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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Présentation de l’Office de l’Haut Commissariat aux droits de l’homme a la Conférence internationale de l’Union Internationale des Magistrats

13 novembre 2006


Lomé, 13 novembre 2006

Excellences,
Distingués participants,
Mesdames et Messieurs,

Je vous suis reconnaissante de l’opportunité que vous me donnez de contribuer à cette importante conférence internationale organisée par l’Union Internationale des Magistrats, d’autant que les sujets qui seront abordés ici sont de réels défis dans le cadre de la protection de l’indépendance du pouvoir judiciaire. La Haut-commissaire regrette de ne pas pouvoir être parmi vous aujourd’hui, mais vous assure qu’elle reste déterminée à suivre de près le résultat de vos travaux.

Le respect des droits de l’homme, y compris dans des états démocratiques, n’est possible que grâce à l’existence d’un système judiciaire indépendant, capable de contrôler la conformité des dispositions prises par les pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que leur mise en œuvre, avec les normes nationales et internationale en matière de droits de l’homme. Aucune société démocratique ne peut se permettre de donner les pleins pouvoirs à l’exécutif, y compris pendant un état d’urgence, sans contrôle judiciaire. Aucune société démocratique ne peut retirer la possibilité de soumettre à l’examen d’un juge une détention. Aucune société démocratique ne doit soustraire au contrôle judiciaire des mesures limitatives de droits. Dans un Etat de droit, rien ne peut remplacer l’approche de principe des membres du pouvoir judiciaire vis-à-vis de questions complexes d’intérêt national. Un pouvoir judiciaire indépendant est le garant de l’existence d’une société démocratique basée sur la règle de droit dans le respect des droits de l’homme.

Pour que la justice soit indépendante, le système judiciaire doit garantir un certain nombre de conditions qui permettent aux juges de prendre leurs décisions sans pression ou interférence. Les principales conditions nécessaires pour garantir une justice indépendante ont fait l’objet d’un débat au niveau international, qui a abouti à l’adoption des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature. Ces principes ont été adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l'Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre1985 et 40/146 du 13 décembre 1985. Ces Principes fondamentaux, établissent des garanties communes aux systèmes juridiques du monde entier. Ils offrent des garanties qui s’appliquent tant au juge en tant que tel qu’à l’appareil judiciaire en tant que système. Je voudrais brièvement parcourir avec vous certains de ces principes.

Le second Principe établit que « Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d'après les faits et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l'objet d'influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit ». Conformément à ce principe central de la non-interférence, l’indépendance englobe l’impartialité mais va au-delà de ce concept. Alors que l’impartialité est le fait pour un juge de statuer sans préjugés et sur la base de la loi, donc sans que lui-même n’influence son jugement par des éléments autres que la loi et l’intérêt des parties, l’indépendance requiert que le juge soit immunisé de toute influence extérieure. Il est donc primordial que le Gouvernement mette en place des garanties qui empêchent que les juges ne soient soumis à des pressions extérieures, notamment des pouvoirs exécutif et législatif, mais également de l’opposition ou de groupe paramilitaires, ou d’autres pouvoirs tel que le pouvoir économique ou médiatique. Mais la formulation du Principe 2 implique également que le juge soit libre de toute influence provenant de l’intérieur même du pouvoir judiciaire. Donc des garanties doivent être mises en place afin d’assurer que le juge soit libre de prendre sa décision basée uniquement sur la loi, sans être soumis à des pressions ou craindre de sanctions de ses collègues ou de ses supérieurs hiérarchiques.

Les Principes 3 et 5 posent quant à eux le principe du monopole de l’action juridictionnelle, selon lequel le pouvoir judicaire doit avoir juridiction sur toute question d’ordre judiciaire, et toute personne doit avoir le droit d’être jugée par un tribunal ordinaire. Ces principes visent notamment à éviter que des organes non-judicaires ou des juridictions spéciales, notamment de type administratif ou militaire, puissent statuer sur des questions judiciaires sans pour autant fournir les garanties d’indépendance nécessaires.

Un autre élément essentiel est la capacité d’autogestion du pouvoir judiciaire, pour garantir son indépendance en tant que système. Pour éviter toute influence des autres pouvoirs, le pouvoir judiciaire doit avoir une autonomie organisationnelle et financière suffisante. Cela implique notamment que la nomination, la promotion, le transfert et le renvoi des juges ne soit pas du ressort exclusif de l’exécutif, mais relève d’un organe indépendant. L’inamovibilité des juges jusqu’à l’âge de la retraite ou la fin de leur mandat, posé par le Principe 12, doit également être garantie, ainsi que leur immunité contre toute action civile en raison d'abus ou d'omissions dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires. Des procédures équitables pour toute action disciplinaire à leur encontre doivent également être établies. Concernant l’autonomie financière, une manière de la garantir pourrait consister par exemple à allouer au pouvoir judicaire un pourcentage fixe du budget de l’Etat.

Les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature garantissent également la liberté d’expression et d’association des juges, et indiquent les qualifications nécessaires pour pouvoir exercer la profession de juge, dont l’intégrité et la compétence sont les éléments centraux. Ces Principes ont été adoptés il y a maintenant un peu plus de 20 ans. Ils ont sans aucun doute démontré leur grande utilité. Mais la possibilité de les améliorer devrait être prise en considération, car ces Principes n’abordent malheureusement pas certaines questions centrales relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Par exemple, la question de l’indépendance financière et organisationnelle du pouvoir judiciaire n’est pas abordée de façon satisfaisante par les Principes.

Par ailleurs, la question de l’impartialité et de l’intégrité des magistrats est fondamentale pour assurer l’égalité de traitement de tous devant les tribunaux, et un exercice correct de la fonction judiciaire. A cet égard, les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire de 2002 sont une source de référence dans ce domaine, et pourraient faire l’objet d’un examen approfondi dans le cadre des Nations Unies afin de parvenir à un consensus dans ce domaine. Il est à signaler que le Conseil économique et social, en juillet 2006, a invité les Etats membres à encourager, dans le cadre de leurs systèmes juridiques internes, leurs magistrats à prendre en considération ces Principes lorsqu’ils examinent ou élaborent des règles relatives au comportement professionnel et éthique des membres des professions judiciaires Conseil économique et social, 2006/23 Renforcement des principes fondamentaux relatifs à la conduite des magistrats, para.1, Résolutions et décisions adoptées par le Conseil économique et social à sa session de fond de 2006 (3-28 juillet 2006), E/2006/INF/2/Add.1.

Après avoir parcouru les principaux standards internationaux qui régissent cette matière si fondamentale pour le respect des droits humains, je voudrais vous donner un aperçu des moyens dont s’est doté le Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies pour promouvoir la mise en œuvre de ces principes.

Un des aspects les plus importants du travail de notre bureau porte sur la promotion de l’indépendance du pouvoir judiciaire, en tant qu’élément central de la protection juridique des droits de l’homme. Dans le cadre de son mandat, notre Bureau s’occupe de plusieurs aspects de la promotion du rôle des organes judiciaires dans la protection des droits de l’homme par le biais de programmes, formations, conférences et séminaires visant les juges et les avocats en tant qu’acteurs clefs de leur mise en œuvre. Ceci s’accompagne du développement de standards en matière de justice militaire, ainsi que du renforcement de la dimension des droits de l’homme dans le travail de la police et de manière plus générale de la mission de maintien de l’ordre de l’Etat. Un travail de recherche est également entrepris dans des domaines tels que la justice informelle et la justice traditionnelle. Le Bureau s’efforce de donner des conseils et de fournir de l’assistance aux Etats membres sur les exigences fondamentales relatives au droit à un procès équitable qui doivent être respectées en tout temps, y compris lors d’un état d’urgence.

Dans cette perspective, notre Bureau vient d’organiser, en partenariat avec la Commission Internationale des Juristes, une Conférence d’experts portant sur les droits de l’homme et l’administration de la justice par les tribunaux militaires. L’objectif était de permettre aux experts d’obtenir une meilleure compréhension des problèmes juridictionnels dans le cadre de l’administration de la justice par les tribunaux militaires, en prenant en considération les différentes perspectives, approches et expériences nationales des participants. En particulier, les experts ont examinés la question de la juridiction des tribunaux militaires en période de paix, de conflit et lors d’états d’urgence.

En mars 2006, l’Assemblé générale a adopté la résolution portant création du Conseil des droits de l’homme. Le nouveau Conseil est dans un processus de révision des mandats crées par la Commission et doit établir un mécanisme d’examen périodique universel d’ici juin 2007. Le Bureau apporte tout son soutien à ce nouvel organe dont les modes de fonctionnement sont encore en cours d’élaboration.

Le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, expert indépendant dont le mandat a été crée par la Commission des droits de l’homme en 1994, est l’un des instruments établis par les Nations Unies pour promouvoir l’indépendance du pouvoir judiciaire dans le monde. Le Rapporteur spécial s’acquitte de son mandat en faisant des visites dans des pays pour y évaluer l’état de l’indépendance du système judiciaire et faire des recommandations au Gouvernement pour le renforcement de cette indépendance. Il est également saisi de plaintes relatives à des situations spécifiques sur la base desquelles il peut envoyer aux Gouvernements des appels urgents pour attirer leur attention sur des allégations de violations de l’indépendance du pouvoir judiciaire et leur demander de prendre des mesures à ce sujet, conformément aux standards internationaux. Il soumet aussi régulièrement des rapports au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et à l’Assemblée générale, dont un rapport général contentant ses principales constatations ou préoccupations touchant à l’indépendance des juges et des avocats dans le monde, ainsi que les rapports de ses missions dans les pays comme annexes séparées.

Dans ses derniers rapports, le Rapporteur spécial a notamment mis l’accent sur l’importance de rétablir une justice indépendante et efficace dans les pays en transition vers un système démocratique ou sortis d’un conflit. Il a alerté la communauté internationale sur la grave érosion de l’indépendance du pouvoir judiciaire résultant de certaines politiques de lutte contre le terrorisme. Il a également établi que l’étendue de la juridiction des tribunaux militaires dans de nombreux pays constitue une grave violation du droit fondamental de la personne à un procès équitable par un tribunal indépendant, et a invité les Etats à limiter l’étendue de cette juridiction conformément aux standards internationaux applicables.

De nos jours, force est de constater que l’indépendance de la magistrature – la pierre angulaire d’un Etat de droit – est compromise dans certaines régions du monde. De nombreux Etats touchent dans ses fondements l’indépendance du système judiciaire, notamment au nom de la lutte contre le terrorisme. Des mesures d’exceptions prises par les Etats ainsi que leur mise en œuvre ne sont plus soumises au contrôle des tribunaux. Des civils sont jugés par des tribunaux d’exception, qui n’offrent pas suffisamment de garanties d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Des individus se trouvent dans des situations de non-droit, sans aucune possibilité d’avoir recours à un juge. Enfin, des juges font l’objet d’attaques portées à leur encontre par les pouvoirs publics dans le but de les intimider sur la base de prétendues conséquences dramatiques pour le maintien de l’ordre public ou la sécurité nationale résultant de leurs décisions. Toutes ces situations sont inadmissibles pour des démocraties. Ainsi que l’a récemment rappelé le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, il est absolument nécessaire que toutes les mesures limitatives des droits de l’homme soient contrôlées par le pouvoir judiciaire afin qu’elles demeurent légales, proportionnées et effectives, pour assurer que le pouvoir exécutif puisse être tenu responsable des mesures prises. Ceci est particulièrement important dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, où le pouvoir exécutif peut se cacher derrière le prétexte de la confidentialité des informations, qui ne peuvent être ni vérifiées, ni contrôlées Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, M. Martin Scheinin, à Assemblée générale, 16 aout 2006, A/61/267. .

Afin de répondre à certaines de ces questions, notre Bureau organise, en coopération avec le Bureau des Institutions Démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) un séminaire portant sur les droits de l’homme et la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme, qui se tiendra au Liechtenstein du 15 au 17 novembre. Les questions qui seront abordées porteront sur le transfert des personnes – notamment le principe de non-refoulement et les problèmes liés aux obligations procédurales – et le transfert d’information ainsi les sanctions nationales et internationales en matière de lutte contre le terrorisme.

Concernant le continent africain, Mr. Leandro Despouy qui est le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats depuis 2003, espère pouvoir travailler davantage sur l’Afrique à l’avenir. Il espère pouvoir se rendre en mission l’année prochaine au Kenya, en République Démocratique du Congo, ainsi qu’au Nigéria. Sa collaboration avec les pays africains, les juges et la société civile du continent n’a pas été suffisamment développée jusqu’ici. Il regrette en particulier de n’avoir pu participer à cette importante réunion à laquelle il a été invité mais il me prie de vous assurer de son intention d’établir des contacts avec vous, membres du pouvoir judiciaire en Afrique dès que possible, afin de collaborer avec vous pour recevoir plus d’informations sur la situation du pouvoir judicaire dans vos pays, et fournir ainsi sa contribution au renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire en Afrique.

Notre tâche pour sauvegarder, renforcer, développer et promouvoir l’indépendance du pouvoir judiciaire – votre indépendance – est immense. Il ne s’agit pas d’un privilège, mais d’une garantie de sauvegarde des droits de l’homme, dans une démocratie conforme à l’état de droit. Dans cette perspective, notre bureau se tient à votre disposition pour vous fournir assistance et conseils.

Je vous remercie de votre attention.

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