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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Remarques liminaires du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein lors d’une conférence de presse en République centrafricaine

Le Haut-Commissaire termine sa visite en République centrafricaine

04 septembre 2015

Bangui, 4 septembre 2015

Bonjour et merci pour votre présence.

C’est la première fois que je me rends en République centrafricaine, un pays où la situation des droits de l’homme, bien qu’ayant beaucoup progressé par rapport à celle qui prévalait au pic du conflit fin 2013 et début 2014, reste la source de vives inquiétudes, tant pour les habitants de la RCA que pour l’ONU.

Au terme d’une visite relativement courte, je ne tenterai pas de couvrir tous les aspects de la situation des droits de l’homme ici. J’aimerais me concentrer sur certains domaines clefs qui nécessitent une attention urgente.

Tout d’abord il est important de reconnaître qu’il y a eu plusieurs développements positifs au cours des 18 derniers mois. Le Gouvernement de transition peut se targuer de plusieurs réalisations. Parmi les plus remarquables figurent les consultations locales lancées en janvier et qui ont impliquées les populations de 16 préfectures, en plus des huit districts de Bangui, et des personnes déplacées. En mai dernier, ce processus s’est encore accéléré avec le Forum de Bangui. Impliquant des représentants issus de larges couches de la société, il a produit une série de recommandations importantes qui offrent une voie à suivre pour la RCA, cohérente et basée sur les principes de droits, alors que le pays tente d’établir la paix, la sécurité, la justice et la réconciliation. Tous ces éléments sont essentiels si le pays veut mettre un terme, de manière définitive et durable, à son passé de turbulences, de pauvreté et parfois d’une extrême violence. Le Forum de Bangui a aussi formulé des recommandations clefs en lien avec la nouvelle Constitution et les prochaines élections, qui ont été entérinées par le Conseil national de transition. Je salue la décision de la Cour constitutionnelle sur le droit de vote des réfugiés et sur l’inéligibilité des dirigeants politiques de la transition à la prochaine élection présidentielle.

Sur le front sécuritaire, la Mission des Nations Unies en RCA, la MINUSCA, a maintenant quelque 9 200 militaires et 1 580 policiers, en plus d’un nombre important de personnel civil. Il s’agit de l’effort le plus significatif déployé par les Nations Unies dans toute l’histoire du pays.

La situation sécuritaire, bien que loin d’être parfaite, s’est néanmoins améliorée. Lorsque ma prédécesseure, Navi Pillay, était venue ici en mars 2014, le personnel onusien des droits de l’homme était essentiellement confiné à Bangui, ne pouvant qu’occasionnellement visiter certaines des autres grandes villes du pays. Les forces internationales étaient tout simplement trop peu nombreuses sur le terrain pour assurer la sécurité. Nous avons maintenant neuf bureaux disposant de personnel permanent à travers le pays, auxquels s’ajoutent trois autres bureaux qui devraient être ouverts dans les prochains mois.

Mais je pense que presque tout le monde s’accorde pour dire que les améliorations sont trop progressives et que les progrès sont timides et fragiles et que, dans certains cas, ils n’existent même que sur le papier.

Le pays reste confronté à la peur et sa population reste terriblement divisée suite au conflit qui a déchiré les structures sociales, culturelles, politiques et économiques existantes et a conduit au déplacement forcé de près d’un million de personnes, pour l’essentiel sur une base religieuse ou ethnique. Plus de 800 000 personnes restent déplacées, dont plus de la moitié sont réfugiées dans les pays voisins.

L’une de mes premières réunions s’est tenue avec des représentants de la société civile. Ils se sont exprimés de manière remarquablement ouverte, comme se doit toute société civile. Ils étaient tous d’accord sur le fait que les Nations Unies peuvent et doivent faire mieux. Le gouvernement doit aussi faire mieux. En fait, nous devrions tous faire mieux.

Je suis tout à fait d’accord et voici pourquoi.

Bien que la sécurité se soit sans conteste améliorée, elle reste très mauvaise dans certains endroits, en particulier dans les territoires confrontés aux groupes armés, dont certains se sont de facto érigés en autorités locales et opèrent dans une impunité quasi-totale. Ils ne tuent peut être pas les civils comme ils le faisaient par le passé, mais ils en tuent encore de manière occasionnelle. Ils continuent à piller les biens des citoyens et les ressources minérales du pays, volant et tuant du bétail et agissant en prédateurs envers la population civile. Leur impact sur l’économie est dévastateur.

Nombreuses sont les personnes que j’ai rencontrées cette semaine qui se plaignent de l’incapacité des Nations Unies et du gouvernement à maîtriser ces groupes armés et des efforts très hésitants en faveur du désarmement. Bien que certaines personnes aient été arrêtées et inculpées de crimes, il ne s’agit pour l’essentiel que de menu fretin. Les dirigeants les plus connus, qui ont tant de sang sur les mains, ne sont ni arrêtés, ni poursuivis, ni jugés ni condamnés.

Bien qu’il ne faille pas sous-estimer la difficulté de gérer un nombre important d’hommes très violents et aguerris, je pense qu’il faudrait une approche bien plus robuste envers ces groupes armés, afin qu’ils commencent à comprendre qu’ils ne peuvent impunément bafouer l’état de droit quand, où et comme ils le souhaitent. MINUSCA doit être renforcée avec du personnel et du matériel afin de faire un usage plein et entier du mandat fort du Chapitre 7 qui lui a été conféré par le Conseil de sécurité. Les Etats qui ont promis mais pas encore fourni le total des contingents militaires et policiers aux forces de maintien de la paix de l’ONU, ni les équipements vitaux comme les hélicoptères d’attaque, devraient intensifier leurs efforts car ils font cruellement défaut. Il faut montrer aux diverses forces, anti-Balaka et ex-Séléka, à la LRA, et à la multitude d’autres groupes armés et groupuscules que leur comportement illégal ne sera plus toléré par le gouvernement et les forces internationales qui ont pour tâche d’amener une paix durable à la RCA. Le désarmement devrait être une priorité absolue.

Les criminels et meurtriers notoires doivent être traduits en justice, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, afin de mettre un terme à leurs déprédations et pour avoir un effet dissuasif.

Mais pour que cela arrive, il faut que les gouvernements présents et futurs et leurs soutiens internationaux, dont ma propre organisation, accroissent leurs efforts pour mettre en place une justice qui fonctionne. Si les forces internationales commencent à arrêter les membres dirigeants des groupes armés, il faut un système judiciaire en bon état de fonctionnement pour enquêter, poursuivre ces personnes et les juger dans le cadre de procès équitables, et il faut des prisons adéquates pour les détenir.

Actuellement, dans de nombreuses parties du pays, il n’y a toujours pas de procureur ni de juge. Dans d’autres endroits, il y a l’un mais pas l’autre. Et dans certains endroits où il y a un procureur et un juge, ils sont souvent incapables de fonctionner car ils sont soumis à des intimidations et des menaces de la part de groupes armés ou d’autres criminels.

Dans le cadre du suivi du Forum de Bangui, nous co-organisons actuellement un séminaire international de trois jours qui revêt une grande importance et se penche sur la question de la lutte contre l’impunité. Ce séminaire met en exergue cette problématique particulièrement pressante. Je ne répéterai pas ici les points principaux soulevés dans mon discours d’ouverture de mercredi (http://www.ohchr.org/fr/statements/2015/09/statement-high-commissioner-international-seminar-fight-against-impunity-central), mais j’espère que les conclusions de ce séminaire, qui a impliqué des nombreux experts internationaux, des représentants du gouvernement et du système judiciaire centrafricains et des membres de la société civile, va aider à stimuler une réponse plus rapide dans les domaines de la justice et de la lutte contre l’impunité.

L’une des étapes très concrètes vers la fin de l’impunité - la mise en place d’une Cour criminelle spéciale impliquant des juges nationaux et internationaux - est encore bien loin d’être opérationnelle. Et, comme l’ont reconnu les participants du séminaire international, la Cour spéciale en elle-même ne sera pas suffisante, car elle ne pourra que s’occuper des cas les plus graves. Un système judiciaire effectif et des forces de sécurité nationale opérationnelles sont indispensables. J’exhorte la communauté internationale à soutenir pleinement ces initiatives cruciales.

La justice et la sécurité sont inextricablement liées et il est clair que nous devons faire beaucoup plus pour inverser le cercle vicieux de la violence et de l’impunité.

Certains des membres du gouvernement que j’ai rencontrés cette semaine ont été francs sur les faiblesses persistantes de l’Etat, en particulier dans les domaines de la justice et de la lutte contre l’impunité.

Même ici dans la capitale, des problèmes majeurs persistent. Au cours des deux derniers jours, j’ai visité deux des endroits les plus emblématiques et inquiétants de Bangui: l’enclave musulmane surpeuplée et encerclée de PK5 – la dernière présence de musulmans dans la capitale – et le camp de déplacés internes de Mpoko qui abrite plus de 120 000 personnes vivant dans des conditions déplorables.

Bien que la population du camp ait diminué pour atteindre les 11 000 personnes, ces dernières sont pour l’essentiel des personnes parmi les plus vulnérables, dont des malades, des personnes âgées et des familles monoparentales. Leur avenir et celui de PK5 sont étroitement liés; beaucoup des personnes déplacées du camp presque exclusivement chrétien de Mpoko sont originaires du 3ème district, le district qui inclue PK5. Elles ont peur de retourner dans une enclave désormais quasi exclusivement musulmane et les habitants de PK5 éprouvent les mêmes craintes à leur encontre.

De leur côté, les musulmans de PK5 ont souvent peur de quitter l’enclave. De fait, ils n’ont nulle part où aller pour enterrer leurs morts, leurs enfants ne vont pas à l’école pour la plupart et ils n’ont pas d’opportunités d’emploi. Ils n’ont pas accès aux hôpitaux et les femmes sont contraintes d’accoucher à domicile. Les musulmans déplacés originaires d’autres zones de la capitale, sans perspective de retour chez eux, ont accru une population vivant dans le désespoir et craignant pour son avenir.

Les chrétiens déplacés de Mpoko, outre leurs craintes pour leur sécurité, n’ont aussi bien souvent rien vers quoi rentrer. La plupart de leurs maisons ont été réduites à l’état de cendres et les autres occupées; leurs biens ont été volés et même les sources d’approvisionnement en eau ont été contaminées par la présence de dépouilles dans les puits.

Ici encore je pense que nous, les Nations Unies, et le gouvernement devons faire davantage pour trouver des solutions. Afin que les chrétiens rentrent chez eux et que les musulmans les acceptent, des efforts intenses sont nécessaires pour amener à la réconciliation et fortement amélioré la sécurité. De plus, les chrétiens ne peuvent retourner dans des zones ou les maisons ont été détruites et des puits pollués. J’appelle le gouvernement, la société civile et les dirigeants religieux, avec l’aide de l’ONU, à redoubler d’efforts pour résoudre ces problèmes.

J’ai donc été alarmé d’entendre que le gouvernement a dit aux habitants encore présents à Mpoko qu’ils doivent partir d’ici le 15 septembre. Ce serait une étape très dangereuse, qui pourrait raviver les tensions existantes entre les deux groupes et aboutirait sans doute à des violences. J’exhorte le gouvernement à écouter les demandes des agences humanitaires opérant à Mpoko et à leur donner assez de temps pour que la fermeture du camp se fasse de manière ordonnée, volontaire et par étapes. Le souhait du gouvernement de récupérer les terrains longeant le seul aéroport international du pays, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, sont compréhensibles, mais en cas de mauvaise gestion, cela pourrait avoir un effet dévastateur – pas seulement sur les personnes concernées mais aussi sur le processus de paix en général. J’ai donc été satisfait d’entendre hier de la part du Premier Ministre que le gouvernement a l’intention de reconsidérer la date butoir de clôture de Mpoko.

Enfin, comme vous le savez sans doute, j’ai annoncé hier qu’un autre cas d’allégation d’abus ou d’exploitation sexuel par un soldat étranger avait émergé. Bien que dans ce cas précis l’auteur présumé soit un soldat de la force Sangaris, qui opère distinctement des forces de l’ONU en RCA, les soldats de l’ONU ont aussi été impliqués dans une série d’allégations d’abus sexuels et d’autres formes d’abus. Le Secrétaire général a clairement exprimé sa honte et son dégoût face à ces crimes et j’éprouve les mêmes sentiments. Il n’y a aucune excuse, pas de circonstances atténuantes, rien pour justifier ces actes et l’incapacité à faire appliquer des punitions à la hauteur des crimes commis.

Il faut tout simplement que nous fassions mieux. Et les Etats doivent nous aider. Au fil des ans, de nombreuses propositions ont été faites pour améliorer la façon dont nous gérons ce problème qui frappe souvent nos opérations de maintien de la paix, mais aussi pour empêcher ces actes terribles sur des personnes sans défense que nous sommes supposés protéger.

Nous prêchons pour l’importance de lutter contre l’impunité et pourtant, dans le cas de nos propres soldats, nous avons le plus souvent totalement échoué. Malheureusement, les Etats membres des Nations Unies ont refusé, de manière répétée, de prendre les mesures proposées pour réduire radicalement les abus sexuels par des soldats de maintien de la paix. Je pense qu’il est grand temps de revisiter ces idées et de le faire sans délai. Plus tôt ce matin, je me suis longuement entretenu avec le Commandant de la force des Nations Unies et avec le Commandant adjoint de la police.

Le nouveau Représentant spécial du Secrétaire général va nous rejoindre dans quelques minutes pour vous parler de ce problème du côté de la MINUSCA et je serai heureux de parler davantage de certaines des mesures qui ont été proposées par le passé pour essayer d’éradiquer le problème mais qui ont été rejetées par les Etats membres des Nations Unies ou par les pays contributeurs de troupes.

La tenue des prochaines élections constitue un test crucial pour les progrès de la RCA vers la paix et la démocratie. Hier, j’ai rencontré les dirigeants des partis politiques du pays et leur ai rappelé qu’ils ont aussi une lourde responsabilité qui pèse sur leurs épaules. Nous sommes ici pour aider mais nous ne pourrons atteindre la paix et le respect des droits de l’homme que si nous nous respectons mutuellement et travaillons ensemble.

Merci pour votre attention. J’espère revenir plus optimiste quand la RCA - et l’ONU - auront pris le bon tournant et que ce pays commencera à entrevoir un avenir plus brillant à l’horizon.

FIN

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A Bangui: Rupert Colville (+41 79 506 10 88 / rcolville@ohchr.org ) ou Myriam Dessables (
+236 754 36746 / dessables@un.org)
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