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Déclarations Procédures spéciales

Communiqué de fin de mission de la Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des personnes déplacées internes dans leur propre pays, Cecilia Jimenez-Damary, à l’issue de sa mission officielle au Niger, 19-24 mars 2018

27 mars 2018

Remarques introductives

En tant que Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes déplacées internes (PDI), je viens d’effectuer une visite officielle en République du Niger, du 19 au 24 mars 2018, sur invitation du Gouvernement. Les objectifs de ma mission étaient de récolter de l’information de première main sur la situation de déplacement interne au Niger ; de m’entretenir largement avec le Gouvernement, les autorités locales, et les autres acteurs clé, tant nationaux qu’internationaux, au sujet des préoccupations principales et aux réponses apportées au déplacement, ainsi que les déplacés internes eux-mêmes. Ma mission avait également pour but de prendre acte des défis actuels auxquels le Niger fait face en matière de déplacement interne et de l’assistance à ces personnes, d’identifier les problèmes de protection principaux auxquels les PDI font face, ainsi que les opportunités de solutions durables qui leur sont offertes.

J’ai débuté ma visite de six jours à Niamey, où je me suis entretenue avec des hauts-responsables du Gouvernement impliqués dans la gestion de la question du déplacement, des agences des Nations Unies, et divers autres acteurs nationaux et internationaux. Je me suis ensuite rendue à Tillabery pour rencontrer les autorités locales, les forces de défense et de sécurité, ainsi que des représentants de personnes nouvellement déplacées. J’ai ensuite poursuivi ma visite à Diffa, où je me suis entretenue avec des membres des autorités locales, des agences des Nations Unies, et d’autres acteurs de la communauté humanitaire, à propos des problèmes principaux affectant les PDI.  J’ai également visité des sites de PDI à Diffa même et ses environs, afin d’entendre directement des populations déplacées leur récit, leurs besoins les plus pressants, leurs soucis de protection, et leurs attentes et aspirations pour l’avenir. Je regrette de ne pas avoir été en mesure de visiter d’autres sites dans des zones plus reculées autour de Diffa, pour des raisons de sécurité.

Les conclusions présentées ici ne sont que mes observations préliminaires, et ne reflètent pas le spectre complet des problématiques qui ont été portées à mon attention, ni ne reflètent-elles non plus l’ensemble des initiatives entreprises par le Gouvernement du Niger, et d’autres acteurs, pour répondre aux deux crises de déplacement de Diffa et Tillabéry. Dans les jours qui suivent, je passerai en revue les informations que j’ai récoltées, afin de rédiger mon rapport intégral de visite, qui sera présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, durant sa 38ème session en juin prochain, à Genève.

Considérations d’ordre général

Le Niger fait actuellement face à deux crises de déplacement interne, de chaque côté de sa frontière avec le Mali et le Nigéria. Avant les premières attaques de Boko Haram en 2015 dans la région de Diffa, le Niger n’avait pas fait l’expérience de la question du déplacement interne, dû aux conflits, et n’était donc pas vraiment préparé à faire face à une telle situation.  

La situation de sécurité dans les régions de Tillabéry et Tahoua, bordant le Mali, continue de se détériorer quotidiennement. En février 2018, pour la première fois, des personnes se sont déplacées au sein de la région de Tillabéry, suite à une attaque ayant causé la mort d’un civil, et l’enlèvement de deux autres. La situation de Tillabéry est très instable, et évolue rapidement.  D’après les dernières informations de monitoring protection de mars 2018, effectuée par une ONG locale, plus de 8000 personnes se sont déplacées en interne dans les départements de Bani Bangou et de Ayerou. Les personnes se déplacent de manière préventive, et en raison de menaces de groupes armés non-étatiques opérant sur les zones frontalières. Alors que les premiers mouvements ont eu lieu il y a un mois et demi, le Gouvernement doit encore développer une stratégie de protection et d’assistance claire, afin de guider la réponse aux besoins des PDI de la région de Tillabéry. Un des éléments importants d’une telle stratégie serait de fournir de l’assistance aux communautés hôtes. Cette absence de vision de la part des autorités maintient également les travailleurs humanitaires en stand-by, puisque ces derniers ne disposent pas de cadre dans lequel mener à bien leurs opérations. Je recommande la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire, qui puisse soutenir le Gouvernement, et lui apporter une assistance technique, de sorte à assurer une réponse adéquate à la situation de déplacement qui prévaut à Tillabéry.   

L’accès à ces populations, en particulier dans la région de Tillabéry, a également été soulevé comme une des principales préoccupations humanitaires. L’accès humanitaire est limité pour de multiples raisons, en particulier dû à des contraintes sécuritaires, ainsi qu’à des conditions de route difficiles. J’ai été informée que certains PDI ne souhaitaient pas recevoir d’aide humanitaire sur leurs lieux de déplacement, par peur de représailles de la part de groupes armées non-étatiques, si les PDI étaient perçus comme étant aux côtés des humanitaires.  Le début prochain de la saison des pluies pourrait aggraver les conditions de route, rendant l’acheminement de l’assistance d’urgence impossible.  

Lorsque je me suis entretenue avec des représentants de nouveaux PDI, pour m’enquérir de leurs besoins et préoccupations de protection, leurs principales doléances ont été relatives à l’accès aux services de première nécessité, et qui comprennent de la nourriture, un abri adéquat, l’accès à des soins de santé, et à l’éducation. Il faut savoir que 40% des nouveaux déplacés sont des enfants, parmi lesquels seulement 10% sont scolarisés dans des écoles locales. Le système de cantines scolaires doit être renforcé pour satisfaire les besoins de ces enfants, et ce qui permettra en outre leur scolarisation. Je souhaiterais également souligner les besoins spécifiques de protection de catégories les plus à risque, y compris les femmes et les filles, les enfants non-accompagnés, les personnes vivant avec une situation de handicap, et les personnes âgées. Parmi la catégorie des personnes nouvellement déplacées, la situation de près de 300 femmes enceintes est particulièrement préoccupante et demande une attention urgente. Bien que des activités de protection aient été conduites par l’entremise d’ONG locales travaillant en partenariat avec les Nations Unies, une compréhension bien plus profonde de tous les enjeux de protection auxquels font face les PDI, et les populations affectées, est nécessaire.

Avec l’intensification des opérations militaires dans la zone de Tillabéry, et la multiplication des forces présentes au sol, y compris les FDS (forces de défense et de sécurité), et le G5 Sahel, la protection des civils se doit d’occuper une place centrale. J’étais surprise d’apprendre que le G5 Sahel n’a pas encore établi de stratégie de protection des civils.  Malgré l’établissement très récent, et que je salue, d’un mécanisme de coordination civilo-militaire entre les acteurs humanitaires et les forces armées opérant dans ces zones, une coordination plus solide doit être urgemment établie entre les acteurs civils et militaires. Par ailleurs, le principe de distinction entre civils et combattants doit être impérativement respecté, ainsi que la protection des civils, qui doit être renforcée et intégrée dans la stratégie de sécurité.

Tout en reconnaissant les préoccupations légitimes de sécurité du Gouvernement, je souhaiterais rappeler aux autorités nigériennes leurs obligations en matière de droits humanitaire et de droits de la personne, ainsi que la nécessité de préserver le caractère civil et humanitaire des sites de déplacement, ainsi que des zones d’accueil.  Toutes les mesures de sécurité, telles les mesures d’identification, doivent être en accord avec les standards de droits de l’homme, ce qui signifie que la population civile, y compris les PDI, ne doivent pas subir de restrictions abusives à leur droit de liberté de mouvement, ni n’être victimes d’arrestations ou de détention arbitraire. 

J’espère sincèrement que le Gouvernement du Niger tirera des leçons de la situation de Diffa, et qu’il clarifiera urgemment sa position, avant que de nouveaux déplacements n’aient lieu. Le Gouvernement, avec l’aide des acteurs humanitaires sur le terrain, ont la possibilité de s’atteler à la situation de Tillabéry dès le début. Cette occasion doit être saisie maintenant, faute de quoi de nouveaux déplacements auront lieu, ainsi que de nouvelles souffrances.

Parallèlement à cette situation nouvelle, depuis la première vague d’attaques par Boko Haram en 2015, la région de Diffa, dans le sud-est du pays, est en proie à une situation de crise sécuritaire, et à une urgence humanitaire.   Malgré une réduction relative récente du nombre d’incidents de sécurité, le mois de janvier 2018 a vu une recrudescence d’attaques de Boko Haram dans la région de Diffa. Cette menace permanente risque de maintenir quelques 130,000 PDI dans une situation de déplacement prolongé. Le déplacement interne a eu pour conséquence la perte des réseaux de protection sociale, l’exposition à des abus, ainsi qu’à d’autres risques de protection tel le mariage précoce, la violence basée sur le genre, les tensions intercommunautaires, ainsi que des disputes liées à la terre et à la propriété.   Les populations affectées, ainsi que les communautés, luttent pour parvenir à satisfaire leurs besoins essentiels, comme la santé et l’éducation. Par ailleurs, l’effet combiné de conditions de vies rudimentaires, liées à la situation d’urgence, et de températures avoisinant les 45 degrés, ont causé des incendies sur les sites de déplacement, ce qui constitue un risque de protection additionnel.    

Préoccupations spécifiques humanitaires, et relatives aux droits de l’homme des PDI à Diffa

J’ai été troublée d’apprendre des PDI eux-mêmes, leurs besoins criants en matière de sécurité alimentaire dans les camps de déplacés de Diffa. Certaines des personnes déplacées que j’ai rencontrées m’ont dit avoir faim en raison de limitations de distributions alimentaires, et de nombreux parmi eux devaient partager leur repas, et dépendre de la solidarité communautaire.  L’effet prolongé du conflit actuel, combine aux effets de plusieurs années d’état d’urgence dans la région, a privé les PDI de leurs moyens traditionnels de subsistance, y compris la pêche, l’agriculture, l’élevage, et le commerce.

De plus, l’accès aux soins médicaux est sévèrement limité, et les infrastructures médicales se doivent d’être immédiatement améliorées.  Les cliniques mobiles ne peuvent fonctionner la nuit, en raison du couvre-feu. Ceci a un effet délétère sur les plus vulnérables, y compris les femmes enceintes. De nombreux PDI, particulièrement les femmes et les enfants, ont besoin de soins médicaux urgents, et certains sont gravement traumatisés par la violence qui les a poussés à fuir, ou par les violations dont ils ont été victimes depuis. Cette population a besoin d’un suivi psychosocial urgent, qui est largement absent. Par ailleurs, la promiscuité, et le manqué d’hygiène dans les sites, surtout dans les zones urbaines, pourraient contribuer à l’émergence d’épidémies.  

La situation des femmes et des filles dans les sites de déplacement, est particulièrement problématique, et demande une attention immédiate.  J’ai été informée d’allégations de viol, de violence basée sur le genre, et de violence sexuelle, ainsi que de la prévalence du sexe de survie. Trois ans après le début de la crise de déplacement, les enfants représentent souvent un fardeau économique pour la famille, avec pour conséquence une augmentation des cas de mariages précoces, une pratique déjà existante dans la région de Diffa.  Je suis fortement préoccupée par cette situation cachée d’abus, qui est teintée de stigmatisation et de facteurs culturels, qui conduisent à l’impunité. Des mesures peuvent, et doivent être urgemment prises pour protéger les femmes et les filles, y compris en prévenant, et remédiant aux cas de violence sexuelle, et de violence basée sur le genre. Des efforts devront également être dédiés à des campagnes de sensibilisation et de formation.

La crise à Diffa a également eu un impact disproportionné sur les enfants. On m’a rapporté des cas de recrutement de jeunes par Boko Haram, qui ont été rendus en partie possibles par la pauvreté, le désœuvrement, et le manque de perspectives offertes aux jeunes de la région. Dans un climat de suspicion généralisée, de nombreuses fausses accusations ont mené à des arrestations et des détentions arbitraires, y compris d’enfants. Bien qu’un grand nombre d’enfants ait été libérés grâce à la mobilisation d’acteurs de protection, des enfants demeurent en détention depuis 2015. Ces enfants doivent urgemment être transférés vers des zones de transit et d’orientation.  

De plus, dans une zone où l’accès à une éducation de qualité était historiquement faible déjà avant la crise, la situation a depuis dramatiquement empiré. Le Niger souffre d’un manque d’enseignants qualifiés et, après une évaluation menée en 2017 par le Gouvernement, environ 600 enseignants de la région de Diffa n’ont pas réussi les épreuves, et ont été congédiés. Bien que plus d’enfants sont scolarisés depuis la crise, un certain nombre de problèmes ont empêché les enfants de se rendre à l’école. Des menaces récentes contre des enseignants ont mené à une pénurie d’enseignants, en raison de la peur d’attaques. De fait, trois écoles ont été attaquées en 2017, des cantines ont été pillées, et du matériel détruit. Les PDI m’ont également mentionné que le manque d’habits et de nourriture avait aussi un impact sur le manque de fréquentation de l’école par leurs enfants.

Trois ans après les premières vagues de déplacement, des disputes liées au logement, à la terre et à la propriété vont probablement apparaitre.   J’ai rencontré des PDI urbains à Diffa, qui m’ont dit compter sur la solidarité communautaire pour ce qui est de l’accès à des terrains, et qu’ils étaient parfois victimes d’évictions des terres qui avaient été mises à leur disposition par des propriétaires privés. Bien que j’ai remarqué que leurs conditions générales de vie semblent être sensiblement meilleures, les PDI urbains se trouvent dans une situation hautement instable et imprévisible, face à la menace constante d’être évincés, bien qu’ayant vécu sur place pendant des périodes prolongées. J’encourage toutes les parties prenantes à examiner la situation spécifique de ces PDI.

Dans tous les sites que j’ai visités, j’ai ressenti un profond sentiment de désespoir parmi les PDI de retourner un jour vers leurs lieux d’origine, au vu des conditions de sécurité, et des restrictions actuelles qui impactent sur leurs modes de vie traditionnels.

En attendant, sur les sites de déplacement, les activités génératrices de revenue manquent cruellement pour les déplacés internes hommes, femmes, jeunes et moins jeunes. Tous m’ont clairement fait part du besoin urgent qu’ils et elles aient accès à des activités durables qui leur permettent de gagner leur vie, et les rendre moins dépendants de l’assistance. Ces mêmes personnes m’ont également fait part des restrictions à leur mobilité pour s’engager dans du commerce. De plus, ils m’ont indiqué qu’il était important pour eux, en tant qu’agriculteurs ou éleveurs, de maintenir leurs modes de vie traditionnels, et de vivre en paix et en sécurité au sien des communautés qui les accueillent.

Réponse gouvernementale à la crise

Les efforts du Gouvernement du Niger, y compris l’établissement du Ministère de l’action humanitaire et de la gestion des catastrophes (MAHGC), ainsi que l’action de ses institutions régionales, sont à saluer. De nombreuses instances gouvernementales ont un rôle vital pour ce qui est des besoins et de la protection des PDI, and y répondent dans la mesure de leurs ressources humaines et financières limitées.

Parmi ces instances gouvernementales, le MAHGC est un acteur clé, ainsi que ses représentations à Diffa, qui ont été en première ligne de la réponse à la crise, et ont joué un rôle vital, notamment pour l’assistance. De plus, les organes tel la Direction de l’état civil, des migrations et des réfugiés (DREC), ainsi que la Direction régionale pour la protection de la femme et de l’enfant (DRPE), entre autres, ont fait d’importantes contributions aux réponses apportées, conjointement avec les partenaires nationaux et internationaux.

Dans ce sens, je salue le rôle important de la DREC dans l’enregistrement civil des PDI. A Diffa, j’ai appris que 80% des PDI n’avaient pas de documentation civile, soit parce qu’il ne leur en avait jamais été fournie, soit parce que leurs papiers avaient été abandonnés lors de leur déplacement.  Cependant, j’aimerais souligner que l’enregistrement des PDI doit être guidé par le principe fondamental de non-discrimination, et ne devrait pas porter préjudice à la protection des personnes déplacées.

La Commission nationale des droits de l’homme, en tant qu’institution nationale dotée du statut A, a malgré des contraintes financières sévères, établi de manière prioritaire des antennes régionales à Diffa et à Tillabéry, pour y répondre sur place aux défis en matière de droits de l’homme posés par le déplacement interne. Toutefois, il est fondamental pour le Gouvernement de nommer un point focal, qui sera responsable de la coordination globale, et de la coordination entre les différents ministères et acteurs du champ.

Alors que les efforts entrepris par les autorités nationales pour répondre aux besoin des PDI sont arrivés tard, et de manière ad-hoc, ils doivent être urgemment consolidés. Parmi les éléments constitutifs d’une réponse nationale adéquate, sont attendus un cadre législatif en matière de déplacement, qui soit conforme aux standards internationaux, comme les Principes directeurs sur le déplacement interne (1998), et la Convention de l’Union africaine pour la protection et l’assistance des personnes déplacées internes en Afrique (Convention de Kampala, 2009). Le Gouvernement du Niger a ratifié la Convention de Kampala en 2012, mais doit encore la mettre en œuvre en droit interne.

Dans cette même veine, je salue vivement l’engagement des autorités nigériennes, qui ont entamé un processus de rédaction d’une loi sur les déplacés internes, y compris à travers l’établissement d’un Comité technique pour ce faire. J’exhorte le Gouvernement à doter ce Comité des moyens nécessaires pour qu’il mène à bien sa mission, et permette une prompte adoption parlementaire.  Au vu des causes multiples de déplacement au Niger, y compris les catastrophes naturelles, cette loi devrait couvrir toutes les étapes de déplacement, depuis la prévention aux solutions durables. Un tel régime consacrerait ainsi dans la loi nationale les droits humains des personnes déplacées, ainsi que les obligations des autorités nationales et régionales à leur égard, et clarifierait les rôles et responsabilités des différents acteurs et agences, ainsi que la coordination. Par ailleurs, une telle loi devrait prévoir, et garantir, un budget consacré qui soit adéquat et pérenne. Je ne peux insister assez sur l’importance d’avoir un tel cadre législatif de façon prioritaire. Mon mandat demeure à la disposition du Gouvernement du Niger pour lui apporter les services consultatifs dont il aurait besoin dans ce processus.

J’ai souvent entendu qu’il manquait au Niger l’expérience pour gérer les crises humanitaires et de déplacement à une telle échelle. L’expérience de Diffa devrait renseigner le Gouvernement sur les mesures qui doivent être mises en place en réponse à la crise de Tillabéry. Il est désormais essentiel que le Gouvernement accélère sa réponse, et que la communauté internationale, de son côté, dédie urgemment des ressources additionnelles et plus d’attention à cette crise qui évolue. C’est maintenant qu’il faut agir. Il ne fait aucun doute que la crise qui se déroule, qui est négligée, demande plus d’attention, et que le Niger n’a pas la capacité, ni les ressources, d’y faire face seul.

A Diffa, trois ans après la première vague de déplacement, un grand intérêt a été exprimé par de nombreuses parties prenantes, pour ce qui est appelé le “nexus humanitaire-développement” qui, dit-on, pourrait répondre aux défis de trouver des solutions durables pour les PDI. Tant la situation de Diffa, que celle de Tillabéry, profiteraient d’interventions plus appuyées par des acteurs de développement, tout en maintenant une réponse aux besoins humanitaires et de protection de PDI. De plus, la participation des déplacés dans ces processus et décisions est essentielle, de sorte à s’assurer de la pertinence de telles mesures, de leur durabilité, et d’instaurer un sentiment d’appartenance, tant de la part des déplacés que des communautés hôtes.

Réponse de la communauté internationale

Tout en reconnaissant les accomplissements de l’architecture humanitaire onusienne en place, trois ans après le début de la crise, il y a un besoin urgent d’une stratégie de protection au sein de l’équipe pays humanitaire. Ceci demande des efforts plus soutenus en matière d’intégration des questions de déplacement interne dans tous les secteurs - y compris le WASH, la nutrition, la santé et l’éducation, etc.-, et à mener à bien l’adoption d’une stratégie globale de protection, qui inclut la violence basée sur le genre.

A ce moment critique, j’appelle également la communauté internationale, ainsi que les bailleurs de fond, à soutenir davantage le Niger, alors qu’il fait face à une crise humanitaire et de déplacement. En 2017, alors que la réponse humanitaire était financée à environ 80% des besoins estimés, la protection était financée uniquement à hauteur de 18%. Ce manque significatif entrave les efforts des acteurs de la protection, et doit être remédié en priorité, si nous voulons répondre adéquatement aux défis auxquels font face les PDI. Le plan de réponse humanitaire pour 2018 appelle à des contributions à hauteur de 338 millions de dollars, dont 163 millions pour la région de Diffa. J’encourage la communauté internationale, et les bailleurs de fonds, à financer ce plan de réponse. En outre, des efforts pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable ne devraient pas laisser de côté les PDI qui, tout comme le reste de la population, doit pouvoir vivre dignement, et jouir de ses droits humains Le Niger ne doit pas être oublié, et la communauté internationale ne peut ignorer les situations de déplacement, soit nouvelle, soit prolongée, de Tillabéry et Diffa. 

Progrès vers des solutions durables

Je souhaiterais rappeler que, en vertu du Cadre conceptuel pour des solutions durables en faveur des déplacés internes (élaboré par le Comité permanent inter-agence), les trois options de solution durable, soit le retour dans la sécurité et la dignité, la réintégration locale, ou la relocalisation, doivent être offertes aux PDI. Dans ce sens, les vues et souhaits des PDI doivent être entièrement pris en compte et respectés, y compris leur droit de choisir les solutions durables qui leur conviennent.

Alors que le Gouvernement a entamé une réflexion sur le besoin de mettre en place des initiatives de développement à Diffa, j’aimerais souligner que celles-ci devront aller main dans la main, et pas au prix de la protection et de l’assistance humanitaire. Le Gouvernement, en consultation avec les PDI, devrait développer un cadre pour des solutions durables pour les déplacés, qui permettrait de clarifier les rôles et responsabilités. Tout en reconnaissant le besoin de passer d’une réponse purement humanitaire à des solutions plus durables, la situation actuelle à Diffa demeure volatile, et les besoins humanitaires aigus, ce qui demande une assistance prolongée. L’intégration d’étapes transitionnelles, comme l’allègement des restrictions économiques actuelles induites par l’état d’urgence, permettrait notamment aux PDI de reprendre leurs activités de subsistance traditionnelles, par la même allégeant dans une certaine mesure l’asphyxie économique qui prévaut actuellement.

Les PDI que j’ai rencontrés ont rapporté des conditions, dans de nombreuses zones, qui demeurent précaires, et ne permettent pas de concevoir un retour, pour cause d’insécurité qui perdure, ainsi que la destruction des infrastructures et des maisons, et l’absence de services de base dans leurs lieux d’origine.

Pourtant, malgré une telle insécurité, il est tragique que l’un des déplacés que j’ai rencontré à Diffa m’a dit : « je préfère risquer de me prendre une balle dans la tête plutôt que de mourir de faim ». Partout où je me suis rendue, j’ai entendu un besoin criant d’être soutenu par la mise en place d’activités génératrices de revenu.  

Conclusion

Ma visite courte, mais intense, m’a permis de considérer le déplacement interne dans le sud-est du Niger, ainsi que dans la région de Tillabéry, où se développe une situation nouvelle et inquiétante. Ces deux situations, bien que distinctes, demandent une attention constante et renouvelée. J’exhorte le gouvernement à apporter une réponse efficace, qui soit à la mesure des besoins des PDI, et en accord avec les standards des droits de l’homme, jusqu’à ce que des solutions durables soient trouvées pour eux.

Dans un contexte d’opérations militaires croissantes dans la région de Tillabéry, j’exhorte en outre le Gouvernement, les forces de défense et de sécurité, et l’équipe humanitaire pays, à travailler main dans la main pour renforcer la coordination civilo-militaire, afin d’apporter une réponse rapide aux PDI.

Enfin, je souhaite réitérer mes remerciements au Gouvernement du Niger pour son invitation, pour sa coopération avec mon mandat, qui, j’espère, constitue le début d’un engagement fructueux et constructif.

Je remercie également les représentants des autorités locales à Diffa et Tillabéry, que j’ai rencontrées. Je veux aussi exprimer ma sincère gratitude à la Coordinatrice résidente/coordinatrice humanitaire, et, en particulier, le Haut-Commissariat aux réfugiés, et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme pour leur soutien sans faille pour le bon déroulement de cette visite. Je remercie également les autres institutions et individus que j’ai rencontrés, et qui m’ont apporté un appui très apprécié.

Enfin, je suis infiniment reconnaissante aux personnes déplacées du Niger, qui ont pris le temps de d’entretenir avec moi, malgré leurs conditions difficiles d’existence, qui ont partagé avec moi leurs espoirs et aspirations, ainsi que ceux de leurs familles.

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