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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Huitième Forum sur les entreprises et les droits de l’homme « Renforcement de la direction gouvernementale : des engagements à l’action » Déclaration liminaire de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

25 novembre 2019

Genève, le 25 novembre 2019

Monsieur le Vice-Président du Conseil,
Chers membres du Groupe de travail sur les entreprises,
Chers intervenants,
Chers collègues et amis,

Je suis ravie de vous accueillir au huitième Forum annuel des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'homme. Il est très encourageant de voir tant de personnes de différents horizons se réunir pour partager leurs expériences et leurs idées sur la façon d'assurer la protection et le respect des droits de l'homme dans le contexte de l'entreprise. Je salue tout particulièrement les défenseurs des droits de l'homme et les représentants des travailleurs et des communautés : nous avons entendu certaines de leurs histoires dans la session de ce matin consacrée aux « voix du terrain ».

Tout au long de l'histoire, les entreprises et les échanges commerciaux ont été cruciaux pour la vie humaine – et les droits de l'homme. Grâce à eux, le niveau de vie et les conditions de livraison des marchandises ont augmenté, ce qui a ainsi permis à la population d'accéder aux droits économiques et sociaux, et encouragé le développement. Le fait de vivre à l'abri du besoin est, dans une large mesure, rendu possible grâce aux activités des entreprises à l'échelle de la planète.

Toutefois, si ces activités commerciales ne sont pas contrôlées par des cadres de responsabilité et de gouvernance solides, elles peuvent entraîner l'exploitation des travailleurs et des utilisateurs de leurs produits ; l'appropriation des terres et d'autres abus des droits des communautés locales ; l'augmentation des inégalités et des atteintes à notre droit à un environnement sain.

Nous tous ici aujourd'hui savons qu'il est temps de passer des engagements envers ces cadres à des actions concrètes afin de les mettre en œuvre. Nous avons besoin de faire passer les trois piliers des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme – « Protéger, respecter et réparer » – de la théorie à la pratique. Les États doivent passer à l'action pour adopter ou faire respecter des lois conformes au droit international des droits de l'homme et aux normes du travail, et qui protègent les travailleurs et les communautés concernées, à l'intérieur du pays et à l'étranger. Cette démarche doit s'accompagner de politiques, réglementations, jugements, mesures d'incitation économiques et directives efficaces, ainsi que de la promotion du dialogue entre les acteurs concernés.

En effet, même si de plus en plus d'entreprises sont conscientes de leur responsabilité de respecter les droits de l'homme – et mettent en œuvre des politiques de diligence voulue en matière de droits de l'homme – nous assistons encore à des pratiques commerciales sans scrupules, qui continuent de générer des souffrances humaines évitables, mettent un frein au développement durable et inclusif et alimentent les inégalités.

Les manifestations de masse actuelles – à la fois dans les pays développés et en développement – découlent en grande partie de problèmes dont vous débattrez au cours des trois prochains jours. Les populations sont révoltées par leur exclusion des prises de décisions, leur perception de la corruption et les inégalités croissantes – qui non seulement laissent des millions de personnes de côté, mais les rendent encore plus démunis.

Les jeunes et leurs aînés exigent des actions, pour leur avenir et l'avenir de notre environnement.

Résoudre ces problèmes est une question fondamentale des droits de l'homme – mais c'est également une question pratique servant les intérêts de chaque gouvernement et chaque entreprise. Les inégalités portent atteinte aux droits, approfondissent le ressentiment de la population, créent des tensions sociales, politiques et économiques, et empêchent la pleine participation de tous les membres de la société. L'inaction des États et les pratiques commerciales à l'origine des changements climatiques et de la dégradation de l'environnement causent des souffrances aux individus et aux communautés.

Lutter contre les inégalités, et faire face aux changements climatiques avec de véritables actions sont essentiels pour la cohésion sociale et le développement durable.

Nous constatons également une augmentation des agressions et des meurtres de défenseurs des droits de l'homme. Selon un rapport publié par le Haut-Commissariat l'année dernière, plus de trois défenseurs des droits de l'homme par semaine ont perdu la vie en raison de leur engagement et de leur militantisme. Les personnes défendant les droits fonciers et les droits relatifs à l'environnement dans le contexte de l'exploitation forestière, du secteur agro-industriel, des projets d'infrastructure, de l'exploitation minière et d'autres industries extractives sont particulièrement à risque.

Un autre problème émergent concerne la révolution numérique. Nous connaissons ses avantages, mais certains de ses aspects plus négatifs représentent une menace croissante qui pèse sur les droits de l'homme. Les discours haineux et le harcèlement en ligne sont en pleine croissance et peuvent déborder dans le monde réel et causer de la violence et de la haine, parfois à l'encontre de communautés ou de groupes de population entiers. L'utilisation de la surveillance de masse par des gouvernements, des entreprises et d'autres acteurs privés, l'intensification de la discrimination et la violation du droit à la vie privée et de nombreux autres droits. Le recueil et l'utilisation abusive des données concernant les individus, y compris pour manipuler les électeurs.

Les processus automatisés et l'intelligence artificielle sont déjà utilisés dans des systèmes de protection sociale et de justice pénale à l'échelle de la planète, ainsi que dans l'assurance maladie et les services bancaires – et aggravent dans plusieurs cas les inégalités à travers des préjugés intégrés par inadvertance.

Ce n'est pas parce qu'un processus est numérique qu'il doit être une zone exempte de droits de l'homme. Les droits de l'homme sont universels – pour tous, partout – et cela est tout aussi vrai en ligne que dans la rue. Les garanties en matière des droits de l'homme doivent être intégrées à tous ces systèmes dès leur création et doivent être mises en œuvre en priorité tout au long de leur cycle d'utilisation.

Le HCDH lance actuellement un projet qui permettra aux parties prenantes – y compris dans les pays en développement – de s'engager pour évaluer les risques et les avantages qu'elles rencontrent à travers les technologies numériques. Nous veillerons à utiliser les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme pour fournir des orientations aux entreprises et aux décideurs sur la façon d'atténuer les risques et de garantir que la technologie numérique est utilisée à bon escient, en prévenant et combattant les atteintes aux droits de l'homme.

Nous avons besoin de réponses plus solides de la part des gouvernements, avec des politiques qui intègrent un devoir de protéger tous les droits de l'homme. Nous avons besoin que les entreprises technologiques contribuent et respectent les droits de l'homme.

Nous disposons aujourd'hui de programmes et de cadres d'action bien définis pour les États et les entreprises, pour faire en sorte que notre monde mondialisé fonctionne pour tous. Le Programme de développement durable à l'horizon 2030 est fondé sur la justice sociale et les droits de l'homme. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme fournissent une feuille de route pour une économie mondiale dans laquelle les droits de l'homme sont protégés et respectés, et qui offre un avenir juste, pacifique et durable pour tous.

Les États doivent protéger ; les entreprises doivent respecter ; et ceux ayant subi un préjudice doivent obtenir réparation. Les Principes directeurs précisent de quelle manière.

Je me félicite des mesures juridiques importantes qui sont actuellement prises dans certains pays et au niveau régional, nécessitant que les entreprises adoptent une politique de diligence voulue en matière de droits de l'homme pour prévenir les effets négatifs de leurs activités sur les personnes et dans leurs chaînes de valeur. La France a été le premier pays à adopter une telle exigence avec sa loi sur le devoir de vigilance, suivi par les Pays-Bas avec sa politique de diligence voulue axée sur le travail des enfants. Les textes de loi pour lutter contre l'esclavage moderne dans les chaînes d'approvisionnement sont également bienvenus.

En outre, je me réjouis du nombre croissant de pays qui élaborent des plans d'action nationaux relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, y compris récemment au Kenya et en Thaïlande. Toutefois, nous devons effectuer un travail beaucoup plus vaste, rapide et global à cet égard pour réellement commencer faire changer les choses. J'encourage les pays de toutes les régions à mettre en place de tels projets, qui constituent une étape cruciale vers la mise en œuvre des Principes directeurs.

Nous devons adopter des politiques et des législations cohérentes, comme l'a souligné le Groupe de travail dans son rapport récent à l'Assemblée générale. En vertu du droit international des droits de l'homme, les États ont l'obligation de protéger la population contre les violations des droits de l'homme par les entreprises commerciales. Les Principes directeurs précisent que pour mettre en œuvre cette obligation, les États devraient envisager un « ensemble judicieux » de mesures – nationales et internationales, obligatoires et volontaires – pour favoriser le respect des droits de l'homme par les entreprises.

Il est très encourageant de voir que ce forum comprend un grand nombre de femmes et d'hommes d'entreprises et d'organismes d'investissement réclamant des mesures gouvernementales plus efficaces –  et reconnaissant que la formulation d'attentes claires par les gouvernements concernant les opérations des entreprises à l'échelle nationale et à l'étranger est bénéfique pour ces dernières. Certaines grandes entreprises mettent actuellement en œuvre des mesures afin d'intégrer le respect des droits de l'homme dans les politiques et les pratiques d'entreprise – y compris dans les chaînes de valeur.

Les chefs d'entreprise avisés savent qu'agir de manière responsable est également dans leur intérêt. Ils reconnaissent qu'il ne s'agit pas d'« aller au-delà » de leur travail, mais de mener leurs activités principales tout en respectant la population et la planète. Les investisseurs sont également de plus en plus conscients qu'ils ont aussi pour responsabilité de prendre en compte les risques de violations des droits de l'homme dans les entreprises dans lesquelles ils investissent, et plusieurs grands investisseurs ont commencé à utiliser leur influence pour faire évoluer les choses.

En effet, sans entreprises et investisseurs responsables, il sera tout simplement impossible de réaliser la promesse formulée dans le Programme 2030. En travaillant ensemble, nous pouvons rendre ces engagements ambitieux réalisables. Nous pouvons éradiquer la pauvreté extrême et investir dans l'inclusion sociale, économique et politique, tout en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte. Mais nous avons besoin de compter à la fois sur les États et sur les entreprises – et de mettre le respect des droits de l'homme au cœur de notre action commune.

Merci.