Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
La société civile et les civils doivent être protégés dans le conflit « déchirant » de Gaza, déclare la Haute-Commissaire adjointe
03 avril 2024
Prononcé par
Nada Al-Nashif, Haute-Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Ouverture de la Conférence 2024 des organisations de la société civile travaillant sur la question de la Palestine
Lieu
Genève
Monsieur l’Ambassadeur Cheikh Niang,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
J’ai l’honneur d’ouvrir la Conférence 2024 des organisations de la société civile travaillant sur la question de la Palestine, intitulée « Construire des passerelles avec la société civile internationale pour aborder la Nakba actuelle », et organisée par le Comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien.
Cet événement se déroule dans un contexte douloureux de dévastation sans précédent.
La mort de sept travailleurs humanitaires de World Central Kitchen, tués par de multiples frappes aériennes israéliennes lundi soir, n’est pas un incident isolé. Au 20 mars, au moins 196 membres du personnel humanitaire, dont au moins 175 employés de l’ONU, avaient été tués dans le Territoire palestinien occupé depuis octobre 2023. Ce chiffre est près de trois fois supérieur au nombre de morts enregistré dans un seul conflit en une année complète (selon la déclaration du Coordinateur des opérations humanitaires des Nations Unies pour le Territoire palestinien occupé). En raison des attaques contre les hôpitaux et le personnel médical, et de l’interférence constante avec l’aide humanitaire, les Palestiniens de Gaza meurent de maladies et de faim, quand ils ne sont pas tués par des bombes.
Près de six mois se sont écoulés depuis les violentes attaques menées les 7 et 8 octobre par Al-Qassam et d’autres groupes armés palestiniens, y compris les attaques horribles contre des civils, qui ont entraîné la mort de près de 1 200 citoyens israéliens et étrangers et blessé plus de 5 000 autres personnes et au cours desquelles des actes de torture et des violences sexuelles ont été commis et plus de 230 personnes ont été prises en otage à Gaza, dont environ 130 sont toujours en captivité à l’heure actuelle. Ces violations constituent des crimes au regard du droit international.
La réponse militaire israélienne à Gaza a été brutale, et un nombre croissant de données met en évidence la violation systématique du droit international humanitaire, y compris la commission de crimes de guerre, voire d’autres atrocités. En effet, les méthodes et les moyens choisis par Israël pour mener les hostilités ont entraîné un terrible bilan humain, avec plus de 100 000 Palestiniens tués ou blessés à Gaza, soit un pourcentage stupéfiant de 5 % de l’ensemble de la population, dont une majorité de femmes et d’enfants. Au moins 17 000 enfants sont orphelins ou séparés de leur famille, et tous les enfants survivants de Gaza porteront toute leur vie les cicatrices d’un traumatisme physique et émotionnel.
Les bombardements israéliens ont rasé des zones résidentielles entières et la destruction à grande échelle d’infrastructures civiles essentielles a rendu de nombreuses parties de Gaza inhabitables. Environ 1,7 million de personnes ont été déplacées, à plusieurs reprises, dans l’espoir insaisissable de trouver un endroit sûr. De nombreuses infrastructures civiles telles que des hôpitaux, des écoles, des lieux de culte, toutes protégées par le droit international, ont été complètement détruites. Le siège d’Al Shifa, qui a pris fin récemment et qui a duré deux semaines, aurait causé des destructions massives, des morts et des blessés. Des centaines de personnes auraient été arrêtées. Le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé est en train de rassembler plus d’informations à ce sujet. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres de destruction massive, de mort et de souffrance.
À Gaza, plus aucun endroit n’est sûr. Partout, des civils risquent de mourir, victimes d’attaques aériennes, maritimes ou terrestres, de maladies ou de famine. La punition collective infligée par Israël au peuple palestinien est inacceptable et strictement interdite par le droit international. Comme l’a récemment déclaré le Haut-Commissaire, il est « plausible » qu’Israël ait utilisé la famine comme arme de guerre à Gaza.
Toutes les violations du droit international humanitaire doivent faire l’objet d’une enquête en bonne et due forme et tout crime doit être puni conformément au droit international. Une fois de plus, selon les termes du Haut-Commissaire, « personne n’est au-dessus des lois ».
Aujourd’hui, alors que le nombre total de personnes tuées à Gaza dépasse les 32 000, nous voyons des Palestiniens mourir de malnutrition et de déshydratation. Cette catastrophe d’origine humaine aurait pu être évitée. Le HCDH a appelé tous les États influents à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter un assaut généralisé à Rafah, qui donnerait à ce cauchemar une nouvelle dimension cataclysmique.
Israël, en tant que puissance occupante, est tenu, en vertu du droit international humanitaire, de fournir une aide humanitaire à la population civile, de la protéger et d’en faciliter la distribution en toute sécurité. Le Haut-Commissaire a souligné les responsabilités d’Israël, compte tenu des moyens et méthodes de guerre qu’il a choisis et des restrictions et entraves permanentes à l’entrée et à l’acheminement de l’aide. Les couloirs et points de passage frontaliers doivent être entièrement ouverts et des mesures doivent être prises pour assurer la distribution libre et sûre de l’aide aux civils dans la bande de Gaza, notamment des garanties pour la liberté de circulation de tous les travailleurs humanitaires.
À cet égard, le HCDH a salué l’adoption de la résolution 2728 du Conseil de sécurité le 25 mars et l’ordonnance provisoire émise par la Cour internationale de Justice le 28 mars, appelant à une mise en œuvre complète et immédiate, dans le prolongement de l’ordonnance de février.
Le Haut-Commissaire a également appelé à plusieurs reprises à la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages, ainsi qu’à la libération des milliers de Palestiniens détenus arbitrairement par Israël. Dans l’intervalle, tous doivent être traités humainement et autorisés à recevoir des visites et une assistance du Comité international de la Croix-Rouge.
Face à la destruction de Gaza, les tensions en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est, restent vives. L’accélération radicale de l’implantation des colonies israéliennes et la violence record des colons et de l’État, y compris les exécutions extrajudiciaires et autres homicides illicites, aggravent des schémas de violence, d’oppression, de discrimination et de restrictions de mouvement débilitantes qui existent depuis longtemps et entraînent le déplacement forcé de communautés palestiniennes, alors que l’Autorité palestinienne est confrontée à une crise budgétaire grave et persistante.
Comme l’a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, les attentats du 7 octobre « ne se sont pas produits en vase clos », mais ont eu lieu après « 56 ans d’occupation étouffante ». Le Haut-Commissaire a appelé à plusieurs reprises non seulement à une cessation immédiate des hostilités, mais aussi à la fin du conflit et à un véritable processus politique visant à mettre fin à l’occupation et à garantir les droits des Palestiniens à l’autodétermination, à l’égalité et à la non-discrimination.
Le principe de responsabilité doit être respecté par toutes les parties. Une série de mesures visant à rétablir les droits humains, l’égalité, la responsabilité et la justice doivent être adoptées dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé et en Israël. Dans ces efforts, nous comptons sur notre partenariat avec la société civile.
Je tiens à saluer ici les acteurs de la société civile qui travaillent sans relâche pour apporter une aide humanitaire à celles et ceux qui en ont besoin, qui se portent volontaires pour s’occuper des réfugiés traumatisés par la violence, qui exigent de leurs gouvernements qu’ils respectent le droit international et les normes internationales, et qui continuent à faire campagne pour une résolution pacifique de ce conflit.
Tout au long de l’occupation, les sociétés civiles palestinienne et israélienne ont joué un rôle crucial en recensant et en mettant en lumière les violations flagrantes des droits humains, en demandant que justice soit faite et que les responsabilités soient établies. L’espace civique, qui se réduisait déjà en Israël et dans le Territoire palestinien occupé avant le 7 octobre, a continué à se rétrécir depuis lors, tant en Israël qu’en Palestine, limitant sérieusement la capacité des défenseurs des droits humains, des journalistes et des citoyens ordinaires à s’exprimer librement. La désignation par Israël de six ONG comme organisations terroristes, les menaces d’imposer de lourdes taxes aux ONG israéliennes travaillant dans le Territoire palestinien occupé et recevant des fonds étrangers, ainsi que d’autres mesures de ce type, ont gravement entravé la capacité de ces ONG à fonctionner de manière indépendante et à exploiter pleinement leur potentiel.
La plupart des organisations de la société civile à Gaza ont perdu leur infrastructure physique, les membres de leur personnel ayant perdu la vie, été blessés ou détenus, tandis que d’autres ont fui en quête de sécurité. Il s’agit là d’un coup dur pour la société civile. Qui plus est, le financement de bon nombre de ces organisations a été gelé ou fait l’objet d’un réexamen par les donateurs. Ce n’est pas le moment de réduire le soutien des donateurs à la société civile qui accomplit un travail aussi crucial, mais de le redoubler. Comme l’avait déjà signalé le HCDH à la mi-décembre, « Gaza est apparemment devenu l’endroit le plus meurtrier au monde pour les journalistes ». Malheureusement, les meurtres de journalistes se poursuivent. Les enquêtes préliminaires du Comité pour la protection des journalistes indiquent qu’au moins 95 journalistes et professionnels des médias ont été tués (90 Palestiniens, 2 Israéliens et 3 Libanais). Les campagnes de diffamation contre les artistes, les militants pacifistes et les défenseurs des droits humains, à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël et du Territoire palestinien occupé, se sont également intensifiées, y compris contre des experts indépendants mandatés par les mécanismes des droits de l’homme, présentant la liberté d’expression comme une incitation à la violence, au terrorisme ou à l’antisémitisme, alors que l’incitation à la violence et à la haine se poursuit en toute impunité contre des Palestiniens.
Pourtant, l’importance de la société civile nationale et internationale, ainsi que des organes d’information et des journalistes, est vitale pour la vérité, la justice, la responsabilité et la réconciliation future. Le HCDH continuera à promouvoir et à soutenir les défenseurs des droits humains et la société civile pour leur travail inestimable et leurs efforts cruciaux, face à des obstacles monumentaux.
Nous continuons à demander aux États Membres de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour veiller à ce que toutes les parties respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international. Nous appelons également à un large soutien international afin de garantir que les acteurs de la société civile soient protégés et aient les moyens de contribuer efficacement à la réalisation de tous les droits humains pour tous en Palestine, en Israël et au Moyen-Orient de manière plus générale.
Dans cet esprit, je vous souhaite des discussions fructueuses.
Merci.