, ces groupes ne tirent généralement aucun bénéfice de l’exploitation forestière industrielle sur leur territoires.

Sans des mesures appropriées afin de protéger leur droits, les projets de développement, tels que des exploitations forestières et des plantations à large échelle, loin d'améliorer leur situation, vont encore accroître leur marginalisation. Ainsi notamment, dans l'organisation de la protection des usagers de la terre, il convient de prendre en compte le fait que les Pygmées sont des peuples ayant une existence mobile et ne pratiquant pas l'agriculture, ce qui ne leur permet pas d'apporter la preuve de ce qu'ils « exploitent » une zone déterminée ; et dans l'organisation de la répartition des redevances forestières, il faut tenir compte de ce que les communautés bantu sédentaires ne représentent pas les intérêts de toutes les communautés riveraines que l'exploitation peut affecter : les intérêts des Pygmées méritent, et exigent, une représentation spécifique.

III. Cadre juridique

Adoptée dans sa version actuelle en 1996 et modifiée pour la dernière fois en 2008, la Constitution du

Cameroun fait référence, dans son Préambule, au droit au développement et à l'engagement de mettre en valeur les ressources naturelles du pays afin d'améliorer le bien-être de tous les citoyens sans discrimination. Elle reconnaît le droit de tout individu à un niveau de vie adéquat, notamment afin de permettre l'accès à une nourriture suffisante (art. 25). Elle affirme également la primauté des traités internationaux en vigueur à l'égard du Cameroun sur la législation nationale (art. 45).

Ces dispositions doivent en principe permettre aux juridictions camerounaises de garantir le droit à l'alimentation. Le Rapporteur spécial rappelle à cet égard que la réalisation du droit à l'alimentation repose sur la garantie des droits qui permettent d'en réclamer le respect, y compris les libertés d'expression et de réunion pacifique, ainsi que le droit d'accès à une justice indépendante et impartiale. Il exprime sa préoccupation au regard de certains épisodes qui sont de nature à dissuader les défenseurs du droit à l'alimentation de développer leurs activités, et de faire appel à la protection des juridictions. Il a évoqué ces épisodes avec les autorités, et il poursuivra le dialogue avec elles sur les cas portés à sa connaissance.

IV. Les composantes du droit à l'alimentation

La crise économique qui a débuté en 1987, à la fin de la période du boom pétrolier (1978-1986) et dans un contexte de déclin des prix internationaux des principaux produits d’exportation du pays, a durablement nuit à la réalisation du droit à l'alimentation au Cameroun. La poursuite de la crise a contraint le pays à s’engager à partir de 1988 dans une série de programmes d’ajustement structurels qui, bien que donnant une priorité à la croissance économique et au rétablissement des équilibres macro-économiques, ont réduit la capacité des pouvoirs publics à intervenir tant dans le développement agricole et rural que dans les domaines sociaux. L’ajustement a notamment mené à la privatisation de grandes entreprises publiques dans le domaine agro-alimentaire. En outre, l'entrée en vigueur en 1995 de l’Accord sur l’Agriculture issu du Cycle de l’Uruguay a entraîné une réduction substantielle de l’accès préférentiel pour les produits exportés en Europe.

Dans ce contexte, les efforts entrepris dans le cadre du Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP, 2003-2007) ne pouvaient que décevoir, compte tenu du ‘désengagement quasi total de l’Etat du monde rural’, selon les termes mêmes du Gouvernement. En même temps que les prix ont augmenté au détriment des consommateurs au début de la décennie 2000-2010, les producteurs agricoles ont vu leurs revenus baisser, conduisant la FAO à appeler à des politiques de redistribution plus vigoureuses afin de compenser les impacts d'une croissance inégale.

La situation actuelle est différente. Les conséquences de la crise et de l’ajustement structurel continuent certes à peser, notamment sur le remboursement de la dette et de la capacité administrative de l’Etat. Mais la crise alimentaire de 2008 a conduit aujourd'hui le Cameroun à redéfinir les politiques agricoles et de développement rural. En outre, le renouveau de l'intérêt pour les ressources naturelles -- terres destinées à l'agriculture, forêts et ressources minérales, notamment pétrole – apporte de nouveaux revenus, entraînant de nouveaux défis.
En juillet 2012, alors que le risque de nouvelles hausses des prix des produits agro-alimentaires sur les marchés internationaux apparaît à nouveau, la mission du Rapporteur spécial est l’occasion de faire le point sur quatre axes importants pour la réalisation du droit à l’alimentation: l’amélioration de la disponibilité de l’alimentation sur le territoire ; l’amélioration de l’accès à cette alimentation ; l’adéquation des régimes alimentaires ; et la soutenabilité environnementale du modèle Camerounais en matière de sécurité alimentaire. Seuls les deux premiers axes sont abordés ici.

1. Disponibilité
60 pourcent de la population camerounaise (12 millions d’habitants) vit de l’agriculture paysanne, de l’élevage et de la pêche. Ce sont en majorité des petits producteurs qui produisent des cultures vivrières, mais aussi quelques cultures de rente (cacao, café et coton en particulier). Un certain nombre de grands exploitants et d’agro-industries produisent quand à eux à une échelle industrielle des cultures dont une partie est destinée à l’exportation (bananes, sucre, caoutchouc, thé, huile de palme). Le Cameroun dispose d’une grande diversité de cultures liées aux différentes conditions agro-climatiques du pays, et est au centre de réseaux commerciaux avec les pays frontaliers.

Le DSCE de 2009 donne pour objectif au Cameroun d’augmenter les rendements et les superficies agricoles de l’ordre de 30% par rapport au niveau de 2005. La stratégie comprend deux grands axes. Selon un premier axe, le Cameroun tente d'attirer les grands investisseurs agro-alimentaires étrangers et promouvoir les exploitations des grands entrepreneurs agricoles. Selon un second axe, qui comprend un grand nombre d'initiatives ou programmes (64 au total, selon les informations reçues), il s'agit de moderniser l’agriculture familiale, en incitant au regroupement des paysans sous forme de coopératives ou de groupements communautaires et en appuyant l’accès aux intrants agricoles. La volonté de développer les filières est un objectif transversal à ces deux axes.

Le Rapporteur spécial salue la volonté gouvernementale d’améliorer les mesures de soutien aux petits producteurs, parmi lesquels un grand nombre sont en situation d’insécurité alimentaire au moins une partie de l’année, ce qui justifie de leur porter une attention particulière. Il fait les observations suivantes : 

  1. Ciblage. Le gouvernement souhaite à la fois multiplier les grandes concessions agricoles et les exploitations de grands entrepreneurs agricoles, et soutenir la majorité des petits paysans. Pour gérer les défis d’une telle stratégie, l’objectif gouvernemental d’augmentation des ressources budgétaires affectées à l’agriculture, déclaré dans le DESC, gagnerait à être complété par une clarification officielle de l’allocation des ressources publiques (notamment foncières et budgétaires, y compris les subsides et l’allocation de crédits à taux subsidié) aux différentes catégories de producteurs (petits producteurs, grands entrepreneurs et entreprises agro-alimentaires). 
  2. Crédit. Le Rapporteur spécial encourage le gouvernement à s’assurer que les lignes de crédit de la future Banque Agricole soient accessibles aux petits producteurs agricoles, éleveurs et pêcheurs. Il encourage le gouvernement à considérer un appui aux initiatives citoyennes d’accès au crédit en zone rurale.
  3. Accès aux intrants, mécanisation et modèle de développement agricole. La stratégie actuelle met une forte priorité sur un accès subsidié aux intrants (semences, engrais et produits phytosanitaires) et sur le passage rapide d’une agriculture manuelle à une agriculture motorisée. Il est ici notamment question de la distribution, avec l’appui de la FAO, de semences améliorées, de la construction d’une usine de tracteurs et du projet de construction d’une usine d’engrais de synthèse. Il ne fait aucun doute que la diffusion de variétés productives adaptées aux besoins des petits paysans est importante; et qu’une augmentation des doses d’engrais pratiquées au Cameroun –actuellement très faibles – peut augmenter les rendements de sols appauvris. Cependant, l'Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles au service du développement, conduite par plus de 400 experts entre 2004 et 2008, ainsi que les contributions antérieures du Rapporteur spécial conduisent également à souligner le potentiel de l’agroécologie, en vue du développement d'une agriculture paysanne productive et créatrice d’emplois, moins dépendante d'intrants externes dont les coûts augmenteront au cours des années à venir. Les techniques agroécologiques peuvent notamment constituer une alternative intéressante dans le Grand Nord. Par exemple, la plantation d’arbres fertilisants fourragers tels que l'Acacia senegal apporte une solution structurelle à la fertilisation des sols, complémentaire à l’apport d’engrais minéraux, et présente en outre l'avantage de produire du fourrage et d’être à la base d’une filière de gomme arabique créatrice d’emplois. La mise en œuvre de mesures qui maximisent à la fois la production fourragère et la « récolte de l’eau de pluie », comme les bandes anti-érosives et les micro-barrages représente un investissement efficace pour l’Etat, car elles modifient structurellement les conditions de production. Le Rapporteur spécial invite donc le Cameroun à analyser la possibilité d’un plus ample appui à ces formes d’agriculture qui sont aussi ou davantage productives que celles basées sur le modèle de la Révolution Verte, et qui bénéficient directement à l’amélioration des revenus des groupes vulnérables en augmentant leur autonomie économique.
  4. Conseils aux producteurs. Le Rapporteur salue le recrutement de 2000 conseillers agricoles débuté il y a deux ans. Il  encourage le MINADER à créer les conditions pour un réel partenariat entre les entités décentralisées regroupant ces conseillers, les organisations représentant les petits paysans, et les chercheurs de l’IRAD, dont les recherches mériteraient une meilleure diffusion. La proportion de femmes au sein des rangs des conseillers agricoles maximiserait l'impact de ce réinvestissant.
  5. Commercialisation et développement rural. Le Rapporteur spécial salue la volonté politique d’améliorer les filières. Il estime que les greniers villageois du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et du Réseau de Lutte contre la Faim (RELUFA) méritent d'être soutenus et développés à plus grande échelle: destinés principalement à protéger les villages contre les conséquences de la période creuse, ils peuvent constituer le premier maillon de la construction de filières permettant aux petits producteurs de conserver puis vendre leurs surplus à des conditions plus favorables. Le Rapporteur salue la volonté de renforcer les coopératives de petits producteurs en tirant tous les enseignements de l'expérience des Groupements d’Intérêt Commun (GIC).

2. Accessibilité

a) Accessibilité physique et économique aux denrées alimentaires
A la suite des troubles de 2008 causés par la hausse du coût de la vie, le Cameroun a pris un ensemble de mesures visant à favoriser l'accès à la nourriture à un prix abordable. Les rémunérations dans la fonction publique ont été augmentées . La suspension des droits de douane et autres taxes à l'importation sur le riz, le blé, le poisson congelé et la farine de froment , accompagnée d'accords de maîtrise des prix entre le Gouvernement et les acteurs de la chaîne de distribution, a conduit à une baisse des prix de l'ordre de 6 à 15 % de ces denrées de base.

Au-delà de ces mesures d'urgence, d'autres mesures, ont été prises. Des caravanes promotionnelles itinérantes et des marchés périodiques ont été encouragés, amenant les grossistes ou producteurs à assurer une vente directe vers les consommateurs et réduisant le risque de spéculation par les détaillants desservant des communautés relativement éloignées des principaux circuits de distribution. Des magasins-témoins ont été identifiés, assurant la commercialisation du riz et d'autres denrées de base à des prix en-dessous des prix du marché. Une mission de régulation des approvisionnements des produits de grande consommation (MIRAP) a été mise sur pied, chargée à la fois de suivre l'évolution des prix et de constituer progressivement des stocks régulateurs afin de lutter contre la volatilité des prix.
Le Rapporteur spécial salue ces mesures, qui visent à favoriser l'abordabilité des denrées alimentaires. Il attache une importance particulière au désenclavement de certaines  régions qui souffrent actuellement d’un manque d’infrastructures routières et ferroviaires, afin d'améliorer à la fois l'accès aux marchés pour les producteurs et l'accès aux denrées alimentaires par les consommateurs.

Cependant, des progrès supplémentaires pourraient être faits dans plusieurs directions. Premièrement, une extension des magasins-témoins dans les zones rurales pourrait contribuer à s'assurer que les ménages les plus pauvres en bénéficient.  L'inclusion des produits locaux, tels que le manioc, le mil ou le maïs, parmi les denrées alimentaires offertes à des prix réglementés par les magasins-témoins, soutiendrait les producteurs locaux.

Deuxièmement, l'extension de la protection sociale à l'ensemble de la population camerounaise doit figurer parmi les priorités du Gouvernement, conformément à ce qu'exigent les articles 9 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dès avril 2009, en adoptant l'initiative pour un socle de protection sociale, le Conseil des chefs de secrétariat (CCS) des organismes des Nations Unies identifiait là une priorité pour faire face à la crise alimentaire et économique.

Selon les calculs de l'Organisation internationale du travail, l'introduction au Cameroun d'un socle de protection sociale composé d’une pension-vieillesse universelle, d'une assurance-maladie-invalidité universelle, d'allocations familiales compensant partiellement les coûts liés à l'éducation des enfants, d’une assurance-santé universelle, d'une assurance-chômage pour l'ensemble de la population active représenterait au  total moins de 6 % du PNB. Un tel investissement pour la réalisation du droit à la sécurité sociale est abordable, par la combinaison de mesures de réforme fiscale (amélioration de l'efficacité de la perception et progressivité accrue de l'imposition), et par l'augmentation progressive de la part des budgets publics allant aux dépenses sociales, notamment vers les ménages les plus pauvres.
Troisièmement, renforcer l'accessibilité économique des denrées alimentaires passe aussi par des mesures qui stimulent la production locale en améliorant l'accès aux marchés pour les agriculteurs.

b) Accès aux ressources productives
Il ressort des informations que le Rapporteur spécial a recueillies que le Cameroun a conclu au total des accords de cession de surfaces arables portant sur près de 800.000 hectares, dont au moins 349.400 hectares pour la plantation de palmiers à huile. Au cours de la décennie écoulée, plus de 300.000 hectares supplémentaires ont été donnés en concession à des investisseurs étrangers. Parmi les accords récents figure un bail emphytéotique de 99 ans entre l'Etat et la SG Sustainable Oils Cameroon (SGSOC), filiale à 100 % d'une société américaine, Herakles Farms, portant sur 73.086 hectares dans la région du Sud-Ouest.

Compte tenu du niveau de la pauvreté dans les zones rurales et de la proportion de la population employée dans l'agriculture, ainsi que des pressions commerciales sur les terres résultant de la demande de terres par des investisseurs étrangers, la protection du droit d'accès à la terre revêt dans le contexte actuel une importance particulière. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels rappelle que "l'obligation qu'ont les États parties de respecter le droit de toute personne d'avoir accès à une nourriture suffisante leur impose de s'abstenir de prendre des mesures qui aient pour effet de priver quiconque de cet accès" . A l'heure actuelle, l'ordonnance n° 74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier et, parmi ses mesures d'application, le décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier, définissent les conditions de reconnaissance de la propriété foncière privée. Or, ce cadre juridique présente plusieurs insuffisances.

Premièrement, les communautés pratiquant une agriculture itinérante, la chasse ou la cueillette pour leur subsistance ne sont pas adéquatement protégées. L'article 14 de l'ordonnance n° 74-1 prévoit que les terres qui ne relèvent ni du domaine public ou privé de l'Etat ou des autres personnes de droit public, et qui ne sont pas immatriculées, relèvent du domaine national de l'Etat. Ces terres peuvent être cédées par l'Etat, notamment par voie de concession ou de bail. Or, si les terres faisant l'objet d'une occupation coutumière et effectivement mises en valeur sont en principe protégées, il n'en va pas de même des terres considérées comme "libres de toute occupation effective", y compris si ces terres servent à la chasse ou à la cueillette de certains groupes. Ceci explique que les groupes concernés, qui sont notamment les Mbororo et les Pygmées, soient régulièrement victimes d'un rétrécissement des espaces dont ils dépendent pour leur subsistance, en violation à la fois de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et du droit à l'alimentation.
Deuxièmement, le Rapporteur spécial a été informé de ce que s'agissant des terres occupées par des collectivités coutumières, celles-ci ont parfois été cédées par les chefs traditionnels, sans que des compensations aient été versées aux membres de la communauté ou à l'ensemble de ceux-ci.

Troisièmement, tandis que les modalités de l'expropriation pour cause d'utilité publique, telles que fixées par l'article 12 de l'ordonnance n° 74-1 et la loi n° 85-09 du 4 juillet 1985 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités d'indemnisation, doivent en principe garantir qu'aucune expropriation n'aura lieu sauf "pour la réalisation des objectifs d’intérêt général" et moyennant compensation des occupants, au regard des informations qu'a reçues le Rapporteur spécial, des expropriations ont parfois eu lieu sans compensation lorsque les occupants n'ont pas pris soin d'immatriculer les terres en question. En outre, l'ordonnance n° 74-2 du 6 juillet 1974 fixant le régime domanial fait rentrer dans le domaine de l'Etat, que celui-ci peut céder en bail emphythéotique à des investisseurs privés pour une durée pouvant aller jusqu'à 99 ans, des terrains expropriés pour cause d'utilité publique (article 10 § 3). Cela peut réduire à néant l'exigence que l'expropriation ne puisse se faire que pour cause d'utilité publique.

Enfin, les conditions dans lesquelles les concessions sont accordées par différents ministères seront la source de difficultés majeures à l'avenir. Des concessions sont données pour des plantations agro-industrielles et pour des explorations minières, sans qu'un cadastre soit établi permettant d'éviter que ces concessions se superposent. Il en résulte une insécurité juridique réelle pour les investisseurs. Dans les années qui viennent, le Cameroun risque d'être exposé à des demandes de compensation de la part de ceux-ci, s'ils aboutissent à la conclusion que les explorations faites ne pourront être rentabilisées en raison de prétentions concurrentes sur les terres concernées.
Le Rapporteur spécial recommande un réexamen complet du régime foncier, à la fois dans le but de mieux garantir la protection des droits des usagers de la terre, y compris ceux des populations autochtones, et de créer un cadre juridique réduisant le risque de la multiplication de conflits fonciers à l'avenir. Pareil réexamen permettrait d'aligner ce régime sur les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, approuvées par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale le 11 mai 2012, et de tenir compte des Principes mis en avant par le Rapporteur spécial afin de s'assurer que les investissements à grande échelle dans l'agriculture respectent l'ensemble des droits de l'homme, y compris le droit au développement. Il fournirait également l'occasion d'un débat transparent et participatif sur les coûts d'opportunité qui résultent de la cession de terres à des investisseurs proposant de développer des plantations agro-industrielles, alors que le renforcement de l'accès à la terre des petits agriculteurs locaux, moyennant un soutien adéquat de la part de l'Etat, pourrait mieux contribuer à la sécurité alimentaire locale ainsi qu'à la réduction de la pauvreté rurale.

Le Rapporteur spécial rappelle à cet égard que les parcelles de dimension plus réduite sont généralement plus productives à l'hectare et pratiquent une forme d'agriculture qui est plus intensive en main-d'œuvre et orientée vers une intégration de cultures vivrières et de cultures de rente, contribuant par là à la sécurité alimentaire locale ainsi qu'au développement rural. Il rappelle également l'intérêt que peuvent présenter des formules combinant le développement de plantations agro-industrielles à grande échelle et le recours à l'agriculture contractuelle sur les plantations villageoises, ces formules permettant aux petits producteurs riverains des grandes plantations d'avoir un meilleur accès aux marchés, ainsi que de recevoir un soutien technique de la part de l'acheteur: il relève d'ailleurs que la culture du palmier à huile peut se prêter particulièrement bien à ce modèle.

c) Le cas des travailleurs agricoles
La situation des travailleurs employés sur les grandes plantations mérite un commentaire spécifique. La Brigade d’inspection du travail et de la sécurité sociale est notamment chargée selon le décret n° 2005 085 du 29 mars 2005 (art. 63), du contrôle de l’application de la législation et de la réglementation du travail.  Cependant, la capacité réelle de la Brigade à inspecter dans le secteur des grandes plantations est extrêmement limitée par plusieurs facteurs. Outre que la Brigade est principalement occupée par  le règlement des différends du travail, les inspecteurs sont peu nombreux (quatre à neuf inspecteurs  par région), et ils manquent des compétences nécessaires à une spécialisation sur les différentes industries du pays, y compris les concessions agricoles, et aux connaissances de sécurité et santé requises pour une inspection incluant ces questions.  Il en résulte que la Brigade effectue très peu d'inspections sur les plantations du pays. En outre, lorsque des inspections ont lieu, elles ne donneraient pas lieu à la rédaction de procès-verbaux de sanction.
Le Rapporteur spécial relève en outre que le guide de l’usager du MINTSS, qui établit les procédures des différents services du ministère, signale comme condition à remplir avant une visite en entreprise une "lettre adressée au chef d’entreprise avec précision du jour, date et heure de visite". Bien que, par définition, cette instruction ne concerne pas les inspections surprise, elle peut être vue comme en contradiction avec la faculté des inspecteurs du travail de pénétrer librement sans avertissement préalable à toute heure du jour et de la nuit dans tout établissement assujetti au contrôle de l’inspection, tel que prévu par l’Article 108.1.a) du Code du travail.

Le Cameroun n'a pas ratifié la Convention (n° 129) de l’OIT sur l'inspection du travail (agriculture), dont l'article 16 prévoit que les inspecteurs du travail des exploitations agricoles doivent pouvoir "pénétrer librement, sans avertissement préalable, à toute heure du jour et de la nuit, sur les lieux de travail assujettis au contrôle de l'inspection". Le Rapporteur spécial encourage vivement le Cameroun à procéder à cette ratification dans les meilleurs délais et à s'y conformer, de manière à mieux protéger la réputation des entreprises agro-industrielles qui déploient leurs activités dans le pays. 

V. L'utilisation du "maximum de ressources disponibles" en vue de la réalisation du droit à l'alimentation

L'article 2, para. 1er, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dit que chaque Etat doit progresser vers la réalisation progressive du droit à l'alimentation "au maximum de ses ressources disponibles". Le Cameroun possède d’abondantes ressources naturelles, notamment des minéraux (or, diamants, bauxite, cuivre, étain, uranium), du pétrole, des zones de pêche, ainsi que des terres agricoles fertiles et biens situées et une surface forestière qui couvre 40% du territoire.

Quelques données illustrent l'importance que revêt, pour le Cameroun, l'exploitation de ses ressources naturelles. En 2008, l'exploitation du pétrole représentait encore 38 % du budget national ; en 2011, la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) a transféré 572 milliards FCFA au Trésor National. Les revenus de l’exploitation minière – collectés par le Programme de Sécurisation des Recettes Minière, Eau et Energie (PSRMEE) du Ministère des Finances – se montent à 499.472.909 FCFA en 2009 et  675.076.301 FCFA en 2010. L’imposition de la redevance forestière annuelle en 2008 sur 6 millions d’hectares a rapporté à l'Etat 12,8 milliards FCFA (19,5 millions d’euros), représentant 36% des taxes issues de l’exploitation forestière.

Le Cameroun a en outre mis sur pied le premier régime officiel de distribution des revenus de l’exploitation forestière aux collectivités locales. A la suite de la Loi n° 94-01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche, un arrêté de 1998 a fixé l’allocation de 50% de la redevance au Trésor, 40% au conseil municipal et 10% aux comités villageois de gestion de la redevance forestière. Ces modalités ont été amendées depuis lors en vue d'assurer une péréquation entre les communes dans un souci de redistribution plus équitable. Un total de 63,729 milliards de FCFA a été redistribué aux collectivités locales entre 2000 et 2011.

En dépit de ce mécanisme de redistribution, les impacts sur le développement au niveau ont été modestes ou marginaux, et l’exploitation forestière comme des autres ressources naturelles n'a pas jusqu'à présent suffisamment contribué à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration de la sécurité alimentaire.

Des efforts ont été faits en vue d'améliorer cette situation, de manière telle que, conformément à ce qu'exige le droit au développement, la population bénéficie de l'exploitation des ressources. L’Arrêté conjoint du 26 juin 2012 comble une lacune du système initialement introduit en 1994 en le complétant d’un mécanisme de suivi des fonds alloués, permettant une vérification sur l’utilisation de ceux-ci et orientant la nature des dépenses faites grâce à ces revenus. Le Rapporteur spécial encourage le Cameroun à persévérer dans cette voie: (i) en continuant à améliorer l’impact de la redistribution de la redevance foncière en terme de lutte contre la pauvreté, notamment en garantissant la transparence des transferts effectuées, par exemple en reprenant la pratique de cérémonies publiques de remise de chèques ou en assurant la publication des redevances versées aux communes et aux communautés locales ainsi que les dépenses effectuées par le moyen de ces redevances ; (ii) en renforçant les capacités des communautés locales, y compris en particulier les femmes et les communautés autochtones, à s’impliquer dans les décisions d’utilisation des revenus de la redevance ; (iii) en encourageant une utilisation des recettes à des fins d’investissement ; et (iv) en renforçant les mécanismes de contrôle, de recours et de sanctions.

Par ailleurs cependant, on ne peut qu'être frappé par la faiblesse de l’imposition fiscale sur les concessions agricoles et forestières. A titre d’indication, SGSOC a pu obtenir en 2009 en bail emphytéotique de 73.086 ha pour une durée de 99 ans, moyennant une redevance (loyer) annuelle de 1 USD par hectare (pour les terres développées) ou 0,50 USD par hectare pour les terres non développées. Le bail consenti à la SOCAPALM le 12 juillet 2000 pour une surface de 78.529 ha s’élève à 392.645.000 FCFA (montant révisable tous les quinze ans moyennant accord des parties). Un guide préparé par le Ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières dit que le prix des surfaces cédées en concession est de 1 FCFA par mètre carré. Entre 2000 et 2008, le prix moyen payé (redevance forestière annuelle) était en moyenne de €21,3/ha sur les ventes de coupe tandis qu’il était plus récemment de l’ordre de €3,8/ha pour les concessions forestières.

Le Rapporteur spécial encourage le Cameroun à reconsidérer sa politique en matière d’imposition des concessions agricoles et forestières afin d’optimiser les revenus qu’il tire de ses ressources naturelles.

Le Cameroun bénéficie d’une situation agro-climatique unique pour l’exploitation du palmier à huile, et d’une proximité du port de Douala en matière d’exploitation forestière qui rend l’exploitation forestière au Cameroun plus avantageuse que dans d’autres pays d’Afrique Centrale où la profitabilité de l’exploitation forestière doit tenir compte de frais de transports plus élevés. Dans ces conditions, il s'explique mal que le Cameroun ne cherche pas à bénéficier au mieux de l’exploitation de ressources dont la valeur ajoutée est captée par des groupes étrangers qui rapatrient leurs profits hors du pays et pratiquent l’ingénierie fiscale et/ou l’évasion fiscale pour minimiser leur imposition, notamment via les pratiques de prix de transferts manipulés avec des filiales basées dans des paradis fiscaux.

Le Rapporteur spécial encourage à cet effet le Cameroun à tirer les enseignements du pipeline Tchad-Cameroun. Malgré plusieurs tentatives, le Cameroun n’est en effet pas parvenu à imposer une modification des clauses du contrat initial, dont les conditions lui sont extrêmement désavantageuses, avec des frais de transit de seulement 0,41 USD par baril, malgré le cours de ce dernier à un niveau trois fois plus haut que celui en vigueur durant la phase de négociation du contrat. Les baux des concessions agricoles ne permettent la renégociation de la redevance annuelle que tous les quinze ans, ‘moyennant accord des parties’, ce qui rend cette clause pratiquement inutile.

Enfin, le Rapporteur spécial note la volonté du gouvernement de tirer profit des possibilités offertes par le mécanisme de réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts (REDD) récompensant la conservation des forêts. Il l’encourage à explorer les possibilités de financement pour la conservation des forêts, tout en soulignant l'importance, dans la mise en œuvre dudit mécanisme, des garanties à accorder aux populations autochtones dépendant des forêts, conformément aux articles 25 à 27 de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.

Les mesures citées sont de nature à mettre le Cameroun en capacité d’accélérer sa lutte contre la pauvreté et son développement socio-économique. Surtout, il pourrait se permettre d’exploiter ses ressources naturelles de manière plus durable, en limitant les impacts négatifs pour la population locale.

VI. Vers une stratégie nationale pour le droit à l'alimentation

Bien que le Cameroun ait pris récemment un ensemble de mesures tendant à améliorer la disponibilité et l'abordabilité de la nourriture, plusieurs défis de gouvernance restent à relever. Les responsabilités ne sont pas limitées à un seul département ministériel: au-delà du MINADER, en charge du développement agricole et rural, doivent intervenir notamment le MINCOMMERCE pour l'organisation de la distribution, le MINTSS pour garantir le travail décent dans les plantations, le MINAS pour la protection des groupes vulnérables, ou le MINPROFF pour progresser vers l'égalité entre les femmes et les hommes. La coordination entre ces différents départements doit être renforcée, et leurs efforts se compléter et se soutenir mutuellement.

En outre, il faut renforcer le dialogue avec la société civile et avec les organisations de producteurs. L'établissement d'une plate-forme assurant un dialogue structuré et permanent favorisera l'adoption de politiques mieux informées par la perspective des bénéficiaires, et renforcera la légitimité et l'efficacité de l'action gouvernementale dans ce domaine. L'établissement d'un cadre national de concertation avec les organisations représentatives de producteurs va dans ce sens.

Troisièmement, le Cameroun doit à la fois prendre des mesures garantissant la sécurité alimentaire dans le court terme, notamment en renforçant l'abordabilité des denrées alimentaires de base pour les groupes défavorisés, et préparer le long terme, en allant vers un élargissement de la protection sociale et vers une relance des cultures vivrières permettant au pays de réduire sa dépendance sur l'évolution des prix sur les marchés internationaux. Gérer le court terme tout en préparant la transition dans le long terme, cela suppose des stratégies pluriannuelles et plurisectorielles.

Enfin, il faut définir plus précisément les délais d'adoption des mesures, les responsabilités respectives des différents acteurs, et les voies de recours dont peuvent disposer les bénéficiaires si les engagements pris ne sont pas tenus. C'est ainsi que l'on progressera de l'affirmation politique qu'il faut tendre à la sécurité alimentaire, vers la reconnaissance du droit à l'alimentation, même si celui-ci doit faire l'objet d'une réalisation progressive.

Une loi-cadre sur le droit à l'alimentation crée le cadre législatif et institutionnel adéquat pour aller dans cette direction. Une telle loi-cadre doit principalement définir les modalités d'après lesquelles la stratégie nationale visant à la réalisation du droit à l'alimentation doit être adoptée, moyennant la participation de la société civile et des acteurs de la chaîne alimentaire ; comment les progrès seront mesurés ; les ressources qui seront mises à la disposition de la stratégie, et les mécanismes permettant de garantir la transparence dans l'utilisation de ces ressources ; et les sanctions qui doivent accompagner le non-respect de la stratégie adoptée. Le Rapporteur spécial a été informé des initiatives visant à doter le Cameroun d’une Loi d’Orientation Agricole (LOA), dont un avant-projet est actuellement en discussion au sein du MINADER. En progressant vers l'adoption d'une loi-cadre sur le droit à l'alimentation, incluant les composantes d'une loi d'orientation agricole sans nécessairement s'y limiter, le Cameroun s'inscrirait dans le cadre d'un mouvement qu'illustre le Mali en Afrique de l'Ouest et vers lequel s'orientent déjà plusieurs pays d'Afrique australe et orientale. Le Rapporteur spécial est prêt à collaborer avec les autorités en vue de progresser dans cette direction.

***

Olivier De Schutter a été nommé Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation en mars 2008 par le Conseil des Droits de l'Homme. Il est indépendant de tout gouvernement et de toute organisation. Il fait rapport au Conseil des Droits de l'Homme et à l'Assemblée générale des Nations Unies. Pour plus d'informations : www.srfood.org ou www.ohchr.org/en/special-procedures/sr-food

VOIR CETTE PAGE EN :