Communiqués de presse Multiple Mechanisms FR
Equipe d’experts internationaux sur la République démocratique du Congo - Compte-rendu oral au Conseil des droits de l’homme à l’occasion du dialogue interactif renforcé sur la République démocratique du Congo
29 mars 2022
Madame la Présidente du Conseil des droits de l’homme,
Madame la Haute Commissaire adjointe aux droits de l’homme,
Monsieur le Ministre des droits humains,
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Ce rapport oral est le premier que ma collègue Marie-Thérèse Keita Bocoum et moi-même avons l’honneur de vous présenter depuis l’extension de notre mandat à l’ensemble du pays.
Nous venons donc rendre compte des efforts déployés pour :
- interpréter notre mandat ;
- assister les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) dans la conception de leur politique de justice de transition ;
- faire le suivi des dossiers judiciaires notamment les cas prioritaires dans le cadre de la lutte contre l’impunité ;
- et enfin rendre comptedes visites effectuées dans différentes provinces du pays afin de nous imprégner de la diversité des situations à prendre en compte dans une justice de transition.
A ce sujet, les déplacements de l’Equipe d’experts internationaux (EEI) au Nord-Kivu, au Sud-Kivu, dans la province du Tanganyika et dans l’Ituri ont permis de relever un certain nombre de constats :
- D’abord le besoin de vérité sans laquelle les rumeurs, la stigmatisation et l’incitation à la haine pourront être difficilement combattus ;
- L’existence de conflits anciens et profonds mais qui ont subsisté grâce à leur alimentation constante par des phénomènes actuels parmi lesquels la réalité d’une économie de guerre qui vit des conflits, les trafics d’armes et l’exploitation frauduleuse des richesses du pays avec des aspects transfrontaliers et internationaux notoires ;
- La nécessité d’une politique de réconciliation et de tolérance mutuelle qui ne peut être durable que si elle est soutenue par la réalité d’une présence de l’Etat sur le plan administratif, sécuritaire et judiciaire ;
- L’urgence de politiques de désarmement, de réinsertion sociale et économique des jeunes et des femmes et de l’assistance aux victimes ainsi que de la réparation de leurs préjudices. Ces efforts ne pourront avoir un caractère durable que s’ils sont basés sur des projets de développement fédérateurs ;
- L’accès à l’éducation, le rôle des leaders traditionnels ou communautaires représentatifs, le renforcement des capacités, la lutte contre la corruption ont été notés comme parmi les outils à prendre en compte pour assurer le succès de ces politiques dans un contexte de désengagement progressif de la Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO).
Ces réalités locales ne pourront être réglées de façon durables que si elles sont intégrées dans une politique nationale de planification et de renforcement des ressources budgétaires adéquats et par le déploiement certes des militaires et des policiers mais également des administrateurs et des juges qui permettront à différentes communautés de régler leurs différends dans un cadre formel et légal sans lequel les risques d’affrontement et de l’exploitation notamment identitaire ou mafieuse de ces affrontements, ne permettront pas à la justice de transition d’être effective.
Si ces points devront être élaborés dans le rapport final, il n’empêche que l’EEI tient à souligner et à encourager le lancement des consultations nationales à Kalemie qui s’est poursuivi à Tshikapa, Goma et Matadi et a apprécié à cette occasion l’inclusion dans la délégation congolaise ici présente d’une jeune étudiante de la communauté Twa dont les droits à l’égalité et à l’inclusion sont l’un des problèmes les plus épineux de l’Etat de droit et de la réconciliation dans le Tanganyika.
Notre équipe apprécie le soutien apporté à ces consultations nationales par le Bureau conjoint des Nations Unies des droits de l’homme (BCNUDH) et le gouvernement belge.
Nous tenons également à saluer les progrès accomplis dans la province du Kasaï central dans le cadre de la mise en œuvre d’un mécanisme de justice transitionnelle. Ces progrès sont notamment perceptibles à travers le choix des futurs commissaires de la Commission provinciale, vérité, justice et réconciliation (CPVJR) dans le cadre d’un processus de sélection transparent facilité par le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme, la section Etat de droit du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de Genève et notre propre secrétariat.
Mesdames et Messieurs,
Au niveau de la justice, il convient de souligner l’ordonnance du gouvernement qui permet dans les provinces sous état de siège de déférer désormais les infractions de droit commun devant les juridictions civiles ordinaires en lieu et place des juridictions militaires qui avait une compétence élargie sur toutes les matières. Face au problème de l’insuffisance des magistrats, nous nous félicitons de l’annonce faite par Madame la Garde des sceaux, Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, d’un projet de recrutement d’environ 2000 magistrats dont 500 seront affectés à la justice militaire. Si concrétisés ces recrutements changeront la face de la justice et de l’Etat de droit en RDC.
En effet, de nombreuses voix continuent à s’élever aussi pour réclamer la mise en place de juridictions mixtes et l’intervention accrue de la Cour pénale internationale. Si ces demandes ne manquent pas de légitimité, seul un renforcement de la justice à l’intérieur même de la RDC, que celle-ci soit punitive, traditionnelle ou transitionnelle, permettra à ce pays de bâtir de façon durable un Etat de droit.
Il convient de relever cependant, qu’après plusieurs années d’instruction, la Cour militaire de l’ex Kasaï occidental, a rendu son verdict contre les auteurs présumés de l’assassinat des deux experts du Conseil de sécurité, Zaida Catalan et Michael Sharp. Aux termes de ce procès, la Cour militaire a condamné 49 des accusés à la peine capital, un accusé a une peine de 10 ans de réclusion criminelle et prononcé l’acquittement en faveur de deux des accusés. Le colonel condamné à la peine de 10 ans a interjeté un appel de la décision de la Cour. L’Auditeur militaire supérieur a aussi interjeté l’appel de la susdite décision.
Nous avons également noté des avancées dans le traitement de certains des dossiers judiciaires identifiés comme des cas prioritaires. Ainsi à titre d’illustration dans l’affaire Mulumbodji, l’Auditorat militaire général a notifié le 16 février 2022, aux deux généraux mis en cause dans ce dossier, l’ordonnance de renvoi devant la Haute cour militaire.
Malgré ces avancés que nous saluons, nous restons toujours préoccupés par la lenteur dans le traitement des femmes enlevées à Komonia ; dossier sur lequel nous avons communiqué dans nos précédents rapports. Nous encourageons la justice à faire l’effort d’accélérer la procédure afin que les auteurs et complices de ces enlèvements soient sanctionnés.
Dans ce contexte, de l’avis des experts internationaux, le désengagement annoncé de la MONUSCO doit être synchronisé avec une accélération du renforcement des capacités nationales pour ne pas entrainer la perte rapide des acquis déjà observés qu’il s’agisse de rendre compte des violations des droits de l’homme, de renforcer la lutte contre l’impunité y compris par l’équipe des médecins légistes mise en place par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme ou tout simplement d’assurer le minimum de logistique et de sécurité pour que ces efforts puissent aboutir.
Je vous remercie.
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