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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Discours de la Haut Commissaire aux Droits de l’homme sur la situation en Tunisie, Genève, le 19 janvier 2011

19 janvier 2011

Bonjour,  

C’est avec une grande inquiétude que nous avons observé les développements historiques et rapides qui ont bouleversé la Tunisie ces dernières semaines. Il est du devoir de la communauté internationale, de soutenir pleinement le peuple tunisien dans sa quête de liberté et de respect total de ses droits de l’homme.

Les droits de l’homme se trouvent au cœur de ces bouleversements historiques, dont l’issue a été le départ de l’ancien Président Ben Ali. Nous espérons que cela favorisera l’émergence d’une nouvelle Tunisie, où la nation toute entière vivra sans craindre les arrestations arbitraires, la détention, la torture ou toute autre forme d’abus.

Une Tunisie respectant la liberté de la presse, et où les individus pourront exprimer leurs opinions sans crainte. Une Tunisie où le gouvernement gouverne en fonction des intérêts socio-économiques de sa population, et non pas par sa mainmise sur le pouvoir, et l’enrichissement de ses membres et leurs familles.

Une Tunisie où tout citoyen est libre de se présenter à des élections sans craindre de représailles, de choisir ses représentants, et dans laquelle il a foi que les urnes sont sûres.

Je suis persuadée, étant donné le niveau d’éducation élevé de la population tunisienne vivant à la fois dans le pays ou en exil, que cette Tunisie neuve et tant attendue peut devenir une réalité. Cependant, rien n’est garanti pour le moment. La situation évolue encore, et reste extrêmement précaire. Les manifestations d’hier, ainsi que les démissions ministérielles l’illustraient clairement.

Les violations des droits de l’homme étaient au centre des problèmes en Tunisie. C’est pourquoi les droits de l’homme doivent être la considération  première pour la résolution de ces problèmes.

Le peuple tunisien a aujourd’hui une opportunité unique de façonner un meilleur avenir, basé sur des lois qui soient en conformité avec les règles internationales et respectées de manière scrupuleuse par les autorités. A l’avenir, tout ceux qui abuseront du pouvoir, allant du Président de la République jusqu’au juge, en passant par l’officier de sécurité de la rue, devront répondre de leurs actes devant la justice.

Tout est possible à présent mais ce ne sera pas simple. Il est extrêmement triste que tant de vies aient dû être sacrifiées afin d’arriver à ce changement. Mon bureau a reçu des informations qui font état de plus de cent morts au cours des cinq dernières semaines, des morts causées par des tirs par balles réelles, des suicides de protestation, ou encore en raison de mutineries dans les prisons durant la fin de semaine. Je souhaiterais exprimer ma plus profonde sympathie aux  proches et amis des victimes qui ont succombé des suites de la violence récente, de la répression brutale, ainsi qu’à tous ceux qui ont été victimes d’abus de leurs droits durant les années ou décennies passées. 

En tant que Haut Commissaire aux droits de l’homme je me suis demandée ce que mon bureau en particulier, et la communauté internationale en général, étaient en mesure de faire afin de soutenir le peuple tunisien, et afin de tirer profit de cette opportunité actuelle. Même s’il est encore tôt,  il est essentiel que les graines du changement soient plantées maintenant, et de manière sage, avant que d’anciens intérêts ne se manifestent à nouveau, ou que de nouvelles menaces n’apparaissent. Nous devons agir rapidement afin de permettre au prochain gouvernement, issu d’élections libres et équitables, d’être efficace sur ces questions dès le début de son mandat.

Lundi, j’ai rencontré un groupe de sept ONGs travaillant sur la Tunisie, lesquelles m’ont présenté leurs préoccupations, ainsi que des suggestions pour la période à venir. J’aimerais saluer le rôle important joué au fil des années par l’ensemble des ONGs locales et internationales en Tunisie. Mes collègues ont également pris en compte les avis et conseils d’autres acteurs clé en droits de l’homme travaillant en Tunisie. Leurs contributions seront essentielles pour les mois à venir.

Ce matin même, j’ai également pu m’entretenir au téléphone avec le nouveau Ministre Adjoint des Affaires Etrangères, Mr. Radhouane Nouicer. Je lui ai exprimé mon soutien au peuple tunisien et j’ai discuté de mon intention d’envoyer une équipe de collègues hautement qualifiés en Tunisie pour faire une évaluation des priorités en matière de droits de l’homme. Mr. Nouicer a très bien accueilli cette proposition, et nous allons travailler ensemble sur la préparation d’une telle mission avec le gouvernement intérimaire et les autres parties intéressées dans les prochains jours.

Les membres de cette mission devraient se rendre en Tunisie dans le courant de la semaine prochaine. Ils y rencontreront des représentants du gouvernement intérimaire, des organisations de droits de l’homme ainsi que d’autres acteurs clé. Ils mèneront cette mission avec un esprit ouvert, sans agenda prédéfini, quoique j’attende d’eux- en plus de la collecte d’informations sur la situation présente et passée des droits de l’homme- de revenir avec une série de propositions concrètes pour toute action future.

Je salue les mesures importantes déjà entreprises par le gouvernement intérimaire, notamment sa décision de libérer l’ensemble des prisonniers politiques, d’autoriser tous les partis politiques de fonctionner librement et l’établissement de la liberté de la presse. Je salue également l’annonce par le gouvernement intérimaire de nouvelles politiques économiques et sociales, visant à répondre aux causes profondes des troubles récents, et à améliorer les conditions économiques existant en Tunisie. Entre autres, mon équipe sera par conséquent  amenée à examiner si ces politiques sont réellement mises en œuvre. Nous sommes par ailleurs disposés à leur faire des recommandations afin d’atteindre leurs objectifs.

Par ailleurs, je souhaiterai également saluer la décision du gouvernement intérimaire de mettre en place de trois commissions: deux commissions d’enquête sur les violations des droits de l’homme et la corruption, ainsi qu’une commission sur les réformes politiques. Les trois commissions sont présidées par des personnalités connues pour leur engagement dans le domaine des droits de l’homme. Il s’agit là d’une étape importante, et le gouvernement doit assurer que ces commissions jouissent d’une indépendance totale, disposent d’un budget approprié, d’un accès à toutes les sources d’information, et qu’elles soient en mesure de publier les résultats de leurs investigations. Il est également important que ces processus de réforme, actuels et à venir, soient transparents et participatifs. Il ne doit pas y avoir d’opacité quand il s’agit de responsabilité.

Il existe une série d’autres questions qui doivent être examinées durant les prochaines semaines et mois, y compris des mécanismes de poursuite des auteurs de violations des droits de l’homme commises durant ces dernières décennies, mais aussi durant ces dernières semaines. Il y a plusieurs manières de traiter de la question de la justice transitionnelle.  Il est essentiel que la communauté internationale déploie tous les efforts nécessaires au soutien de l’aspiration du peuple tunisien à la justice.

Il est tout aussi important qu’entre temps, la population ne se fasse pas justice elle- même. Les questions de justice et de procès équitable doivent être renforcées, et non sapées par des actes de violence supplémentaires.

Une révision des lois tunisiennes, de son système de sécurité et de ses institutions reste également nécessaire. Je crois par ailleurs que la réforme du système judiciaire devrait être une priorité, afin que celui-ci puisse exercer son rôle de façon réellement indépendante.

Il est en outre essentiel que le gouvernement intérimaire agisse en conformité absolue avec ses obligations internationales s’agissant de l’application de la loi sur l’état d’urgence. Les autorités ne peuvent pas remettre en cause les droits fondamentaux- notamment le droit à la vie, l’interdiction de la torture ainsi que les autres formes de mauvais traitement- ou les principes fondamentaux de garantie de procès justes et équitables et l’interdiction des arrestations arbitraires.

Je continue d’observer avec la plus grande attention la situation en Tunisie, et je ferai tout ce qui est en en mon pouvoir afin de m’assurer que les aspirations du peuple tunisien soient respectées, et que ses sacrifices n’aient pas été vains.

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