Une victime de la guerre en quête de paix et de réconciliation en Colombie
26 juillet 2023
La vie de Leyner Palacios a basculé le matin du 2 mai 2002.
Alors que les combats faisaient rage entre des groupes armés rivaux dans le hameau de Bojayá, dans la jungle du Pacifique colombien, des habitants terrifiés s’étaient réfugiés dans l’église la plus proche. La plupart étaient des hommes âgés, des enfants et des femmes, dont certaines étaient enceintes.
« Les balles fusaient de toutes parts et nous avons dû nous cacher sous les matelas de nos maisons. À 10 heures, nous avons entendu une forte explosion, et quand nous avons levé les yeux, nous avons vu que le toit de l’église avait disparu », se souvient Leyner.
« Je vois encore tous les morts gisant dans les ruines de l’église. Ce souvenir me cause beaucoup de douleur et de colère », ajoute Leyner, en racontant comment il s’est enfui et a traversé la rivière en portant sa fille de 2 ans.
Au moins 81 personnes, dont 46 enfants, sont mortes après qu’un engin explosif lancé par le groupe rebelle des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a fait exploser l’église, provocant ainsi le « massacre de Bojayá », l’un des pires massacres de civils de la guerre colombienne, qui a duré des décennies.
Leyner Palacios, dirigeant local de la communauté afro-colombienne, n’a toutefois pas laissé ces souvenirs prendre le dessus sur sa vie. Bien qu’il ait perdu des membres de sa famille et des amis à Bojayá, il a joué un rôle important dans les négociations de paix qui ont abouti à l’accord de paix historique de 2016 entre les rebelles des FARC et le gouvernement. Il est également devenu membre de la Commission de la vérité du pays.
« J’ai vu dans le processus de paix une occasion d’améliorer la situation des droits de l’homme dans ma communauté et dans mon pays et de contribuer à faire taire les armes », affirme-t-il. « Lorsque vous avez vécu un conflit et que vous avez souffert de discrimination et de pauvreté, comme ce fut mon cas, vous faites tout pour y mettre un terme. »
Droit à la vérité et à la justice
L’un des piliers de l’accord de paix conclu entre le gouvernement colombien et les FARC fut la tâche ambitieuse visant à reconnaître les droits des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations, ainsi que les garanties de non-répétition, à travers l’adoption d’un processus global de justice transitionnelle.
Le HCDH, présent en Colombie depuis 1997 pour servir de pont entre tous les acteurs et promouvoir les droits des victimes, a soutenu les efforts visant à intégrer les normes internationales des droits de l’homme dans l’accord de paix.
Le Haut-Commissariat soutient également les efforts visant à promouvoir la justice pour les violations graves des droits de l’homme et les infractions au droit international humanitaire en renforçant les capacités des mécanismes de justice transitionnelle, notamment la Juridiction spéciale pour la paix et l’Unité de recherche des personnes portées disparues.
« La participation des victimes au processus de paix et à la justice transitionnelle est sans précédent en Colombie et dans le monde », a déclaré Juliette de Rivero, représentante du HCDH en Colombie, ajoutant que le processus de paix colombien pourrait servir de modèle pour mettre fin à d’autres conflits.
« La Commission de vérité a joué un rôle exceptionnel non seulement en redonnant la parole aux victimes, mais aussi en les transformant en architectes de la paix et en transformateurs du pays », a-t-elle déclaré.
Au début du mois, le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution pour renforcer le rôle du HCDH dans l’assistance technique et le renforcement des capacités, dans le but d’aider la Colombie à mettre en œuvre les recommandations de la Commission de la vérité.
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L’engagement annoncé par le Gouvernement de mettre en œuvre les recommandations de la Commission de la vérité est extrêmement important pour s’attaquer aux causes profondes de la violence et du conflit, et dans le cadre du processus de guérison.
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Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
La Commission de la vérité, composée de 11 membres, a organisé pendant quatre ans des auditions publiques dans tout le pays afin de recueillir les témoignages des victimes et des auteurs et d’exposer la vérité sur les violations des droits, notamment les massacres, les enlèvements, les déplacements de population et les violences sexuelles et fondées sur le genre.
Pour Francisco de Roux, prêtre jésuite ayant dirigé la Commission de la vérité, apprendre la vérité de toutes les victimes est la première étape pour guérir les blessures du conflit.
« Si nous voulons nous sauver en tant qu’êtres humains, nous devons être capables d’affronter notre histoire et de parler de la tragédie humaine de la guerre », a-t-il déclaré.
La vie au bord de la rivière
Âgé à présent de 47 ans, Leyner a grandi parmi les 24 enfants d’un petit agriculteur et inspecteur local qui gagnait sa vie en faisant du commerce avec les communautés vivant le long de la rivière Atrato, dans la région de Chocó. La famille cueillait des fèves de cacao, coupait du bois et pêchait.
« La vie au bord de la rivière nous a appris la valeur du dialogue », explique-t-il. « Nous avons appris à naviguer entre les différentes communautés et à les écouter. Nous discutions avec les populations autochtones et afro-colombiennes, nous négocions avec les guérilleros, l’armée et les paramilitaires. C’est comme ça que j’ai acquis une expérience qui allait m’être utile dans ma vie d’adulte. »
Lorsque les rebelles des FARC et le gouvernement ont entamé des pourparlers de paix à La Havane en 2012, Leyner fit partie des dizaines de victimes de guerre qui se sont rendues à Cuba pour témoigner.
Sa capacité à faire preuve d’empathie et à écouter toutes les parties a été déterminante en vue d’obtenir des excuses publiques sans précédent de la part des FARC, l’une des conditions de l’accord de paix. Près de 20 ans après le massacre de Bojayá, une cérémonie spéciale a eu lieu sur les marches de l’église incendiée. Les cercueils des personnes décédées, dont des dizaines de cercueils blancs contenant les restes d’enfants, ont été transportés en bateau sur la rivière jusqu’à leur lieu de dernier repos, accompagnés de prières et de chants.
En tant que membre de la Commission de la vérité, Leyner a recueilli plus de 800 témoignages, allant de mères de famille à des propriétaires fonciers, en passant par des policiers, des chefs d’entreprise et des tireurs rivaux.
« J’ai appris que ma douleur n’était pas différente de celle de tant d’autres Colombiens », explique-t-il.
Réconciliation
L’accord conclu avec les FARC est extraordinairement complexe et couvre tous les domaines, de la réintégration des anciens combattants au développement rural, en passant par la réforme du secteur de la sécurité, les droits fonciers, la politique en matière de drogue, l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes, établissant ainsi une feuille de route pour un avenir fondé sur la paix et l’inclusion, a déclaré M. de Rivero.
Toutefois, les experts préviennent que le chemin de la Colombie pour sortir de décennies de conflit et de leurs séquelles sera long et laborieux. Malgré l’accord de paix, le pays est confronté à des violences visant les chefs du mouvement paysan, les personnes ayant fait une demande de restitution de terres, les écologistes et les guérilleros démobilisés. Pour la seule année 2022, le HDH a pu confirmer 83 cas de massacres et 112 assassinats de défenseurs des droits humains.
Leyner lui-même a reçu des menaces de mort et se cache désormais sous la protection de l’État. Il continue de s’exprimer au nom des victimes, dénonçant la violence et l’extorsion par les groupes armés, la corruption et l’absence de développement rural. Il n’y a toujours pas de médecin à Bojayá.
Pourtant, il reste optimiste quant à l’avenir, car il n’a pas d’autre choix.
« Le conflit colombien déchire l’âme des Colombiens depuis près de 70 ans. La seule voie qui nous reste est celle de la réconciliation. Nous ne mettrons jamais fin à ce conflit par davantage de violence. »