« Les petites îles sont victimes d’une crise climatique qu’elles n’ont pas créée »
18 juin 2024
« Je suis biologiste et le fait d’adopter une approche fondée sur les droits humains et la justice est nouveau pour moi. Cependant, même si nous n’utilisons pas ce langage, c’est ce que nous faisons », a déclaré Nicole Leotaud, directrice de l’Institut des ressources naturelles des Caraïbes (CANARI). « On ne peut que s’intéresser aux questions liées à l’équité, la justice et les droits humains quand on travaille avec des acteurs sur le terrain et avec des personnes vulnérables et marginalisées, qu’on écoute leurs récits et qu’on voit les problèmes auxquels elles sont confrontées. »
Nicole Leotaud a pris part à la 4e Conférence internationale sur les petits États insulaires en développement (PEID 4), qui a eu lieu à Antigua-et-Barbuda en mai dernier et avait pour thème général « Tracer la voie vers une prospérité résiliente ». La conférence visait à évaluer la capacité des petits États insulaires en développement (PEID) à parvenir au développement durable et notamment à réaliser le Programme 2030. De nombreux acteurs y ont pris part, notamment des responsables gouvernementaux, des représentants de la société civile, des experts, et plusieurs organismes des Nations Unies, dont le HCDH.
Le CANARI est un institut qui promeut et facilite la participation et la collaboration des parties prenantes dans la gestion des ressources naturelles renouvelables essentielles au développement des îles des Caraïbes.
« Une biodiversité et des écosystèmes sains sont essentiels à la vie. Notre travail consiste à soutenir la participation des citoyens aux décisions relatives à l’utilisation durable, à la conservation, à la protection et à la restauration de ces ressources naturelles », a expliqué Mme Leotaud. « Dans les Caraïbes, nous avons un véritable lien culturel avec la nature. »
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a souligné à plusieurs reprises que les droits humains offrent une feuille de route permettant d’assurer le changement transformateur nécessaire pour faire la paix avec la nature, en préservant la planète et l’avenir de l’humanité.
« Le cadre des droits humains est universel. Il nous pousse à agir. Non pas par peur, mais par volonté de trouver des solutions fondées sur la justice et la dignité humaine. Des solutions qui marchent vraiment », a déclaré M. Türk en s’adressant aux institutions nationales des droits de l’homme présentes à une conférence l’année dernière.
Le HCDH encourage une approche de l’action climatique et du renforcement de la résilience des sociétés fondée sur les droits humains, en collaborant avec un large éventail de partenaires pour intégrer les droits humains dans les lois et les politiques environnementales. Le Haut-Commissariat soutient également la participation de la société civile et des personnes concernées aux discussions et à la prise de décision en matière d’environnement, en plaidant pour un accès effectif à l’information et aux voies de recours, et en apportant son soutien aux défenseurs des droits humains dans le domaine de l’environnement.
« Nous devons tirer parti des progrès remarquables réalisés en ce qui concerne le droit à un environnement propre, sain et durable en renforçant sa reconnaissance dans les cadres juridiques nationaux, régionaux et internationaux, en ratifiant les instruments existants en matière de droits humains et d’environnement, et en envisageant d’en adopter de nouveaux, tout en introduisant des mécanismes et des politiques efficaces pour rendre ce droit opérationnel », a indiqué Volker Türk dans sa déclaration de principes, intitulée Droits humains : la voie à suivre.
Les progrès accomplis concernant le droit à un environnement propre, sain et durable sont visibles à travers l’Accord d’Escazú, le premier traité régional sur les droits humains lié à l’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes. Il s’agit d’un pacte novateur qui reconnaît le droit à un environnement sain, à la participation du public, à l’accès à l’information, à l’accès à la justice et à une protection accrue des défenseurs des droits humains dans le domaine de l’environnement. L’Accord d’Escazú est devenu une réalité en avril 2021 et a été ratifié dans 16 des 25 pays, dont 8 petits États insulaires en développement des Caraïbes : Antigua-et-Barbuda, Belize, Dominique, Grenade, Guyana, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
Nicole Leotaud figure parmi les six représentants élus dans le cadre d’un processus ouvert au public pour promouvoir, soutenir et faciliter l’engagement du public en faveur de l’Accord d’Escazú.
« Nous nous sommes attachés à faire en sorte que la société civile des Caraïbes et les communautés de première ligne sur le terrain comprennent l’accord, ces droits et la manière dont ils peuvent utiliser cet accord pour soutenir leur travail et résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés », a déclaré Mme Leotaud.
Selon cette dernière, l’accord souligne l’importance des défenseurs de l’environnement. Cela est important, car de nombreuses personnes dans les Caraïbes pensent que la région n’a aucun problème avec les défenseurs des droits humains liés à l’environnement, or le travail sur le terrain dresse un tout autre un tableau.
« Nous devons d’abord reconnaître les réalités du terrain, le travail de ces défenseurs de l’environnement, les problèmes auxquels ils sont confrontés et la manière dont nous pouvons leur être solidaires pour les soutenir », a-t-elle indiqué.
« Durant la conférence, il a été largement reconnu que les PEID sont confrontés à de multiples crises, notamment l’insécurité alimentaire et hydrique, l’élévation du niveau de la mer et les sécheresses, et qu’il est de plus en plus urgent de prendre des mesures en matière de climat et d’environnement et de financer ces mesures. Les catastrophes liées au climat ont doublé en vingt ans », a déclaré Juana Sotomayor, conseillère pour les droits humains du bureau du Coordonnateur résident des Nations Unies pour la Barbade et les Caraïbes orientales.
« Les Nations Unies se sont engagées à soutenir les îles dans leur quête d’un avenir plus résilient et durable », a déclaré Li Junhua, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires économiques et sociales. « Elles sont parfois géographiquement éloignées, mais elles ne doivent pas être seules face à ces problèmes. »
L’action climatique doit être en faveur de toutes et tous
« Nos efforts doivent donner la priorité aux besoins des plus vulnérables d’entre nous. Les femmes, les jeunes, les peuples autochtones et personnes d’ascendance africaine, ainsi que les autres communautés marginalisées doivent être au centre de nos stratégies climatiques », a déclaré Molwyn Joseph, Ministre de la santé, du bien-être, de la transformation sociale et de l’environnement d’Antigua-et-Barbuda, lors de sa déclaration liminaire à l’occasion d’une manifestation parallèle organisée par le CANARI et le HCDH dans le cadre de la PEID 4.
« Selon l’ONU, les femmes et les enfants courent 14 fois plus de risques que les hommes de mourir lors d’une catastrophe », a déclaré M. Joseph.
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Vivre dans un environnement sain et sûr est un droit humain fondamental, et nos politiques doivent refléter cet engagement en faveur de l’inclusion sociale.
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MOLWYN JOSEPH, MINISTRE DE LA SANTÉ, DU BIEN-ÊTRE, DE LA TRANSFORMATION SOCIALE ET DE L’ENVIRONNEMENT D’ANTIGUA-ET-BARBUDA
M. Joseph a remercié le CANARI et le HCDH d’avoir réuni les autorités compétentes, la société civile et les Nations Unies lors de cette manifestation parallèle à la PEID 4, alors qu’ils s’efforcent d’adopter une approche « pour l’ensemble de la société » afin de faire face à la crise climatique.
Pour Mme Leotaud, l’action climatique ne concerne pas seulement les communautés qui subissent les conséquences directes des changements climatiques.
« Elle concerne aussi les vulnérabilités et les injustices supplémentaires auxquelles [les gens] sont confrontés. Qu’il s’agisse de la race ou de la pauvreté, l’héritage du colonialisme dans les Caraïbes est bien réel. Que ce soit les questions de genre, les questions liées aux LGBTQ+ ou aux personnes handicapées », a-t-elle déclaré.
Les organisations de la société civile des Caraïbes ont émis plusieurs recommandations en vue de la conférence PEID 4, dont la prise en compte des droits humains et de l’accès à la justice comme élément central du développement.
« La société civile a lancé un appel très fort en faveur de la reconnaissance du droit à un environnement sûr et sain, ainsi que d’une approche intersectionnelle qui rassemble toutes les questions relatives aux droits humains afin que nous puissions bien mieux comprendre les problèmes, les besoins et les solutions », a déclaré Mme Leotaud.
« Les petites îles sont victimes d’une crise climatique qu’elles n’ont pas créée et qu’elles ne peuvent pas résoudre seules », a déclaré M. Türk. Nous devons nous assurer que le financement de l’action climatique fondée sur les droits et que les engagements formulés envers le Programme d’Antigua-et-Barbuda en faveur des petits États insulaires en développement (ABAS) sont respectés, et que le droit à un environnement sain est protégé pour toutes et tous. »