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Liberté d’opinion et d’expression

Liberté de la presse en Amérique centrale : le silence n’est pas une solution

06 mars 2024

Un journaliste portant un casque de presse oriente son appareil photo. © Carlos Herrera

« Les médias en ligne et dans la “vraie vie” servent de systèmes de surveillance et d’alerte précoce pour toutes les violations potentielles des droits humains », a déclaré Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, à propos de la sécurité des journalistes. « C’est précisément pour cette raison que les journalistes sont si souvent la cible de menaces, de violences, voire de meurtres. Car leur travail est crucial pour la défense des droits humains de tous. »

Selon le bureau régional du HCDH pour l’Amérique centrale et la République dominicaine, ces types de menaces et d’actes de violence font partie de la vie quotidienne des journalistes dans la région, qu’il s’agisse de la fermeture d’un organe de presse ou de l’obligation pour ce dernier de transférer ses activités à l’étranger, ou encore de l’exil de journalistes, de leur interrogatoire par la police ou de la privation de leur nationalité.

« La peur de subir un interrogatoire ne devrait pas être une raison pour priver la presse de son droit à faire son travail librement et en toute sécurité », a déclaré Alberto Brunori, représentant du bureau régional du HCDH pour l’Amérique centrale et la République dominicaine, lors d’une table ronde qui s’est tenue récemment à Washington, D.C. sur la situation des journalistes dans la région.

Selon Angélica Cárcamo, journaliste salvadorienne et directrice exécutive du réseau des journalistes d’Amérique centrale, les femmes journalistes sont encore plus exposées à ces risques.

Les femmes journalistes ne sont pas remises en question par la qualité de leur travail, mais plutôt en raison des stéréotypes attribués aux femmes en général.

« Lorsqu’une femme journaliste publie une enquête, elle n’est pas interrogée sur le fait que l’enquête manque de méthode journalistique ou même qu’elle a reçu un pot-de-vin en échange de l’enquête », a-t-elle déclaré. « Les femmes journalistes sont critiquées pour leur apparence physique et leur façon de parler. On leur dit qu’elles devraient être à la maison pour s’occuper des tâches ménagères. On leur demande même comment il est possible que leurs partenaires leur donnent la « permission » de pratiquer le journalisme. Plus grave encore, elles reçoivent des messages les menaçant de viol. Les femmes sont considérées comme une chose plutôt que comme une personne ayant des droits. »

Journalists escape from a police crackdown while trying to cover the arrest and raid to Cristiana Chamorro’s house, the daughter of former President of Nicaragua Violeta Barrios. Cristiana was detained before the elections in 2021. © Carlos Herrera

Des journalistes échappent à la répression policière alors qu’ils tentent de couvrir l’arrestation et la descente au domicile de Cristiana Chamorro, la fille de l’ancienne Présidente du Nicaragua, Violeta Barrios. Cristiana a été arrêtée avant les élections de 2021. © Carlos Herrera

Les journalistes locaux sont également confrontés à des risques qui leur sont particuliers dans l’exercice de leur métier.

« La plupart d’entre eux se trouvent dans les petites villes ou dans les zones rurales, où il est beaucoup plus difficile d’accéder aux mécanismes de protection et où il y a beaucoup plus d’actes criminels qui peuvent rester impunis », a déclaré Cristiana Chamorro.

Assurer la sécurité de la presse

Afin de prendre des mesures concrètes pour protéger les journalistes, l’initiative « Global drive for media freedom and safety of journalists » (campagne mondiale pour la liberté des médias et la sécurité des journalistes) a été lancée en 2020 pour favoriser l’indépendance et la liberté des médias et la reconnaissance par le public de la valeur de l’accès à l’information, pour renforcer la protection et l’obligation de rendre compte des violations commises contre les journalistes, en particulier les femmes journalistes. Cette initiative est soutenue par le Royaume des Pays-Bas et mise en œuvre par le HCDH, en collaboration avec l’UNESCO.

« L’autonomisation des journalistes n’est pas seulement une question de liberté, c’est une question de sauvegarde de la démocratie elle-même », a déclaré M. Brunori. « L’initiative “Global Drive” a joué un rôle essentiel dans la promotion d’une presse indépendante et dans le renforcement de l’obligation de rendre des comptes. En Amérique centrale, où les journalistes sont confrontés à de multiples difficultés, cette initiative a renforcé notre travail, permis d’identifier des problèmes communs et créé des opportunités de plaidoyer pour les journalistes de toute la région. »

« Cette initiative a été extrêmement importante pour le Réseau de journalistes d’Amérique centrale », a déclaré Marielos Monzón, journaliste guatémaltèque et vice-présidente du Réseau.

Selon Mme Monzón, l’initiative a apporté un soutien de plusieurs manières, notamment en recueillant des informations sur les situations auxquelles sont confrontés les journalistes dans la région. Par exemple, l’initiative a soutenu une consultation avec 340 journalistes d’Amérique centrale visant à connaître le contexte de la liberté d’expression et les menaces qu’ils subissent.

Le HCDH a également soutenu la rédaction et la publication d’un rapport sur la liberté d’expression, l’accès à l’information et la pratique du journalisme en Amérique centrale, qui a contribué à trouver des solutions concrètes. Le rapport fournit des informations sur l’efficacité des mesures et mécanismes de protection des journalistes dans les pays qui les ont mis en œuvre, ainsi que sur les formes d’intimidation, les principaux impacts, les mécanismes vers lesquels se tournent les journalistes victimes de violations, les organisations qui les soutiennent, et une série de recommandations par pays.

« Il a été extrêmement important d’avoir la possibilité de réaliser une étude sur les mécanismes de protection. Dans un moment aussi grave que celui que traverse l’Amérique centrale, il devrait y avoir une réelle possibilité pour les journalistes d’être protégés et de faire leur travail », a déclaré Mme Monzón.

En outre, le rapport contient des informations ventilées par sexe et par auteur d’actes de harcèlement ou d’agression, ainsi que des informations différenciées sur les agressions contre les femmes journalistes et les journalistes locaux. Il comprend également des informations sur l’utilisation des mécanismes régionaux et internationaux.

« L’étude confirme des informations cruciales que le HCDH a contrôlées et offre une vue d’ensemble détaillée des défis, difficultés et actes de harcèlement les plus récurrents auxquels sont confrontés les journalistes dans la région », a déclaré M. Brunori. « Notre intention est de travailler à la mise à jour continue de ces données et au renforcement des réseaux de journalistes, en maintenant vivantes la conversation et les actions en faveur de la liberté de la presse et de la sécurité des personnes qui l’exercent. »

« Nous devons protéger les journalistes, car nous ne défendons pas seulement notre droit d’informer, mais aussi le droit de la population d’être informée », a déclaré Carlos Herrera, journaliste nicaraguayen et membre du Réseau des journalistes d’Amérique centrale. Ce dernier est convaincu que c’est la meilleure façon de défendre le journalisme dans la région.

Les États doivent absolument reconnaître qu’il n’y a pas de progrès sans une presse libre. La peur de la critique ne justifie en aucun cas la restriction du droit des personnes qui pratiquent le journalisme d’exercer leur métier en toute sécurité. Il s’agit d’un droit fondamental qui favorise la démocratie et la liberté dans toutes les sociétés.

ALBERTO BRUNORI, REPRÉSENTANT DU BUREAU RÉGIONAL POUR L’AMÉRIQUE CENTRALE ET LA RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Selon Mme Monzón, le fait de travailler sur ce rapport main dans la main avec le HCDH a favorisé les alliances et ouvert la voie à la réalisation du droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information pour tous les citoyens.