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Déclarations Commission des droits de l'homme

Discours du Ministre des Affaires Etrangères de la République Française, H.E. Mr. Dominique de Villepin

24 mars 2003



Commission des droits de l’homme
59ème session
24 mars 2003


Madame la Présidente,
Monsieur le Haut Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Délégués,

Il y a plus de dix ans, avec la chute du mur de Berlin, la fin de l’affrontement des blocs offrait aux peuples du monde l’espoir d’un ordre international nouveau.

La protection des victimes civiles des conflits, la défense des populations menacées par l’arbitraire des déplacements forcés ou les ravages de l’épuration ethnique, l’aide aux plus démunis, la lutte contre la famine ou les épidémies, prenaient une dimension nouvelle. La communauté internationale avait trop souvent fermé les yeux sur l’inacceptable, au nom du risque d’un affrontement entre les deux blocs. Désormais, elle se donnait de nouveaux moyens de traduire dans les faits les principes des droits de l’homme.

Les opérations conduites par les Nations unies en Somalie, en Haïti, au Rwanda, en Bosnie, au Timor et au Sierra Leone ont témoigné de ce nouvel engagement commun. L’unité des volontés semblait pouvoir se faire autour de quelques exigences : le respect de la vie humaine, l’affirmation de la liberté individuelle, le droit au développement.

Mais le droit est-il encore à la hauteur des enjeux de sécurité : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crime organisé ? Des tentations nouvelles commencent à prendre forme, privilégiant l’action unilatérale sur une recherche de l’unité qui serait synonyme d’impuissance.

Nous sommes à la croisée des chemins : la question des droits de l’homme est au cœur du débat. Si nous voulons que le droit prime, nous devons dès maintenant donner une efficacité nouvelle à nos institutions multilatérales, et en particulier à votre Commission.

Les Droits de l’Homme sont la seule référence universelle capable de jeter des ponts entre toutes les rives. Ils naissent de la fin de la séparation entre monde civilisé et monde prétendument barbare dans l’Antiquité. Ils mûrissent avec la Renaissance, au moment où la découverte du Nouveau Monde confronte l’Occident à l’altérité, et où Bartolomé de Las Casas s’insurge alors contre ceux qui « par leurs cruautés et leurs œuvres néfastes, ont dépeuplé et dévasté des terres pleines d’hommes doués de raison. »

Ils s’ancrent dans la pensée des Lumières, illuminées du double éclair des deux révolutions qui se répondent de part et d’autre de l’Atlantique. C’est là, entre deux continents, entre deux temps de l’histoire, que se fonde une morale nouvelle, animée par le respect de l’autre. Cette valeur universelle, au carrefour de toutes les grandes religions, peut dorénavant rassembler tous les hommes, par-delà les langues, les croyances, les nationalités, les cultures. Elle offre à l’humanité un principe d’unité, mais d’une unité respectueuse de toutes les différences, de l’infinie diversité de l’espèce humaine.

Cette exigence des droits de l’homme s’est fortifiée dans les épreuves du vingtième siècle. Face à l’horreur indicible de la Shoah, face à l’épouvante où l’humanité même avait été niée, Eleanor Roosevelt et René Cassin, symboles de l’alliance entre les peuples américains et français, apportèrent la seule réponse possible, en présidant à l’élaboration de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Depuis cinquante-cinq ans que votre Commission s’emploie à défendre cette Déclaration, les progrès accomplis ont été considérables. Partout dans le monde, des victoires décisives ont été obtenues. Si les dictatures communistes se sont effondrées, n’est-ce pas avant tout à l’appel de la liberté, grâce aux efforts de tous ceux qui ont lutté pacifiquement pour informer et mobiliser les peuples contre l’oppression et le silence ?

Ce combat pour les droits de l’homme est exigeant. Il se livre dans une tension permanente entre unité et diversité, entre affirmation de l’universel et respect des particularités. A nier le particulier, nous risquerions de nous engager dans l’uniformisation et le déni de l’autre. Mais à nier l’universel, nous pourrions être conduits à accepter l’irréparable. Il faut aussi savoir tracer la limite de la souveraineté face à l’impératif des droits de l’homme : comment concilier la souveraineté des Etats-Nations avec le devoir de faire respecter les droits de l’homme, lorsque des minorités y sont opprimées, voire massacrées ?

A chaque situation doit correspondre une solution adaptée, proportionnée et légitime.

En Bosnie en 1995 et au Kosovo en 1999, face au déni des principes les plus élémentaires de la dignité humaine, la France a joué un rôle essentiel dans la décision de la communauté internationale d’intervenir militairement. Il fallait mettre un terme immédiat à la barbarie de l’épuration ethnique. Oui, l’intervention était nécessaire.

Pour autant, faut-il un recours plus large et plus systématique à la force ? Nous avons plus que jamais le devoir, au nom de notre avenir à tous, de répondre à cette interrogation majeure : comment imposer le respect des libertés fondamentales à un Etat qui ne les respecte pas ? C’est vrai en Iraq, où votre Commission a dénoncé à juste titre, année après année, les violations des droits de l’homme. C’est vrai ailleurs.

Nous avons une conviction. On ne peut faire progresser le droit tout en le contournant. Si la force doit rester un dernier recours, elle ne peut s’ériger en principe d’action préventif et unilatéral. Cela ruinerait la confiance entre les Etats et conduirait à un engrenage de violence et de guerre. Cela nuirait avant tout au progrès des droits de l’homme eux-mêmes.

Notre devoir est d’ouvrir les portes de la liberté pour les peuples. Refusant catégoriquement toute complaisance à l’égard des dictatures, la France se veut porteuse d’un espoir au service de l’humanité. Elle veut tracer avec l’ensemble de la communauté internationale un chemin exigeant et lucide, afin de construire un monde meilleur.

Notre action doit être guidée par trois principes majeurs.

Premier principe : la responsabilité. Nous sommes comptables de nos actions dans la durée. Dans un monde toujours plus interdépendant, la force ne suffit pas. La véritable puissance exige désormais de convaincre et de mobiliser la communauté internationale.

Les démocraties ont une responsabilité particulière à l’égard des peuples : celle de la solidarité. Elle s’exprime à travers l’action des Etats. Elle s’exprime aussi, de façon complémentaire, à travers l’action courageuse et généreuse des organisations non gouvernementales, de plus en plus présentes sur le terrain de la défense des droits de l’homme.

Face aux conflits régionaux, notre devoir est de libérer les peuples de la spirale de la violence. Partout où résonne le fracas des armes, s’attisent de nouvelles haines, naissent de nouvelles fractures. Elles appelleront demain de nouvelles bombes et de nouvelles crises. A cet égard, la situation au Proche-Orient constitue la première urgence.

L’impunité constitue un facteur récurrent de violation des droits de l’homme. Elle favorise l’éclatement des conflits : pensons à la genèse et à la perpétuation des principaux conflits africains. Le refus de l’impunité ne doit pas pour autant empêcher le pardon, à l’image de la réconciliation sud-africaine. Mais en mettant fin à l’impunité, nous donnerons à la lutte en faveur des droits de l’homme une ampleur sans précédent.

C’est pourquoi nous nous sommes dotés, avec la Cour Pénale Internationale, d’un instrument exemplaire et stratégique pour repousser les frontières du non-droit et faire respecter le droit humanitaire international. Nous demandons la ratification universelle du statut de la Cour.

Nous devons défendre et consolider les sociétés civiles dans les pays qui n’ont pas achevé leur marche vers la démocratie et le développement. C’est ce que nous faisons en Afghanistan, en aidant à la reconstruction de l’Etat de droit. C’est le sens de notre action en Afrique, où nous soutenons le NEPAD, qui exprime la volonté des Africains de prendre en main leur destin.

La responsabilité implique le dialogue. Un dialogue ouvert et de bonne foi entre tous les pays, toutes les religions, toutes les civilisations. C’est pourquoi nous devons reconnaître l’égale dignité de toutes les cultures, lutter contre toutes les formes de racisme. Sans ce préalable, il n’est pas de responsabilité collective possible. Il n’est pas de paix possible.

Mais ce dialogue doit être exigeant, quelles que soient les contraintes de la culture, du développement ou de la géographie. Il doit porter des résultats concrets : qu’il s’agisse de l’échange sur les droits de l’homme entre l’Union Européenne et la Chine ; qu’il s’agisse de l’Iran.

Ces exigences valent aussi dans les situations de crise. En Tchétchénie, nous espérons que le référendum tenu hier constituera le premier pas vers une solution politique du conflit, seule issue à l’engrenage de la violence et du terrorisme. Sans méconnaître les défis auxquels la Russie est confrontée, nous l’appelons à permettre l'accès des organisations internationales et humanitaires au territoire.

Ces exigences concernent enfin les pays qui bafouent les règles de l’ordre international. Il est grand temps que la Commission se penche sur la situation en Corée du Nord où un peuple entier souffre dans l’oubli et le silence.

Deuxième principe : le respect. Il est le rempart de l’homme contre sa propre barbarie, toujours prête à renaître.

De la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 à l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher, la France est guidée par un idéal. Depuis longtemps déjà, elle place les droits civils et politiques au cœur même de son action. Parce qu’ils constituent l’héritage commun de l’humanité, ils doivent être reconnus par tous.

Le respect implique en effet la reconnaissance de l’universalité de ces droits, et en particulier de nos six grands pactes et traités. De formidables progrès ont été accomplis depuis la dernière conférence mondiale, il y a bientôt dix ans. Il faut aller jusqu’au bout et faire de ces instruments une référence universelle.

Je renouvelle ici solennellement l’appel du Président de la République française à l’abolition par tous les Etats de la peine de mort. Parce qu’aucune justice n’est infaillible. Parce que, surtout, la mort ne sert pas la justice.

Le respect de l’homme implique la lutte contre les disparitions forcées. A ce jour, près de 42.000 cas non élucidés ont été enregistrés dans soixante-dix-huit pays. Autant de malheurs qui percent le tissu des peuples et déchirent les familles. La Commission a engagé, avec le soutien actif de la France, la négociation d’une norme contraignante contre ce fléau. Nous rendons hommage aux initiatives du Comité international de la Croix rouge, pour affirmer le « droit de savoir ». Nous comptons sur l’appui de chacun de vos pays pour faire aboutir cette démarche urgente.

Le respect de l’homme implique également la fin de la torture : cette pratique renie fondamentalement la dignité de la personne humaine. La France se félicite de l’adoption du protocole additionnel à la Convention contre la torture. Nous appelons de nos vœux la ratification rapide de ce texte, afin qu’il puisse entrer en application.

Mais le respect de la dignité humaine implique aussi la reconnaissance des droits économiques et sociaux. Cette notion a vu le jour avec la révolution industrielle et technique des XIXe et XXe siècles. Elle demeure aujourd’hui particulièrement nécessaire, au moment où la diffusion des technologies de l’information et de la communication accélère la circulation des richesses mais creuse dramatiquement les inégalités. Nous ne pouvons accepter que le spectre de la grande pauvreté et de la misère continue de planer sur des populations entières.

La mondialisation offre un potentiel de développement extraordinaire. Les peuples, les cultures sont désormais constamment présents les uns aux autres : pour que le dialogue, et non la violence, surgisse de cette confrontation, les hommes ont besoin de la grammaire commune des droits de l’homme. Sans humanisme, la mondialisation risquerait d’être destructrice ; par les droits de l’homme, elle peut s’affirmer porteuse de toute la diversité du monde, facteur de dialogue et d’enrichissement mutuel.

La Commission des Droits de l’Homme doit apporter sa contribution à la réalisation des objectifs fixés dans la déclaration du Millénaire et des engagements pris à Johannesburg. Elle doit favoriser l’accès à la santé et à l’éducation, en particulier pour les enfants. Ces objectifs constituent une clé majeure du développement, de la démocratie et de la paix. Luttons ensemble contre les pandémies qui ravagent des pays et des continents entiers. Nous ne pouvons accepter que le sida décime les peuples et dévaste leur société civile, quand les moyens de prévention existent, quand des traitements sont disponibles dans les pays les plus développés.

Les populations vulnérables doivent faire l’objet d’une protection particulière. Il faut défendre les peuples premiers. Leur apport essentiel à l’humanité doit être universellement reconnue. Leurs cultures méritent d’autant plus le respect qu’elles sont plus fragiles.

Enfin, la révolution des sciences du vivant est porteuse d'immenses espoirs. Mais elle doit être encadrée et ses incidences sur les droits de l'homme mesurées. C'est dans cette intention que la France, avec l'Allemagne, vous soumettra une résolution sur les droits de l'homme et la bioéthique. Nos deux pays poursuivront également à l'Assemblée générale leur initiative en vue de l'interdiction, universelle et urgente, du clonage humain à des fins reproductives.

Troisième principe : l’exemplarité. Parce que les droits de l’homme tirent leur force de leur universalité, ils impliquent des devoirs pour tous. Trois règles sont au cœur de notre engagement.

Première règle : l’impartialité. Il ne saurait y avoir deux poids, deux mesures en matière de droits de l’homme. Face à la crise ivoirienne, la France s’est engagée au nom de certains principes : respect de la légitimité démocratique, appui aux médiations régionales, souci de faire respecter les droits de l’homme dans leur intégralité, et non de façon partisane. C’est pourquoi elle a demandé que toute la lumière soit faite sur les exactions commises depuis le début de la crise et sur l’ensemble du territoire.

Ne pas instrumentaliser les droits de l’homme, c’est les respecter dans leur intégralité. Face au terrorisme, rien ne serait plus dangereux que de consentir à les mettre entre parenthèses. La lutte contre ce fléau ne sera efficace que si elle renforce nos principes d’action commune et nos valeurs.

Deuxième règle : l’efficacité. Face à un monde hanté de menaces et saturé de peur, nous devons garder en permanence une exigence de résultat.

Nous devons donc nous donner les moyens de notre ambition. Je veux rendre hommage à l’action du Haut Commissariat aux droits de l’homme. Je tiens à saluer son nouveau Haut Commissaire, M. Vieira de Mello et à lui dire qu’en liaison avec nos partenaires européens, nous lancerons une initiative pour augmenter substantiellement la dotation du Haut Commissariat dans le budget ordinaire des Nations Unies. Nous veillerons à ce que la Francophonie, pour laquelle l’engagement en faveur de la démocratie constitue une priorité, renforce ses liens avec le Haut Commissariat.

La France, au nom de laquelle je rends hommage à vos rapporteurs spéciaux et vos experts, est particulièrement attachée au bon fonctionnement des mécanismes de votre Commission et à la pleine coopération des états avec eux. Elle proposera la prolongation du mandat du groupe de travail sur la détention arbitraire. Elle appuiera toutes vos démarches pour rendre votre action plus rapide, plus facile et plus efficace.

Troisième règle : la vigilance. Aucun d’entre nous ne peut s’ériger en donneur de leçons. Ensemble, nous devons en permanence être en quête de perfectionnement et partager nos expériences.

Cette règle s’applique à tous, et davantage encore à ceux qui ont la haute charge de représenter notre Commission. Ainsi, nous attendons de la Libye, qui en exerce aujourd’hui la présidence, qu’elle se montre exigeante et respectueuse de ses obligations en matière de droits de l’homme. A nous tous j’adresse un message simple et fort : être membre de cette Commission implique des devoirs particuliers.

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui et ici, je pense à toutes les victimes impuissantes des conflits, aux femmes dont les droits élémentaires sont bafoués, aux enfants qu’on enrôle de force dans les armées. Je pense à tous ceux pour qui le mot liberté est synonyme d’espoir.

Je pense à tous les otages, comme Ingrid Bétancourt, encore aujourd’hui détenus par des groupes armés, en Colombie et ailleurs. Je pense à leurs familles. Je pense à tous ceux qui souffrent et qui résistent.

Je pense à ces hommes et à ces femmes qui se sont levés pour mener le combat le plus noble : faire respecter la liberté et la dignité humaine. A Gandhi et à Mandela, à Aung San Suu Kyi et à Rigoberta Menchu Tum.

De leur exemple, d’un long cortège de souffrances et de misère, émergent une conscience universelle, l’affirmation d’une communauté de destin propre à toute notre humanité, fondées sur la tolérance et le respect de l’autre. Il revient à chacun d’entre nous d’inscrire ces valeurs les plus nobles au cœur de nos actions collectives.

Je vous remercie.

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