Un concours d’art international récompense des œuvres sur l’apatridie d’artistes issus de minorités
04 novembre 2022
« Tu n’es qu’une ombre... Tu passes et personne ne te voit », a déclaré Nusret, une personne apatride vivant au Monténégro.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), on compte environ 4,2 millions de personnes apatrides comme Nusret dans le monde. Une personne apatride est une personne qui n’est reconnue comme citoyen ou citoyenne d’aucun pays. Les minorités sont touchées de manière disproportionnée par l’apatridie dans le monde, 75 % des apatrides étant des minorités.
Le concours d’art international pour les artistes issus de minorités travaillant sur des thématiques liées à l’apatridie a été organisé par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), le HCR, Minority Rights Group International et Freemuse dans le but de soutenir des artistes ayant capturé la dure réalité de l’apatridie à travers leur art. Ce fut également l’occasion de célébrer le trentième anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des minorités et le huitième anniversaire de la campagne #Jexiste (#IBelong) du HCR.
Les lauréats du concours ont été annoncés cette semaine à Genève durant une cérémonie qui a bénéficié du généreux soutien de la ville. Les lauréats Zahra Hassan Marwan, Jean Philippe Moiseau et Abdullah ont reçu chacun 1 000 USD. Brang Li, Amin Taasha, Naser Moradi et Mawa Rannahr ont quant à eux obtenu une mention honorable.
Tous ces artistes sont actuellement apatrides, ont souffert de l’apatridie ou ont été menacés d’apatridie.
« Ces artistes illustrent à travers leur art leur réalité, leurs plus grandes préoccupations et les obstacles engendrés par le refus de la citoyenneté », a déclaré Yvonne Apiyo Brändle-Amolo, qui faisait partie du jury.
Selon le HCDH, l’une des principales causes de l’apatridie est la discrimination, qu’elle soit fondée sur le statut minoritaire, la religion ou la conviction, l’âge, l’identité de genre, l’expression du genre, le handicap, la langue, l’origine raciale ou ethnique, le sexe, les caractéristiques sexuelles ou l’orientation sexuelle, ou des formes croisées ou multiples de discrimination.
« Leur message artistique explore la notion d’appartenance, d’existence fragmentée, la manière dont cela influe sur leur perception du monde et la façon dont le monde perçoit leur situation », a déclaré Mme Brändle-Amolo.
Les lauréats
Abdullah, photographe et vidéaste rohingya, est né apatride au Myanmar de parents eux aussi apatrides.
« Pour les Rohingya vivant au Myanmar, l’utilisation des smartphones est restreinte par les autorités », a-t-il expliqué. « Je me souviens encore du moment où j’ai acheté mon premier téléphone Android, un Symphony, en 2012. Les rizières, les montagnes, les ruisseaux, les animaux, les ponts et les fleurs étaient mes sujets. »
Abdullah a dû fuir le Myanmar en 2017 et il vit désormais dans le camp de réfugiés de Kutupalong, l’un des plus grands camps de réfugiés au monde, à Cox’s Bazar, au Bangladesh, où il travaille avec l’équipe de tournage Rollywood Rohingya, qui réalise des vidéos et prend des photos sur la vie dans le camp.
« Dans le camp, nous n’avons ni moyens de subsistance ni accès à l’éducation pour les enfants », a-t-il indiqué. « En tant que réfugié, j’ai choisi ce moyen pour montrer notre souffrance au monde entier. J’essaie aussi de promouvoir les jeunes qui ont des talents et un intérêt pour les arts tels que la vidéographie, la photographie, la musique, le dessin et la poésie en recueillant leurs histoires. »
Zahra Hassan Marwan est une peintre qui utilise l’aquarelle et l’encre pour explorer des thèmes tels que l’apatridie, les sentiments d’appartenance et le mal du pays. Cette membre de la minorité Ayam née d’une mère koweïtienne et d’un père apatride a été apatride pendant la majeure partie de sa vie. Elle est aujourd’hui une citoyenne américaine.
« Comme la loi koweïtienne stipule que la citoyenneté se transmet par le père, mes frères et moi sommes également nés apatrides », a-t-elle expliqué.
Ses illustrations de papillons, dont l’une est présentée ci-dessus, sont tirées de son nouveau livre, Where Butterflies Fill the Sky: A Story of Immigration, Family and Finding Home (là où les papillons envahissent le ciel : une histoire d’immigration, de famille et de quête pour trouver sa place), publié aux éditions Bloomsbury (États-Unis) en 2022.
« Ce livre parle de la confusion que je ressentais quand j’étais enfant et du fait que je ne voulais pas quitter ma maison et ma famille », a-t-elle déclaré. « Il porte sur la chance que j’ai eue de venir au Nouveau-Mexique, aux États-Unis, où les gens m’ont traitée comme si j’étais là où je devais être, et de l’espoir sans cesse de retrouver ma famille. »
L’artiste Jean Philippe Moiseau, qui est issu de la minorité haïtienne, utilise le plastique et des matériaux recyclés dans ses œuvres. Il explore la discrimination dont sont victimes les communautés haïtiennes et leurs descendants nés en République dominicaine à travers ses peintures, sculptures, objets métalliques gravés et masques.
Certaines des œuvres de l’artiste illustrent l’impact des lois, politiques et pratiques discriminatoires auxquelles sont confrontées les minorités haïtiennes en République dominicaine. L’une des politiques discriminatoires ayant eu un impact sur son groupe minoritaire est la décision de 2013 de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine, qui a conduit à l’annulation de la nationalité pour des milliers de personnes nées en République dominicaine, la plupart d’entre elles étant d’origine haïtienne.
« Moiseau utilise des éléments des arts traditionnels, reflétés dans les formes, les couleurs et les matériaux, pour faire une forte critique des politiques d’exclusion », a déclaré Aline Miklos, l’une des juges du concours. « Dans son œuvre, l’art et la politique s’entremêlent pour dénoncer les graves violations des droits de l’homme dont sont victimes les minorités haïtiennes qui résident en République dominicaine. »
Selon Mme Miklos, toutes les œuvres d’art des lauréats peuvent être utilisées comme un outil de réforme sociale positive dans le paysage juridique et politique mondial.
« En utilisant l’art comme moyen de communication, les artistes initient, consciemment ou non, un changement social, politique ou symbolique », a-t-elle déclaré.