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Le Haut-Commissaire Volker Türk fournit un compte rendu de la situation en Ukraine : « la guerre est le pire ennemi des droits humains »

Arrière

09 juillet 2024
Prononcé par: Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Une centrale thermique en Ukraine endommagée par une attaque de roquettes en 2024. © Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine/Anastasiia Honcharuk

Monsieur le Vice-Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,

Les attaques massives de missiles qui ont eu lieu hier en Ukraine, dont l’horrible frappe sur Okhmatdyt, le plus grand hôpital pour enfants d’Ukraine, illustrent une nouvelle fois les conséquences désastreuses de la guerre menée contre l’Ukraine par la Fédération de Russie.

Je suis scandalisé de voir des enfants, déjà si vulnérables en temps de guerre, subir la terreur d’une attaque alors qu’ils reçoivent des traitements médicaux.

Malheureusement, c’est ce que nous constatons encore et encore, non seulement en Ukraine, mais aussi à Gaza, au Soudan et ailleurs.

Notre humanité commune disparaît dans de tels cas.

La question se pose encore et encore de savoir pourquoi nous assistons à un retour en force des idéologies dangereuses des siècles passés. Après tout ce qui s’est passé au XXe siècle et avec la création des Nations Unies, on aurait pu penser que le monde avait dépassé cette pensée atavique et dangereuse.

Ces attaques incessantes et quotidiennes dans tout le pays continuent d’aggraver la situation des droits humains des civils, causant des dommages physiques, détruisant des maisons et des infrastructures, et déchirant des familles.

Elles engendrent des problèmes socioéconomiques à long terme, notamment la diminution de l’accès à l’éducation, la perte des moyens de subsistance et la pauvreté.

Le mois de mai a connu le nombre mensuel de victimes civiles confirmées le plus élevé depuis près d’un an, 174 civils ayant été tués et 690 blessés en Ukraine.

Selon mon équipe sur le terrain, entre mars et mai, 436 civils ont été tués et 1 760 blessés, dont des enfants, des journalistes, des professionnels de la santé et des membres des services d’urgence. Les chiffres réels sont probablement bien plus élevés.

Ce nombre élevé de victimes civiles est en grande partie le résultat d’offensives terrestres et d’attaques aériennes, notamment au moyen de puissantes bombes larguées par voie aérienne, dans la région de Kharkiv. Depuis le 10 mai, près de 12 000 personnes ont été évacuées des régions frontalières et plusieurs milliers d’autres ont fui leur domicile par leurs propres moyens, craignant pour leur vie.

Les attaques coordonnées menées à grande échelle par la Fédération de Russie contre les infrastructures énergétiques essentielles de l’Ukraine, déployées en huit vagues majeures depuis le 22 mars, sont les plus importantes depuis l’hiver 2022/2023.

De telles attaques doivent cesser immédiatement.

Elles ont pris pour cible les installations de production et de distribution d’énergie, ce qui a considérablement réduit la capacité de l’Ukraine à produire de l’électricité.

Des millions de personnes en Ukraine subissent des coupures de courant quotidiennes, souvent pendant de nombreuses heures, ce qui réduit l’accès à l’eau, au réseau mobile et à Internet, aux transports publics, et limite la capacité des enfants à étudier, car beaucoup d’entre eux sont scolarisés à distance.

Des répercussions sont attendues sur l’emploi, les recettes fiscales et la protection sociale. Les augmentations de prix risquent d’affecter de manière disproportionnée les groupes en situation de vulnérabilité, en particulier les personnes âgées disposant de petites pensions, la majorité étant des femmes, des personnes handicapées et des personnes vivant dans la pauvreté.

Or le pire est peut-être encore à venir, car les compagnies d’énergie et les autorités ukrainiennes ont prévenu que les bombardements répétés ont réduit la capacité à effectuer les réparations nécessaires pour chauffer les maisons pendant l’hiver. Une fois de plus, nous sommes face à une souffrance insensée.

Monsieur le Vice-Président,

Les prisonniers de guerre ukrainiens récemment libérés ont fourni des récits détaillés d’actes de torture, de mauvais traitements et de violences sexuelles. Ils ont décrit des passages à tabac, le maintien prolongé dans des positions pénibles, des décharges électriques et des coups portés aux parties génitales, des attaques de chiens et de graves privations de nourriture.

D’après les entretiens menés avec plus de 600 détenus civils et prisonniers de guerre ukrainiens libérés, la torture dans les lieux de détention gérés par la Fédération de Russie est monnaie courante.

Cela est abominable.

Je demande instamment à la Fédération de Russie de cesser immédiatement ces pratiques, d’améliorer les conditions de détention, de mettre en place des commissions médicales mixtes et d’accorder au HCDH et aux observateurs indépendants un accès total à tous les lieux où des prisonniers de guerre et des détenus civils ukrainiens sont incarcérés, y compris dans les territoires occupés.

Mon équipe en Ukraine a également interrogé plusieurs dizaines de familles de prisonniers de guerre et de détenus civils qui n’avaient pas eu de nouvelles de leurs proches depuis des mois, voire des années, et pour certains, pas de nouvelles du tout. Ce silence est angoissant pour ces familles. La Fédération de Russie doit veiller à ce que des informations soient communiquées en temps utile sur le sort et le lieu de détention des prisonniers de guerre et des détenus civils, et permettre à ces derniers de communiquer avec leurs familles, conformément au droit international.

Le HCDH a également continué de recenser les actes de torture et les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre russes après leur capture et pendant leur transit vers les lieux de détention officiels, y compris les passages à tabac et les décharges électriques. Selon nos informations, la torture des prisonniers de guerre russes a cessé lorsque ceux-ci sont arrivés dans les lieux de détention officiels. Les autorités ukrainiennes doivent enquêter sur ces cas et veiller à ce que le traitement des prisonniers de guerre à tous les stades soit conforme au droit international.

Je demande l’échange complet de tous les prisonniers de guerre, la libération inconditionnelle des civils illégalement détenus, y compris dans les territoires occupés, et leur retour en toute sécurité.

Le HCDH est prêt à soutenir ces efforts.

Je réitère la nécessité de renvoyer immédiatement les enfants expulsés ou transférés vers la Fédération de Russie. Je demande instamment à la Fédération de Russie de fournir à l’Agence centrale de recherche des informations sur tous les enfants déplacés des territoires occupés et de faciliter leur retour dans leur famille.

Dans les territoires contrôlés par le Gouvernement, les autorités ukrainiennes ont continué à condamner des personnes accusées d’« activités de collaboration », y compris pour des travaux qui ont bénéficié à la population, comme le rétablissement de l’approvisionnement en gaz ou la distribution de bois pour le chauffage. Des condamnations ont été prononcées dans les 322 jugements rendus au cours de la période considérée. Je salue les lignes directrices récemment publiées par le Procureur général de l’Ukraine, qui visent à garantir que les poursuites engagées dans de tels cas sont conformes au droit international, et j’encourage leur mise en œuvre intégrale.

Dans les territoires occupés, le HCDH a constaté une pression accrue sur les résidents pour qu’ils obtiennent des passeports russes. De nombreuses personnes ayant récemment quitté le territoire occupé, notamment des personnes âgées, ont déclaré avoir eu des difficultés à accéder aux soins de santé sans avoir la citoyenneté russe. Des parents ont déclaré avoir subi des pressions pour obtenir des passeports russes afin d’envoyer leurs enfants à l’école. Je rappelle que le fait d’obliger les résidents d’un territoire occupé à obtenir la citoyenneté de la puissance occupante constitue une violation du droit international humanitaire.

J’en viens maintenant au rapport du Secrétaire général sur la situation des droits humains dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine, dont la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol (A/HRC/56/69). Ce document souligne les violations persistantes du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire par la Fédération de Russie, notamment les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et la torture, ainsi que les violations des libertés d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association. Les personnes perçues comme s’opposant à l’occupation, notamment les blogueurs, les journalistes, les partisans du Mejlis des Tatars de Crimée et les militants pro-ukrainiens, sont prises pour cible.

Tout cela se produit dans un contexte d’impunité quasi totale, la Fédération de Russie ayant adopté des lois accordant l’amnistie aux militaires pour un large éventail de crimes.

Monsieur le Vice-Président,

La poursuite de la guerre (la pratique de l’escalade) ne peut être banalisée.

J’exhorte une nouvelle fois la Fédération de Russie à cesser immédiatement de recourir à la force armée contre l’Ukraine, à retirer ses forces militaires du territoire ukrainien, conformément à l’ordre de la Cour internationale de Justice, et à respecter scrupuleusement le droit international humanitaire et les droits humains.

Il faut mettre un terme immédiat à l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’action dans les zones peuplées. Au cours de la période considérée, 96 % des victimes civiles ont été causées par l’utilisation de telles armes dans ces circonstances.

Le HCDH continuera à surveiller, recenser et signaler méticuleusement ce qui se passe sur le terrain durant cette terrible guerre, y compris dans les territoires occupés. Le principe de responsabilité doit être respecté.

La guerre est le pire ennemi des droits humains. C’est une aberration, non seulement dans le contexte actuel, mais aussi partout ailleurs.

Elle doit être évitée et la paix doit régner, conformément à la Charte des Nations Unies et au droit international.

C’est le souhait le plus cher des Ukrainiens.

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