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Déclarations Procédures spéciales

Le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme des migrants conclut sa première visite de pays dans son étude régionale des droits de l’homme des migrants aux frontières de l’Union européenne : Visite en Tunisie

11 juin 2012

TUNIS (8 juin 2012):
A l’invitation du gouvernement, j’ai fait une visite en Tunisie du 3 au 8 juin 2012 pour enquêter sur la situation des migrants en Tunisie, dans le contexte plus large de la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne (UE) dans la région méditerranéenne.

Au cours de ma visite de six jours, j’ai visité Tunis (تونس), le port de Zarzis (جرجيس), le poste frontière de Ras Ajdir (رأس جدير), des lieux de détention de migrants, y compris des prisons et des lieux d’hébergement, ainsi que le camp de réfugiés de Choucha. J’ai recueilli beaucoup d’information auprès de représentants du gouvernement, d’organismes de la société civile et d’organisations internationales, ainsi que de la part de migrants provenant de nombreux pays et résidant en Tunisie. L’objectif était d’évaluer la protection des droits de l’homme de ces derniers, tant par les lois, politiques et pratiques du gouvernement tunisien, que suite à l’impact des politiques européennes de contrôles migratoires aux frontières avec la région.

Je veux remercier le gouvernement tunisien pour son soutien et sa coopération dans la préparation et l’organisation de cette visite. Je veux aussi remercier sincèrement le bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Tunis, sans le soutien et l’assistance duquel la mission n’aurait pu se dérouler dans d’aussi bonnes conditions.

Ma mission s’est déroulée dans le contexte d’une étude d’une année portant sur les droits de l’homme des migrants aux frontières de l’UE. Dans les prochains mois, je visiterai d’autres points d’entrée dans l’UE, par des missions en Turquie, en Italie et en Grèce.

L’information recueillie servira à développer un rapport thématique sur la question. Ce rapport sera rendu public lors de sa soumission au Conseil des droits de l’homme en juin 2013. Je suis confiant que ce rapport sera utile à la mise en œuvre de solutions durables pour les migrants par les autorités des gouvernements concernés et par l’UE elle-même, particulièrement sur les questions de la gestion des frontières, par l’adoption d’une approche fondée sur les droits de l’homme garantis par le droit international.

En premier lieu, je veux féliciter le gouvernement de Tunisie pour la manière dont il a géré les conséquences de sa révolution de 2011. En particulier, je félicite les autorités et la population tunisiennes, pour une transition jusqu’ici pacifique et pour l’ouverture manifestée par le gouvernement tunisien envers l’adoption du cadre des droits de l’homme pour la construction d’une Tunisie démocratique.

Je félicite également les autorités tunisiennes pour les efforts qu’elles ont déployés à la frontière suite à la crise libyenne. J’ai appris que, durant cette crise, la Tunisie avait ouvert ses frontières et accueilli jusqu’à un million de personnes fuyant la Libye. La Tunisie a démontré comment une approche flexible et humanitaire des crises migratoires bénéficie non seulement aux migrants eux-mêmes, mais devient un outil de protection et de promotion des droits de l’homme pour tous en temps de crise. La grande majorité de ces réfugiés et migrants ont d’ailleurs déjà quitté la Tunisie.

Je sais aussi que, du fait du printemps arabe, de nombreux débats ont eu lieu en Europe au sujet des migrations d’Afrique du Nord. La révolution tunisienne et la crise libyenne ont eu un impact considérable sur le discours public concernant les migrations et les frontières.

L’information que j’ai pu réunir montre toutefois que, s’il y a eu des flux significatifs de migrants tunisiens vers l’Italie au plus chaud de la révolution tunisienne, les chiffres totaux sont peu élevés. Ceci est particulièrement notable lorsqu’ils sont comparés au nombre de migrants que la Tunisie a accueillis en provenance de Libye. De plus, malgré les craintes alarmistes d’un afflux continu de migrants tunisiens, l’expérience de 2011 semble avoir été une réponse ponctuelle à la révolution tunisienne, sans véritable suite.

J’observe de plus que les ports tunisiens ne semblent pas être les principaux lieux de départ par mer. J’ai reçu de nombreux rapports indiquant que la Libye demeure le passage clef par lequel les migrants tentent de traverser la Méditerranée. Néanmoins, les autorités tunisiennes, y compris la Garde Nationale Maritime, ont l’obligation de protéger toutes les personnes en détresse en mer. Elles doivent être félicitées pour leur récente action envers un bateau contenant plus de soixante personnes, y compris des femmes et des mineurs somaliens. Malgré la proximité des côtes italiennes et maltaises, dans ce cas-ci, les gardes côtes tunisiens assurèrent le sauvetage des passagers et les débarquèrent sains et saufs sur le territoire tunisien. Ils sont hébergés et pris en charge au camp de Choucha, où j’ai eu l’occasion d’en rencontrer plusieurs. J’encourage la Tunisie à continuer cette pratique de placer les droits de l’homme des migrants au cœur de ses opérations maritimes.

L’information recueillie montre que la plupart des initiatives migratoires régionales en provenance de l’UE restent centrées sur les contrôles frontaliers et négligent des questions importantes, comme la facilitation de la mobilité et de la migration régulière. J’encourage donc les autorités européennes à développer, dans le contexte des partenariats de migration et de mobilité en cours de négociations, et en lien avec les accords bilatéraux avec des pays membres de l’Union, une politique plus équilibrée de coopération migratoire avec la Tunisie. Celle-ci doit dépasser les questions seulement sécuritaires et développer de nouvelles initiatives, dans le cadre d’un véritable partenariat qui soit centré sur le respect, la protection et la promotion des droits de l’homme des migrants.

J’ai toutefois observé des situations préoccupantes au regard des droits des migrants en Tunisie. Premièrement, le passage irrégulier de la frontière, à l’entrée comme à la sortie, reste en Tunisie une infraction pénale passible de peines de prison (franchissement illégal de la frontière). Ceci contrevient au droit fondamental de toute personne de quitter tout pays, y compris le sien (art. 12, PIDCP). Les autorités tunisiennes affirment que les sanctions pénales ne sont généralement pas appliquées aux Tunisiens. J’ai toutefois été informé de cas de condamnations pénales, y compris pour des étrangers entrant irrégulièrement en Tunisie, suivies de périodes d’emprisonnement effectif. J’ai ainsi rencontré un mineur étranger non accompagné ayant franchi la frontière irrégulièrement, qui fut condamné à 9 jours de prison, qui servit sa sentence dans un centre juvénile fermé et fut ensuite transféré dans un centre de détention en attendant son expulsion.

De plus, je m’inquiète de l’absence d’une procédure adéquate de reconnaissance du statut de réfugié en Tunisie. J’ai appris que les autorités tunisiennes sont en cours de préparation d’une telle procédure et les encourage à faire adopter ce projet le plus rapidement possible de manière à fournir un cadre juridique complet permettant une protection efficace de tous les réfugiés et demandeurs d’asile en Tunisie. Dans ce contexte, j’ai aussi reçu des rapports selon lesquels des étrangers tentent de traverser irrégulièrement la frontière pour atteindre le camp de Choucha dans le but d’y déposer une demande d’asile. Toutefois, il est rapporté que, parfois, si les autorités tunisiennes les capturent avant d’atteindre le camp, ces personnes sont renvoyées en Libye. L’établissement d’une procédure de reconnaissance du statut de réfugié claire pourrait protéger les droits de ces individus vulnérables et pourrait faciliter la reconnaissance des besoins de protection de certaines catégories de migrants traversant la frontière.

De plus, les étrangers qui n’ont pas de documentation de voyage ou de séjour valide ou qui ont terminé une peine de prison sont souvent envoyés dans des « centres d’accueil et d’orientation » avant leur expulsion. J’ai visité le centre de Ouardia au sud de Tunis. Quelle que soit leur appellation officielle, tant que les intéressés ne sont pas libres de les quitter, il s’agit de centres de détention. Je suis particulièrement inquiet que des mineurs y soient détenus. J’ai rencontré un mineur qui se trouvait au centre depuis 21 jours, qui n’avait pas réussi à communiquer avec sa famille, laquelle ignorait où il se trouve, et qui ne put rencontrer les autorités consulaires de son pays qu’après s’être automutilé pour obtenir l’attention du personnel. La détention devrait toujours être une mesure de derniers recours, des mesures alternatives à la détention devraient être développées et les mineurs ne devraient jamais être détenus.

J’ai aussi rencontré des migrants détenus dans des prisons tunisiennes suite à une accusation pénale. Plusieurs de ces migrants disaient n’avoir pas eu accès à un avocat, ou la possibilité d’appeler leur famille ou leurs autorités consulaires. Je suis encore inquiet de la détention de jeunes hommes libyens, semble-t-il en vertu de la pénalisation de la consommation de drogue. Plusieurs ont nié avoir possédé de la drogue en Tunisie. Le dossier semble reposer sur des tests sanguins qui prouveraient une consommation de drogue avant d’entrer sur le territoire tunisien et semblerait indiquer qu’aucun crime n’a été commis sur le territoire tunisien. Plusieurs de ces migrants estiment que les accusations ne sont qu’un prétexte pour détenir des citoyens libyens en Tunisie. J’appelle donc les autorités tunisiennes de garantir tous les droits de ces étrangers, tels que prévus en droit international, dans toutes les procédures les concernant.

De plus, je suis aussi inquiet de la détention préventive de plusieurs Tunisiens que j’ai rencontrés et qui sont accusés de complicité dans des opérations de trafic de migrants, alors même que leur participation se serait limitée à des actes périphériques et qu’ils ne seraient aucunement liés à l’organisation d’opérations de trafic.

Conscient de la fragilité de la transition démocratique en Tunisie, je recommande vivement la consolidation d’une approche fondée sur les droits, qui veille au respect, à la protection et à la promotion en Tunisie de tous les droits pour tous, citoyens ou étrangers.

Recommandations aux autorités tunisiennes :

  • Garantir dans la nouvelle Constitution la protection de tous les droits de l’homme de chacun, y compris des migrants, quel que soit leur statut.
  • Établir une institution nationale des droits de l’homme qui respecte les principes de Paris, avec pour mandat la garantie des droits de l’homme de toute personne qui se trouve sur le territoire tunisien ou sous le contrôle des autorités tunisiennes, y compris des migrants.
  • Garantir que le mécanisme national de prévention en cours de création, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ait le mandat de visiter tous les lieux dans lesquels des migrants pourraient être détenus.
  • Décriminaliser le passage irrégulier des frontières.
  • Créer une procédure nationale de reconnaissance du statut de réfugié conforme aux normes internationales.
  • Garantir que tous les migrants privés de leur liberté puissent rapidement contacter leur famille et un avocat, lequel devrait être fourni gratuitement si nécessaire. Les migrants qui sont dans l’incapacité de payer pour leur retour au pays ne devraient pas être gardés en détention.
  • Ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
  • Encourager et appuyer les activités des ONGs qui soutiennent les migrants.

Recommandations pour l’Union européenne.

  • Continuer d’appuyer las transition démocratique tunisienne, dans le respect de tous les droits pour tous, y compris des migrants.
  • Dans le contexte des partenariats de migration et de mobilité en cours de négociation, adopter une politique plus équilibrée de coopération migratoire avec la Tunisie, qui dépasse le discours sur la sécurité et les contrôles aux frontières et développe un véritable partenariat centré sur le respect, la protection et la promotion des droits de l’homme des migrants.
  • Encourager également les États membres de l’Union qui ont avec la Tunisie des accords bilatéraux relatifs aux migrations de placer les droits de l’homme des migrants au cœur de la réalisation de ces accords.
  • Garantir que ses États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour secourir les migrants en détresse en mer méditerranée, y compris par le sauvetage de navire et l’embarquement de passagers et leur débarquement dans un port sûr, et intensifier les recherches des trois cents Tunisiens qui auraient disparus en mer.

François Crépeau (Canada) a été nommé Rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants en juin 2011 par le Conseil des droits de l'homme, pour une période initiale de trois ans. En tant que Rapporteur spécial, il est indépendant de tout gouvernement ou organisation et sert à titre individuel. Mr. Crépeau est également professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université McGill, à Montréal, où il détient la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public, et est directeur scientifique du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique.

Pour en savoir plus, connectez-vous à : http://www2.ohchr.org/english/issues/migration/rapporteur/index.htm
Voyez la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles: http://www2.ohchr.org/english/law/cmw.htm


Pour plus d'informations et les demandes des médias, s'il vous plaît contacter:
A Genève (avant la visite): Jacqui Zalcberg (+41 79 201 0124 /
jzalcberg@ohchr.org) ou écrire à migrant@ohchr.org
En Tunisie (lors de la visite): Akram Khalifa (+216 71 286 270 /
akhalifa@ohchr.org)

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