Skip to main content

Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Les droits de l’homme importent-ils encore ? Programme pour l’égalité et la justice sociale

19 novembre 2019

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

Chatham House, Londres, le 19 novembre 2019

Madame Mandal,
Chers membres,
Chers collègues et amis,

Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Il s'agit d'un moment particulièrement opportun pour discuter des enjeux liés à notre programme relatif aux droits de l'homme et des nombreuses façons dont ce programme peut aider à résoudre certains de ces enjeux.

Je voudrais commencer avec un sujet qui consume littéralement les rues de nombreuses villes du monde à l'heure actuelle : les inégalités.

Les inégalités en matière d'opportunités, de pouvoir politique, de l'accès à la justice, d'éducation, de retraite et d'autres ressources et services fondamentaux. Elles causent l'aliénation, le ressentiment, l'exclusion, des tensions sociales et des conflits. Elles sont le résultat d'une mauvaise gouvernance, de la corruption, les défaillances dans l'état de droit et de la discrimination. Elles résultent de la violation des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.  Elles fragilisent le développement des pays.

Elles engendrent l'insécurité et l'extrémisme. Elles conduisent à des migrations involontaires. Elles rendent une grande partie de la population plus vulnérable aux changements climatiques et élargissent le fossé entre ceux qui ont accès à la technologie et ceux qui sont laissés de côté.

Elles tuent également : l'incapacité d'assurer un accès adéquat aux services de santé, à un logement convenable, à l'eau propre et à la nourriture entraîne quotidiennement la mort de personnes.

Nous avons reconnu l'ampleur des dommages causés par les inégalités lorsque nous avons adopté le Programme de développement durable à l'horizon 2030. En effet, l'objectif 10 est consacré à la réduction des inégalités au sein des pays et entre ces derniers, mais ce thème est en réalité omniprésent dans les 17 objectifs, avec leur promesse de « ne laisser personne de côté » et d'aider en priorité les plus défavorisés.

Quoi qu'il en soit, les inégalités économiques se sont en fait accélérées à l'ère du Programme 2030. Comme Oxfam l'a signalé, la concentration des richesses s'intensifie : les milliardaires du monde entier ont vu leur fortune augmenter de 2,8 milliards de dollars en 2018, tandis que la richesse de la part la plus pauvre de l'humanité, soit 3,8 milliards de personnes, a chuté de plus de 10 %.

Quatre milliards de personnes n'ont accès à aucun filet de sécurité ni aucune forme de protection sociale. Les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées au monde subissent les pires effets des changements climatiques – et cette forte incidence discriminatoire s'approfondira sans doute à mesure que l'urgence climatique s'aggravera.

En 2019, des manifestations de rue ont éclaté dans de nombreux pays : L'Algérie, l'Argentine, l'Azerbaïdjan, le Brésil, la Bolivie, le Burkina Faso, le Cameroun, le Chili, la Colombie, l'Égypte, l'Équateur, l'Espagne, la France, le Gabon, la Guinée, Haïti, le Honduras, Hong Kong, la Hongrie, l'Indonésie, l'Iraq, le Kazakhstan, le Liban, le Mali, le Nicaragua, le Niger, la République tchèque, la Russie, la Serbie, la Slovaquie, le Soudan, le Tchad, le Venezuela et le Zimbabwe – et des manifestations mondiales sur le climat ont été organisées dans encore plus de pays.

L'éventail extrêmement large des systèmes politiques, des économies, des modèles de gouvernance et des capacités de ressources qu'elles représentent suggère qu'un mouvement très large se prépare et indique un échec fondamental des politiques et de l'économie contemporaines.

Ce ne sont pas nécessairement les sociétés les plus inégales du monde. Chacune de ces protestations se déroule dans son propre contexte, pour ses propres raisons. Mais de toute évidence, les inégalités sont un facteur dans plusieurs de ces cas, voire la majorité.

Un deuxième facteur clé semble être le mécontentement et la méfiance profonde envers les dirigeants. On estime qu'il existe un déficit démocratique et que le bien-être du peuple n'est pas la priorité de nombreux États.  Le sentiment que nos sociétés sont entachées par la corruption, le népotisme et la détérioration des services publics – comme l'eau et l'assainissement, le logement et les soins de santé – alimente cette colère généralisée envers ceux au pouvoir.

Le troisième trait commun est la conviction parmi les jeunes qu'ils sont privés de leur droit d'agir sur un pied d'égalité – politiquement, socialement et économiquement – et privés de tout espoir. Les changements climatiques approfondiront de plus en plus les inégalités. Ils accentuent également le sentiment que les jeunes se voient refuser la part qui leur revient de droit. « Respecter les règles du jeu », travailler dur, payer son dû ne sont plus considérés comme suffisants pour réussir, et nous craignons de plus en plus que les enfants d'aujourd'hui et les futures générations héritent d'un monde beaucoup plus hostile et dur. Ces sentiments, associés à la perception que les structures politiques traditionnelles font la sourde oreille face à ces préoccupations, ou sont déterminées à piller l'avenir des jeunes, anéantissent l'espoir et la cohésion sociale.

Un quatrième facteur commun à la plupart des manifestations est le fait que de nombreux gouvernements ont initialement choisi d'y répondre par la répression. Le but a été d'étouffer les protestations, plutôt que d'écouter ce que les manifestants ont à dire.  Dans de nombreux cas, cette répression aurait été accompagnée d'un usage excessif et parfois mortel de la force par la police – certaines preuves vidéo apparaissant sur les médias sociaux et renforçant l'indignation de la population.

Nous avons pu souvent constater que les protestations sont déclenchées par un élément bien spécifique et limité. Elles sont ensuite amplifiées par l'indignation face à la brutalité de la police ; elles font écho à un sentiment de non-respect des droits de l'homme ; et – alimentées par ces causes profondes et parfois interconnées – se muent en une expression beaucoup plus large de l'insatisfaction.

Il est intéressant de noter ici la tendance répandue à restreindre davantage l'espace civique et les libertés fondamentales. Dans chaque région du monde, certains États ont adopté ces dernières années des lois qui limitent gravement le droit de leurs peuples à se réunir et à agir pour leurs droits. Elles comprennent des restrictions relatives au financement et des exigences très strictes concernant l'inscription et le fonctionnement des organisations de la société civile. Les militants font l'objet de campagnes de désinformation et sont accusés de trahir leur pays ; le système judiciaire est utilisé à mauvais escient pour attaquer systématiquement les organisations de la société civile et les poursuivre comme des criminels, simplement pour avoir exprimé des opinions politiques ou se rassembler lors de manifestations.

Ces restrictions sur l'espace civique ne protègent personne. Au contraire, en étouffant la voix des gens, elles favorisent les injustices, encouragent la montée des tensions sociales, et pour ainsi dire poussent les gens à descendre dans la rue.

Les gens savent qu'ils ont le droit de se réunir pacifiquement pour exprimer leurs points de vue et de dialoguer avec les autorités.

Ils veulent que les gouvernements respectent les droits et le bien-être de la population, soient au service de cette dernière, et œuvrent pour tous et non pas seulement pour certains. Ils exigent la transparence et l'inclusion. Ils veulent être entendus.

L'usage inutile et disproportionné de la force contre les personnes qui revendiquent pacifiquement leurs droits fondamentaux– ou expriment des points de vue critiques – constitue une violation des droits de l'homme. En outre, l'augmentation des tensions qui en découle rend plus difficile la possibilité d'une sortie de crise durable – ce qui est également contre-productif, de manière très concrète.

En tant qu'ancienne Ministre de la défense et chef d'État, je connais bien les difficultés que représente la gestion des situations de menace à la sécurité. Et je pense que de nombreuses autorités doivent se rappeler que l'objectif des interventions pour garantir l'ordre public est de maintenir la paix.

Permettez-moi de souligner trois points importants.

Premièrement : en protestant contre les abus et les violations des droits de l'homme, les manifestants d'aujourd'hui montrent clairement que des solutions durables répondant à leurs revendications profondes ne peuvent être garanties qu'en adoptant une approche fondée sur les droits de l'homme.

 En tant que défenseuse des droits de la personne et ancienne responsable politique, je comprends clairement les deux facettes de cette situation.  Ma propre expérience – et celle de nombreuses autres personnes – démontre que pour faire face du mieux possible aux protestations et à la dissidence, les autorités doivent avant tout ne pas s'empresser de répondre par une répression violente, mais traiter les causes profondes de ces situations en instaurant un dialogue inclusif et ouvert. C'est précisément ce que les droits de l'homme nécessitent et revendiquent.

De nombreuses revendications exprimées lors des récentes manifestations ont trait aux droits économiques et sociaux et aux inégalités qui s'y rapportent.  Toutefois, dans la mesure où ces droits économiques et sociaux ne peuvent être exigés sans pouvoir s'exprimer, se réunir et manifester, ces revendications sont intrinsèquement liées aussi aux droits civils et politiques.

J'en viens donc à mon deuxième point : nous devons considérer les droits civils et politiques, de même que les droits économiques et sociaux, comme un tout. Les manifestations actuelles sont peut-être le résultat de mesures économiques, mais elles comblent les clivages politiques et sectaires traditionnels et soulèvent des problèmes liés à l'ensemble des droits de l'homme – soulignant ainsi la notion que ces droits sont indivisibles.

Troisièmement : tout en continuant à mettre l'accent sur le concept d'indivisibilité, je pense que beaucoup de pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire n'ont pas réussi à prendre au sérieux les droits économiques, sociaux et culturels, comme des droits à part entière.  En vertu des lois et des traités internationaux, il s'agit d'obligations juridiques, que les États doivent garantir pour chaque individu. Les États sont tenus de tirer le meilleur parti des ressources disponibles afin d'améliorer de manière significative la vie de tous ceux sur leur territoire.

Nous avons besoin de capturer à nouveau l'essence de la Déclaration universelle des droits de l'homme, selon laquelle tous les droits – y compris les droits économiques, sociaux et culturels – doivent être respectés, quels que soient les choix des États concernant le système économique ou politique.

J'ai parlé longuement des inégalités et des protestations, et je pense qu'il serait peut-être utile d'examiner à présent d'autres problèmes à l'origine de ces démonstrations.

Permettez-moi de commencer par les changements climatiques.  Selon moi, les problèmes soulevés ici sont encore plus graves que ce que suggèrent les millions de manifestants.

Les emplois, les infrastructures, les systèmes de transport, l'agriculture, la santé, la disparition des quartiers et des villes, le déplacement des personnes – et même l'augmentation des conflits : les dommages causés par les changements climatiques se font déjà ressentir. En ce qui concerne l'aggravation des inégalités, la faim, la santé, les infrastructures, le développement économique, les conflits, les déplacements de population, et l'émergence des tensions sociales – et les obstacles à la réalisation des droits de l'homme – de différentes natures, les changements climatiques auront un impact sur tous les pays du monde.

L'incapacité de lutter efficacement contre l'urgence climatique est plus qu'une grossière erreur ou qu'un faux pas politique. Elle constitue pour chaque gouvernement une violation de ses responsabilités envers son peuple.

Car il est encore temps d'agir. Les principes et le droit relatifs aux droits de l'homme peuvent éclairer et renforcer les politiques internationales, régionales et nationales en matière de changements climatiques. Ils peuvent promouvoir des politiques qui nous rendent plus résilients et davantage capables de nous adapter aux dommages causés par les changements climatiques ; des politiques qui protègent les communautés les plus vulnérables ; et des politiques qui nous permettent de tirer profit des compétences et des idées de tous les membres de la société.

Le fait d'aborder ces questions ; de prévenir les dommages causés par les changements climatiques en adoptant si possible des mesures efficaces d'atténuation ; de soutenir l'adaptation pour aider les communautés à s'épanouir face à un climat en évolution – ce travail est d'une importance cruciale pour nous tous.  Nous devons impérativement nous assurer que les États, les entreprises et tous les autres acteurs prennent des mesures efficaces afin de prévenir les changements climatiques ; aider tout le monde, en particulier les personnes les plus vulnérables, à s'adapter aux changements climatiques ; et protéger les droits de l'homme dans le cadre de l'action climatique.

La migration

Le thème de la migration, qui est également lié à la question des inégalités et des manifestations, a également suscité une attention considérable ces dernières semaines. La mort de 39 migrants dans un camion frigorifique dans l'Essex a soulevé un élan de compassion assez remarquable, étant donné les gros titres habituellement réservés à des dizaines de migrants traversant les frontières sans visa valide.  Bien qu'une enquête de police ait été rapidement lancée, elle n'a pas encore vraiment servi à répondre à plusieurs questions assez évidentes.

Pourquoi certaines personnes meurent-elles en tentant de traverser des frontières, alors que beaucoup d'entre nous effectuent ces mêmes trajets avec une relative facilité ?  Qu'est-ce qui a rendu le voyage de ces 39 personnes si dangereux ?

À l'heure actuelle, il existe environ 272 millions de migrants internationaux dans le monde. Bon nombre d'entre eux sont diabolisés, traités comme des criminels, détenus arbitrairement et parfois même séparés de leurs enfants.  Des murs et des barrières sont construits, l'idée étant de dissuader les migrants de quitter leur pays, en mettant un terme à la circulation sûre et régulière des personnes et en rendant les voyages des migrants plus dangereux.

Cependant, lorsque les personnes font face à la violence, à la persécution, à la misère et au désespoir, rien ne peut les dissuader de partir.

Au cours de la dernière décennie, nous avons vu les décideurs de nombreux pays attiser délibérément l'hostilité à l'encontre des migrants, car l'indignation qu'ils génèrent peut alors faire les gros titres et gonfler les profils et les votes.

Une fois au pouvoir, certains de ces dirigeants ont ouvertement construit des obstacles mortels à la circulation des migrants.

Pourtant, les migrants sont des personnes comme vous et moi – ou nos parents et nos grands-parents.  Je m'appelle Michelle Bachelet car un de mes arrière-grands-pères a quitté la France pour le Chili.  Et je suis certaine que bon nombre d'entre vous comptent un migrant parmi vos ancêtres.

Le Pacte mondial sur les migrations, adopté par la grande majorité des États Membres des Nations Unies en 2018, nous rappelle que les droits de l'homme de tous les migrants doivent être « respectés, protégés et exercés en toutes circonstances ».

Il nous incite à une plus grande coopération internationale pour lutter contre les inégalités à l'échelle mondiale, la dégradation de l'environnement et d'autres causes profondes poussant les individus à quitter leur pays. Il s'agit de coopérer pour réduire les inégalités, de protéger les droits de toutes les personnes en déplacement, et de garantir une plus grande liberté et une plus grande égalité des chances.

Le nationalisme, qui est à la hausse dans de nombreux pays – alimenté par la xénophobie – s'accompagne également d'actes virulents de racisme et d'autres formes de discrimination, y compris d'attaques sur les droits des femmes et sur ceux des personnes LGBTI.

Des progrès ont été réalisés concernant les droits des femmes. De plus en plus de gouvernements considèrent les droits des femmes comme des droits fondamentaux – et les droits des femmes et l'égalité des genres sont reconnus comme des buts légitimes.
La semaine dernière, j'étais au Sommet de Nairobi, où l'ONU, des gouvernements, la société civile, le secteur privé et d'autres interlocuteurs se sont réunis pour faire avancer le travail restant à accomplir dans le cadre du programme de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD). Le Sommet a été couronné de succès, mobilisant plus de 1 200 engagements provenant du monde entier, y compris des milliards de dollars de contributions de la part de partenaires des secteurs public et privé.

Ce Sommet a également été un espace crucial pour faire entendre la voix des communautés marginalisées, qui ont été en mesure d'entamer un dialogue avec des dirigeants et des décideurs pour faire avancer les droits et la santé de tous. Le Sommet a démontré une détermination collective de réaliser les promesses et le potentiel du programme de la CIPD, pour la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation, et contre la violence fondée sur le genre, comme souligné dans la « Déclaration de Nairobi ».

Néanmoins, certains se sont mobilisés contre les objectifs du Sommet jusqu'à l'événement de Nairobi et certains pays ont exprimé leur désaccord avec les résultats du Sommet. Une fois encore, nous avons pu constater qu'au lieu d'aller de l'avant, certains gouvernements et de nombreux groupes de pression cherchent à faire reculer les droits des femmes.

Dans plusieurs États, nous assistons à des tentatives d'adopter des lois ou de promulguer des changements de politique visant à contrôler ou à limiter la liberté des femmes de faire des choix au sujet de leur vie, y compris – entre autres – les droits liés à la santé sexuelle et procréative. Il semble y avoir une nouvelle obsession pour contrôler et limiter les décisions des femmes concernant leur corps et leur vie.

Nous devons nous unir pour mettre fin à cette injustice, nous mobiliser, rester fermes, et faire des progrès.

Il en va de même pour la reconnaissance de l'égalité et les droits des personnes LGBTI. Nous avons assisté à des progrès dans de nombreux pays au cours des dix dernières années – mais ces avancées sont aussi de plus en plus freinées. Il est essentiel que nous défendions et protégions les communautés LGBTI contre la violence et la discrimination.

Nous constatons donc que tous ces nouveaux processus mènent à l'hostilité et la division, et que le rejet des processus mondiaux de coopération provient de l'aliénation et du mécontentement envers les responsables.  Je pense que c'est également un facteur expliquant les mouvements de protestation actuels.

Là encore, cela montre à quel point il est urgent de s'attaquer à la perception selon laquelle l'État et ses institutions n'écoutent pas la population et ne se soucient pas de leur vie ordinaire ni des droits auxquels ils devraient avoir accès.

Enfin, permettez-moi d'aborder le rôle des médias sociaux et d'autres outils numériques dans ce nouveau paysage.

Tout d'abord, nous devons reconnaître le rôle des médias sociaux et des nouvelles technologies en général, mais aussi en particulier dans la montée en puissance de ces protestations.

La technologie joue un rôle central dans l'accès à l'information ainsi que pour mobiliser et rassembler les gens – ce qui est très positif. La capacité de la population d'aujourd'hui à partager et recevoir des informations et à se rallier à une cause a nettement augmenté, ce qui augmente naturellement la pression sur ceux qui prennent des décisions afin d'assurer un gouvernement responsable.  Les possibilités des nouvelles technologies de contribuer au Programme 2030 sont également multiples et sans précédent.

L'immédiateté et l'interconnectivité de notre monde numérique peuvent être déterminantes dans l'organisation et le fait d'être entendu.

En effet, ces nouvelles plateformes sont si importantes que de nombreux États ont dû bloquer certaines applications voire même l'accès à Internet afin d'endiguer le flot de protestations.

Toutefois, nous ne pouvons pas oublier que les technologies de l'information contribuent aux facteurs qui alimentent les protestations. La haine et la désinformation sont omniprésentes, et leur impact alarmant sur nos sociétés, nos discours et nos vies est immense.  Les mêmes plateformes qui connectent ceux qui veulent combattre les inégalités sont utilisées pour perpétrer les pires crimes.

Dans le même temps, la technologie a aussi créé des moyens sans précédent permettant aux États de surveiller et de cibler ceux qui expriment des critiques, comme les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme. La reconnaissance faciale et les systèmes de suivi téléphonique donnent aux États de nouvelles possibilités de suivre les manifestants et font augmenter les risques de représailles.

Le harcèlement, les campagnes de trolling, l'intimidation et les mensonges ont pollué en partie Internet, et peuvent représenter de réelles menaces hors ligne – avec des conséquences disproportionnées sur les femmes, ainsi que sur les membres des groupes minoritaires et les défenseurs des droits de l'homme.

Il est difficile d'élaborer des réponses appropriées à ces comportements en ligne, mais il est clair que les droits de l'homme peuvent aider dans cet effort.  Il ne s'agit pas d'interdire tout simplement des concepts vaguement définis tels que les discours de haine – nous avons besoin d'approches et de seuils plus nuancés pour déterminer ce qui constitue du contenu interdit.  Ici encore, le droit relatif aux droits de l'homme peut être un outil utile et universel.

De nombreuses autres questions nécessitent une gouvernance beaucoup plus efficace du paysage numérique. Nous pouvons citer par exemple la mise en place de systèmes d'intelligence artificielle pour évaluer et classer les individus ; tirer des conclusions à partir de leurs caractéristiques physiques et mentales ; allouer des dispositifs de protection sociale ; et prédire leur futur état de santé, leur aptitude à l'emploi, voire leur probabilité de commettre une effraction.  Cette question, comme d'autres, exige un ensemble bien plus réfléchi de règlements, de politiques et de mesures d'incitation pour faire face aux conséquences des transformations numériques sur les droits de l'homme.

Nous ne pouvons tout simplement pas permettre au paysage numérique de se considérer comme un espace non gouverné ou ingouvernable – une sorte de « trou noir » pour les droits de l'homme.

Je suis d'accord sur le fait que la réaction exagérée des autorités chargées de la réglementation consistant à maîtriser les discours et l'utilisation de l'espace en ligne constitue également un problème important en matière de droits de l'homme. De nombreux pays limitent ce à quoi la population peut accéder et freinent la liberté d'expression et les activités politiques en ligne – souvent sous prétexte de lutter contre la haine ou l'extrémisme.

Nous devons nous assurer que les systèmes réglementaires et les systèmes qu'ils visent à réglementer sont conformes au droit international des droits de l'homme. Nous devons veiller à ce que la révolution numérique soit au service du peuple, et qu'il soit conforme aux principes fondamentaux comme la transparence, l'équité, le principe de responsabilité, la surveillance et les recours.

Cela signifie qu'il faut aller bien au-delà de directives et principes éthiques vagues élaborés par certaines sociétés. Le cadre international des droits de l'homme est déjà bien présent dans le domaine des risques liés aux droits de l'homme dans les entreprises et peut s'appuyer sur des cadres éthiques.  Il permet de contrôler le pouvoir et fournit une base concrète, juridique et universelle, sur laquelle les États et les entreprises peuvent s'appuyer pour s'adapter à l'ère du numérique.

Peut-être pouvez-vous sentir un thème se profiler ici : plusieurs des problèmes que j'ai énoncés aujourd'hui représentent des menaces importantes pour les droits de l'homme et déclenchent des protestations. Ces problèmes sont distincts, mais interdépendants, limitant notre capacité à trouver des solutions et à créer des sociétés harmonieuses et pacifiques.  Les droits de l'homme ont un rôle essentiel dans la création de nouveaux espaces de dialogue et l'élaboration de politiques qui nous permettent de faire face à ces défis et de redresser les torts actuels.

Et comme je l'ai signalé plus tôt, ce n'est pas seulement une question de justice – il s'agit de l'intérêt personnel.  Il s'agit de façonner des sociétés capables de survivre et de prospérer à une époque turbulente et très difficile.

Nous avons besoin de reconstruire la confiance du public envers les institutions communes – et aucun outil de marketing n'y arrivera.  Il faudra déployer de véritables efforts pour garantir ce que la population estime être ses droits.

La force des droits fondamentaux nous unit en tant qu'êtres humains, quels que soient notre sexe, notre race, nos croyances, notre orientation sexuelle, notre nationalité, notre situation migratoire ou tout autre facteur. Ces valeurs et principes fondamentaux se sont révélés essentiels au maintien de la paix, de la prospérité et du développement durable.  Ils peuvent inciter les décideurs à adopter de meilleures politiques, tandis que nous cherchons ensemble à faire face aux menaces qui nous attendent.

Notre approche fondée sur les droits de l'homme en réponse aux manifestations massives nous permet d'adopter une démarche très productive afin de trouver ensemble des solutions à ces problèmes. Les gouvernements ont l'obligation juridique de défendre des droits particuliers et en se concentrant sur ce point, nous pouvons entamer un dialogue authentique et respectueux avec les critiques et les manifestants, afin d'encourager des changements de politiques efficaces et positifs.

Chacune de ces vagues de manifestations a ses propres racines, sa propre histoire et ses propres leçons à tirer. Cependant, je pense qu'elles génèrent toutes un certain nombre de recommandations que tous les responsables, partout dans le monde, devraient garder à l'esprit. 

  • Écoutons les critiques, attentivement et avec respect. J'encourage souvent les décideurs de considérer les militants comme leurs alliés, dont l'analyse et l'engagement peuvent entraîner des changements positifs.
  • Allons au-delà de simples outils permettant de mesurer les progrès nationaux moyens, comme le PIB, et utiliser des indicateurs plus vastes de justice sociale et de bien-être dans l'ensemble de la société.
  • Menons des économies justes, avec un développement durable et inclusif. Le programme 2030 consiste à réaliser une croissance économique qui favorise une plus grande liberté, le bien-être, la justice et les droits. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, grâce aux progrès accomplis en matière de santé, d'économie et dans bien d'autres domaines, nous avons maintenant la capacité de mettre fin à la pauvreté extrême et de faire progresser la protection sociale universelle et la couverture sanitaire universelle. Ne rien faire est beaucoup trop coûteux.
  • Assurons des pratiques de police respectueuses : les brutalités policières sont perçues comme une expression du mépris du gouvernement pour son propre peuple. Cela ne peut rendre la situation que plus difficile encore.
  • Éradiquons la discrimination.  Des lois, des pratiques et des mentalités qui empêchent les populations d'exercer leurs droits et de contribuer pleinement à la société n'apportent rien. La discrimination est néfaste pour l'ensemble de la société, elle est profondément injuste, et l'humiliation et les affronts qu'elle cause créent des souffrances et un ressentiment durables.

Dernière chose et non des moindres, construisons une gouvernance dynamique, participative, transparente et responsable. Cela est difficile, mais vital.

Merci.