Skip to main content

Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Sécurité des journalistes : Volker Türk s’exprime lors d’un séminaire d’experts

25 avril 2023

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Séminaire d’experts sur les menaces juridiques et économiques qui pèsent sur la sécurité des journalistes

Chers collègues et amis,

Des médias libres et indépendants sont essentiels pour une gouvernance démocratique, pour se prémunir contre les injustices et l’oppression et pour faire respecter l’état de droit.

Pourtant, le travail et la sécurité personnelle de milliers de journalistes professionnels, dont le principal objectif est de nous fournir des informations exactes et impartiales, sont de plus en plus menacés.

Pendant des décennies, les voix des journalistes ont été étouffées ou réprimées sous le couvert de lois sur la diffamation et de législations sur la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme.

Le HCDH est préoccupé par l’utilisation croissante des lois pénales sur la diffamation pour faire taire les critiques, restreindre le débat public et protéger les intérêts d’élites politiques et économiques puissantes.

Dans de nombreux pays, une panoplie de nouvelles lois risquent de restreindre de manière encore plus abusive la liberté d’expression de la presse, notamment celles définissant de manière vague les concepts de « fausses nouvelles » et de cybercriminalité, ou celles sur la santé publique dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

Depuis 2016, au moins 57 lois et règlements ont été adoptés ou modifiés dans 44 pays, contenant un langage trop vague ou des sanctions disproportionnées.

En 2022, 323 journalistes ont été emprisonnés dans le monde, ce qui est un record. Une enquête menée en 2020 auprès de 63 journalistes d’investigation travaillant dans 41 pays a montré que près des trois quarts d’entre eux avaient reçu des menaces de poursuites judiciaires.

On observe également le recours fréquent à des « procès-bâillons », généralement utilisés par des personnes au pouvoir et souvent dirigés contre des journalistes pour les empêcher de rendre compte de questions d’intérêt public.

L’objectif réel de ces procès n’est pas d’obtenir gain de cause, mais d’accabler le défendeur par des procédures judiciaires prolongées et des coûts excessifs, parfois même au risque de provoquer sa faillite et d’entraîner de graves conséquences psychologiques. Ils ont également un effet paralysant ou conduisent à l’autocensure, avant même qu’une condamnation ne soit prononcée.

Je suis également préoccupé par les menaces économiques croissantes qui pèsent sur les journalistes. Licenciements, précarité de l’emploi et réductions de salaire, dommages et intérêts excessifs dans des affaires civiles de diffamation, réductions du financement public ou encore fermeture d’organes de presse : ces nombreuses menaces représentent un coût énorme.

Chers collègues,

Lorsque la sécurité des journalistes est menacée, que ce soit par la censure, par l’intimidation ou par des menaces juridiques ou financières, c’est le fondement même de nos sociétés qui est mis en péril.

Nous avons besoin d’une législation nationale plus forte et plus complète qui garantisse la liberté des médias. Toute restriction de la liberté d’expression doit respecter les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, conformément au droit international des droits de l’homme.

J’encourage tous les gouvernements à abroger les lois pénales existantes sur la diffamation, à décourager les actions en justice abusives contre les journalistes et à adopter des lois qui permettent de rejeter rapidement les procès-bâillons, de limiter les réparations exigées et d’apporter un soutien juridique aux journalistes.

Mais la législation seule ne suffit pas : nous avons besoin d’un environnement favorable aux journalistes, qui reconnaisse leur rôle dans la défense de l’intérêt public.

La sécurité des journalistes doit être une priorité dans les mécanismes nationaux de protection, ainsi que dans les plans nationaux de développement et de défense des droits de l’homme, afin d’atteindre l’objectif de développement durable no 16.

J’encourage également un suivi plus efficace et mieux coordonné des menaces contre les journalistes. Cela permettra de mieux comprendre les menaces juridiques et économiques qui pèsent sur eux, y compris selon le genre, et de soutenir les actions visant à y répondre.

Enfin, une approche à l’échelle de la société est nécessaire pour améliorer la sécurité des journalistes, non seulement de la part des gouvernements, mais aussi du secteur privé, de la société civile et des médias eux-mêmes.

Chers collègues,

Le séminaire d’experts tenu aujourd’hui illustre l’engagement international entrepris en faveur de la sécurité des journalistes. J’admire en particulier les efforts exceptionnels des nombreuses organisations de la société civile qui travaillent ensemble à cette fin. Le réseau de coordonnateurs de l’ONU sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité effectue également un travail essentiel.

Le mois prochain, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le HCDH se concentrera sur la protection de l’espace civique et la sécurité des journalistes dans le cadre de notre initiative « Droits humains 75 » lancée pour célébrer l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

 En janvier, j’ai également appelé à la libération des personnes détenues arbitrairement, y compris des journalistes, et nous continuons à suivre les États sur cette question cruciale.

Des médias libres peuvent contribuer à garantir nos libertés collectives. La protection des journalistes doit être notre responsabilité collective. Je vous souhaite aujourd’hui une discussion fructueuse qui, je l’espère, permettra d’identifier des actions concrètes pour garantir un environnement sûr pour les journalistes, dans lequel ils peuvent travailler sans crainte de représailles ou d’intimidation.

Merci.