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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Ukraine : la Haute-Commissaire fait le point sur la situation devant le Conseil des droits de l’homme

05 juillet 2022

Une femme serre sa mère dans ses bras alors qu’elles observent une fumée noire s’échapper d’un dépôt de voitures endommagé par des frappes d’artillerie russe à Lysychansk, Louhansk, le 28 mai 2022.

Dialogue interactif – Point 10

Présentation sur l’Ukraine (résolution 47/22 du Conseil des droits de l’homme) et rapport intermédiaire du Secrétaire général sur la situation des droits de l’homme dans le territoire temporairement occupé de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol (résolution 76/179 de l’Assemblée générale)

Le 5 juillet 2022

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Monsieur le Président,

Excellences,

Alors que nous entrons dans le cinquième mois d’hostilités, le bilan insupportable du conflit en Ukraine continue de s’alourdir.

Face aux meurtres quotidiens, aux destructions généralisées, aux détentions arbitraires et aux déplacements massifs, les civils font les frais d’hostilités qui semblent interminables.

Conformément à la résolution 47/22 du Conseil des droits de l’homme, je tiens à présenter le rapport du HCDH sur la situation des droits de l’homme en Ukraine dans le contexte de l’attaque armée de la Fédération de Russie, qui couvre la période du 24 février au 15 mai 2022.

Ce rapport contient des conclusions et des recommandations concernant les conséquences du conflit sur la situation des droits de l’homme, dont certaines ont déjà été partagées par le HCDH au sein de ce Conseil et ailleurs.

Ces conclusions reposent sur les informations recueillies par la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine au cours de 11 visites sur le terrain, de visites de 3 lieux de détention et de 517 entretiens avec des victimes et des témoins de violations des droits de l’homme, ainsi que sur d’autres sources d’information.

Par ailleurs, mes collègues et le chef de la Division des opérations sur le terrain et de la coopération technique du HCDH sont en ce moment à Irpin et m’envoient des photos de là-bas.

Le HCDH maintient une présence ininterrompue en Ukraine depuis 2014, et nous augmentons notre présence dans le pays.

Bien que nous n’ayons pas encore pu accéder au territoire occupé par les forces armées russes, nous recueillons des informations sur les violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par toutes les parties, et nous restons fermement résolus à surveiller la situation des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire ukrainien.

Excellences,

Le nombre élevé de victimes civiles et l’ampleur des destructions causées aux infrastructures civiles continuent de faire craindre que les attaques menées par les forces armées russes ne soient pas conformes au droit international humanitaire.

À une échelle bien moindre, il semble également probable que les forces armées ukrainiennes n’aient pas pleinement respecté le droit international humanitaire dans les régions à l’est du pays.

Au 3 juillet, nous avons recensé plus de 10 000 civils tués ou blessés en Ukraine, dont 335 enfants parmi les 4 889 décès constatés.

Je tiens à souligner que les chiffres réels sont probablement bien plus élevés.

La plupart des victimes civiles recensées sont été causées par l’utilisation d’armes explosives dans des zones peuplées. Des tirs d’artillerie lourde, notamment des lance-roquettes multiples, ainsi que des frappes aériennes et de missiles, y compris des dispositifs pouvant transporter des armes à sous-munitions, ont été utilisés à plusieurs reprises. Bien que le bilan civil de ces armes, telles qu’elles ont été utilisées, soit devenu indiscutable, les forces armées russes continuent à opérer de la même manière – avec les conséquences prévisibles que cela peut avoir sur la population civile et ses infrastructures.

Le placement d’objectifs militaires à proximité de biens de caractère civil et l’utilisation de boucliers humains par les deux parties au conflit – comme l’atteste par exemple le cas d’une maison de soins à Stara Krasnianka (région de Louhansk) – suscitent également des inquiétudes.

Le déplacement massif de la population civile, dont plus de 8 millions à l’intérieur du pays, a eu des conséquences disproportionnées sur les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées.

Les restrictions à la liberté de circulation vers et depuis les régions occupées par les forces armées russes ou les groupes armés affiliés réduisent l’accès aux services essentiels.

À ce jour, nous avons enregistré la destruction partielle ou complète de plus de 400 centres médicaux et éducatifs, mais les chiffres réels sont probablement plus élevés. Des milliers de foyers ont été endommagés ou détruits. Le HCDH prend note des efforts de l’Ukraine pour établir un mécanisme complet de compensation pour les foyers endommagés ou détruits, mais regrette que le projet de loi exclue les résidents des territoires contrôlés par les forces armées russes et les groupes armés affiliés. Toutes les victimes ont le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, à des voies de recours.

Excellences,

Des inquiétudes persistent quant aux homicides illicites, notamment concernant les exécutions sommaires. Des preuves croissantes donnent au HCDH des motifs raisonnables de croire que de graves violations du droit international humanitaire à cet égard ont été commises par les forces armées russes.

En date du 15 mai 2022, plus de 1 200 corps de civils ont été retrouvés dans la seule région de Kiev, et le HCDH s’efforce de corroborer plus de 300 allégations de meurtres commis par les forces armées russes dans des situations qui n’étaient pas liées à des combats actifs.

La détention arbitraire de civils est également devenue pratique courante dans les zones contrôlées par les forces armées russes et les groupes armés affiliés. Malgré notre accès restreint, nous avons pu recenser 270 cas de détention arbitraire et de disparition forcée. Parmi ces victimes, huit ont été retrouvées mortes.

Le service de sécurité ukrainien et la police nationale auraient arrêté plus de mille personnes soupçonnées de soutenir les forces armées russes et les groupes armés affiliés. Nous craignons que ces arrestations n’aient pas été effectuées dans le respect des obligations de l’Ukraine en vertu du droit international des droits de l’homme. Nous avons également recensé 12 cas qui pourraient s’apparenter à des disparitions forcées par les forces de l’ordre ukrainiennes.

Par ailleurs, nous continuons de recevoir des rapports effroyables faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements par les deux parties, y compris à l’encontre de prisonniers de guerre, sans que de véritables progrès soient accomplis pour amener les responsables à rendre des comptes.

Nous restons inquiets pour la population, notamment pour les habitants de Marioupol, qui ont échoué durant le soi-disant processus de « filtrage » établi par les forces armées russes lors des évacuations. En l’absence de toute confirmation concernant leur sort ou le lieu où ils se trouvent, sur la base des informations recueillies, nous supposons qu’ils sont détenus et qu’ils risquent fortement d’être victimes de torture ou de mauvais traitements.

Nous sommes également préoccupés par les allégations confirmées de conscription forcée par des groupes armés affiliés à la Fédération de Russie à la fin du mois de février 2022, à Donetsk et à Louhansk.

Mon équipe a pu confirmer 28 cas de violences sexuelles liées au conflit, notamment des cas de viols, de viols collectifs, de torture, de déshabillage forcé en public et de menaces de violences sexuelles. La majorité des cas ont été commis dans des zones contrôlées par les forces armées russes, mais des cas ont également été relevés dans des zones contrôlées par le Gouvernement. L’ampleur des violations n’est pas encore claire étant donné les hostilités actives, l’accès limité aux services, les déplacements massifs et la stigmatisation persistante, les survivants ne voulant ou ne pouvant souvent pas signaler ces crimes. Dans ce contexte, je me félicite de la récente ratification par l’Ukraine de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

Excellences,

Le droit à la liberté d’expression s’est gravement détérioré.

Nous avons recensé 17 décès de journalistes, de professionnels des médias et de blogueurs durant les hostilités, et enregistré 14 journalistes blessés.

En Crimée, une nouvelle législation réduit l’espace déjà limité pour exprimer des opinions dissidentes. Nous avons enregistré 41 cas de poursuites contre des résidents de Crimée pour avoir « discrédité » ou « appelé à l’obstruction » des forces armées russes.

De nombreux médias ont été bloqués et les autorités russes ont restreint l’accès aux sites Internet traitant des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

Ces questions exacerbent les préoccupations actuelles en matière de droits de l’homme, telles qu’elles sont détaillées dans le rapport intermédiaire du Secrétaire général sur la situation des droits de l’homme dans le territoire temporairement occupé de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol (Ukraine), conformément à la résolution 76/179 de l’Assemblée générale, qui appelle la Fédération de Russie à respecter ses obligations en tant que puissance occupante en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Le HCDH continue de demander que des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces soient menées sur toutes les allégations de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant, de disparition forcée, et d’arrestation et de détention arbitraires en Crimée. Le respect des droits à la liberté d’expression, de conscience, de religion et de conviction sans discrimination, constitue une préoccupation supplémentaire.

Monsieur le Président,

Excellences,

Nous nous trouvons une fois de plus à une période critique, alors que les ravages en Ukraine et leurs répercussions continuent de s’étendre jour après après jour, y compris au-delà de ses frontières.

Au nom de toutes les victimes de cette guerre insensée, les meurtres, les actes de torture, les détentions arbitraires doivent cesser.

Les parties au conflit doivent veiller à respecter pleinement les obligations qui leur incombent en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire et s’engager à protéger tous les civils et les personnes hors de combat.

J’encourage la communauté internationale à soutenir les personnes qui travaillent avec les victimes de violences sexuelles, de torture ou de mauvais traitements, notamment dans les petites villes et les zones rurales.

J’exhorte également les parties à permettre au HCDH et aux observateurs indépendants d’accéder sans entrave et en toute confidentialité à tous les lieux de détention, y compris ceux où se trouvent des prisonniers de guerre.

Et je ne saurais trop insister sur la nécessité pour les deux parties de garantir des enquêtes rapides et efficaces sur toutes les allégations de violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.

Merci.

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