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Déclarations Commission des droits de l'homme

Discours prononcé par Mme Micheline Calmy-Rey, Conseillère fédérale, Cheffe du Département fédéral des affaires étrangères

18 mars 2003



Commission des droits de l’homme
59ème session
18 mars 2003




Madame la Présidente,
Monsieur le Haut Commissaire,
Excellence, Mesdames et Messieurs les délégués,
Mesdames et Messieurs les représentants de la société civile,

Permettez-moi de vous remercier et de vous adresser, Madame la Présidente, les vœux que je formule pour votre plein succès dans les fonctions importantes et délicates que vous exercez.

J’aimerais ensuite exprimer à Monsieur le Haut Commissaire aux droits de l’homme mes félicitations pour sa récente nomination. Je salue en lui un citoyen du monde qui a des liens anciens avec mon pays et qui a démontré un talent particulier à gérer les situations les plus complexes avec tact et finesse. Je souhaite qu’à la tête du Haut commissariat, il puisse donner à cette institution l’efficacité et la vigueur que la situation des droits de la personne requiert. Dans cette lourde tâche, sachez que le soutien de la Suisse vous est acquis, ainsi qu’en témoigne, entre autres, sa récente décision de tripler sa contribution volontaire au Haut-Commissariat.

INTRODUCTION

Vous prenez la direction du Haut Commissariat dans un moment particulièrement grave et qui me conduit à m’interroger sur la responsabilité qui pèse sur cette Commission. Rarement la cause des droits de l’homme, que les Etats sont sensés servir collectivement, n’aura eu autant de poignante signification. Une question surgit : Sommes-nous à la hauteur ? Cette Commission joue-t-elle vraiment le rôle qui lui a été assigné voilà plus de 50 ans? Possédons-nous des mécanismes qui soient aptes à défendre et promouvoir les valeurs universelles des droits de la personne à travers le monde, et là où ces mécanismes existent, savons-nous vraiment en tirer le meilleur parti ?

La paix, le développement et les droits de l’homme sont indissolublement liés au devenir de la communauté internationale. Ces trois piliers que nous aurions voulu voir se fortifier au cours des années paraissent aujourd’hui, au contraire, menacés. C'est pourquoi, en réseau avec d'autres pays dont l'Autriche, la Suisse s'engage pour une sécurité humaine globale – une sécurité qui place la personne plutôt que les Etats au cœur de ses réflexions comme de son action politique et pratique.

I

La paix tout d’abord, puisque le risque de guerre en Irak est à nouveau actuel : alors que tant de conflits subsistent sur la planète en dépit des tentatives de règlement de l’ONU, nous voyons se dessiner avec une profonde déception l’échec de la voie pacifique qui aurait permis d’obtenir le désarmement de l’Irak et de mettre fin à ses violations du droit international. Cela démontre a contrario l’importance du renforcement de la juridiction internationale, illustrée par l’installation récente de la Cour pénale Internationale.

Pour l’heure, je voudrais placer au centre de ma réflexion le sort des populations civiles, victimes potentielles du conflit après avoir été celles d’une tyrannie qui n’a cessé de violer les droits de l’homme. A cet égard je tiens à rappeler que la guerre ne justifie pas tous les agissements et notamment pas les atteintes au droit et à l’existence des populations prises sous le feu, d’où qu’il vienne. Les violations des droits de la personne accompagnent hélas, comme vous le savez, la plupart des conflits en cours. Nous disposons pourtant d’un instrument auquel mon pays est fortement attaché et qui est le droit international humanitaire pour protéger les populations civiles, réglementer l’usage des armes et le comportement des forces armées.

Il convient de rappeler solennellement du haut de cette tribune le caractère central de ce droit, qui, s’il est appliqué, permet d’éviter aux populations civiles de payer un injuste tribut à la violence, à la destruction et à l’horreur. Tel est le défi que les Etats participants à cette Commission doivent relever : veiller à respecter et à faire respecter les dispositions du droit international humanitaire auquel Genève est associé. Que ce soit dans les conflits dont nous avons toléré trop longtemps la prolongation, ou dans celui qui s’annonce pour bientôt, nous devons afficher notre détermination à mettre en œuvre toutes les règles qui garantissent la protection des civils et la sauvegarde de conditions de vie décentes. Il incombe à cette Commission d’énoncer clairement la volonté de l’ensemble des Etats à cet égard. Voilà une mesure qui permettra de juger de la qualité du travail de la Commission.

II

En second lieu, ne nous dissimulons pas que la face hideuse de la guerre masque la réalité de la misère, de la faim et du dénuement dont souffrent deux tiers de la population mondiale. A quoi sert la proclamation de certains droits élémentaires comme l’accès à la nourriture, à l’eau, à la santé, à l’éducation, à la participation politique et à la justice ? Que fait cette Commission pour s’assurer dans la réalité des progrès dont nous sommes tous convenus dans ces domaines ? Sans le suivi par les Etats des recommandations des rapporteurs spéciaux qui traitent de ces thèmes, le mandat que nous leur avons donné suffit-il à une compréhension plus objective et à une mise en œuvre plus effective de ces droits ?

Pourtant les droits économiques, sociaux et culturels sont une des raisons d’être de cette Commission au même titre que les droits civils et politiques. Là encore, la Commission doit s’interroger sur la contribution qu’elle apporte à la lutte contre la pauvreté dans le monde et pour le développement durable, dont nous avons tous fait une priorité absolue, mais qui semble reculer au fur et à mesure que nous avançons. Si la dignité humaine est au cœur de cet engagement, il importe d'œuvrer plus fort et plus vite à supprimer les causes de l’instabilité et de l’inégalité qui affectent l’ensemble de la société internationale. Il est évident que la réalisation progressive de l’ensemble des droits de la personne est essentielle au processus de développement, et notamment à l’heure de la mondialisation, qui réclame encore plus d’équité et de justice sociale. Les travailleurs et les travailleuses qui jouissent de leurs libertés et vivent en démocratie seront mieux préparés à innover et feront montre des aptitudes dont les économies hautement concurrentielles d’aujourd’hui ont besoin.

III

La promotion et le respect universel des droits de la personne et des libertés fondamentales sont l’une des activités principales des Nations Unies. Le peuple suisse y est particulièrement sensible, mais la Suisse est consciente qu’elle n’a de leçons à donner à personne à ce sujet.

En automne dernier la Suisse a réuni pour la première fois une conférence nationale sur les droits humains et nous avons pu constater à cette occasion qu’il nous restait beaucoup à accomplir, ne serait-ce que pour remplir nos obligations au titre des conventions internationales que nous avons ratifiées. C’est vrai de la lutte contre le racisme, de certaines violences policières, ou du sort réservé aux sans-papiers. Le principe „à travail égal, salaire égal“ pour les femmes ou les droits des migrants, le rôle des acteurs économiques dans la promotion des droits de l’homme sont autant de sujets où la Suisse doit encore progresser.

Nous avons choisi la voie du dialogue et de la critique mutuelle pour maintenir les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme, que les Suisses partagent et qui sont le fondement de notre propre sécurité et de notre prospérité.

Un secteur dans lequel la Suisse se veut vigilante est celui du maintien du nécessaire équilibre entre la liberté individuelle et les impératifs de la sécurité de tous, y compris lors de circonstances exceptionnelles. Par exemple, dans le cas du terrorisme, les Etats ont le devoir de prévenir et de réprimer toutes les attaques de ce type qui sont autant d’atteintes graves à la démocratie, à l’état de droit, et aux droits de la personne. Cependant, comme le dit M. le Haut Commissaire aux Droits de l’homme, « même un état d’urgence déclaré lors d’une menace exceptionnelle (…) devrait être une extension de l’état de droit et non son abrogation“. La lutte contre le terrorisme ne saurait violer les valeurs incarnées par le droit international qu’elle prétend défendre. De Guantanamo à la Tchétchénie, du Xinjiang au Cachemire, en Palestine et en Israël, et dans de multiples autres théâtres de conflits, ce principe exigeant doit s’imposer. La responsabilité des gouvernements, mais aussi des acteurs non étatiques, est ici engagée.

Dans cet esprit, je relève que certains droits sont absolus : il ne peut être dérogé au droit à la vie, à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou encore à l’interdiction de la discrimination raciale. En particulier, aucune situation ne saurait légitimer la torture. Le droit coutumier impératif la condamne et la Suisse a salué comme il se doit l’adoption par l’ONU, sur proposition de cette commission, d’un Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

CONCLUSION

Pour conclure, Madame la Présidente, j’en reviens à ce qui m’apparaît comme la vocation de cette Commission : c’est de rester ce forum unique, un espace de dialogue où nous cultivons l’échange de vues, animés de la volonté de renforcer constamment les normes et les mécanismes de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Mais ne nous payons pas de mots s’il vous plaît. Les six conventions universelles fondamentales, appuyées par leurs mécanismes de surveillance et les procédures spéciales de la Commission, forment à la fois le socle du développement ultérieur des droits de l’homme et le ferment nécessaire pour y parvenir. Or ils sont contestés jusqu’au sein de la Commission. D’où ma question : ne conviendrait-il pas de réserver l’accès à la Commission à ceux qui acceptent d’appliquer ces instruments, d’utiliser et de coopérer avec les mécanismes issus de la Commission ? C’est en tout cas un facteur dont la Suisse tiendra compte lorsqu’il s’agira d’élire les membres de cet organe.

Comme toutes les institutions de la communauté internationale, la Commission se trouve à la croisée des chemins et sa crédibilité est en jeu. La réforme de ses méthodes de travail mais aussi son approche générale sont aujourd’hui mises en cause. Remplit-elle encore l’office auquel la communauté internationale l’a destinée ? Ne se perd-elle pas parfois dans des discussions byzantines ou sibyllines que seuls les initiés peuvent suivre ? Les peuples des Nations Unies, ultimes destinataires de nos travaux, attendent de la Commission un dialogue clair et transparent, une ambition sans faille et la projection dans la réalité de valeurs élémentaires communes par des moyens simples et aisément vérifiables. Ils mesurent notre impact en termes de changement dans leur vie, l’amélioration de leurs conditions et davantage de libertés. Sommes-nous à même de le leur apporter ?

Je vous remercie.

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