Skip to main content

Discours Multiple Mechanisms FR

Situation mondiale : Michelle Bachelet exhorte à l’inclusion pour combattre « l’escalade de la misère et de la peur »

Point 2 : Rapport annuel et compte rendu oral de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les activités du HCDH et l’évolution récente de la situation des droits de l’homme

07 mars 2022

S’adressant au Conseil des droits de l’homme, Michelle Bachelet a fait le point sur les principales questions liées aux droits de l’homme dans plus de 25 pays. © HCDH

Prononcé par

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

la 49e session du Conseil des droits de l'homme

Monsieur le Président,
Excellences,
Chers collègues et amis,

Les Nations Unies, et ce Conseil, défendent les droits de l’homme des peuples du monde entier : leurs droits de participer aux décisions, d’exprimer leurs opinions et de vivre dans la dignité, libérés de la terreur et de la misère.

Nous défendons la paix et le droit au développement : un développement durable, participatif et inclusif, qui vise à promouvoir le bien commun.

Une guerre qui prend pour cibles les civils ; le renversement violent ou inconstitutionnel des gouvernements ; des régimes autocratiques ; et une gouvernance et des forces de l’ordre qui violent les droits des populations vont à l’encontre de cette vision.

Il est encore temps de faire marche arrière face à l’escalade de la misère et de la peur que nous voyons autour de nous – et d’unir nos efforts pour créer un cycle plus positif de solidarité et de justice croissantes.

Les États ont rédigé et accepté les obligations juridiques les poussant à faire respecter l’état de droit et l’intégrité de leurs propres institutions et de celles des autres États Membres ; à veiller à ce que la gouvernance et les transitions soient inclusives ; à respecter les droits de l’homme dans tous les contextes, y compris dans la lutte contre le terrorisme ; à prévenir les discours de haine et à soutenir l’espace civique le plus large possible ; et à promouvoir les droits à la liberté d’information, d’expression et de réunion pacifique, y compris les opinions critiques à l’égard des autorités.

Mon exposé sur la situation des droits de l’homme au Conseil ce matin aborde un certain nombre de situations critiques qui nécessitent des mesures urgentes. En règle générale, cet exposé de la situation ne comprend pas de remarques plus détaillées sur les situations suivantes, qui font l’objet de discussions distinctes au cours de cette session : Afghanistan, Bélarus, Colombie, Chypre, Éthiopie, Érythrée, Guatemala, Honduras, Myanmar, Nicaragua, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République populaire démocratique de Corée, Soudan, Soudan du Sud, Sri Lanka, Territoire palestinien occupé, Ukraine et Venezuela.

Je tiens à présenter de nouvelles informations au Conseil concernant la situation en Ukraine. Depuis le débat urgent organisé par le Conseil, le nombre de pertes civiles a continué d’augmenter. Je suis extrêmement inquiète au sujet des civils pris au piège dans les nombreuses zones où les hostilités font rage et j’exhorte toutes les parties à prendre des mesures efficaces pour permettre à tous les civils – dont ceux qui sont en situation de vulnérabilité – de quitter en toute sécurité les zones touchées par le conflit. Le HCDH a reçu des informations faisant état de détentions arbitraires de militants pro-ukrainiens dans les zones qui sont récemment passées sous le contrôle de groupes armés dans l’est du pays. Nous avons également été informés que des personnes considérées comme pro-russes dans les territoires contrôlés par le gouvernement auraient fait l’objet de brutalités. Je réitère mon appel urgent à une issue pacifique des hostilités.

En Fédération de Russie, l’espace de discussion ou de contestation des politiques publiques – y compris son action militaire contre l’Ukraine – est de plus en plus restreint. Environ 12 700 personnes ont été arbitrairement arrêtées pour avoir organisé des manifestations pacifiques contre la guerre, et les médias sont tenus de n’utiliser que des informations et des termes officiels. Je reste préoccupée par le recours à une législation répressive qui entrave l’exercice des droits civils et politiques et érige en infraction les comportements non violents. Des définitions vagues et trop larges, par exemple de l’extrémisme ou de l’incitation à la haine, ont conduit à des interprétations juridiques qui ne sont pas conformes aux obligations de la Russie en matière de droits de l’homme. Une nouvelle législation criminalisant les actions visant à « discréditer » les forces armées poursuit sur cette voie inquiétante. Les libertés fondamentales et le travail des défenseurs des droits de l’homme continuent d’être sapés par l’utilisation généralisée de la « loi sur les agents étrangers » de 2012, comme en témoigne la fermeture judiciaire de deux organisations créées par Memorial, un groupe de la société civile très respecté.

En Bosnie-Herzégovine, l’aggravation des crises politiques est alimentée par les discours de division de certains dirigeants politiques. Les discours haineux et d’incitation à la violence dans l’entité de la Republika Srpska au début de l’année ont alarmé de nombreuses personnes et ont surligné l’urgence pour les dirigeants de condamner de telles déclarations et de s’en abstenir. Si elles étaient adoptées, les récentes initiatives législatives de l’entité Republika Srpska visant à se retirer des institutions de l’État perturberaient l’état de droit et limiteraient encore davantage l’indépendance du pouvoir judiciaire, ce qui pourrait avoir un impact considérable. Il est essentiel que les négociations actuelles sur la réforme électorale défendent l’égalité de tous les citoyens de Bosnie-Herzégovine, conformément aux décisions prises par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette situation nécessite des actions préventives. J’appelle tous les dirigeants politiques à engager un dialogue constructif, notamment avec les acteurs de la société civile, afin de protéger les droits de toutes les personnes en Bosnie-Herzégovine.

AuKazakhstan, le recours excessif de la force en réponse à la fois aux manifestations pacifiques et à la flambée de violence a fait des dizaines de morts et plus de 5 000 blessés. Au moins 9 900 personnes ont été détenues. Je déplore le recours à d’autres pratiques qui violent les obligations internationales du Kazakhstan en matière de droits de l’homme, notamment la torture et les mauvais traitements en détention policière. Je prends note des premières mesures d’enquête qui ont été prises et je demande instamment qu’elles soient menées de manière approfondie et indépendante, afin de garantir le principe de responsabilité. J’encourage aussi vivement la prise de mesures supplémentaires pour répondre de manière exhaustive aux griefs qui ont conduit à ces manifestations, notamment les allégations de corruption et les profondes inégalités sous-jacentes.

Au Tadjikistan, les mesures de répression se poursuivent contre l’opposition politique. Un nombre croissant de membres de groupes d’opposition ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de longue durée, à l’issue de procès qui n’ont pas respecté les normes en matière de procédure régulière. Les violences entre les forces de sécurité et les manifestants qui ont eu lieu en novembre 2021 dans la région autonome du Haut-Badakhchan ont aussi considérablement détérioré la situation des droits de l’homme dans la région, créant un climat de peur et de répression. Je déplore la poursuite du blocage de l’accès à Internet dans la région ; de tels blocages violent clairement les droits de l’homme.

Je suis encouragée par l’accueil réservé par de nombreux gouvernements et communautés aux personnes fuyant l’Ukraine, notamment par la décision unanime des États membres de l’Union européenne d’activer la protection temporaire – et l’autorisation de séjour – pour ces personnes dans toute l’Union européenne. Face à des centaines de milliers de réfugiés, cette réaction rapide est une lueur d’espoir dans une situation particulièrement triste.

Cependant, elle offre un fort contraste avec le traitement réservé aux migrants d’autres pays aux frontières européennes et ailleurs dans le monde. Une approche humaine et reposant sur des principes ne devrait pas être l’exception : ce devrait être la règle. Il est essentiel que tous les États remplissent leurs obligations à l’égard de tous les migrants, quelle que soit la couleur de leur peau, leur nationalité ou leur religion, et qu’ils coordonnent cette action à travers la mise en œuvre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Actuellement, les refoulements, l’accès limité à l’asile et à d’autres formes de protection des droits de l’homme, la criminalisation des migrants et des défenseurs des droits de l’homme, les conditions d’accueil inadéquates et l’absence de mécanismes de contrôle indépendants exacerbent la vulnérabilité des migrants et violent leurs droits.

Pour ne citer qu’un des exemples les plus frappants des conséquences funestes de ces politiques, plus de 2 000 migrants sont morts ou ont disparu en Méditerranée l’année dernière, ce qui porte le total depuis 2017 à plus de 10 000 personnes. Ces pertes tragiques ne sont pas inévitables. Nous pourrions y remédier en menant une action coordonnée de recherche et de sauvetage des migrants en mer, en garantissant le débarquement dans des lieux sûrs et en développant les voies de migration sûre et régulière afin que les migrants ne soient pas contraints d’effectuer des voyages plus dangereux. Je demande également à tous les États de cesser les actions qui criminalisent ou entravent le travail des organisations humanitaires qui viennent en aide aux migrants.

Excellences,

Je regrette profondément la série de changements de pouvoir anticonstitutionnels survenus récemment dans plusieurs pays du continent africain, qui ont de graves répercussions sur la stabilité des institutions, des sociétés et, au-delà des frontières nationales, dans la région au sens large. Un gouvernement démocratique et responsable est un puissant moteur du développement durable et des droits, les institutions étant largement considérées comme légitimes pour résoudre les griefs, réduire la corruption et prévenir les tensions et conflits sociaux.

Le respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme par les forces de sécurité est essentiel pour gagner la confiance du public. Cela est particulièrement important dans les zones où des groupes armés non étatiques opèrent. Un espace civique sûr qui permet à tous les acteurs de la société – y compris les partis politiques, les défenseurs des droits de l’homme, les organisations de la société civile et les journalistes – de s’exprimer librement et de contribuer à l’identification des problèmes et des solutions est également essentiel à la construction de sociétés résilientes et stables. J’exhorte les gouvernements à renforcer la crédibilité des institutions démocratiques, ainsi que la responsabilité et l’indépendance d’institutions clés telles que le pouvoir judiciaire et les institutions nationales des droits de l’homme.

S’agissant du Mali, il est essentiel d’assurer une transition rapide vers la démocratie et un retour complet à l’ordre constitutionnel. Bien que le nombre d’incidents de sécurité ait légèrement diminué au cours du dernier trimestre de 2021 par rapport au trimestre précédent, la situation en matière de sécurité reste précaire dans le pays, ce qui a de graves conséquences sur les droits de l’homme et la situation humanitaire. Je suis extrêmement préoccupée par le rétrécissement de l’espace civique et du débat démocratique dans le pays, ainsi que par la poursuite des attaques contre les civils par des groupes extrémistes violents, des groupes armés communautaires et des milices. Les disparitions forcées et les enlèvements documentés par l’ONU ont plus que doublé en 2021 pour atteindre 775 cas. Je suis préoccupée par les informations faisant état de très graves violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire par les forces de défense et de sécurité, notamment celles engagées dans l’« opération Keletigui ». Le HCDH enquête sur plusieurs allégations à Diabaly et ailleurs. Les Maliens ordinaires souffrent de l’impact des sanctions, et je regrette la tension persistante entre les autorités et plusieurs partenaires régionaux et internationaux. J’appelle les autorités de transition à travailler de manière constructive avec leurs partenaires régionaux et internationaux pour faire progresser tous les droits du peuple malien.

À la suite à la signature d’un accord avec le Gouvernement du pays hôte, le Burkina Faso, en octobre 2021, nous avons ouvert un bureau dans le pays, et sommes désormais présents dans tous les pays du G5 Sahel. Durant ma visite au Burkina Faso et au Niger en décembre, j’ai pu constater les nombreux efforts entrepris par les deux pays pour prévenir les conflits et construire une plus grande paix dans le Sahel. Je suis donc profondément préoccupée par le récent coup d’État au Burkina Faso, qui constitue un revers risquant de compromettre gravement les progrès en matière de droits de l’homme que j’ai observés. Je demande instamment le retour rapide à l’état de droit et à la démocratie constitutionnelle, dans le plein respect des droits et libertés de tous les Burkinabés. Les autorités de transition doivent respecter les engagements du pays en vertu du droit international des droits de l’homme. Les conditions de sécurité, notamment dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, sont alarmantes. Nous continuons à recenser des violations des droits de l’homme par les forces de sécurité, ainsi que des abus et des attaques par des groupes armés, dans un conflit qui a engendré le déplacement de 2,5 millions de personnes ces dix dernières années. Les conflits et les déplacements sont exacerbés par la pénurie de ressources, notamment d’eau, qui aggrave souvent les tensions, notamment entre agriculteurs et éleveurs, ces tensions étant exploitées par les groupes extrémistes violents. J’encourage vivement à redoubler d’efforts pour protéger les civils et à intensifier les actions visant à répondre aux besoins humanitaires, au développement durable et écologique, à l’égalité des sexes et à la protection des migrants.

Au Tchad, le HCDH continue d’aider à la mise en œuvre du plan d’action pour la transition démocratique présenté par le Gouvernement de transition qui a pris le pouvoir après la mort du président Idriss Deby en avril 2021. Un dialogue national, qui a été reporté à plusieurs reprises, devrait à présent avoir lieu en mai de cette année. Ce plan d’action axé sur la transition doit être fondé sur les droits de l’homme, afin d’éviter toute discrimination, de remédier aux inégalités et de garantir l’inclusion, notamment des minorités ethniques et religieuses, des femmes, des jeunes, des syndicats et des acteurs de la société civile, tant dans les zones urbaines que rurales, et de permettre un véritable dialogue.

Le Cadre de conformité aux droits de l’homme et au droit international humanitaire de la Force conjointe du G5 Sahel, que le HCDH aide à mettre en œuvre, démontre que les droits de l’homme et la protection des civils peuvent être au cœur des opérations militaires. Cela nécessite néanmoins le soutien total et constant de toutes les autorités concernées. Depuis mes visites dans la région, le contexte politique du G5 Sahel a considérablement évolué, avec des implications possibles pour l’avenir du Secrétariat exécutif et de la Force conjointe du G5 Sahel. Tout en suivant ces évolutions, nous nous engageons à continuer à travailler avec ces institutions et avec nos homologues nationaux pour garantir que le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire reste au cœur des opérations antiterroristes régionales et nationales. Grâce à nos présences sur le terrain dans chacun des pays du G5 Sahel, le HCDH est prêt à travailler directement avec les forces de sécurité nationales pour un meilleur respect des droits de l’homme.

Concernant le Cameroun, je reste préoccupée par les graves répercussions sur les droits de l’homme de trois crises distinctes et simultanées. La multiplication des attaques de groupes séparatistes armés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les affrontements interethniques et les attaques de la milice Boko Haram dans l’Extrême-Nord, ainsi que les retombées de la crise en République centrafricaine dans la région de l’Est entraînent ensemble de graves atteintes et violations des droits de l’homme contre les civils, accroissent considérablement la pauvreté et d’autres vulnérabilités, et provoquent des déplacements à grande échelle. Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, des centaines de milliers de personnes vivent dans la crainte constante d’attaques ou d’opérations anti-insurrectionnelles, ainsi que de représailles exercées à leur encontre par toutes les parties en raison de leur soutien supposé à des adversaires. L’utilisation croissante d’engins explosifs improvisés par les groupes armés séparatistes a tué et blessé de nombreux civils, en particulier des enfants. Les attaques incessantes des groupes armés contre les travailleurs humanitaires et le personnel des Nations Unies entravent l’acheminement de l’aide. Si je me félicite de certaines mesures prises jusqu’à présent par le Gouvernement pour résoudre ces problèmes et d’autres, je demande instamment des efforts plus importants pour mettre pleinement en œuvre les recommandations publiées par le HCDH en novembre, notamment en favorisant un espace civique large et libre. Les informations faisant état de graves violations des droits de l’homme par les forces de sécurité doivent faire l’objet d’une enquête et conduire à l’établissement des responsabilités.

Excellences,

S’agissant de la Syrie, je suis profondément préoccupée par la situation de plus en plus instable dans les régions du nord-est sous le contrôle de groupes armés affiliés à la Turquie et des Forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes. L’attaque d’une prison de la ville de Hassaké par Daesh en janvier a également mis en évidence la privation de liberté arbitraire continue et inacceptable de nombreuses personnes détenues dans des centres et des camps de détention. J’exhorte à nouveau vivement les pays d’origine à rapatrier leurs ressortissants, en particulier les femmes et les enfants, conformément à leurs obligations en vertu du droit international. Je note à cet égard la position ferme adoptée la semaine dernière par le Comité des droits de l’enfant, dans sa jurisprudence sur les plaintes – qui énonce des obligations juridiques claires pour les États d’agir dans la mesure de leurs capacités pour aider leurs ressortissants dans ces situations à très haut risque. Il est également urgent de s’occuper des dizaines de milliers de Syriens qui sont toujours portés disparus, enlevés ou détenus au secret. Leurs familles doivent connaître la vérité sur le sort qui leur est réservé et sur le lieu où ils et elles se trouvent. La condamnation en janvier par un tribunal allemand d’un haut responsable des services de renseignement syriens constitue un pas important vers l’établissement des responsabilités, la justice et la réparation pour les victimes. Je salue également à cet égard les mesures prises par l’Assemblée générale afin d’examiner les différents moyens permettant de faire la lumière sur le sort des personnes disparues en République arabe syrienne et le lieu où elles se trouvent, d’identifier les restes humains et d’apporter un soutien à leurs familles. Le HCDH est fortement impliqué dans ce processus.

Au Yémen, les hostilités s’intensifient. En janvier 2022, 1 623 frappes aériennes de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et 40 attaques transfrontalières d’Ansar Allah ont été enregistrées. Cela représente une augmentation de 275 % des frappes aériennes de la coalition par rapport à la moyenne mensuelle de l’année dernière. Ces chiffres ont fortement augmenté après le non-renouvellement du mandat du Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux en octobre, soulignant l’importance du rôle qu’il a joué dans le suivi de la situation. Toutes les parties au conflit continuent de commettre de graves atteintes et violations des droits de l’homme. Les attaques aveugles ou délibérées visant des zones et des infrastructures civiles, qui constitueraient des crimes de guerre, ont fait de plus en plus de victimes civiles au cours des quatre derniers mois, les chiffres préliminaires pour janvier représentant la moitié du total pour toute l’année 2021. Le blocus du port de Hodeïda, qui dure depuis longtemps, constitue une punition collective à l’encontre des Yéménites ordinaires. Les opérations humanitaires, notamment les programmes de santé, de nutrition et relatifs aux moyens de subsistance destinés à des millions de Yéménites et de migrants, ont dû être fermées ou fortement réduites en raison des pénuries et des réductions de financement. Cette situation plonge la population dans un plus grand désespoir, après sept ans de guerre et aucun signe de paix. Je réitère également mon appel au mouvement Ansar Allah pour qu’il libère les deux membres du personnel du HCDH et de l’UNESCO détenus abusivement.

Concernant la Tunisie, je suis profondément préoccupée par le prolongement de la suspension du Parlement et l’érosion rapide des principales institutions. Plus particulièrement, la décision prise le mois dernier de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature porte gravement atteinte à l’état de droit, à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Je note l’annonce en décembre d’un plan d’action pour 2022 qui prévoit une consultation nationale de tous les Tunisiens, suivie d’un référendum en juillet et d’élections législatives en décembre de cette année. Je suis très préoccupée par l’annonce récente de son intention d’interdire aux groupes de la société civile de recevoir tout financement de l’étranger – une décision qui risque de porter gravement atteinte à l’espace civique et démocratique essentiel. Nous suivrons de près l’évolution de la situation. Le HCDH est fermement convaincu que les progrès majeurs réalisés par la Tunisie au cours de la dernière décennie en matière de promotion et de réalisation des droits de l’homme peuvent, et doivent, être préservés. Nous soutiendrons les efforts de réforme qui sont conformes aux obligations de la Tunisie en vertu du droit international.

Je m’inquiète de la détérioration de la situation dans les Territoires palestiniens occupés, notamment par l’augmentation spectaculaire du nombre de Palestiniens tués par les forces israéliennes : 320 en 2021, contre 32 en 2020. La violence perpétrée par les colons augmente, non seulement en termes du nombre d’incidents mais aussi en termes de gravité. Les arrestations de Palestiniens ont presque doublé en 2021, la détention administrative – sans inculpation ni procès – ayant augmenté de 30 %. Je suis également profondément préoccupée par les mesures répressives prises par Israël à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des acteurs de la société civile sur la base d’allégations vagues et non fondées, et dont les conséquences sur leurs activités peuvent être considérables. Dans mon rapport, je fais également référence aux actions de l’Autorité palestinienne qui ont réduit l’espace civique.

Concernant la Libye, je suis troublée par le report des élections prévues le 24 décembre dernier, dans un contexte de tensions politiques et d’attaques croissantes contre des individus en fonction de leurs opinions ou de leur appartenance politique, ainsi que d’attaques contre le système judiciaire. Les élections de juin doivent être fondées sur le plein respect des droits politiques de tous les candidats et électeurs, y compris le droit d’élever la voix sans crainte. De graves violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme continuent d’être perpétrées par des groupes armés, des milices associées au Gouvernement et des unités de l’armée nationale libyenne. La torture, les homicides illicites, les disparitions forcées, la violence sexuelle et les arrestations et détentions arbitraires restent extrêmement répandus, dans une impunité quasi totale. Les migrants en Libye continuent d’être victimes d’horribles abus.

S’agissant de l’Iraq, nous nous félicitons de la volonté exprimée par les autorités iraquiennes de renforcer un partenariat constructif et durable avec le HCDH, notamment en augmentant les échanges entre le bureau des droits de l’homme de la MANUI et les entités gouvernementales concernées. L’impunité persistante face aux meurtres et aux disparitions de militants des droits civiques, ainsi que les arrestations, les menaces et les attaques en ligne contre les défenseurs des droits de l’homme, continuent de porter gravement atteinte aux droits de l’homme. J’encourage le Gouvernement nouvellement formé à redoubler d’efforts pour faire en sorte que les auteurs de ces violations répondent de leurs actes, et j’invite instamment les autorités de l’Iraq fédéral et de la région du Kurdistan à prendre les mesures nécessaires pour protéger suffisamment l’espace civique et démocratique. Plus particulièrement, le droit de réunion pacifique et la liberté d’expression doivent être garantis, y compris dans le monde numérique. Nous continuons à collaborer avec la commission nationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations commises dans le cadre des manifestations et j’exhorte les autorités à fournir les ressources et le soutien nécessaires pour permettre à la commission de mener à bien son travail.

Concernant l’Iran, si je prends note des efforts accrus des autorités pour collaborer avec le HCDH et les mécanismes des droits de l’homme sur une série de questions relatives aux droits de l’homme, je suis préoccupée par le fait que l’impunité persistante face aux violations des droits de l’homme continue de porter atteinte à ces droits. Dans le Khouzistan en juillet dernier par exemple, un usage excessif de la force a été déployé contre des manifestants à Ispahan en décembre – mais aucun de ces incidents ne semble avoir donné lieu à une quelconque forme d’obligation redditionnelle pour les morts et les blessés causés. L’imposition de la peine de mort se poursuit, y compris pour des infractions qui, au regard du droit international, ne constituent pas les crimes les plus graves. Au cours des deux premiers mois de cette année, au moins 55 personnes ont été exécutées, notamment pour des infractions liées à la drogue. Au moins 85 délinquants juvéniles sont toujours en attente d’être exécutés, et au moins trois jeunes délinquants ont été exécutés en 2021. Je demande instamment aux autorités iraniennes de mettre rapidement leur politique et leurs pratiques dans ce domaine en conformité avec les normes internationales.

En ce qui concerne l’Algérie, je suis préoccupée par les restrictions croissantes des libertés fondamentales, notamment l’augmentation des arrestations et des détentions de défenseurs des droits de l’homme, de membres de la société civile et d’opposants politiques. Je demande au Gouvernement de changer d’approche et de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir les droits de sa population à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Excellences,

Le libre exercice du travail journalistique est essentiel à toute démocratie saine. Cependant, dans de nombreux pays, les professionnels des médias sont confrontés à des niveaux de violence alarmants, y compris des meurtres, souvent en toute impunité.

Au Mexique, nous avons recensé l’assassinat de quatre journalistes et d’un professionnel des médias au cours des deux premiers mois de cette année, et deux autres cas sont encore en cours de vérification. En 2021, huit journalistes et deux gardes du corps travaillant pour un organe de presse ont été tués, et deux autres journalistes ont disparu. Les journalistes qui couvrent la politique locale, la corruption et la criminalité sont davantage exposés aux attaques. Malheureusement, les autorités ont parfois contribué au climat de peur dans lequel elles travaillent en dénigrant les journalistes et la pertinence de leur travail d’enquête.

S’agissant d’El Salvador, j’ai été profondément préoccupée par l’utilisation massive de logiciels malveillants qui auraient servi à espionner les journalistes et les organisations de la société civile, au moins jusqu’en novembre 2021. Ces informations ont fait surface plusieurs mois après que des avertissements ont été formulés, notamment par le HCDH, concernant les graves risques liés aux logiciels espions et malveillants tels que Pegasus, et après nos appels à un moratoire sur la vente et l’utilisation de ces technologies.

J’appelle tous les gouvernements à renforcer la protection des journalistes ainsi que le principe de responsabilité pour les crimes qui les visent. Le travail légitime des journalistes mérite d’être encouragé, protégé et suivi, et non d’être censuré et stigmatisé.

Je suis inquiète face à l’escalade de la crise liée à la protection des civils en Haïti, avec la montée de l’insécurité, le déclin de l’accès aux services de base et le manque général d’établissement des responsabilités. Port-au-Prince a connu une augmentation sans précédent de la violence des gangs en 2021, au moins 2 344 personnes ayant été tuées, blessées ou enlevées, dans un contexte de prolifération des armes. Selon les estimations, entre 1 et 3,5 millions de personnes ont vu leur situation en matière de protection se dégrader. La violence sexuelle est utilisée comme une arme par les gangs pour terroriser et renforcer le contrôle sur les résidents. La violence des gangs a également gravement affecté l’accès aux services de base et a eu un impact important sur les personnes en situation de vulnérabilité. Dans un contexte de corruption et d’impunité de longue date, la crise fragilise encore davantage les institutions, notamment le système judiciaire, la police et le Parlement. Les mesures visant à rétablir la sécurité doivent aller au-delà du seul renforcement des capacités des forces de sécurité nationales et se concentrer sur l’établissement des responsabilités, la prévention et la protection. Dans le contexte de l’évaluation en cours du mandat du BINUH, il est essentiel de veiller à ce que la future présence des Nations Unies dans le pays conserve une orientation et un mandat forts en matière de droits de l’homme, avec des ressources et des capacités adéquates pour soutenir les institutions nationales.

Les personnes d’ascendance africaine continuent de mourir de façon disproportionnée aux mains des forces de l’ordre dans de nombreux pays. Aux États-Unis, des groupes de la société civile ont estimé que 266 personnes d’ascendance africaine ont été tuées par la police en 2021, indiquant que ces personnes ont « presque trois fois plus de chance d’être tuées par la police que des personnes blanches », tandis que d’autres recherches suggèrent que ces chiffres pourraient encore plus élevés. Au Brésil, 79 % des personnes tuées lors d’interventions de la police en 2020 étaient d’ascendance africaine, selon une organisation non gouvernementale. Des statistiques troublantes de la même veine ont été enregistrées dans plusieurs autres pays. J’exhorte les autorités nationales – dans toutes les régions du monde – à veiller à ce que les responsabilités soient rapidement et efficacement établies concernant les décès aux mains des forces de l’ordre, et je suis heureuse de constater que le nouveau mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre a tenu sa première session à Genève la semaine dernière. J’appelle tous les États à faciliter les visites de pays par les experts et à partager avec eux toutes les informations pertinentes.

Nous nous félicitons de la récente annonce des États-Unis, qui ont signalé leur soutien au Pacte mondial sur les migrations. Afin de mettre en œuvre la vision et les principes directeurs du Pacte, conformément aux obligations découlant du droit international, nous demandons qu’il soit mis fin à l’exécution du Titre 42 qui, à ce jour, a facilité l’expulsion de plus de 1,3 million de migrants, sans examen individuel et sans accès adéquat à la protection, pour des raisons de santé publique. D’autres mesures sanitaires, comme les vaccins et les tests, sont facilement disponibles et peuvent être mises en place sans compromettre les droits des migrants à la protection.

Excellences,

Concernant la Chine, je reste préoccupée par le traitement des personnes qui s’expriment sur des questions relatives aux droits de l’homme et qui sont jugées critiques à l’égard des politiques des autorités au niveau local ou national, certaines d’entre elles ayant vu leur liberté de mouvement restreinte, notamment par une assignation à résidence, ou ayant été condamnées à des peines d’emprisonnement sur la base d’accusations pénales découlant de leurs activités. Le HCDH a signalé plusieurs cas de ce type auprès du Gouvernement et encourage les autorités à prendre des mesures pour que la liberté d’expression et d’opinion soit pleinement respectée et protégée. Je suis heureuse d’annoncer que nous avons récemment conclu un accord avec le Gouvernement chinois pour une visite. Le HCDH et le Gouvernement chinois ont donc entamé les préparatifs concrets d’une visite qui devrait avoir lieu en mai de cette année. Ces préparatifs devront tenir compte des restrictions liées à la COVID-19. Le Gouvernement a également accepté la visite préliminaire d’une équipe du HCDH pour préparer mon séjour en Chine, y compris des visites sur place au Xinjiang et dans d’autres lieux. Cette équipe partira en Chine le mois prochain.

S’agissant du Cambodge, je suis inquiète concernant l’utilisation par les autorités des restrictions liées à la COVID-19 pour restreindre davantage l’espace démocratique et civique, notamment comme prétexte pour briser une grève légale des employés de casino. Le HCDH a récemment été témoin de violences de la part des autorités, qui ont forcé des femmes grévistes à monter dans des bus dans le but de les éloigner d’un site de grève. Contrairement aux mesures appliquées au grand public, les grévistes ont été détenues arbitrairement et contraintes de se soumettre à plusieurs reprises à des tests de dépistage de la COVID-19. J’appelle les autorités à respecter le droit de réunion pacifique et à engager le dialogue pour répondre aux demandes légitimes de ces grévistes. La protection des libertés fondamentales sera importante à l’approche des élections locales, au cours desquelles le principal parti d’opposition du pays ne peut se présenter et nombre de ses dirigeants et partisans sont exilés, détenus et même poursuivis pour des actes légitimes au regard du droit international.

En ce qui concerne l’Inde, je suis préoccupée par les récentes déclarations et actions exprimant la haine et la violence à l’encontre des communautés religieuses minoritaires. Lors de deux événements tenus en décembre notamment, plusieurs dirigeants de l’Hindutva ont appelé au meurtre de musulmans, dans un contexte visant à faire de l’Inde une nation hindoue. J’encourage une responsabilité totale, transparente et rapide. La montée de la violence contre la communauté chrétienne est également très préoccupante. Les organisations confessionnelles ont enregistré plus de 305 cas d’attaques contre des chrétiens entre janvier et novembre 2021, dont beaucoup sont le fait de groupes suprématistes hindous. Au cours de l’année écoulée, des lois problématiques interdisant les conversions religieuses ont été adoptées ou proposées dans plusieurs États. Ces lois peuvent encourager la haine, voire la violence. Je demande instamment aux dirigeants du pays de condamner publiquement toute forme de discours de haine et d’incitation à la haine religieuse, quelle que soit l’origine religieuse ou ethnique.

En Thaïlande, je suis choquée par le rétrécissement dramatique de l’espace civique et le recours régulier à de graves accusations pénales contre des individus, y compris des enfants, pour avoir exercé leurs droits d’expression et de réunion pacifique, que ce soit en ligne ou hors ligne. Plusieurs projets de loi en cours d’examen pourraient avoir des répercussions considérables sur les droits de l’homme et affaiblir davantage l’espace civique. En particulier, la législation proposée sur les associations à but non lucratif confère des pouvoirs discrétionnaires excessivement vastes permettant de refuser l’enregistrement de ces associations, de restreindre leurs activités et d’imposer des charges criminelles contre des organisations de la société civile et des individus. J’appelle le Gouvernement à rendre ces projets de loi pleinement conformes aux normes internationales en matière de droits de l’homme et à respecter ses obligations en matière de protection des libertés fondamentales des personnes, y compris en ligne. Les citoyens doivent avoir la possibilité d’exprimer et de défendre en toute sécurité leurs opinions sur toutes les questions d’intérêt public sans crainte de représailles.

Concernant le Viet Nam, je reste préoccupée par les récentes condamnations de plusieurs personnes pour des motifs liés à leur action en faveur des droits de l’homme. En référence au récent rapport du Secrétaire général sur les représailles, je réitère ma demande auprès du Gouvernement pour qu’il veille à ce que le droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association soit respecté, sans harcèlement, sans intimidations et sans représailles.

Excellences,

Ce Conseil s’emploie à empêcher les violations des droits de l’homme qui sont à l’origine de conflits et de souffrances insupportables. Il défend les principes qui permettront d’assurer un avenir sain, pacifique et durable à nos enfants – et à leurs enfants, pour les générations futures. Ce chemin vers la paix, la sécurité et un développement sain et durable commence par l’inclusion effective de tous les membres de la société dans un processus décisionnel représentatif et responsable, en vue d’assurer une plus grande justice et de réaliser les droits de l’homme de tous. Notre travail consiste à faire progresser tous les pays sur cette voie.

Merci M. le Président.