Déclarations et discours Multiple Mechanisms FR
Myanmar: High Commissioner details severe violations amid shocking violence
06 mars 2023
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
52e session du Conseil des droits de l’homme
A partir de
Dialogue interactif sur le Myanmar
Lieu
Genève
M. le Président,
Excellences,
Chers collègues et amis,
Le Myanmar est un pays qui m’est cher et dans lequel je me suis rendu à de nombreuses reprises. Lors des élections de 2015, j’ai été témoin du processus complexe d’ouverture au monde dans lequel le pays s’était lancé et j’ai été encouragé par l’espoir et l’optimisme que nous avions pu observer à l’époque dans le cadre du processus d’édification de cette nation.
Le peuple du Myanmar savait qu’il devait faire face à de nombreux obstacles. Des décennies d’isolation. Une longue période de répression. Le nationalisme ethnique, en particulier la discrimination, l’exclusion structurelle et la violence profonde à l’encontre des Rohingya ; j’en ai d’ailleurs rencontré beaucoup au fil des ans. Des possibilités d’éducation perdues. La pauvreté. Cela n’allait jamais être simple, mais il y avait un espoir sincère.
Toutefois, l’espoir se fait rare à présent au Myanmar.
Alors que le pays entre dans sa troisième année de crise engendrée par le régime militaire, sa population continue de subir de graves atteintes aux droits humains, une situation d’urgence humanitaire qui se dégrade, l’impunité persistante des autorités militaires et une crise économique qui s’aggrave.
Le conflit armé a continué à prendre de l’ampleur et à s’intensifier, avec des attaques contre des civils qui rappellent celles de 2017, lorsque l’armée a attaqué des communautés rohingya dans l’État rakhine.
Cependant, les opérations militaires s’accompagnent à présent de plus en plus de frappes aériennes, de tirs d’artillerie et d’armes lourdes utilisées contre les communautés civiles à travers le pays.
Notre dernier rapport (A/HRC/52/21) décrit plusieurs incidents sur lesquels mon équipe a enquêté, au cours desquels des centaines de maisons ont été incendiées et des dizaines de personnes, dont des enfants, ont été tuées par des bombardements et des raids militaires.
Dans l’ensemble, l’armée a augmenté de 141 % les frappes aériennes contre des zones civiles au cours de la deuxième année de la prise de pouvoir militaire. Les tirs d’artillerie sur les communautés, y compris les hôpitaux, les écoles et les lieux de culte, ont augmenté de plus de 100 %.
Malgré les déclarations officielles selon lesquelles ces tactiques ciblent des groupes armés s’opposant au pouvoir militaire, dans de nombreux cas, les témoignages recueillis par le HCDH n’ont pas révélé la présence de tels groupes.
L’utilisation par l’armée des incendies criminels dans tout le pays rappelle les attaques commises précédemment contre les civils dans l’État rakhine. Les incidents au cours desquels des maisons et des quartiers ont été incendiés ont augmenté de 380 % au cours de la deuxième année qui a suivi le coup d’État, ce qui a entraîné une augmentation estimée à 1 200 % du nombre de maisons détruites.
Plus particulièrement, dans la région de Sagaing, au nord-ouest de Mandalay, nous continuons de recevoir des informations quotidiennes faisant état de nouveaux incidents, des soldats se déplaçant visiblement de village en village, pillant puis incendiant les maisons et les exploitations agricoles.
Des collègues de l’ONU ont indiqué que depuis la prise du pouvoir par l’armée, quelque 39 000 structures ont été brûlées dans les villages et les villes où l’armée est intervenue. Des images satellites confirment que de nombreux incidents ont entraîné la destruction de villages entiers, tandis que d’autres villages ont été incendiés à plusieurs reprises.
Les personnes qui ne peuvent pas fuir risquent de mourir brûlées. Celles et ceux qui peuvent s’enfuir (on compte plus de 1,3 million de personnes déplacées depuis le coup d’État) sont confrontés à la misère.
Dans l’ensemble, des sources crédibles ont confirmé qu’au moins 2 947 civils ont été tués par l’armée et ses unités affiliées depuis 2021, dont 244 enfants. Plus d’un tiers de ces décès confirmés sont survenus lors d’une détention militaire. Le véritable nombre de victimes civiles est sans doute bien plus élevé.
Excellences,
Le mépris pour la vie humaine et les droits humains dont font continuellement preuve les militaires constitue un affront à la conscience de l’humanité.
Plusieurs incidents ont été signalés, au cours desquels des groupes armés ont attaqué et tué des civils perçus comme travaillant pour ou avec l’armée. Dans certains cas, des membres de la famille ont également été pris pour cibles. De tels actes ne constituent en aucun cas une forme légitime d’opposition ou de résistance. Ils constituent des meurtres et doivent être condamnés.
Si je note que l’ampleur des violations des droits humains commises par les groupes armés semble considérablement inférieure à celle des violations commises par les militaires, je dois souligner que toutes les parties armées doivent mettre en place ou renforcer leurs efforts pour se conformer aux principes fondamentaux du droit international humanitaire, notamment la protection des civils.
Il est impératif que les militaires respectent la résolution S/RES/2669 du Conseil de sécurité de décembre et prennent des mesures pour mettre fin à la violence.
Monsieur le Président,
Le 1er février 2023, deux ans après avoir pris le pouvoir, les militaires ont prolongé l’état d’urgence et, depuis, ont étendu à deux reprises la loi martiale à de vastes régions du nord-ouest et du sud-est du pays.
Les civils sont ainsi soumis à la compétence élargie des tribunaux militaires, sans possibilité d’appel, même en cas d’application de la peine de mort. Des sources fiables ont pu confirmer que depuis le 1er février 2021, au moins 17 572 personnes ont été arrêtées (dont 381 enfants) et 13 763 sont toujours en détention.
Dans tout le pays, des détenus ont fait état de passages à tabac, de simulacres d’exécution, de suspensions au plafond sans eau ni nourriture, d’électrocutions et de violences sexuelles. Je condamne ce recours vraisemblablement généralisé à la torture et aux mauvais traitements, ainsi que les témoignages concordants faisant état de conditions de détention déplorables.
Les droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion et de circulation ont été de plus en plus restreints (stratégiquement, semble-t-il) et continuent d’étouffer les libertés des médias et l’espace civique.
Le simple fait d’« aimer » un message sur Facebook peut conduire à une inculpation pour terrorisme, passible d’une peine de dix ans de réclusion ou plus, à l’issue d’un procès opaque qui ne respecte absolument pas les normes garantissant un procès équitable.
Des restrictions supplémentaires particulièrement sévères ont été imposées concernant l’enregistrement des organisations à but non lucratif et limitent leur capacité à faire leur travail.
Les effets de la pandémie de COVID-19 sur les moyens de subsistance de base et les niveaux de pauvreté dans le pays sont également alarmants.
Dans tout le pays, 17,6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et plus de 15,2 millions sont confrontées à une situation d’insécurité alimentaire aiguë. Alors que les besoins humanitaires sont si importants, ces règlementations empêcheront de nombreuses ONG de fournir des biens et des services essentiels.
Excellences,
La communauté rohingya restée au Myanmar, qui a déjà enduré des décennies de persécution, continue de faire l’objet d’une discrimination généralisée et systématique dans tous les domaines de la vie.
Les conditions nécessaires au retour volontaire, sûr et digne des réfugiés dans l’État rakhine ne sont tout simplement pas réunies, et les plus d’un million de Rohingya qui restent en exil forcé au Bangladesh et dans d’autres pays, ainsi que les centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays, sont confrontés à une situation difficile aujourd’hui et entrevoient un avenir pire encore.
Au cours de l’année écoulée, des milliers d’autres Rohingya ont cherché à fuir ces conditions insupportables. Au moins 3 500 tentatives de traversées en mer en 2022, soit une augmentation de 360 % par rapport à 2021. Au moins 348 de ces personnes ont péri ou ont été portées disparues en mer. C’est une tragédie.
En outre, environ 2 000 Rohingya ont été arrêtés en 2022 pour « déplacement non autorisé » au sein du Myanmar.
Il faut fixer d’urgence des objectifs, dont la reconnaissance de la citoyenneté et l’exercice des droits qui y sont associés, ainsi que la sécurité demandée à maintes reprises par les Rohingya comme condition essentielle à leur retour.
Dans l’intervalle, je demande à tous les pays de continuer à apporter une aide soutenue aux personnes qui fuient le Myanmar et aux communautés qui les accueillent dans la région, notamment au Bangladesh. Les pays d’accueil ont vraiment besoin d’un soutien continu et durable.
Le terrible incendie qui a ravagé la nuit dernière une partie des camps du sud du Bangladesh où plus d’un million de réfugiés rohingya ont trouvé refuge souligne la précarité de leur situation. Les récentes réductions importantes des rations alimentaires dans les camps, dues à un déficit de financement, aggravent leurs difficultés et l’insécurité générale qui règne dans ces camps.
L’aide internationale doit être renforcée et les réfugiés doivent pouvoir bénéficier d’une éducation et de moyens de subsistance afin de préserver leur dignité et de réduire leur situation de dépendance. J’ai été ému le mois dernier de voir de nombreux Rohingya, qui ont tout perdu, apporter leur aide aux victimes du séisme en Türkiye et en Syrie.
Il ne peut y avoir de perspective durable d’avenir sans reddition de comptes pour les violences cruelles du passé.
Les procédures en cours devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale concernant les graves violations des droits humains les plus fondamentaux dont ont été victimes les Rohingya en tant que groupe, simplement en raison de leur identité, méritent tout notre soutien.
Monsieur le Président,
Je reste profondément préoccupé par la perspective de nouvelles élections au Myanmar, alors que la violence échappe à tout contrôle, dans un contexte de déplacements massifs et de détention arbitraire de dirigeants politiques élus en février 2021, et de milliers d’autres depuis, dont le seul crime était de s’opposer à la prise de pouvoir par l’armée.
Les élections de novembre 2020 ont clairement montré que la population du pays souhaitait poursuivre la voie laborieuse des réformes démocratiques. Il est essentiel que l’avenir du pays soit décidé dans le cadre d’un processus mené par le peuple du Myanmar.
J’invite les membres de ce Conseil à mettre tout en œuvre pour apporter une aide humanitaire directement à la population du Myanmar, notamment en acheminant les opérations par l’intermédiaire d’organisations locales.
J’appelle également tous les États Membres des Nations Unies à promouvoir le dialogue et des solutions durables représentatives de la volonté du peuple du Myanmar, afin de mettre un terme à cette crise violente.
Le peuple du Myanmar mérite un avenir meilleur.
Merci.