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L’abîme syrien : la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie met en garde contre une escalade de la violence, une économie en chute libre et une catastrophe humanitaire
09 mars 2022
Selon un nouveau rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, la récente escalade de violence, combinée à une économie de guerre en plein effondrement et une crise humanitaire dévastatrice infligent des souffrances sans précédent à une population civile syrienne qui a déjà subi plus d’une décennie de conflit.
Tandis que plus de la moitié de la population d’avant-guerre a été déplacée et que plus de 90% vit désormais sous le seuil de pauvreté, les habitants de Syrie sont happés par un nouveau gouffre alors que la violence s’intensifie, tant en termes d’accrochages militaires et de bombardements, que d’enlèvements et d’assassinats dans les zones à l’écart des combats.
« Alors que de larges portions de la Syrie ne sont plus le théâtre d’affrontements actifs, la violence contre les civils continue de faire rage à travers le pays, qu’il s’agisse de bombardements dans le nord-ouest, le nord et le nord-est, d’assassinats ciblés, de détention arbitraire ou de torture. La population est reléguée dans une pauvreté affligeante, en particulier les déplacés internes », avertit le Président de la Commission, Paulo Pinheiro. « Il s’agit des abîmes auxquels le peuple syrien fait face, alors qu’il se trouve pris en étau entre les parties au conflit et, partout, opprimé et exploité par les factions armées. »
Au-delà des lignes de front actives, la vie quotidienne des femmes, des hommes et des enfants syriens est toujours plus ardue et dangereuse. Douze millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, alors qu’un nombre record de 14.6 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire.
La situation économique de plus en plus désespérée est exacerbée par les violations à des fins de gains pécuniaires. Celles-ci incluent la prise d’otage contre rançon, l’extorsion et la saisie de propriétés pour confiscation ou vente des récoltes. Ces violations, commises dans tout le pays par les forces gouvernementales ainsi que par les groupes armés qui contrôlent une partie du territoire, sont souvent dirigées contre des minorités.
Aujourd’hui, la Syrie fait face à la sécheresse la plus sévère depuis des décennies. L’inflation, qui avait déjà pratiquement atteint 140 pour cent au début de l’année, poursuit sa course folle, hors de tout contrôle. Alors que les prix des denrées de base flambaient déjà, l’émergence du conflit entre la Russie et l’Ukraine ne fera qu’amplifier la pression exercée sur les produits de première nécessité, entraînant inexorablement davantage de Syriens dans la spirale de la pauvreté.
Au vu de la détérioration des conditions de vie, la Commission a appelé à une évaluation de la mise en œuvre et de l’impact des sanctions actuellement imposées à la Syrie. Malgré les dérogations humanitaires en place, il faut faire plus pour limiter les conséquences involontaires liées à un respect exagéré des sanctions sur la vie quotidienne de la population civile.
« Lorsque les sanctions ne sont pas réexaminées de façon adéquate, elles peuvent accentuer les pénuries et entraver l’assistance humanitaire, avec des conséquences dévastatrices pour les populations les plus vulnérables, auxquelles échappent les membres de l’élite politique et économique », prévient le Président de la Commission Paulo Pinheiro.
Les discriminations et violences fondées sur le genre persistent, affectant considérablement tous les aspects la vie quotidienne des femmes et des jeunes filles. Parmi les déplacés internes, les femmes sont le plus souvent celles qui sont dépourvues de documents d’état civil et qui doivent se battre pour pouvoir bénéficier de leurs droits. De plus en plus de filles sont contraintes à des mariages précoces, alors que les garçons se voient forcés à travailler ou envoyés au front. En imposant de soi-disant codes de moralité, le groupe armé Hay’at Tahrir al Sham qui contrôle l’enclave d’Idlib se rend coupable de discriminations basées sur le genre.
Selon la Commissaire Lynn Welchman, « les discriminations fondées sur le genre et la violence sexiste sont toujours aussi intenses en Syrie, où les femmes et les filles sont soumises à de nombreuses violations en fonction du groupe armé qui dirige la zone où elles résident. Les femmes sont non seulement victimes de violences sexuelles et fondées sur le genre lorsqu’elles sont emprisonnées, mais aussi dans leur vie quotidienne alors qu’elles se voient contraintes à se frayer un chemin parmi les restrictions imposées par les groupes armés, les nombreux postes de contrôle au passage desquels elles sont particulièrement vulnérables, et la multitude de défis préexistants à la crise actuelle qui ont été aggravés par le conflit. »
La période examinée par le rapport témoigne d’une augmentation des bombardements dans le nord-ouest du pays, ainsi que des accrochages entre l’Armée nationale syrienne soutenue par la Turquie et les Forces démocratiques syriennes dans le nord-est. La Commission fait état de graves violations des droits fondamentaux de l’homme et du droit international humanitaire par toutes les parties au conflit, y compris des crimes de guerre et la persistance de pratiques constitutives de crimes contre l’humanité.
Dans le nord-ouest, à Idlib et à l’ouest d’Alep, des zones résidentielles ont été bombardées de façon indiscriminée par les forces progouvernementales. « Une mariée tuée lors de ses noces aux côtés de quatre jeunes sœurs ; un camp de déplacés pour veuves et enfants délibérément pris pour cible; des enfants bombardés sur le chemin de l’école; il ne s’agit là que de quelques exemples parmi les nombreux incidents sur lesquels nous avons enquêté », a dit le Commissaire Megally.
Des civils ont été attaqués avec des armes sophistiquées à guidage de précision et des frappes aériennes ; pour ce qui est de certaines frappes, la présence d’aéronefs à voilure fixe russes a été identifiée au-dessus des zones visées.
Dans le nord d’Alep, dans les régions de Ra’s al-Ayn et Tall Abyad sous le contrôle de l’Armée nationale syrienne qui appartient à l’opposition, les bombardements indiscriminés et attaques à l’aide d’engins explosifs improvisés ont continué à semer la mort parmi les civils. Les pilonnages sur des zones peuplées effectués par les forces progouvernementales ou les Forces démocratiques syriennes sous commandement Kurde ont tué au moins 13 civils et en ont blessé plus de 91 dans la zone au nord d’Alep.
La Commission est préoccupée par les récentes informations selon lesquelles des défaillances systémiques ont été relevées dans les enquêtes menées sur des crimes de guerre et d’autres faits ayant causé des dommages à des civils, qui auraient été commis en Syrie par la coalition dirigée par les États-Unis entre 2018 et 2019. Ces défaillances concerneraient des centaines de signalements de pertes civiles qui auraient été écartés à un stade préliminaire par l’armée américaine. La Commission a réitéré sa recommandation aux Etats-Unis, et à toutes les parties, de mener des enquêtes crédibles, indépendantes et impartiales sur les attaques ayant fait des victimes civiles auxquelles leurs forces ont participé, afin que les responsables de ces violations aient à répondre de leurs actes, que les actes incriminés ne se reproduisent pas, et que les résultats de ces enquêtes soient rendus publics.
Le jugement historique rendu en janvier par le tribunal régional supérieur de Coblence en Allemagne déclarant coupable de crimes contre l’humanité et condamnant à perpétuité un ancien officier des services de renseignements syriens en poste dans le tristement célèbre centre de détention 251 représente un progrès infime mais bienvenu en matière d’établissement des responsabilités. Dans son rapport, la Commission prend note des avancées limitées concernant l’établissement des responsabilités et réitère sa recommandation aux Etats membres d’accentuer leurs efforts à cet égard, en l’absence d’action concertée au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
La Commission conclut que les forces gouvernementales et les autres parties au conflit continuent à dissimuler délibérément aux familles ce qu’il est advenu de leurs proches détenus, exposant ces familles aux risques d’extorsion en échange d’information, d’être arrêtés ou atteints dans leur intégrité physique lorsqu’ils cherchent à découvrir ce qu’il est advenu de leur proche. La Commission a salué l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution 76/228, qui demande au Secrétaire général d’étudier cette question.
« Toutes les étapes menant à l’établissement des responsabilités doivent être renforcées, qu’il s’agisse d’enquêtes pénales visant à répondre au besoin de justice des Syriens, ou d’apporter une solution aux dizaines de milliers de familles de disparus par la création d’un mandat indépendant et international pour coordonner et regrouper les demandes concernant les personnes disparues, y compris les victimes de disparitions forcées », dit le Commissaire Megally.
La Commission a noté une légère augmentation du nombre de rapatriements par les Etats membres de leurs citoyens détenus dans les fameux camps de Al Hol et Al Roj dans le nord-est de la Syrie. Toutefois, près de 60,000 individus, dont 40,000 enfants, sont toujours internés de façon illégale dans les camps, dans des conditions déplorables, y compris 7,800 étrangers non-iraquiens. Face au risque constant d’être blessé, tué ou victime de trafic, les conditions de vie de la population constituent en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. La tension au sein des camps augmente avec les meurtres et les craintes que la violence se généralise. L’année dernière uniquement, Al Hol fut le théâtre de plus de 90 meurtres et 40 tentatives de meurtres. La Commission a répété son appel aux Etats membres de rapatrier les femmes et enfants qui languissent dans les camps.
“Les enfants de Al Hol ne sont accusés d’aucun crime, or, ils sont détenus depuis plus de trois ans dans d’épouvantables conditions, dépourvus de tout recours juridique, privés de leur droit à l’éducation, à jouer, à recevoir des soins médicaux décents. Ils sont punis pour les crimes que leurs parents sont soupçonnés d’avoir commis, » a dit la Commissaire Welchman.
Les violents combats qui se sont déroulés récemment au sein et autour de la prison al-Sina, gérée par les Forces démocratiques syriennes et située dans le quartier de Ghwayran dans la ville de Hasakah au nord-est, qui ont engendré la mort de centaines de personnes et le déplacement temporaire de milliers d’autres, ont mis en évidence le sort de centaines d’enfants, pour la plupart âgés de plus de 12 ans, détenus parmi près de 12,000 hommes soupçonnés de liens avec l’organisation Etat islamique.
Il est prévu que le rapport de la Commission soit présenté le 18 mars lors de la 49ème session du Conseil des droits de l’homme, dans le cadre d’un dialogue interactif.
Contacts presse :
Rolando Gómez, Responsable média, HCDH, Branche du Conseil des droits de l’homme, rolando.gomez@un.org+ 41 79 477 4411
Johan Eriksson, HCDH, Conseiller média auprès de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, johan.eriksson@un.org / +41 76 691 0411
Matthew Brown, Chargé de l’information, HCDH, Branche du Conseil des droits de l’homme, matthew.brown@un.org / + 41 7 9 201 0125
Pascal Sim, Chargé de l’information, HCDH, Branche du Conseil des droits de l’homme, simp@un.org / +41 (0) 22 917 9763
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