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Déclarations Multiple Mechanisms FR

Volker Türk appelle les combattants soudanais à entamer des pourparlers de paix et à aider et protéger les civils

11 mai 2023

Hawa Adam, une réfugiée soudanaise qui a fui les violences dans la région du Darfour au Soudan, sur un âne avec ses enfants en direction d’un point d’eau près de la frontière entre le Soudan et le Tchad, à Goungour, au Tchad, le 8 mai 2023. © REUTERS/Zohra Bensemr

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Trente-sixième session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme

Lieu

Genève

Monsieur le Président,
Excellences,
chers collègues,

Il y a quatre ans, le peuple soudanais a fait naître une lueur d’espoir pour des millions de personnes dans le monde.

Le 11 avril 2019, un mouvement de contestation populaire a mis fin à des décennies de tyrannie et de violations des droits de l’homme en renversant la dictature d’Omar el-Béchir. Les femmes et les jeunes étaient en première ligne, exigeant une bonne gouvernance et un nouveau contrat social entre l’État et le peuple, fondé sur la démocratie, la liberté, la justice et un développement équitable.

Cette mobilisation a été suivie de réformes importantes. Cependant, l’espoir d’une transition vers un régime civil et une démocratie à part entière a de nouveau été anéanti en octobre 2021, lorsque les généraux al-Burhan et Dagalo ont mené conjointement un coup d’État militaire.

Le mois dernier, des combats ont éclaté entre les forces dirigées par ces deux hommes, plongeant ce pays meurtri dans une situation catastrophique.

Depuis le 15 avril, au moins 487 civils ont été tués, notamment à Khartoum, El Geneina, Nyala et El Obeid. Le chiffre réel risque d’être beaucoup plus élevé. Plus de 154 000 personnes ont fui le pays et on estime à 700 000 le nombre de personnes déplacées à l’intérieur des frontières du Soudan. Les personnes qui restent dans les zones touchées par le conflit sont exposées à un risque grave et constant.

À Khartoum, des affrontements entre les deux forces armées, des bombardements et des frappes aériennes ont eu lieu dans des zones résidentielles densément peuplées, et des millions de personnes luttent désormais pour accéder à la nourriture, au carburant et à l’argent.

Dans certaines parties du Darfour, ainsi que dans les régions du Nil-Bleu et du Kordofan, la violence entre les groupes militaires a déclenché des affrontements interethniques. Dans le Darfour occidental, au moins 100 personnes ont été tuées et des milliers d’autres déplacées en raison des violences intercommunautaires entre les groupes « arabes » et massalit, alliés respectivement aux Forces d’appui rapide et aux Forces armées soudanaises.

Le système de santé du pays a été gravement affaibli : au moins 17 attaques ont été perpétrées contre des établissements de santé, et plusieurs autres centres sont occupés par les forces militaires. Les blessés, les femmes sur le point d’accoucher et les personnes gravement malades n’ont nulle part où aller. Des années d’efforts de développement sont anéanties par les dégâts causés aux infrastructures de communication et d’approvisionnement en eau et en électricité. Le pillage généralisé et de plus en plus fréquent des bureaux, des entreprises et des biens privés des Nations Unies et des ONG internationales a également entravé les opérations humanitaires qui ont permis à des millions de personnes de rester en vie et en bonne santé. Le Programme alimentaire mondial estime que si le conflit se poursuit, 2,5 millions de personnes supplémentaires pourraient se retrouver en situation d’insécurité alimentaire aiguë dans 3 à 6 mois, ce qui porterait le total à 19 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, quelque 50 000 enfants souffrant de malnutrition aiguë ont déjà été privés d’un traitement vital.

Je condamne fermement cette violence gratuite, dans laquelle les deux parties ont bafoué le droit international humanitaire, notamment les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution. L’armée soudanaise a lancé des attaques dans des zones civiles densément peuplées, notamment des frappes aériennes. La semaine dernière, une frappe aérienne a touché les environs d’un hôpital à Khartoum, dans la région du Nil oriental, faisant de nombreuses victimes parmi les civils. Les Forces d’appui rapide auraient quant à elles pris possession de nombreux bâtiments résidentiels à Khartoum pour en faire des bases opérationnelles, expulsant les résidents et lançant des attaques à partir de zones urbaines densément peuplées. Ces tactiques mettent gravement en danger les civils et les empêchent d’accéder à des fournitures et à une assistance essentielles.

Nous avons également reçu plusieurs rapports faisant état de violences sexuelles commises par des hommes en uniforme, ainsi que d’allégations d’homicides illicites et de disparitions forcées.

Monsieur le Président,

Je me suis rendu au Soudan il y a six mois de cela. Il s’agissait de ma première mission en tant que Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Durant cette période cruciale de l’histoire du pays, alors que des pourparlers étaient en cours pour mettre en place une transition vers un gouvernement civil entièrement démocratique, j’ai exprimé ma solidarité avec le peuple soudanais et j’ai transmis un message fort : la responsabilité et les droits de l’homme doivent être au cœur de tout accord futur.

Au cours de cette visite, j’ai rencontré entre autres le général al-Burhan et le général Dagalo. Je les ai exhortés, ainsi que tous ceux qui ont participé aux pourparlers, à se concentrer sur l’établissement des responsabilités face aux violations des droits de l’homme commises dans le passé, ainsi que sur le bien commun.

Aujourd’hui, d’immenses dégâts ont été causés, détruisant les espoirs et les droits de millions de personnes. Il est essentiel que les deux parties s’engagent d’urgence dans un processus politique inclusif et négocient un accord de paix. Les pourparlers en cours à Djeddah, qui se concentrent sur l’instauration d’un cessez-le-feu, doivent être complétés par des engagements visant à instaurer une trêve humanitaire, afin d’assurer l’acheminement de l’aide vitale, de permettre aux civils de quitter les zones d’hostilités en toute sécurité et de protéger l’aide humanitaire contre le pillage. Il est également essentiel que les discussions s’étendent au respect du droit international humanitaire, à la protection des civils et à la cessation des violations des droits de l’homme.

À ce jour, malgré d’intenses efforts diplomatiques, notamment de la part de l’Union africaine, de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, de la Ligue des États arabes et des Nations Unies, les dirigeants des Forces d’appui rapide et des Forces armées soudanaises n’ont pas accepté de négocier la fin des hostilités.

Nous avons été touchés par le courage et la résilience dont fait preuve le peuple soudanais, par son désir de changement et par son attachement aux principes de justice et de liberté. Ces personnes et leur pays sont essentiels pour l’avenir de l’Afrique. À l’endroit où les deux Nils, le Nil-Bleu et le Nil-Blanc, se rejoignent en un fleuve majestueux, on ne peut que constater à quel point le continent est profondément connecté et à quel point ses ressources peuvent être un moteur de croissance et de paix pour des millions de personnes.

Je condamne l’usage de la violence par des individus qui n’ont aucune considération pour la vie et les droits fondamentaux de millions de leurs propres compatriotes. Toutes les parties doivent protéger les droits des civils et respecter le droit international humanitaire et les droits de l’homme.

S’il y a une leçon à tirer de cette crise tragique, c’est bien la nécessité urgente de veiller à ce que tous accords de transition s’appuient sur des engagements fondamentaux en matière de responsabilité, de non-discrimination et de participation, afin que la paix puisse être durable et stable, car juste.

Monsieur le Président,

Le Conseil des droits de l’homme a convoqué cette session extraordinaire pour exprimer sa préoccupation urgente concernant les droits et la vie du peuple soudanais.

Je saisis cette occasion pour exhorter tous les États ayant une influence dans la région à encourager, par tous les moyens possibles, la résolution de cette crise.

Pour conclure, je tiens à rendre hommage à mon personnel, notamment à notre personnel national, qui a été directement touché par les combats et les graves pénuries.

Je tiens également à exprimer ma solidarité la plus profonde et la plus sincère avec le peuple soudanais.

Merci.