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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Nicaragua : un rapport fait état de violations répétées

18 décembre 2023

Prononcé par

Nada Al-Nashif, Haute-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Dialogue interactif sur le compte rendu oral du Haut-Commissaire sur la situation des droits humains au Nicaragua

Lieu

Genève, Palais des Nations, salle XX

Monsieur le Président,
Excellences,

Je suis heureuse de pouvoir m’adresser au Conseil et de présenter oralement un compte rendu de la situation des droits humains au Nicaragua, conformément à la résolution 52/2 du Conseil des droits de l’homme.

Le HCDH continue de recueillir des informations concernant de graves violations des droits de l’homme ayant été commises au Nicaragua depuis 2018. Je reste découragée par l’absence de mesures visant à empêcher de telles violations et par le fait que le Gouvernement continue de prendre ses distances par rapport aux droits humains, à l’état de droit et à d’autres principes démocratiques fondamentaux. Les dirigeants politiques et autochtones, les membres de l’Église catholique, les défenseurs des droits humains, les journalistes et d’autres personnes ont été systématiquement pris pour cible par le Gouvernement pour avoir exprimé des opinions différentes. Beaucoup sont en exil, sans possibilité de retour. Les personnes qui vivent encore au Nicaragua sont constamment menacées ou confrontées à de nombreuses violations graves des droits humains, et l’impunité règne.

Le Gouvernement continue de persécuter les personnes susceptibles de présenter un point de vue différent dans la sphère publique et d’étendre le contrôle politique sur la côte caraïbe du Nicaragua. Dans ce contexte, les autorités ont arbitrairement annulé, le 3 octobre, le statut juridique de YATAMA, le principal parti politique représentant la population autochtone et d’ascendance africaine. En outre, ses deux représentants à l’Assemblée nationale ont été privés de liberté par la police, sans mandat d’arrêt ni procédure régulière. Le HCDH est préoccupé par la santé et l’intégrité physique de l’un d’entre eux, un homme de 71 ans, dont le sort et le lieu de détention restent inconnus depuis son arrestation le 28 septembre 2023 à Bilwi, une situation qui s’apparente à une disparition forcée. L’autre membre de YATAMA arrêté a été condamné à huit ans de prison le 13 décembre pour atteinte à l’intégrité nationale et diffusion de fausses nouvelles, dans le cadre d’une procédure qui n’a pas respecté les garanties judiciaires et de procédure régulière. À la suite de ces arrestations, leurs sièges à l’Assemblée nationale ont été illégalement réattribués au parti au pouvoir. Ces mesures sont particulièrement préoccupantes étant donné les prochaines élections régionales prévues sur la côte caraïbe en mars 2024.

En outre, depuis août 2023, 69 consultations avec 5 550 personnes représentant 23 territoires autochtones ont été menées sur une période de six semaines pour obtenir le consentement au projet Bio-CLIMA, financé par le Fonds vert pour le climat. Le HCDH est préoccupé par le manque d’accès à des informations suffisantes sur le projet et ses risques, et par la pression indue exercée sur les peuples autochtones pour qu’ils donnent leur consentement au projet sans disposer de suffisamment de temps pour délibérer, notant que les consultations se sont déroulées en présence de policiers armés. Ces consultations devraient se dérouler dans le plein respect du droit et des normes internationales relatives aux droits de l’homme, notamment en ce qui concerne le consentement libre, préalable et éclairé.

Malheureusement, les restrictions de l’espace civique se poursuivent, comme en témoignent les cas répétés de détention arbitraire contre les personnes qui exercent leurs libertés fondamentales. Selon des sources de la société civile, 17 femmes et 54 hommes, dont des opposants politiques et des défenseurs des droits humains, sont toujours détenus arbitrairement. Certains procès pénaux se dérouleraient sans la présence physique des accusés, qui ne participent que par appel vidéo et sans assistance juridique. Le HCDH a recueilli des informations concernant plusieurs cas de torture en détention, ainsi que des menaces visant des prisonniers et leurs proches les avertissant de ne pas dénoncer les conditions de détention.

Le cas d’une femme arrêtée en avril dernier simplement pour avoir imprimé un T-shirt avec le slogan « Viva Nicaragua libre » illustre bien le climat coercitif actuel. Elle a été privée pendant deux mois de son droit à des visites familiales. Elle ne peut désormais recevoir la visite de ses enfants âgés respectivement de 8 ans et 1 an qu’une fois par mois pendant 45 minutes, tous deux devant voyager pendant quatre heures pour se rendre à la prison « La Esperanza ». Le HCDH a également fait état de l’arrestation arbitraire de quatre personnes, dont trois étudiants, qui protestaient pacifiquement contre la fermeture de l’Université d’Amérique centrale. Ces personnes ont été reconnues coupables d’infractions à la législation sur les stupéfiants en novembre dernier, à l’issue d’une procédure qui n’a pas respecté les garanties de procédure régulière et les droits à un procès équitable. Un homme de 70 ans qui avait critiqué verbalement le Gouvernement dans son magasin a été arrêté et a disparu de force pendant plus d’un mois. Un universitaire qui avait critiqué le Gouvernement sur son compte de médias sociaux a également été arrêté à la fin du mois de novembre, et on ne sait toujours pas où il se trouve.

Les persécutions contre l’Église catholique se poursuivent. Les limitations à l’exercice du droit à la liberté de manifester sa religion imposées par les autorités sont incompatibles avec les obligations du Nicaragua en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le HCDH a été informé de l’interdiction de plusieurs messes catholiques, y compris le jour de la Toussaint. Nous nous félicitons de la libération de douze prêtres catholiques en octobre 2023. Ils ont dû toutefois être transférés au Saint-Siège dans le cadre d’un accord entre les autorités et le Vatican pour leur libération. Pendant ce temps, l’évêque Álvarez reste en détention à la prison « La Modelo ». Malgré les informations récentes publiées par le Gouvernement sur sa situation, ses conditions de détention sont contraires aux normes internationales, puisqu’il continue d’être soumis à un isolement prolongé avec des visites familiales sporadiques, et privé de nourriture suffisante, de soins médicaux adéquats ou de tout matériel de lecture.

Une grande partie des 30 cas signalés depuis juin portant sur le refus d’entrée au Nicaragua de citoyens perçus par le Gouvernement comme des dissidents politiques et leurs familles ont entraîné la séparation forcée d’enfants de leurs parents. Le HCDH continue de faire état de violations commises contre des citoyens nicaraguayens privés de leur nationalité et de leurs biens, y compris au moins cinq saisies de biens depuis le mois de septembre. De nombreuses personnes ont vu leurs économies de toute une vie confisquées et se sont retrouvées dans des situations économiques difficiles et précaires dans des pays tiers.

La révocation arbitraire présumée du président de la Cour suprême et de centaines de fonctionnaires du système judiciaire illustre une fois de plus les préoccupations constamment soulevées dans des rapports précédents (A/HRC/54/60 et A/HRC/51/42) concernant un système judiciaire qui est depuis longtemps contrôlé par l’exécutif en raison de nominations et de révocations arbitraires, et utilisé pour criminaliser la dissidence, en particulier depuis 2018.

Excellences,

Malgré la demande du Conseil (A/HRC/RES/52/2, paragraphe 20), le Gouvernement a refusé de collaborer avec le HCDH et le système international des droits de l’homme des Nations Unies. En octobre notamment, lorsque le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a examiné du septième au dixième rapport périodique du Nicaragua, le représentant du pays s’est brièvement adressé au Comité, utilisant des termes inappropriés au sujet des tentatives présumées de ce dernier de discréditer le Gouvernement.

Le pays s’éloigne un peu plus chaque jour des droits de l’homme, aggravant les souffrances de la population, provoquant l’exode des jeunes et compromettant l’avenir des institutions publiques démocratiques. Je demande au Nicaragua d’inverser immédiatement la tendance et d’introduire les changements fondamentaux qui sont dans l’intérêt de son peuple, en s’appuyant sur les droits de l’homme.

Tout n’est pas perdu. Les défenseurs des droits humains au Nicaragua et en exil continuent de travailler sans relâche pour un avenir meilleur. Cependant, ils ont besoin du soutien durable de la communauté internationale.

Permettez-moi de conclure en rappelant au Gouvernement qu’il s’est engagé à plusieurs reprises devant la communauté internationale à respecter les principes et les objectifs des Nations Unies, qui consistent notamment à promouvoir et encourager le respect des droits humains et des libertés fondamentales pour tous. J’appelle une fois de plus le Gouvernement à accepter notre offre de dialogue authentique et d’assistance technique pour surmonter la crise des droits humains qui submerge le Nicaragua depuis 2018.

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