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Déclarations Multiple Mechanisms FR

Volker Türk : les droits humains sont un antidote aux politiques de distraction, de tromperie, d’indifférence et de répression qui prévalent actuellement

11 septembre 2023

Bilan du Haut-Commissaire Volker Türk sur la situation mondiale lors de la 54e session du Conseil des droits de l’homme © HCDH

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Cinquante-quatrième session du Conseil des droits de l’homme

Lieu

Genève, Palais des Nations, Salle XX

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants,

Dans le cadre de mon travail au sein des Nations Unies au fil des ans, il est devenu clair pour moi que les questions de développement sont à la base de pratiquement toutes nos difficultés.

Partout dans le monde, les gens souhaitent un niveau de vie décent, et ont le droit d’en bénéficier. L’accès à de la nourriture et à des soins médicaux abordables lorsqu’ils en ont besoin. L’éducation et l’égalité des chances pour eux-mêmes et leurs enfants. Des perspectives économiques satisfaisantes, avec une part équitable des ressources. Un environnement propre, sain et durable. La liberté de faire ses propres choix. Des informations objectives, sans propagande. Des systèmes de justice et de police qui respectent leurs droits.

Et pour garantir tout cela, ils veulent une participation active et significative aux décisions, ainsi que des gouvernements qui répondent à leurs besoins, et non pas des élites dont les besoins doivent être satisfaits.

Pourtant, je vois régulièrement des personnes privées de ces droits et écrasées par un développement qui n’est ni respectueux ni équitable. L’injustice, la pauvreté, l’exploitation et la répression sont à l’origine de griefs qui alimentent les tensions, les conflits, les déplacements de population et l’aggravation de la misère, encore et encore.

Monsieur le Président,

Le mois dernier en Iraq, berceau de tant de civilisations, j’ai pu observer une petite partie de l’horreur environnementale qui constitue notre crise planétaire mondiale. À Bassorah, où il y a 30 ans, m’a-t-on dit, les palmiers dattiers bordaient des canaux luxuriants, la sécheresse, la chaleur torride, la pollution extrême et l’épuisement rapide des réserves d’eau douce créent des paysages désertiques de débris et de poussière.

Cette détérioration de plus en plus rapide constitue une urgence en matière de droits humains pour l’Iraq, et pour de nombreux autres pays. Les changements climatiques plongent des millions de personnes dans la famine. Ils anéantissent les espoirs, les opportunités, les foyers et les vies. Ces derniers mois, des avertissements urgents sont devenus des réalités mortelles, encore et encore, partout dans le monde.

Nous n’avons pas besoin de plus d’avertissements. Le futur dystopique est déjà là.

Nous devons agir de toute urgence, dès maintenant.

Et nous savons quoi faire.

La véritable question est la suivante : « qu’est-ce qui nous arrête ? »

Monsieur le Président,

Au lieu d’un objectif commun et d’une action décisive et coopérative, nous assistons à une politique de division et de distraction, par exemple en fabriquant des conflits artificiels sur le genre, la migration ou en imaginant un « choc » des civilisations.

La trentaine d’incidents répugnants au cours desquels le Coran a été brûlé récemment est la dernière manifestation de ce besoin de polarisation et de fragmentation, afin de créer des divisions au sein des sociétés et entre les pays. J’en discuterai en détail le 6 octobre, conformément à la résolution 53/1.

Nous assistons également à une politique de l’indifférence, embrumant notre esprit et notre âme, dans le but de détourner notre caractéristique la plus profonde, la compassion, en niant simplement l’humanité des victimes et des personnes vulnérables.

Je suis choqué par la nonchalance qui se manifeste face à plus de 2 300 personnes déclarées mortes ou disparues en Méditerranée cette année, y compris la perte de plus de 600 vies dans un seul naufrage au large de la Grèce en juin. Il est évident qu’un nombre bien plus important de migrants et de réfugiés meurent, sans que l’on s’en aperçoive, dans les mers d’Europe, y compris la Manche, dans le golfe du Bengale et dans les Caraïbes, où les personnes en quête de protection sont constamment repoussées et expulsées vers des situations de grave danger, ou le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, où les renvois et les procédures d’expulsion accélérées soulèvent de graves questions, ou encore à la frontière du Royaume d’Arabie saoudite, où le HCDH demande des éclaircissements urgents sur les allégations d’assassinats et de mauvais traitements.

Nous assistons à une politique de tromperies, consistant à jeter de la poudre aux yeux. Aidés par les nouvelles technologies, les mensonges et la désinformation sont produits en masse pour semer le chaos et la confusion et, tout compte fait, pour nier la réalité et s’assurer qu’aucune mesure ne sera prise qui pourrait mettre en danger les élites en place. Les changements climatiques en sont l’illustration la plus évidente.

Et nous pouvons citer la bonne vieille politique de répression. Nous avons tant besoin de l’émergence de points de vue critiques, innovants et constructifs pour élaborer de meilleures politiques et de meilleurs systèmes, mais nous assistons à la place à de plus en plus de coups d’État militaires, d’autoritarisme et d’écrasement de la dissidence, en bref, le bâton.

Des solutions existent à chacun de ces aspects.

Nous devons mettre l’accent sur les preuves et la vérité.

Nous devons être conscients de nos liens et de nos valeurs communes.

Nous devons cultiver les réflexes humains naturels d’empathie, de justice et de compassion.

Nous devons nourrir la pensée critique et la créativité qui ne peuvent naître que d’une participation large et libre et de débats ouverts.

Nous devons aussi rester fermes sur la promesse des droits de l’homme, qui est une promesse d’apporter des solutions.

De même que les injustices se heurtent les unes aux autres et génèrent des crises multiples et gigantesques, des mesures concertées en faveur de plus de justice, de respect et d’inclusion permettront de consolider la résilience et de renforcer le poids des contributions de chaque membre de la société.

L’objectif de développement durable no 16 sur la paix, la justice et des institutions fortes résume la voie à suivre pour sortir des troubles que nous connaissons.

L’accent mis sur la relation intrinsèque entre la bonne gouvernance et le développement représente le pivot du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Chaque objectif de développement est fondé sur l’égalité et la dignité humaine. Ils nécessitent tous des institutions responsables, un état de droit impartial et indépendant et une société civile dynamique.

L’ODD 16 montre clairement que pour faire progresser le développement, les États ont la responsabilité de garantir et de protéger l’espace civique et les droits fondamentaux.

« Ne laisser personne de côté » n’est pas un slogan vide de sens. Il s’agit d’un plan d’action en faveur des droits humains qui couvre l’ensemble des droits humains.

La liberté est à la fois l’objectif du développement et sa source.

Les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, le droit au développement et le droit à un environnement propre, sain et durable dépendent tous les uns des autres. Ils incarnent le caractère indivisible et interdépendant des droits humains. Ensemble, ils peuvent contribuer à trouver de vraies solutions à nos enjeux les plus pressants.

La séparation entre deux ensembles distincts de droits (civils et politiques d’une part, économiques, sociaux et culturels de l’autre) est le produit d’idéologies, qui ne reflète pas la réalité. La Déclaration universelle des droits de l’homme n’établit aucune séparation ou hiérarchie de ce type, et 75 ans après son adoption, nous avons grandement besoin de revenir à ce principe.

Les droits de l’homme sont et doivent être politiquement neutres.

Tous les États ont accepté leur responsabilité dans la réalisation de tous les droits.

J’ai pour mandat et ambition d’aider chaque pays à faire progresser et respecter l’ensemble des droits humains, sans distinction de système politique, d’alliances ou de stade de développement.

Monsieur le Président,

C’est dans ce contexte, et à la lumière du sommet sur les ODD qui se tiendra la semaine prochaine, que je concentrerai mon intervention sur le développement et les droits humains.

Le monde est en train de trahir notre promesse d’éradiquer la faim d’ici 2030. Malgré des ressources financières, des innovations technologiques et suffisamment de terres pour fournir une alimentation adéquate à tous, la faim est revenue à un niveau qui n’avait pas été atteint depuis 2005 et avec elle, son lot d’enfants rachitiques et de vies douloureusement abrégées.

Selon les projections formulées dans le rapport mondial 2023 de la FAO, près de 600 millions de personnes souffriront de sous-alimentation chronique à la fin de cette décennie. Parmi les facteurs de déterminants figurent les changements climatiques, les conséquences de la pandémie et la guerre de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

L’Ukraine est ravagée depuis un an et demi par une guerre effroyable, qui a fait de nombreuses victimes parmi la population et endommagé de vastes étendues de terres agricoles. Le retrait de la Fédération de Russie de l’initiative de la mer Noire sur les céréales en juillet et les attaques contre des installations céréalières à Odessa et ailleurs ont de nouveau fait grimper en flèche les prix dans de nombreux pays en développement, rendant le droit à l’alimentation inaccessible à de nombreuses personnes.

En Somalie, des années de sécheresse, de violence extrême et de mauvaise gouvernance ont entraîné environ 43 000 décès supplémentaires l’année dernière, la moitié étant des enfants de moins de 5 ans. Environ 1,8 million d’enfants risquent de souffrir de malnutrition aiguë d’ici fin 2023, une tragédie aux proportions inhumaines dans un pays qui a été si profondément affecté par les conflits. La longue dépendance de la Somalie à l’égard des importations de blé en provenance d’Ukraine et de la Fédération de Russie signifie que l’échec de l’initiative céréalière de la mer Noire a été particulièrement préjudiciable.

La faim et l’insécurité alimentaire sont également très préoccupantes dans les Caraïbes. L’enquête PAM-CARICOM de mai 2023 a révélé que 3,7 millions de personnes, soit 52 % de la population des pays de la CARICOM souffraient d’insécurité alimentaire.

En Haïti, l’extrême violence des gangs, alimentée par des décennies de mauvaise gouvernance, aggrave une situation alimentaire déjà mauvaise. Près de la moitié de la population, soit 4,9 millions de personnes, souffre d’insécurité alimentaire aiguë. Pourtant, dans certaines régions du pays, il est possible et sûr de produire de la nourriture, et ces initiatives locales doivent être mieux soutenues. Le rapport sur Haïti qui sera présenté au Conseil lors de cette session indique clairement que la pauvreté, les inégalités et les violations des droits économiques, sociaux et culturels ont été le terreau de la violence insupportable et de la crise généralisée que connaît le pays aujourd’hui.

Dans 111 pays, 1,2 milliard de personnes, dont près de la moitié sont des enfants, vivent aujourd’hui dans une pauvreté aiguë et multidimensionnelle. Ces personnes représentent près de 20 % de la population de ces pays et, selon la Banque mondiale, plusieurs millions d’autres seront plongés dans l’extrême pauvreté en raison des changements climatiques. Il s’agit d’un terrible échec collectif en matière de droits humains.

À travers le Sahel, la plupart des gens luttent chaque jour pour leur survie. Le Burkina Faso, le Tchad, le Mali et le Niger figurent parmi les huit pays les moins avancés du monde. Ces pays sont gravement touchés par la dégradation de l’environnement et les changements climatiques, une crise à laquelle ils n’ont pratiquement pas contribué. Les ressources nécessaires à la survie, comme les terres fertiles et l’eau, diminuent, ce qui entraîne des conflits entre les communautés. Les mesures d’adaptation nécessaires de toute urgence sont beaucoup trop coûteuses, et l’aide financière régulièrement promise lors des conférences internationales n’arrive que trop lentement. L’année 2022 a été l’année la plus meurtrière depuis le début de la crise du Sahel il y a dix ans, et la menace constante de la violence des groupes armés s’étend maintenant aux États côtiers.

Aucune des difficultés auxquelles ces pays sont confrontés ne peut être relevée de manière isolée : elles sont liées les unes aux autres. Les changements climatiques, y compris les sécheresses et les phénomènes météorologiques extrêmes qui y sont liés ; l’absence d’investissements adéquats dans l’éducation, les soins de santé, l’assainissement, les protections sociales, une justice impartiale et d’autres droits humains ; des décennies de mauvaise gouvernance et un manque de transparence et de responsabilité dans la prise de décision sont autant de facteurs contribuant à l’extrémisme violent.

Les changements anticonstitutionnels de gouvernement auxquels nous avons assisté au Sahel ne sont pas la solution. Nous avons besoin d’un retour urgent à la gouvernance civile et à des espaces ouverts où les gens peuvent participer, influencer, accompagner et critiquer les actions (ou l’absence d’action) du gouvernement.

Monsieur le Président,

Nous vivons une époque de concentration massive des richesses et d’inégalités sans précédent. La richesse mondiale n’a jamais été aussi importante. Toutefois, en 2021, les 10 % les plus riches possédaient 76 % de la richesse totale ; la moitié la plus pauvre n’en possédait que 2 %. De plus, près de la moitié de la population mondiale vit dans des pays où les gouvernements doivent consacrer plus d’argent au remboursement de la dette qu’à l’éducation ou à la santé.

Le profond fossé entre les riches et les pauvres porte préjudice à tout le monde. Au niveau national et international, il détruit la confiance et affaiblit les efforts déployés pour trouver des solutions. Il est dans l’intérêt de chaque État de veiller à ce que les institutions internationales et les discussions multilatérales reflètent les besoins de chaque participant et s’efforcent de réduire les inégalités croissantes entre les pays.

Une étape importante doit être la réforme de l’architecture financière internationale, y compris des accords plus équitables sur l’allègement de la dette et le financement du développement. Souvent, des conditions injustifiées imposées dans le cadre d’accords d’investissement ou de prêt ont empêché les États de remplir leurs obligations en matière de droits humains, comme si ces dernières n’existaient pas. Les droits humains sont essentiels à l’impact du développement et à une transition juste, et doivent être intégrés, de manière claire et complète, dans les politiques et les opérations des institutions financières internationales.

Par ailleurs, j’encourage vivement les États à soutenir l’appel des Nations Unies en faveur d’un plan de relance des ODD, et je me félicite des discussions internationales actuelles sur le renforcement de la coopération fiscale internationale. Lorsque les entreprises multinationales et les particuliers fortunés déplacent leurs bénéfices et leurs rapports financiers vers des juridictions à fiscalité faible ou nulle, cela réduit la capacité des pays à mobiliser des revenus pour la réalisation des droits humains. Le rapport sur l’état des lieux de la justice fiscale estime que les pays perdront près de 5 000 milliards de dollars des États-Unis au cours des dix prochaines années au profit des paradis fiscaux. Nous devons lutter contre l’évasion fiscale, la fraude fiscale et les flux financiers illicites. Je félicite les dirigeants du groupe africain d’avoir mis ce sujet à l’ordre du jour de l’Assemblée générale, et

je salue l’initiative de la Colombie, du Chili et du Brésil visant à promouvoir une fiscalité progressive et une plus grande coopération en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Prendre des mesures décisives pour mettre fin à la corruption et aux flux financiers illicites est un outil puissant pour augmenter les recettes, comme l’ont montré des études. Ces deux phénomènes portent également atteinte à l’état de droit, en prélevant les ressources nécessaires aux investissements publics et au bien commun, et en détruisant la confiance du public. Des études indiquent que jusqu’à 25 % des dépenses mondiales consacrées aux marchés publics sont volées par la corruption. Cet impact profondément corrosif sur le développement durable est la raison pour laquelle l’ODD 16.5 promet fermement de « réduire nettement la corruption et la pratique des pots-de-vin sous toutes leurs formes ».

La crise planétaire s’accélérant, il est également vital de passer à des économies fondées sur les droits humains qui favorisent les solutions vertes. Je ne peux qu’insister sur la nécessité d’une élimination rapide et équitable des combustibles fossiles et d’une action climatique fondée sur les droits humains et financée de manière efficace, notamment pour l’adaptation et pour remédier aux pertes et préjudices.

Je suis également attentif à la nécessité de lutter contre l’impunité des personnes et des entreprises qui pillent notre environnement. Plusieurs États et groupes de la société civile ont proposé d’inclure un crime international d’écocide dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Je me réjouis de l’examen de cette mesure et d’autres visant à renforcer la responsabilité pour les dommages causés à l’environnement, tant au niveau national qu’international.

Monsieur le Président,

Les droits à une alimentation de qualité et à un prix abordable, à l’eau et à l’assainissement, au logement, à l’éducation, aux soins de santé et à la sécurité sociale imposent des obligations à tous les États. Comme tous les autres droits humains, ils doivent être inscrits dans la loi et respectés partout dans le monde.

Cependant, dans de nombreux pays, les logements par exemple sont traités comme un produit d’investissement spéculatif : un jouet des marchés financiers, plutôt qu’un droit fondamental.

Une crise des logements abordables réduit les revenus des familles, aggrave les inégalités, nuit à la santé des enfants, appauvrit les jeunes et entraîne une crise croissante du sans-abrisme. Cette situation est devenue particulièrement évidente dans une grande partie du monde industrialisé, et je mets l’accent sur cette question car je suis convaincu qu’elle est au cœur du contrat social.

L’apparente indifférence des élus à l’égard du sort des jeunes et d’autres personnes contribue à leur désillusion et à l’érosion de leur confiance dans les systèmes politiques.

Dans de nombreux pays européens, le coût du logement a augmenté beaucoup plus rapidement que les revenus, rendant les logements stables et sûrs inaccessibles pour un grand nombre de jeunes et d’autres personnes aux revenus faibles ou irréguliers.

Dans l’Union européenne, un rapport de 2023 basé sur des données officielles indique que près d’un million de personnes sont sans domicile, soit une augmentation de près de 30 % par rapport au niveau déjà élevé de 2021, les jeunes étant parmi les plus touchés.

Aux États-Unis d’Amérique, plus d’un demi-million de personnes étaient sans domicile fixe en janvier 2022, selon les chiffres officiels, et plus de 40 % d’entre elles étaient des personnes d’ascendance africaine, ce groupe représentant 12 % de la population.

Grâce à une action concertée, la Finlande a enregistré une réduction significative du nombre de sans-abri depuis 2010. Ces mesures comprennent notamment des allocations de logement substantielles pour les personnes à faibles revenus, des services d’aide sociale ciblés et des politiques proactives visant à développer le parc de logements locatifs.

En réponse à la situation au sein de l’UE, une Plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme a été créée en 2021 pour aider à coordonner l’action des gouvernements, des villes et de la société civile. De même, aux États-Unis, le nouveau plan stratégique fédéral de prévention et de lutte contre le sans-abrisme témoigne également d’un nouvel élan en faveur d’une action corrective.

La lutte contre le sans-abrisme et la garantie d’un logement abordable sont fermement ancrées dans les objectifs de développement durable. C’est également un impératif du point de vue des droits humains. Les États doivent reconnaître que le sans-abrisme est une violation des droits humains qui prive les personnes de protections essentielles à leur dignité. J’encourage tous les pays, en particulier les pays les plus développés, à déployer le maximum de ressources disponibles pour faire respecter ces droits, comme l’exige le droit international.

Monsieur le Président,

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la population est confrontée à une pénurie d’eau sans précédent. Selon les estimations, 83 % de la population de la région est sujette à un stress hydrique extrêmement élevé et d’ici 2030, la quantité moyenne d’eau disponible par habitant passera en dessous du seuil de pénurie absolue. Cela aura un impact négatif considérable sur la santé et la sécurité alimentaire, accentuera considérablement la pauvreté et risque d’aggraver les conflits, l’instabilité et les déplacements de population.

De graves problèmes de gouvernance et l’incapacité d’investir dans les infrastructures pour les droits ont contribué à provoquer cette crise, ainsi que les changements climatiques, la pollution et la croissance démographique. Il s’agit là d’un exemple presque classique de l’interdépendance entre les institutions inclusives, la bonne gouvernance et la réalisation (ou non-réalisation) des objectifs de développement. Les réformes de la gouvernance, notamment en faveur d’un espace beaucoup plus large permettant à la société civile et aux défenseurs des droits humains de travailler pour le bien commun, peuvent donner aux sociétés les moyens de réagir, de s’adapter et de faire preuve de résilience face à la diminution de l’accès à l’eau.

L’eau n’est qu’un exemple de la nécessité de garantir une gouvernance inclusive dans le contexte du développement.

En Chine, la volonté de développement a permis d’obtenir d’importants résultats dans la lutte contre la pauvreté. Toutefois, les récents problèmes économiques du pays soulignent la nécessité d’une approche plus participative qui respecte tous les droits humains, dont les droits des membres des minorités ethniques, des habitants des communautés rurales, des travailleurs migrants internes, des personnes âgées et des personnes handicapées. Ouvrir l’espace à la participation et au débat de la société civile, y compris lorsque celle-ci critique les politiques et préconise le changement, permet de construire une société plus résiliente et plus souple. Comme le HCDH l’a souligné il y a un an, les problèmes rencontrés dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang exigent des mesures correctives énergiques de la part des autorités, conformément à nos recommandations. Je reste également préoccupé par la poursuite de la détention de défenseurs des droits humains.

En El Salvador, mettre fin à des décennies de criminalité débridée des gangs représente un défi complexe. Parmi les causes profondes de cette crise sécuritaire figurent les déficits de gouvernance, les inégalités et le manque d’accès aux droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux. La résolution de ces problèmes contribuerait à l’élaboration de solutions meilleures et plus durables. Je suis préoccupé par la durée excessive de l’état d’urgence actuel et par les détentions massives qui ont eu lieu dans ce contexte, ainsi que par les conditions de détention inacceptables et les restrictions de l’espace civique et des droits de la défense.

Au Mexique, les taux de pauvreté ont diminué de manière significative, plus de cinq millions de personnes étant sorties de la pauvreté entre 2018 et 2022. Cette réussite mérite d’être célébrée. Dans le même temps, des données récentes indiquent une augmentation du nombre de personnes qui déclarent ne pas avoir accès aux services de santé. Cela souligne la nécessité de progresser plus durablement vers la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, en s’appuyant sur des institutions inclusives, transparentes et responsables. La semaine dernière, la Cour suprême a rendu une décision importante en déclarant inconstitutionnelles les sanctions pénales prévues par le Code pénal fédéral en cas d’avortement, ce qui constitue une nouvelle avancée en Amérique latine en ce qui concerne les droits des femmes. J’encourage tous les pays à permettre aux femmes de choisir d’interrompre leur grossesse en toute sécurité.

Je me félicite des discussions menées le mois dernier par le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Pérou, le Suriname et le Venezuela en vue d’une vision commune pour la forêt amazonienne, y compris la participation effective des peuples autochtones. L’annonce en juin dernier, selon laquelle le Brésil s’efforcera de mettre fin à la déforestation illégale en Amazonie brésilienne d’ici à 2030, est une véritable bouffée d’air frais. Je tiens également à féliciter le peuple de l’Équateur pour son vote en faveur de l’arrêt des activités d’extraction pétrolière et minière dans le parc national de Yasuní, qui abrite également des peuples autochtones, et dans la réserve de biosphère du Chocó andin.

En Australie, un référendum aura lieu le mois prochain sur la reconnaissance constitutionnelle des premiers peuples d’Australie, par l’instauration d’une « voix » représentant les peuples aborigènes et les peuples insulaires du détroit de Torres au Parlement. Il s’agit d’une occasion historique de jeter de nouvelles bases pour l’inclusion et la participation des peuples indigènes, dans l’intérêt de l’ensemble de la population australienne.

En Inde, le HCDH reçoit fréquemment des informations selon lesquelles les communautés minoritaires marginalisées sont victimes de violences et de discriminations. Les musulmans sont souvent la cible de ces attaques, dont les plus récentes ont eu lieu à Haryana et Gurugram, dans le nord du pays. À Manipur, d’autres communautés sont également confrontées à la violence et à l’insécurité depuis le mois de mai. Il ne fait aucun doute qu’il est nécessaire de redoubler d’efforts pour faire respecter les droits de toutes les minorités, en s’attaquant de front à l’intolérance, aux discours de haine, à l’extrémisme religieux et à la discrimination.

Je reste profondément choqué par l’escalade de la violence dans le Territoire palestinien occupé, alors que des Palestiniens et Israéliens, dont des enfants, continuent d’être tués et gravement blessés. Le recours aux frappes aériennes en Cisjordanie occupée est particulièrement préoccupant. Les attaques violentes des colons contre les Palestiniens semblent de plus en plus fréquentes et, dans certains cas, ont eu lieu avec l’assentiment apparent des forces israéliennes. Les colonies illégales sont également en pleine expansion. La prétendue application par le Gouvernement de la souveraineté sur la Cisjordanie occupée et le transfert de vastes pouvoirs administratifs des autorités militaires à des fonctionnaires civils israéliens sont incompatibles avec le droit international humanitaire. Je suis également préoccupé par la poursuite des restrictions de l’espace civique par les autorités palestiniennes et les autorités de facto à Gaza, y compris par la détention arbitraire des personnes perçues comme dissidentes. Les autorités de facto de Gaza continuent d’appliquer la peine de mort, y compris contre des personnes n’appartenant pas à la sécurité et condamnées par des tribunaux militaires.

Je réitère ma profonde inquiétude concernant l’évolution de la situation des droits humains dans la Fédération de Russie. L’espace civique est écrasé par les restrictions des droits fondamentaux et l’oppression particulièrement sévère du mouvement antiguerre. Les autorités continuent d’utiliser le système judiciaire pour faire taire les voix critiques, en s’en prenant aux personnes et groupes défendant les droits humains dont le travail est légitime. Les peines prononcées contre des politiciens de l’opposition et des journalistes indépendants, notamment la peine supplémentaire de 19 ans de prison pour Alexei Navalny et de 25 ans pour Vladimir Kara-Murza, suscitent de vives inquiétudes, tant pour ces personnes que pour l’état de droit. Les allégations de torture et de mauvais traitements dans les centres de détention persistent, tout comme la réticence des autorités à enquêter.

En Iran, un an après la mort de Mahsa Amini, je suis gravement préoccupée par le fait qu’un nouveau projet de loi en cours d’examen impose des sanctions sévères aux femmes et aux filles qui n’obéissent pas au code vestimentaire obligatoire, notamment l’interdiction de se déplacer et le retrait de l’accès aux services sociaux. Il permet également l’utilisation de technologies de surveillance pour contrôler le comportement et la tenue vestimentaire des femmes. Les cas de femmes poursuivies en justice pour avoir enfreint le code vestimentaire se sont multipliés, même avant l’adoption du projet de loi. Dans ce contexte, j’exprime mon inquiétude quant au renouvellement du déploiement de la police des mœurs, une force presque exclusivement destinée à contrôler les femmes et les filles. Les efforts menés pour établir les responsabilités face à la mort de Mme Amini et aux violations commises dans le cadre des manifestations ultérieures ont été insuffisants. Le recours à la peine de mort a fortement augmenté, notamment contre les Baloutches et d’autres communautés minoritaires.

Concernant le Pakistan, je suis préoccupé par l’utilisation des allégations de blasphème pour inciter à la violence contre les communautés minoritaires et provoquer des tensions communautaires. Le mois dernier, une foule de plusieurs milliers de personnes a incendié plus d’une douzaine d’églises et pillé les maisons de chrétiens dans un quartier de Faisalabad. Les projets de modification des lois déjà sévères sur le blasphème alourdissent considérablement les peines. L’adoption de cette législation constituerait un grand pas en arrière par rapport aux changements préconisés par les organes internationaux chargés des droits de l’homme.

Dans la région d’Amhara en Éthiopie, depuis le début de la crise et la déclaration de l’état d’urgence au début du mois d’août, plus de 1 000 personnes auraient été arrêtées et plus de 200 auraient été tuées dans le cadre des affrontements entre les forces fédérales et la milice Amhara Fano. Dans la région d’Oromia, les affrontements semblent également se poursuivre, provoquant des meurtres et d’autres violations et atteintes aux droits humains. Dans la région du Tigré, des arrestations massives et des déplacements forcés ont été signalés, principalement dans les zones où les forces érythréennes et amhara seraient encore présentes. Tous ces incidents doivent faire l’objet d’une enquête et leurs auteurs doivent être tenus responsables. Je prends note des progrès accomplis dans les consultations sur la justice transitionnelle et j’appelle à la poursuite du dialogue avec toutes les parties prenantes, y compris les femmes. J’encourage également la justice transitionnelle et la responsabilité.

En Libye et en Tunisie, je suis alarmé par des informations selon lesquelles les autorités ont procédé à des arrestations massives et à des expulsions collectives de migrants et de demandeurs d’asile originaires du sud du Sahara. Au 31 août, au moins 28 migrants seraient morts de chaleur et de soif dans des zones désertiques à la frontière entre la Libye et la Tunisie, après que quelque 2 000 migrants et demandeurs d’asile, dont des femmes et des enfants, y ont été laissés par les autorités tunisiennes sans accès, ou avec un accès limité, à la nourriture, à l’eau et à un abri. En Tunisie, de nombreux autres migrants risquent toujours d’être expulsés. Au cours des cinq derniers mois, les organismes de sécurité de l’ouest et de l’est de la Libye ont également procédé à des arrestations massives de migrants et de réfugiés, suivies d’expulsions. J’insiste sur la nécessité de mettre en œuvre des orientations en matière de droits humains, qui présentent des avantages pour les pays d’origine, de transit et de destination.

Au Liban, trois ans après l’explosion de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts et plus de 7 000 blessés, dont plus de 1 000 enfants, aucune responsabilité n’a été établie. Au contraire, de nombreuses inquiétudes ont été exprimées quant à l’ingérence dans l’enquête, dans un contexte de grave crise économique et sociale et de faible gouvernance. Il est donc peut-être temps d’envisager une mission internationale d’enquête sur les violations des droits humains liées à cette tragédie.

Au Cameroun, six années de crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont coûté la vie à plusieurs milliers de personnes, provoqué le déplacement d’environ 725 000 personnes et laissé au moins 1,7 million de personnes nécessitant une aide humanitaire. Les conséquences sur les droits humains et le développement ont été considérables. Je reconnais les mesures prises par les autorités en vue d’un dialogue national majeur, notamment une consultation nationale sur la fin des discours de haine, la mise en place d’un conciliateur public indépendant dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la création de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. D’autres mesures devraient être prises pour poursuivre dans cette voie et permettre à tous les Camerounais de faire entendre leur voix et de participer de manière significative à l’élaboration des politiques, en particulier dans les communautés qui ont le sentiment que leurs droits culturels ne sont pas respectés.

Au Pérou, je suis préoccupé par l’ouverture d’une enquête parlementaire sur tous les membres du Conseil national de la justice, une institution indépendante chargée de nommer les juges et les procureurs. Cette enquête pourrait avoir une incidence sur l’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs. Depuis janvier, le HCDH a recensé 13 projets de loi et 5 accusations constitutionnelles du Congrès qui ont soulevé des préoccupations concernant l’ingérence dans des organes constitutionnels autonomes, en particulier le Conseil national des élections et le Conseil national de la justice. J’appelle le Congrès à se conformer aux Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature et à respecter l’équilibre des pouvoirs de l’État.

Monsieur le Président,

Plus de la moitié du chemin vers la réalisation du Programme 2030 a été parcouru ; or nous sommes bien partis pour qu’il devienne un symbole tragique de l’échec de notre génération à éradiquer l’extrême pauvreté et à réaliser les droits humains.

Lors du Sommet sur les ODD la semaine prochaine, de la COP28 sur les changements climatiques, et du Sommet de l’avenir, les États doivent opérer résolument des changements fondamentaux.

À l’approche de la manifestation de haut niveau qui aura lieu en décembre dans le cadre de l’initiative « Droits humains 75 », j’exhorte tous les États Membres à prendre de véritables engagements transformateurs.

La Déclaration sur le droit au développement énonce les droits et les devoirs des États concernant l’élaboration de politiques de développement et de politiques connexes pour le bien-être de tous. Il est essentiel de concrétiser ce droit. Dans ce contexte, le projet de pacte international sur le droit au développement a été soumis au Conseil lors de la présente session pour être examiné.

En conclusion, je tiens à souligner à nouveau que la cause des droits humains sous toutes ses formes a le pouvoir de nous unir, à une période où nous devons de toute urgence nous rassembler pour faire face aux problèmes existentiels auxquels l’humanité est confrontée. En fin de compte, il s’agit d’instaurer la confiance et de restaurer l’espoir, y compris à travers les travaux de ce Conseil. Nous devons tous jouer notre rôle.

Merci, Monsieur le Président.

FIN

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