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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

« Renforcer la justice et l’établissement des responsabilités face aux violations graves du droit international »

02 juin 2022

Prononcé par

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Débat public de haut niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies

Lieu

New York

Monsieur le Président,
Excellences,

Je remercie l’Albanie d’avoir organisé cet important débat public sur l’établissement des responsabilités et la justice.

L’impunité alimente et intensifie bon nombre des crises qui figurent actuellement à l’ordre du jour de ce Conseil. Elle incite à commettre des actes répréhensibles, réduit les victimes au silence et compromet les perspectives de paix, de respect des droits de l’homme et de développement.

Notre expérience collective a montré que la justice et l’établissement des responsabilités sont indispensables aux efforts de paix et de sécurité.

Il est donc encourageant de voir la détermination croissante dont fait preuve la communauté internationale afin de lutter contre l’impunité, par le biais du système des Nations Unies et au-delà, notamment en mettant à nouveau l’accent sur la responsabilité des États et des individus en cas de violations graves du droit international.

Dans ce contexte, j’ai le privilège de faire partie de ce débat avec le président de la Cour internationale de justice, une institution qui est au cœur de l’objectif commun de faire respecter l’État de droit au niveau international.

Les organismes intergouvernementaux des Nations Unies ont pris des mesures importantes pour faire progresser l’établissement des responsabilités, souvent en mettant l’accent sur la promotion de la responsabilité pénale individuelle pour les crimes internationaux. La création de l’UNITAD par ce Conseil afin de renforcer le principe de responsabilité pénale pour les crimes perpétrés par Daech/l’EIIL a encouragé l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme à établir des mécanismes d’enquête indépendants similaires concernant la Syrie et le Myanmar. Grâce à l’action du Conseil des droits de l’homme, il existe actuellement douze mécanismes spécifiques des droits de l’homme, qui traitent de diverses formes d’établissement des responsabilités.

Je souhaite aujourd’hui souligner trois façons dont le HCDH contribue aux efforts visant à renforcer la justice et l’établissement des responsabilités face aux violations graves du droit international.

Premièrement, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a renforcé ses mesures pour répondre aux graves violations des droits de l’homme qui peuvent également constituer des crimes internationaux. Ces mesures comprennent la création de mécanismes ayant pour mandat d’établir les faits et les circonstances des violations, de recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser les éléments d’information et de preuve, d’identifier les auteurs et de formuler des recommandations dans la perspective de futures procédures d’établissement des responsabilités. Le HCDH renforce continuellement son soutien à ces mandats, qu’il considère comme des contributeurs essentiels à la justice et à l’état de droit, notamment en accélérant et en rationalisant la mise en œuvre des mandats. Les travaux de ces mécanismes ont été utilisés par les tribunaux internationaux traitant de la responsabilité pénale des États et des individus, ainsi que par les procureurs et les juges nationaux chargés de juger des crimes internationaux, notamment en vertu des principes de compétence universelle et extraterritoriale. La condamnation en Allemagne du colonel syrien Anwar Raslan, accusé d’avoir supervisé des actes de torture dans un centre de détention syrien il y a près de dix ans, vient s’ajouter au nombre croissant de juridictions qui travaillent avec divers partenaires, notamment des acteurs clés de la société civile, en vue d’obliger les auteurs de crimes internationaux à rendre des comptes.

Le HCDH s’engage à apporter le soutien nécessaire pour que chaque mandat qui lui est confié soit conforme aux normes les plus strictes en matière d’établissement des faits relatifs aux droits de l’homme, y compris par l’utilisation de techniques modernes de méthodologie et d’enquête. Les efforts se sont concentrés sur la collecte et la préservation des informations, pour qu’elles aient plus de chance d’être utilisées dans diverses procédures judiciaires ; sur le renforcement de la chaîne de responsabilité et d’intégrité ; sur l’explication et l’obtention du consentement pleinement éclairé des victimes, des témoins et d’autres fournisseurs d’informations dans les contextes de l’établissement des responsabilités ; et sur la préservation efficace des ressources numériques et l’accès à ces dernières.

Deuxièmement, en collaboration avec le Cabinet du Secrétaire général et l’ensemble du système des Nations Unies, le HCDH s’efforce de renforcer le soutien de l’ONU aux mécanismes nationaux de justice transitionnelle, y compris les commissions de vérité et les programmes de réparation.

Un élément important qui ressort de ce travail est la nécessité d’adapter les initiatives en matière de justice transitionnelle de manière à ce qu’elles répondent de manière adéquate et complète aux caractéristiques et aux causes profondes des violations.

Nos travaux montrent que pour assurer leur efficacité, les mesures de justice doivent être centrées sur les personnes et sensibles au genre, et doivent solliciter, respecter et reconnaître les avis des victimes. Plus particulièrement, cela signifie qu’il faut promouvoir une véritable participation des victimes et des communautés marginalisées, et mettre l’accent sur leur accès aux recours et à la réparation, y compris à la réadaptation, en mettant l’accent sur la santé mentale et le soutien psychosocial.

Cela signifie également qu’il faut soutenir les parties prenantes nationales, notamment les acteurs de la société civile, pour identifier des solutions judiciaires innovantes, pragmatiques et adaptées au contexte, afin de changer concrètement la vie des gens.

Troisièmement, le HCDH a renforcé l’accent mis sur la sensibilisation aux questions de genre dans toutes les phases des processus de justice et d’établissement des responsabilités. Nous avons notamment élaboré des orientations spécifiques concernant l’intégration des questions de genre dans les enquêtes et dans l’analyse des causes profondes de la violence et des abus, et concernant les réparations tenant compte des questions de genre, notamment pour les victimes de violences sexuelles et fondées sur le genre.

À cet égard, il est essentiel d’impliquer véritablement les femmes et les filles, ainsi que les autres victimes et bénéficiaires, dans les efforts de justice et d’établissement des responsabilités, en tant que chefs de file et agents de changement.

Excellences,

L’un des objectifs de ce débat ouvert est d’œuvrer à l’élaboration d’une stratégie mondiale visant à renforcer le rôle de la communauté internationale afin de tenir les États et autres entités responsables des violations graves du droit international. À cette fin, permettez-moi de présenter mon point de vue sur certains éléments.

Tout d’abord, l’amélioration du cadre normatif et institutionnel permettra de renforcer le fondement juridique des efforts menés en matière de justice et d’établissement des responsabilités, sur laquelle les acteurs nationaux et internationaux chargés d’établir les responsabilités peuvent s’appuyer pour mener leurs procédures.

L’adoption d’une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité comblerait, à mon avis, une lacune importante dans le cadre international actuel et faciliterait la coopération internationale dans ce domaine.

Les traités pertinents qui fournissent une base juridictionnelle en matière d’établissement des responsabilités, notamment le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, méritent une adhésion universelle et devraient être ratifiés par tous les États. J’encourage également tous les États à accepter la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice, dans l’intérêt commun de l’ensemble de la communauté internationale.

Il est également crucial que les mécanismes d’enquête et d’établissement des responsabilités mandatés par les organismes intergouvernementaux de l’ONU bénéficient d’un financement adéquat et durable et des capacités techniques nécessaires pour s’acquitter efficacement de leur mandat.

Ensuite, le soutien de ce Conseil envers l’indépendance et l’impartialité des enquêtes, de la justice et des efforts en matière de responsabilité est essentiel.

À cet égard, j’encourage la poursuite de la réflexion sur la manière dont le Conseil de sécurité, en s’appuyant sur toute l’étendue de son mandat et de son pouvoir juridique, peut soutenir de manière systématique et cohérente les mesures appropriées en matière de justice et d’établissement des responsabilités. Dans le cadre de son propre processus, le Conseil pourrait également envisager d’inviter régulièrement les organes d’enquête et d’établissement des responsabilités, ainsi que les acteurs de la société civile concernés, à des séances d’information.

Enfin,
Monsieur le Président,
Excellences,

Placer les victimes au cœur des stratégies d’établissement des responsabilités contribuera à la durabilité des efforts en matière de responsabilité et de justice.

C’est une démarche responsable, en reconnaissance des victimes au nom desquelles ces processus ont été créés. Cela permet également d’identifier et de traiter les conditions qui ont conduit aux violations graves en premier lieu.

Plus important encore, cela permet d’offrir un espace propice à la pleine participation des victimes et des communautés affectées, dans toute leur diversité, afin de garantir que leurs voix soient entendues, y compris – dans la mesure du possible – au sein du Conseil lui-même.

Merci.