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Cambodge

La lutte contre la « justice populaire » au Cambodge

04 octobre 2019

La mère de Leng a écouté, immobile, alors que l'un des témoins de la scène a raconté l'incident qui a coûté la vie à son fils la nuit précédente.

Elle a essayé tant bien que mal de cacher ses émotions, car elle ne voulait pas que les gens sachent que Leng était son fils, pour ne pas avoir à faire face à la stigmatisation et à la honte associées aux actes de vol.

En juillet 2017 à Phnom Penh, au Cambodge, une jeune fille a accusé Leng, un jeune garçon de 15 ans, de porter un T-shirt volé. Plusieurs personnes ont commencé à crier « Au voleur ! Au voleur ! » avant de l'empoigner et de lui attacher les mains derrière le dos. Peu de temps après, les coups ont commencé à voler. Leng a été battu par la foule à coups de poing et de pied et d'autres lui ont jeté des canettes de bière à la tête. Un témoin a expliqué que Leng était à genoux et les suppliait d'avoir pitié : « ses larmes se mêlaient au sang qui coulait de sa tête, a-t-il raconté, alors que la mère de Leng écoutait en silence.

Roué de coups et terrifié, Leng a réussi à fuir ses attaquants, les mains toujours attachées derrière le dos. Il est alors tombé dans un bassin qui servait de décharge et, ne pouvant pas nager, a supplié que quelqu'un lui vienne en aide. Ses appels au secours restant sans réponse, Leng s'est noyé quelques instants plus tard.

Le jour suivant, son corps meurtri a été retrouvé flottant parmi les déchets.

Quand la population décide de se faire justice elle-même

L'histoire de Leng n'est pas un cas isolé au Cambodge. De tels actes de violence continuent d'être signalés chaque année dans le pays.

Le terme de « justice populaire » fait référence aux actes commis par des individus se faisant justice eux-mêmes. Ces actes sont généralement violents et sont commis en représailles à un crime présumé, ou en réponse à une menace perçue.

Un récent rapport* publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) recense 73 cas de lynchage au Cambodge entre 2010 et 2018. Dans 57 cas, les victimes sont décédées à la suite de ces violences et les personnes impliquées dans les 16 autres cas ont été blessées ou harcelées.

Faute de données officielles, les chiffres réels sont probablement plus élevés.

La plupart des cas font rarement l'objet d'une enquête par les autorités et les auteurs de ces violences collectives sont souvent perçus comme des personnes luttant contre le crime ou des justiciers qui aident la société à se débarrasser de ceux portant atteinte aux autres.

Selon Fabienne Luco, spécialiste des droits de l'homme au Cambodge, il est indispensable que « les criminels fassent l'objet d'une enquête efficace et soient poursuivis en justice. Cela contribuera à renforcer la confiance dans les autorités, et encouragera ainsi la population à ne pas se faire justice elle-même. »

Pourquoi la « justice populaire » a-t-elle lieu au Cambodge ?

De nombreuses personnes interrogées dans le cadre du rapport ont mentionné le manque de confiance envers la police, les tribunaux et le système carcéral, et considèrent avoir le droit de se défendre et de se protéger en recourant à des actes violents de « justice sommaire » lorsqu'elles trouvent les auteurs présumés. De nombreuses personnes ont mentionné la corruption au sein de la police et ont déclaré que la justice n'était pas rendue correctement, car les voleurs pouvaient échapper à la détention grâce à des pots-de-vin.

En outre, les violences collectives sont étroitement liées à la pauvreté et à l'exclusion. Les cas sont plus fréquents dans certaines régions spécifiques caractérisées par un faible niveau de développement économique et social, ou plus reculées.

Les victimes les plus courantes sont celles accusées de vol. De simples accusations suffisent souvent à plonger la foule dans une violence meurtrière et les auteurs des coups sont de simples passants qui sont témoins de l'incident ou qui entendent l'appel « Au voleur ».

Les personnes accusées de pratiquer la sorcellerie ou des rituels sont également ciblées. Le HCDH a recensé 49 cas liés à sorcellerie entre 2012 et 2018, parmi lesquels 35 meurtres et 14 tentatives de meurtre et cas de harcèlement. 

Les droits des victimes doivent être respectés

Fabienne Luco affirme que les actes de justice populaire « privent les victimes de leur droit à la vie, à un procès équitable et à la présomption d'innocence ».

Le HCDH travaille actuellement avec le Gouvernement cambodgien pour renforcer les infrastructures légales et judiciaires du pays. Le rapport recommande d'instaurer des changements législatifs, de mettre en œuvre une politique de lutte contre la justice populaire et de passer en revue les directives existantes concernant les conditions d'intervention de la police en cas de violences collectives.

Le Haut-Commissariat exhorte également le Gouvernement à condamner publiquement tous les actes de justice populaire, et à s'assurer que les meurtres et les actes de violence commis donnent lieu à des enquêtes, à des poursuites et à des sanctions, et ce dans les plus brefs délais.

4 octobre 2019

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