« Il existe effectivement un lien entre la race et la pauvreté »
Steve Arodi sait à quel point la détermination, les rêves et l’éducation peuvent être une force.
« Je viens d’une famille très pauvre. Les enfants de notre quartier n’allaient pas à l’école, mais devaient quand même trouver un moyen de survivre », explique-t-il.
Steve Arodi, qui vivait à l’époque dans le bidonville de Mathare à Nairobi, au Kenya, voulait à tout prix changer de vie. C’est en voyant un autre garçon du bidonville aller à l’école qu’il a eu le déclic.
« Je le voyais tout le temps partir à l’école et en revenir, et je n’arrêtais pas de me dire qu’il fallait que je fasse pareil », se souvient-il.
C’est cette envie qui l’a conduit à suivre ce garçon à l’école et à s’inscrire lui-même comme élève, contre la volonté de ses parents. Pendant huit ans, il a vécu dans les rues de Mathare tout en allant à l’école avec l’aide de plusieurs enseignants, après que ses parents ont refusé de le laisser vivre chez eux. Il a finalement été adopté par un prêtre canadien à l’âge de 14 ans, puis a quitté le bidonville afin de poursuivre son rêve d’apprendre.
Son histoire a inspiré le documentaire Little Big Steve, réalisé par Tiziana Caminada. Il a également été invité à participer à un débat, puis a été interviewé au sujet de la pauvreté et du lien entre cette dernière et la race. Cet événement, qui fait partie de l’initiative Ciné ONU, comprenait aussi une discussion avec Olivier De Schutter, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté.
Car il existe effectivement un lien entre la pauvreté et l’origine ethnique. Déjà en 2013, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme de l’époque avait déclaré que les minorités raciales et ethniques étaient affectées de manière disproportionnée par la pauvreté, le manque d’accès à l’éducation, à un logement convenable et à des soins de santé permettant à la pauvreté de se transmettre de génération en génération.
Steve est du même avis.
« Si nous voulons changer cet état d’esprit, nous devons commencer par les plus jeunes. Si vous leur dites qu’ils peuvent réussir dans la vie et qu’ils y croient, nous changerons petit à petit le cycle de la pauvreté. Pour germer, la graine de la grandeur a besoin d’eau », fait-il remarquer.
Le racisme engendre la pauvreté en raison de l’exclusion qu’il entraîne. Par ailleurs, la pauvreté elle-même peut entraîner une discrimination supplémentaire, ce que M. De Schutter appelle le « paupérisme ». Selon ce dernier, les stéréotypes négatifs sur les personnes en situation de pauvreté sont malheureusement monnaie courante dans la population générale et sont ancrés dans les institutions qui sont censées soutenir les pauvres : les établissements scolaires, les services sociaux, les soins de santé, le logement.
« On a constaté que même les juges prononçaient des peines plus sévères sur la base de stéréotypes défavorables aux pauvres », a déclaré M. De Schutter.
Une étude thématique publiée en juin 2022 par le Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement a montré que le racisme est associé à la violence de l’État, au manque de perspectives économiques, à la pauvreté et à d’autres inégalités qui compromettent le droit au développement.
Comme l’indique le rapport, « Pour combattre les préjugés sous toutes leurs formes, il faut s’intéresser à l’intersectionnalité entre le racisme et les autres formes de préjugés et de discrimination ».
La campagne « Apprenez, parlez, agissez ! » lancée en juillet 2022 par le HCDH vise à encourager des actions concrètes pour lutter contre le racisme et d’autres types de discrimination. La lutte contre les stéréotypes et les préjugés qui encouragent la discrimination fondée sur la couleur de la peau ou l’origine sociale est essentielle à la pleine réalisation des droits de l’homme.
L’éducation, un outil pour combattre les stéréotypes, la discrimination et la pauvreté
Pour Steve, l’éducation est le meilleur outil pour lutter contre les stéréotypes, briser le lien entre la pauvreté et le racisme, et sortir les gens de ce cercle vicieux.
« L’éducation ouvre des portes », affirme-t-il. « L’éducation procure un sentiment d’estime de soi. L’éducation permet aussi de trouver des solutions aux problèmes qui existent actuellement dans le monde. L’éducation ouvre la voie vers une vie meilleure, un monde meilleur, un monde sans abus et exploitation. »
En effet, l’étude thématique sur le droit au développement souligne que « l’éducation facilite l’exercice d’autres droits, comme celui d’avoir de meilleures conditions de travail, de bénéficier de soins de santé ou de participer à la vie politique, et permet souvent de rompre le cycle de la pauvreté ».
M. De Schutter estime que les gouvernements devraient prendre des mesures positives fondées sur la classe sociale, à l’instar d’autres actions positives fondées sur la race ou le sexe et que, le plus souvent, les stéréotypes et la peur de subir des mauvais traitements dissuadent les gens de faire valoir leurs droits.
Steve Arodi aide à changer le discours sur la pauvreté et briser le lien entre pauvreté et race. Après avoir obtenu un diplôme de psychologie de l’Association kényane des conseillers professionnels, il est retourné dans le bidonville de Mathare et a ouvert une école. La Happy Star Academy accueille des enfants du primaire qui aspirent à une éducation, tout comme lui plusieurs années auparavant.
« Les enfants ont droit à l’éducation, donc je me suis battu avec le gouvernement, avec les cartels, avec des gens qui ne comprenaient pas l’importance de l’éducation, mais certaines de ces personnes sont maintenant d’accord avec moi et certains de leurs enfants sont à présent dans notre école. »
Il est convaincu que les gens ont la responsabilité d’informer les jeunes et la communauté en général de leurs droits.
« Nous devons demander aux jeunes d’être vigilants, de demander des comptes au gouvernement et de veiller à ce que le gouvernement garantisse les droits fondamentaux de la population. Nous devons aussi faire comprendre aux gens que la discrimination ne fait pas seulement du tort à la personne qui la subit, mais aussi à tous les membres de la communauté », ajoute-t-il.
Même face à de grandes difficultés, il garde espoir, car après tout c’est son propre espoir qui l’a mené jusqu’ici.
« [J’ai l’intention de] donner de l’espoir aux jeunes et aux enfants, de leur donner une raison de faire quelque chose, de faire naître en eux la volonté de faire quelque chose. »