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Les préoccupations concernant les droits humains des Palestiniens et des Israéliens ne sont pas une « diffamation sanglante », déclare Volker Türk

Arrière

10 janvier 2024
Prononcé par: Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Une vue aérienne du 26 décembre 2023 montre des bâtiments détruits à Beit Lahia après des bombardements israéliens dans le nord de la bande de Gaza, dans le cadre des combats entre Israël et le groupe militant palestinien Hamas. (PHOTO : AFP)

La cruauté choquante de l’attaque lancée depuis Gaza par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre a provoqué un énorme traumatisme à travers Israël. L’ampleur et la brutalité des massacres, les récits de tortures et de violences sexuelles, l’enlèvement de 250 personnes, dont beaucoup sont toujours retenues en captivité par le Hamas et le Djihad islamique palestinien (certaines étant des enfants en bas âge et des personnes âgées vulnérables) et dont la totalité s’est vu refuser l’accès aux observateurs internationaux : tout cela est effroyable.

L’horreur de cette attaque est criante. Il s’agit de violations du droit international humanitaire. Les Nations Unies et le monde entier les ont condamnées sans réserve à maintes reprises.

Au cours des trois mois qui ont suivi, l’horreur s’est amplifiée, la population de Gaza en faisant les frais à travers une campagne d’une force écrasante entachée de graves violations du droit international.

Selon le Ministère de la santé dirigé par le Hamas, 1 % de la population gazaouite, qui se chiffre 2,2 millions, a été tuée, dont des milliers d’enfants et d’autres civils. En outre, 2,3 % des habitants de Gaza ont été blessés, souvent de manière irréversible. La population civile entière est traumatisée. L’ampleur de ces souffrances est plus que catastrophique, elle est inadmissible.

Parmi les habitants de Gaza, 85 % ont été contraints de fuir en raison de l’utilisation par les Forces de défense israéliennes de vagues successives d’armes explosives frappant sans discrimination des zones résidentielles peuplées et de frappes sur des infrastructures civiles spécifiquement protégées par le droit international humanitaire, notamment des hôpitaux, des écoles et des mosquées, qui servent d’abris à de nombreux civils en fuite. Nous avons également recensé des bombardements navals, des tirs de chars et des attaques de tireurs embusqués, dans un contexte d’affrontements intenses entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens.

Dans le même temps, le Hamas et le Jihad islamique poursuivent leurs tirs de roquettes aveugles sur Israël, en se protégeant parfois dans des lieux civils protégés, ce qui constitue également une violation du droit international humanitaire.

La protection des civils dans la bande de Gaza s’avère inexistante, et le bilan de la douleur et des traumatismes insupportables s’alourdit encore avec la poursuite sans relâche des opérations militaires par Israël.

L’aide humanitaire, qui devrait affluer à Gaza de toutes parts, ne peut arriver qu’au compte-gouttes depuis Rafah, en Égypte ; seul un point d’entrée israélien, Kerem Shalom, est autorisé à ouvrir, et ce, rarement. La moitié de la population de Gaza est affamée et les habitants n’ont en moyenne que 1,5 litre d’eau par jour, soit un dixième du minimum requis dans les situations d’urgence. Les systèmes d’égouts ne fonctionnent plus et les maladies se propagent rapidement. Les quelques équipes médicales restantes se retrouvent forcées à amputer sans anesthésie des enfants, en se résignant au fait qu’ils mourront probablement d’une infection, faute de médicaments.

Les demandes répétées du HCDH afin de pouvoir se rendre sur les lieux pour enquêter et recueillir des informations sur les événements du 7 octobre depuis Israël n’ont pas reçu de réponse. Cependant, tout au long de cette crise, le HCDH a, dans la mesure du possible, continué à rendre compte de manière rigoureuse et impartiale des conséquences sur les droits humains, y compris ceux des Israéliens.

Malheureusement, certains responsables israéliens ont réagi en tentant de discréditer les préoccupations relatives aux droits humains, notamment en affirmant dernièrement qu’il s’agissait d’une « diffamation sanglante », faisant référence à la forme d’antisémitisme la plus abjecte et la plus meurtrière qui soit.

L’antisémitisme est un fléau dangereux qui doit être combattu avec force. En revanche, il n’est pas antisémite d’appeler au respect de la loi et de condamner ses violations flagrantes.

Le fait de déplorer le manque d’établissement des responsabilités des soldats israéliens et des colons armés pour le meurtre de centaines de Palestiniens en Cisjordanie depuis le 7 octobre ne constitue pas une « diffamation sanglante », pas plus que le fait de déplorer le prolongement d’une guerre dont la conduite a suscité de graves inquiétudes en ce qui concerne le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme.

L’instrumentalisation politique du fléau bien réel de l’antisémitisme doit cesser. Le Haut-Commissariat prône l’égalité. Nous continuerons à insister sur l’égalité des droits des Palestiniens et des Israéliens à vivre en paix, à l’abri de la menace permanente d’une explosion de violence extrême alimentée par une mentalité de forteresse, une grave discrimination et l’incitation à la haine. Le fait d’insister sur la violence massive contre les Palestiniens, sur fond de discrimination et d’humiliation constantes, ne conduira pas à la paix, ni en Israël, ni dans l’ensemble de la région, où tout débordement de cette guerre pourrait s’avérer dévastateur.

Je crains également que de telles politiques aient un impact de plus en plus corrosif sur les institutions et la société israéliennes. Si ces politiques ne justifient en aucun cas la violence contre les civils israéliens, elles ne remplissent pas la promesse fondamentale faite par tout État à son peuple, à savoir qu’il assurera sa sécurité à long terme.

La protection et l’orientation fournies par les normes universelles en matière de droits humains sont dans l’intérêt national vital de chaque État. Elles servent de garde-fous à l’indépendance et à l’inclusivité des institutions ; elles contribuent à l’émergence de sociétés saines et résilientes, exemptes de violence et ouvertes à tous leurs membres.

Discréditer les droits humains ne rend pas service au peuple d’Israël.

Le HCDH et moi-même continuerons nos efforts pour collaborer avec le Gouvernement israélien et son peuple, pour protéger et faire progresser les droits humains, tels qu’ils sont définis dans les traités internationaux auxquels Israël a lui-même contribué et qu’il a approuvés en tant que normes par lesquelles sa propre conduite, comme celle des autres, peut et doit être mesurée.

Cet article d’opinion a été publié en premier lieu dans le journal israélien Haaretz le 10 janvier 2024.

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