Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Quarante et unième session du Conseil des droits de l’homme
24 juin 2019
Déclaration liminaire de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
24 juin 2019
Monsieur le Président du Conseil,
Monsieur le Président de la Bulgarie Rumen Radev et Madame la Présidente des Îles Marshall Hilda Heine,
Mesdames et messieurs les ministres,
Excellences,
Monsieur le Directeur général Michael Møller,
Chers collègues et amis,
Le monde entier est tourné vers le Conseil des droits de l'homme à l'ouverture de cette session. Plus de 100 rapports seront examinés. Les tables rondes examineront en profondeur de nombreuses situations et questions relatives aux droits de l'homme. De nombreux sujets cruciaux seront abordés, concernant notamment le respect des droits fondamentaux des femmes dans le monde du travail, la vieillesse et les changements climatiques, la surveillance ciblée et le secteur privé de la surveillance, la santé mentale et d'autres domaines essentiels relatifs aux droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels. Plusieurs dialogues auront également lieu, dont ceux sur la République démocratique du Congo, le Myanmar, le Soudan et le Venezuela. Je passerai en revue certains aspects de la mission que j'ai menée de la semaine dernière au Venezuela lors de notre dialogue du 5 juillet.
J'aimerais commencer la discussion de ce matin en abordant une question que de nombreux acteurs ne prennent pas suffisamment en compte à l'heure actuelle.
Suite à l'effondrement de l'EIIL, plus de 55 000 combattants de Daesh présumés et leurs familles ont été arrêtés en Syrie et en Iraq. Ces personnes sont pour la plupart syriennes ou irakiennes. On y compte également de nombreux combattants étrangers provenant de près de 50 pays différents et plus de 11 000 membres de familles, détenus au camp d'Al Hol dans le nord-est de la Syrie, dans de très mauvaises conditions. Selon l'UNICEF, 29 000 enfants de combattants étrangers se trouvant en Syrie ont moins de 12 ans. Parmi eux, 20 000 proviennent d'Iraq.
Le message doit être clair : toute personne soupçonnée d'un crime – quels que soient son pays d'origine et la nature du crime – doivent faire l'objet d'une enquête et de poursuites, avec les garanties d'une procédure régulière. L'obligation de rendre des comptes, dans le cadre de procès équitables, protège les sociétés de la radicalisation et de la violence futures. La trahison du système judiciaire à l'issue de procès entachés d'irrégularités – qui incluent parfois la détention illégale et inhumaine et la peine capitale – ne peut que servir de prétexte à des griefs et à la vengeance.
Le maintien en détention de personnes qui ne sont pas soupçonnées de crimes, sans fondement légal ni contrôle judiciaire indépendant régulier, n'est pas acceptable.
En ce qui concerne les combattants présumés, plus de 150 hommes et femmes ont été condamnés à mort en Iraq en vertu de la loi antiterroriste, à l'issue de procès qui n'ont pas donné lieu à des garanties d'une procédure régulière.
Les États ont d'importantes responsabilités à l'égard de leurs ressortissants. Si des citoyens sont soupçonnés d'avoir commis des crimes graves dans un autre pays, ou s'ils sont détenus pour quelque motif que ce soit, l'État d'origine devrait tout mettre en œuvre pour qu'ils soient traités dans le respect du droit international.
Des milliers de proches de combattants de Daesh présumés sont également détenus, sans que cette détention ne mène à des poursuites judiciaires. Ils sont pour la plupart irakiens ou syriens. Nombre d'entre eux risquent d'être victimes d'actes de vengeance et sont rejetés par leurs anciennes communautés. Des programmes d'aide sont nécessaires pour faciliter leur réadaptation et leur réinsertion.
Les proches provenant d'autres pays doivent être rapatriés, à moins qu'ils ne soient poursuivis pour des crimes conformément aux normes internationales. Les enfants ont subi de graves violations de leurs droits – y compris ceux qui ont été vraisemblablement endoctrinés ou recrutés par l'EIIL pour commettre des actes de violence. Leur réadaptation, leur protection et leurs intérêts doivent être notre principale préoccupation.
Malgré la complexité de ces défis, rendre les personnes apatrides n'est jamais une option acceptable. Toutefois, les mesures prises par certains États d'origine pour dépouiller les personnes de leur nationalité, afin d'empêcher leur retour, risquent précisément d'entraîner ce résultat. Les enfants apatrides sont souvent privés d'éducation, d'accès aux soins de santé et d'autres éléments fondamentaux de la dignité. Rendre ces enfants apatrides, alors qu'ils ont déjà tant souffert, est un acte de cruauté irresponsable. En outre, des milliers de jeunes enfants sont nés de familles étrangères durant les années de conflit et les États devraient, autant que possible, accorder le même accès à la nationalité aux enfants nés de leurs ressortissants dans les zones de conflit.
Quelques pays ont fait des efforts pour rapatrier certains ressortissants, notamment des enfants. Je note également que quatre cas ont été portés à l'attention du Comité des droits de l'enfant et du Comité contre la torture par les grands-parents français d'enfants actuellement détenus en Syrie et en Iraq.
J'encourage vivement les États Membres à agir conformément à la note d'orientation établie par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), en consultation avec d'autres organismes des Nations Unies, concernant les réponses fondées sur les droits de l'homme à la situation des combattants étrangers et de leur famille. J'exhorte tous les États à assumer la responsabilité de leurs ressortissants et à travailler ensemble pour fournir des ressources afin d'aider les autorités et les acteurs compétents en Syrie et en Iraq à répondre aux besoins humanitaires urgents.
Monsieur le Président,
L'escalade militaire récente et continue en Syrie – à Edleb et dans l'ouest d'Alep – est extrêmement préoccupante. Le HCDH a reçu des informations faisant état de centaines de victimes civiles et de la destruction d'infrastructures civiles, notamment d'hôpitaux et d'écoles, principalement causées par des frappes aériennes du Gouvernement syrien et de ses alliés, mais aussi, dans une moindre mesure, par des attaques terrestres menées par des groupes armés. Plus de 200 000 personnes ont été déplacées ; beaucoup d'entre elles avaient déjà été forcées de quitter leur foyer ailleurs en Syrie et sont maintenant complètement démunies. Si le conflit s'intensifie davantage, l'impact sur les civils pourrait être dévastateur, en particulier à Edleb. Cela pourrait également nuire aux perspectives du processus politique.
Toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour assurer la protection des civils, et j'exhorte toutes les parties au conflit à cesser immédiatement d'utiliser des armes lourdes dans les zones à forte densité de population. J'exhorte également toutes les parties à libérer les milliers de Syriens détenus dans des conditions de détention effroyables, exposés à un risque élevé de torture.
Je regrette que l'Arabie saoudite ait rejeté le rapport de la semaine dernière rendu par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Je réitère également ma ferme condamnation de l'exécution massive de 37 hommes en avril dernier. Certains étaient des enfants lorsque les crimes présumés ont été commis.
L'Iran continue de condamner des enfants à mort. J'ai été consternée de voir que les autorités ont condamné et exécuté deux garçons de moins de 18 ans en avril. Je reste particulièrement préoccupée par le nombre élevé d'enfants délinquants attendant d'être exécutés – peut-être plus de 85 personnes – dont certains risquent une exécution imminente.
Je saisis cette occasion pour prendre note et saluer les progrès accomplis au niveau mondial en ce qui concerne la peine de mort en cette année qui marque le 30e anniversaire du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui vise à abolir la peine capitale. Parmi ces avancées, on peut citer les récentes ratifications par la Gambie et l'État de Palestine ; la suppression de la peine de mort des codes pénaux du Bénin et du Burkina Faso ; et les déclarations de moratoires en Malaisie et dans l'État de Californie.
Monsieur le Président,
En Tunisie, au début du mois, j'ai salué l'engagement du Gouvernement à mettre en œuvre des réformes qui renforcent la démocratie, l'état de droit et le respect des droits de l'homme. La Tunisie peut servir d'exemple à de nombreux autres pays qui s'efforcent d'adopter des réformes constitutionnelles et législatives, ainsi qu'une justice transitionnelle.
Bon nombre de mes discussions dans ce pays, dans la Silicon Valley, à Montréal et ailleurs, ont souligné la nécessité pour nous de relever les défis que pose la technologie numérique en matière de droits de l'homme, car elle transforme presque tous les secteurs de l'économie et de la société, des soins de santé à l'éducation, en passant par le monde du travail, la défense des droits de l'homme, la participation politique et le développement.
Le cadre de référence des droits de l'homme sera essentiel pour garantir que les entreprises technologiques et les gouvernements s'attaquent efficacement aux problèmes tels que la surveillance massive et arbitraire ; la sécurité des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes et des autres personnes qui dépendent du cryptage et de l'anonymat ; le maintien de la liberté d'expression, d'association et de réunion en ligne, et la lutte contre l'incitation à la haine et à la violence ; la lutte contre la promotion du terrorisme en ligne conformément aux normes relatives aux droits de l'homme ; la lutte contre les préjugés néfastes concernant l'accès aux soins de santé, à l'emploi et à l'assurance introduits par l'intelligence artificielle et les mégadonnées ; l'augmentation des menaces de cyberattaques et de cybercriminalité ; et l'ingérence dans les élections par le biais de campagnes de désinformation utilisant des outils numériques.
Il y a quelques jours, le Groupe de haut niveau du Secrétaire général sur la coopération numérique a souligné « le besoin urgent d'examiner comment les cadres de référence et conventions traditionnels des droits de l'homme [...] peuvent guider les actions et les politiques relatives à la coopération et aux technologies numériques ».
Les avancées technologiques doivent encourager le progrès et susciter l'espoir, et non pas la discrimination, la répression et le désarroi. En tant qu'organismes et défenseurs internationaux des droits de l'homme, notre rôle est de soutenir tous les acteurs du paysage numérique afin que leur travail serve à promouvoir les droits, la liberté, le bien-être et la dignité de chacun, au lieu de leur porter atteinte.
Au cours des prochains mois, le Haut-Commissariat s'emploiera, avec de nombreux acteurs dans différents secteurs et régions géographiques, à élaborer des orientations ciblées sur l'application des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme concernant les technologies numériques. Je compte sur le soutien et les idées des États Membres et du Conseil.
Monsieur le Président,
Dans ce contexte, je tiens également à souligner mon inquiétude au sujet de la violence et de l'incitation à la violence fondées sur la religion, à la fois dans ce que nous appelons maintenant le monde réel, et en ligne. Ces derniers mois, nous avons vu des mosquées, des synagogues et des églises chrétiennes attaquées par des hommes armés, et des fidèles de nombreuses religions victimes d'attaques violentes.
Les tensions croissantes à l'issue des attentats terroristes qui se sont déroulés à Sri Lanka il y a deux mois m'inquiètent. L'absence d'une approche unifiée entre le Président et le Gouvernement concernant les principales préoccupations relatives aux droits de l'homme risque de nuire à l'efficacité des forces de sécurité pour assurer la sécurité et la protection de tous. Les informations faisant état d'attaques anti-musulmanes sont alarmantes ; les récentes déclarations de certains chefs religieux incitant à la violence constituent des indicateurs d'alerte précoce inquiétants qui doivent être pris en compte. Bien que certaines mesures antiterroristes soient justifiées, l'état d'urgence devrait être d'une durée minimale et la priorité devrait être de rassembler les dirigeants politiques, religieux et communautaires pour s'attaquer aux causes profondes de toute forme de violence et de discrimination. Dans ce contexte, j'exprime mon soutien à la Commission des droits de l'homme de Sri Lanka pour son rôle louable et courageux.
Les attaques contre les minorités religieuses sont des attaques contre nous tous. Il n'est pas nécessaire d'être croyant pour être réceptif aux valeurs profondément humaines et aux liens humains qui s'expriment dans la foi religieuse. Et si ces vagues de violence commencent généralement par des attaques contre une minorité, l'histoire nous enseigne qu'elles risquent d'engloutir toute la société.
Nous devons être plus vigilants face à la haine et à l'extrémisme violent qui se nourrissent l'un l'autre. Mais nous devons agir de toute urgence et avec le plus grand soin. Comme le soulignent la nouvelle stratégie et le nouveau plan d'action des Nations Unies sur les discours haineux, l'utilisation abusive de restrictions excessivement larges à la liberté d'expression peut conduire à réduire les critiques au silence et à intensifier les attaques contre la presse et les défenseurs des droits de l'homme.
Monsieur le Président,
Je suis convaincue qu'un partenariat solide entre plusieurs secteurs peut jouer un rôle déterminant dans l'introduction de changements politiques efficaces. Au cours des derniers mois, nous avons travaillé avec l'Organisation internationale du Travail et le Fonds monétaire international pour contribuer à remédier aux inégalités à travers la justice sociale, y compris grâce à des mesures de protection sociale universelle ancrées dans les droits de l'homme.
La protection sociale est un droit fondamental et un filet de sécurité essentiel. Les mesures de sécurité et de protection sont indispensables à la prévention des conflits et au développement durable. En particulier en période de troubles et de crise, elles permettent aux personnes d'exercer leurs droits de base en matière de santé, d'alimentation, d'eau et d'assainissement, d'éducation et de logement.
Je note et salue le nouvel engagement stratégique du Fonds monétaire international visant à aider les pays à adopter des dépenses sociales « adéquates, efficaces et financées de manière durable ». Comme l'a déclaré Christine Lagarde, directrice générale du FMI, la semaine dernière : « Les dépenses sociales ne constituent pas seulement une dépense ; elles sont plutôt l'investissement le plus judicieux [...] Afin de récolter les bienfaits d'une économie mondiale plus robuste, nous devons commencer par renforcer les programmes sociaux dès aujourd'hui. »
Nous continuerons à travailler avec nos partenaires au sein des Nations Unies, ainsi qu'avec la société civile, pour fournir aux États Membres des conseils sur les systèmes de protection sociale qui répondent aux besoins spécifiques de leur population.
Monsieur le Président,
Ma mission au Cameroun le mois dernier s'est déroulée dans un contexte de restriction croissante de l'espace démocratique et d'intensification de la crise, notamment dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays. Les autorités se sont déclarées disposées à trouver des solutions fondées sur les droits de l'homme aux problèmes auxquels le pays est confronté, notamment par le biais d'une éventuelle coopération technique dans les secteurs militaire, sécuritaire et judiciaire.
Un certain nombre d'indicateurs positifs ont suivi cette mission, dont des visites et des discussions du Premier Ministre dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays. Toutefois, plusieurs incidents ont également été signalés, notamment de nombreux incendies de maisons et de magasins perpétrés par les forces de sécurité à Bamenda, et au moins un meurtre extrajudiciaire, ainsi que d'autres violations des droits de l'homme commises par des groupes armés séparatistes, dont des incendies de maisons, de cultures et de céréales. Par ailleurs, l'arrestation de plus de 350 personnes à la suite des manifestations organisées par l'opposition le 1er juin dernier est inquiétante.
J'appelle les autorités à défendre les droits à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique, et à garantir une procédure régulière. J'encourage également les autorités à considérer l'opposition comme des partenaires dans les dialogues inclusifs qui seront indispensables pour jeter les bases d'une paix durable au Cameroun, et à enquêter rapidement sur toutes les allégations de violations des droits de l'homme par les forces de sécurité.
Monsieur le Président,
Le soulèvement populaire pacifique et exemplaire d'appel à la gouvernance démocratique et à la justice au Soudan a fait l'objet d'une répression brutale de la part des forces de sécurité du pays ce mois-ci. Je regrette que le Gouvernement n'ait pas répondu à notre demande d'accès pour enquêter sur les allégations de violations graves des droits de l'homme commises par les forces de sécurité conjointes lors de la répression. Il a notamment été signalé que plus de 100 manifestants ont été tués et de nombreux autres blessés pendant et après l'assaut des forces de sécurité lors d'un sit-in pacifique le 3 juin. En outre, des hôpitaux et des cliniques auraient fait l'objet de raids et du personnel médical aurait été agressé. Nous avons reçu des allégations de viols et d'abus sexuels de femmes et d'hommes pendant la répression, ainsi que des informations selon lesquelles des centaines de manifestants auraient disparu.
J'exhorte le Soudan à autoriser l'accès au HCDH, à mettre fin à la répression des droits de l'homme de la population et à cesser immédiatement le blocage de l'accès à Internet. Le peuple soudanais a le droit d'exprimer ses opinions et, comme tous les peuples du monde, il a le droit de vivre en liberté et dans la paix, dans le respect de l'état de droit et des conditions nécessaires à la dignité.
Monsieur le Président,
Au Myanmar, tout indique que les Rohingya continuent d'être persécutés dans le nord de l'État rakhine, les autorités ne déployant que peu ou pas d'efforts pour créer les conditions d'un retour volontaire, sûr et durable des réfugiés. Bien que les restrictions imposées à l'accès de l'aide humanitaire et des médias dans les États rakhine et chin limitent notre accès à l'information, le conflit en cours comprend l'utilisation d'armes lourdes, de frappes aériennes et d'hélicoptères de combat par les militaires, avec d'importantes pertes humaines de toutes parts et de graves répercussions sur les civils. Sur la base des allégations reçues, nous craignons que le conflit ne serve de prétexte pour mener des attaques contre les civils rohingya et pour provoquer de nouveaux déplacements. Quelque 35 000 civils des ethnies rakhine, rohingya, mro, daignet et khamee ont été déplacés en raison des combats. En raison de la suspension de l'aide humanitaire par le gouvernement, au moins 95 000 personnes ont été privées d'aide vitale.
Monsieur le Président,
À Hong Kong, je salue la décision judicieuse prise par les autorités pour retarder l'adoption du projet de loi sur l'extradition, en réponse à un important élan d'action civique d'une grande partie de la population. J'encourage les autorités à procéder à de vastes consultations avant d'adopter ou de modifier cette loi, ou toute autre loi. Je continue de soulever les problèmes liés à la région du Xinjiang et d'autres questions de manière bilatérale avec le Gouvernement chinois, et les discussions concernant l'accès sans entrave à la province par le Haut-Commissariat se poursuivent.
Monsieur le Président,
Les violations des droits de l'homme sont alimentées par le sentiment d'impunité. L'impunité repose sur le mensonge : sur le fait de ne pas reconnaître les faits directs – qui est responsable – ni l'humanité et les droits fondamentaux des victimes.
Tant au Panama le mois dernier qu'au Mexique en avril, j'ai eu le plaisir d'assister à d'importantes avancées vers la vérité et la reconnaissance de l'amère réalité des violations des droits de l'homme.
Au cours des dernières décennies, des victimes, des militants, des membres des commissions de la vérité et des dirigeants politiques de toute l'Amérique latine ont lutté avec succès pour promouvoir la réconciliation et la justice transitionnelle. Cependant, nous assistons aujourd'hui à une tendance inquiétante au déni des faits, qui s'étend même à l'adoption de lois visant à saper les progrès réalisés dans la recherche de la justice. Une loi d'amnistie a été adoptée au Nicaragua au début du mois, et des tentatives ont été faites récemment pour adopter des lois d'amnistie de facto au Guatemala et en El Salvador. Une fois de plus, j'exhorte ces pays et tous les autres à ne pas adopter de législations rendant impossible de poursuivre et punir les violations graves des droits de l'homme.
Au Mexique, je me réjouis du fait que le Président ait reconnu la nécessité de prendre des mesures concernant les informations faisant état d'actes de torture, d'exécutions extrajudiciaires et d'autres violations des droits de l'homme qui ont eu lieu dans un climat d'impunité généralisée, notamment le très grand nombre d'affaires en suspens liées à des disparitions forcées.
Comme vous le savez, le HCDH collaborera désormais avec la nouvelle Commission pour la vérité et l'accès à la justice dans les affaires d'Ayotzinapa, en fournissant une assistance technique pour établir la vérité et garantir la justice quant à la disparition des 43 étudiants en 2014. Nous aiderons également la Commission nationale de recherche et le Système national de recherche du Gouvernement à identifier les 26 000 corps non identifiés qui ont été découverts à ce jour.
Pour renforcer la confiance des victimes envers les autorités, je soutiens les mesures visant à renforcer l'indépendance et le financement du Bureau du Procureur général. Nous travaillerons avec les autorités pour garantir le caractère civil de la garde nationale et pour élaborer des mesures visant à faire face au nombre alarmant d'agressions contre les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme au Mexique.
Monsieur le Président,
Le Haut-Commissariat suit de très près la situation des droits de l'homme aux Philippines. Le nombre très élevé de décès et les rapports persistants d'exécutions extrajudiciaires dans le contexte des campagnes contre la consommation de drogues persistent. Ne serait-ce que le nombre officiellement confirmé de 5 425 morts est extrêmement préoccupant. Je me félicite de la récente déclaration des rapporteurs spéciaux appelant le Conseil à agir. Les autorités devraient également fournir des informations complètes et transparentes sur les circonstances entourant ces décès et les enquêtes relatives aux allégations de violations. Cela pourrait dissiper toute fausse allégation et aider la population à regagner confiance envers les autorités.
Des défenseurs des droits de l'homme, notamment des militants des droits fonciers et des droits des peuples autochtones ; des journalistes, des avocats, des membres du clergé catholique ; et d'autres personnes qui se sont exprimées – notamment le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones – ont reçu des menaces, parfois publiquement, de hauts responsables gouvernementaux. Ces menaces représentent un risque très réel de violence et portent atteinte à l'état de droit, ainsi qu'au droit à la liberté d'expression.
Monsieur le Président,
Au Portugal, j'ai assisté à une conférence enrichissante sur les politiques en matière de drogues et sur la réduction des risques, ainsi qu'à des discussions instructives sur la migration. La politique migratoire ouverte et tournée vers l'avenir du Portugal vise à faciliter l'accès à l'assistance sociale et juridique pour les migrants et encourage ces derniers à accéder au marché du travail. J'ai visité un centre à Lisbonne qui offrait des cours préscolaires gratuits, en parallèle à des cours de formation et d'autres formes d'aide aux femmes migrantes souhaitant créer leur propre entreprise.
L'intégration et l'inclusion des migrants apportent de nombreux avantages aux communautés d'accueil, y compris d'un point de vue financier : le Haut-Commissaire du Portugal pour les migrations m'a informé qu'en 2017, les migrants ont contribué 510 millions d'euros de plus au système de sécurité sociale qu'ils n'en ont bénéficié.
J'invite tous les pays à tirer des enseignements de cet exemple. Malgré de vastes campagnes de désinformation concernant l'impact prétendument négatif de la migration sur les pays de destination, les faits indiquent que lorsque leur dignité et leurs droits sont respectés, les migrants peuvent être de puissants moteurs du succès des économies et des sociétés. Nous devrions reconnaître et chérir ces contributions.
Au lieu de cela, j'observe malheureusement une tendance vers la criminalisation des actes de compassion fondamentaux pour les migrants, y compris ceux qui se trouvent dans des situations de grande vulnérabilité. L'ONG Open Democracy a rapporté le mois dernier que plus de 100 personnes en Europe ont été arrêtées ou poursuivies cette année pour avoir nourri des migrants affamés, les avoir aidé à trouver un abri ou même avoir aidé une femme enceinte à se rendre à l'hôpital pour accoucher. Des poursuites similaires contre des individus à aider des personnes en détresse ont également eu lieu aux États-Unis et ailleurs. En outre, dans plusieurs pays, de nouvelles mesures juridiques visent à sanctionner les ONG qui secourent les personnes qui se noient en mer.
De telles mesures mettent clairement en danger la vie d'enfants, de femmes et d'hommes. Elles mettent également nos sociétés en danger. Elles violent des valeurs séculaires et précieuses qui nous sont communes à tous, en pénalisant la compassion. Ceux qui cherchent à aider les personnes dans le besoin devraient être mis à l'honneur et non pas poursuivis en justice. L'altruisme ne doit pas être vu comme un crime et il est impératif que nous nous opposions à cette criminalisation des actes de décence humaine. Nous avons tous le droit, et même le devoir, de nous entraider.
En Libye, la recrudescence du conflit autour de Tripoli, qui a commencé en avril, a de graves répercussions sur les civils, et les migrants continuent d'être soumis à des détentions arbitraires dans des conditions révoltantes et dégradantes. J'ai reçu des rapports faisant état de nombreux décès récents en détention, ainsi que de tortures, de violences sexuelles, de traite et de vente d'enfants, de femmes et d'hommes. La Libye n'est pas un pays sûr. La communauté internationale doit s'unir pour ouvrir la voie vers une paix durable dans le pays.
Monsieur le Président,
Ce Conseil s'est engagé à défendre tous les droits de l'homme pour tous les êtres humains. Nous sommes tous conscients des avantages fondamentaux que les mesures relatives aux droits de l'homme peuvent apporter à tous les pays – et peut-être surtout aux États fragiles qui ont besoin de bases politiques, économiques et sociales stables et inclusives.
Au siège des Nations Unies à New York, j'ai été particulièrement heureuse d'avoir eu l'occasion d'informer le Conseil de sécurité sur la situation en Haïti, où le principe de responsabilité en cas de violations et les mesures visant à assurer la participation la plus large possible aux décisions sont essentiels pour instaurer la confiance, prévenir de nouvelles violations des droits de l'homme et assurer un avenir durable.
Monsieur le Président,
Au cours des prochains mois, la communauté internationale se réunira pour une série de réunions cruciales sur les mesures visant à endiguer les changements climatiques et à encourager le développement durable.
Seule une action multilatérale fondée sur des principes peut relever ces défis et d'autres encore. Le Conseil et ses procédures spéciales, les organes conventionnels et, j'en suis convaincue, le Haut-Commissariat peuvent être fiers du travail accompli pour défendre les droits de l'homme. Nos activités de suivi, d'assistance et de plaidoyer offrent aux États des avantages immédiats et à long terme en matière de prévention des conflits et de promotion du développement et de la paix. J'exhorte les États Membres à soutenir les efforts menés en ce sens par tous les organismes des Nations Unies chargés des droits de l'homme.
J'encourage tous les États à défendre les pays qui sont forts, non pas parce qu'ils s'attaquent aux personnes vulnérables, mais parce qu'ils les protègent. Je les exhorte à défendre les gouvernements qui sont puissants parce qu'ils servent les intérêts du peuple, et non pas les leurs. À défendre des systèmes de justice qui ont l'appui de la population parce qu'ils défendent les droits de cette population. À défendre un monde fondé sur l'espoir et la dignité – un monde qui a un avenir, qui est plus fort et plus sûr, parce qu'il défend les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de tous.
Je vous remercie Monsieur le Président.