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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones

Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones

10 juillet 2017

Allocution d’ouverture par Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Genève, le 10 juillet 2017

Excellences,
Mesdames et messieurs les membres du mécanisme d’experts,
Chers collègues et amis,

C’est pour moi un grand plaisir d’ouvrir cette 10ème session du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, en cette année de célébration du 10ème anniversaire de la déclaration historique des Nations Unies.

«Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été pêché, alors seulement, l’Homme se rendra compte que l’argent ne se mange pas.» Vous avez sûrement déjà entendu cette citation souvent attribuée au peuple Cri. L’avertissement est clair. La planète a atteint ses limites à absorber les dommages causés. Les peuples autochtones ont des droits et ces droits sont intrinsèques et inaliénables; et ils ont acquis des connaissances approfondies dont nous ferions bien de tenir compte. Si nous ne reconnaissons pas leurs droits, ne les favorisons pas ou ne les protégeons pas, si nous ne préservons pas les connaissances que les peuples autochtones conservent précieusement, nous causerons un tort irréparable à la destinée de l’humanité entière.

Il y dix ans, la Déclaration constituait une avancée historique pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones à vivre dignement et à préserver leurs propres institutions, cultures et traditions. Mais la Déclaration continue d’être confrontée à des défis colossaux. Le fossé est énorme – dans certains cas, c’est un gouffre – entre les intentions déclarées des gouvernements à défendre les droits des peuples autochtones et la réalité concrète de leur vie. Comment faire pour combler le fossé entre les propos que nous tenons dans de magnifiques arènes comme celle-ci et le morne quotidien auquel doivent faire face tant de personnes?

Il est fréquent que les États laissent les intérêts des grandes entreprises prendre le pas voire s’emparer des droits des peuples autochtones à la protection de leurs terres, de leurs territoires, de leurs ressources et de leur environnement.  Très souvent, «les consultations» des peuples autochtones ne sont que de pure forme et le principe essentiel du consentement préalable, libre et éclairé est négligé tant au plan juridique que dans la pratique. Le discours dominant consiste à diminuer les risques des projets des entreprises et des investisseurs – au détriment des personnes dont la vie peut être anéantie à cause de projets mal conçus. Les peuples autochtones sont également généralement oubliés quand il s’agit de tirer profit des avantages liés à ces activités économiques et de développement.

Le développement est indispensable à tous les États. Mais sa finalité est d’accroître le bien-être dans l’ensemble de la société – et non d’accroître les épreuves subies par les communautés. Aucun projet ne doit être financé sans une vaste délibération publique et sans une consultation des communautés directement concernées, à l’abri de toute intimidation.

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 nous propose un nouveau départ pour le développement fondé sur l’universalité, les droits de l’homme, l’égalité et la viabilité environnementale. Il fait expressément référence aux préoccupations des peuples autochtones en matière de développement. Ce cadre suscite un réel espoir en termes de responsabilisation et de politique efficace fondée sur les droits de l’homme. Nous devons faire en sorte que la voix des autochtones soit amplifiée dans tous les processus afférents.

Je n’ignore pas les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Déclaration, notamment en ce qui concerne les droits fonciers. Dans le projet de rapport du MEDPA relatif aux bonnes pratiques, vous remarquerez que les tribunaux régionaux et nationaux invoquent de plus en plus souvent les principes essentiels de la Déclaration tels que le principe de consentement préalable, libre et éclairé. Par exemple, la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire opposant le peuple Kichwa de Sarayaku en Equateur et la décision de la Cour suprême du Mexique dans le dossier de l’aqueduc Independencia.  Les tribunaux ont aussi reconnu les droits des peuples autochtones aux terres traditionnelles, notamment dans l’affaire des Endorois devant la Commission africaine, la récente affaire des Ogiek devant la Cour africaine et l’affaire de l’Institut Sarstoon Temash devant la Cour suprême du Belize.


La Déclaration a également trouvé un écho à l’échelon national en influant sur les constitutions et les statuts. En Équateur, la Déclaration est directement applicable. La République du Congo était le premier pays africain à adopter une loi sur les peuples autochtones. Les militants autochtones ont joué un rôle essentiel dans nombre de ces dossiers, en particulier au Brésil où des groupes autochtones ont rédigé leur propre protocole de consultation. Le projet de rapport du MEDPA relatif aux bonnes pratiques met en lumière de nombreux exemples de ce type et je ne doute pas que vous pourrez partager des avancées prometteuses durant cette session.

En outre, un certain nombre de nouveaux instruments régionaux s’inspirent de la Déclaration. L’année dernière, l’Organisation des États américains a approuvé la Déclaration américaine des droits des peuples autochtones qui reconnaît notamment les droits fondamentaux des peuples autochtones à leurs territoires ancestraux; à la consultation et au principe de consentement préalable, libre et éclairé. De même, la Finlande, la Norvège et la Suède ont signé cette année une convention sur les droits autochtones et la culture des Samis, qui va être soumise aux parlements samis et aux assemblées nationales.

Les femmes et les jeunes filles autochtones sont la cible de violences spécifiques et cette question fait enfin l’objet d’une attention particulière de la part de certains États. Je me félicite de la table ronde du Conseil des droits de l’homme organisée l’année dernière sur le thème «Les causes et les conséquences de la violence à l’encontre des femmes et des jeunes filles autochtones, notamment des personnes handicapées». Elle s’est tenue suite aux recommandations du MEDPA. Dans sa résolution ultérieure sur les droits de l’homme et les peuples autochtones (A/HRC/RES/33/13), le Conseil a réaffirmé sa décision de maintenir cette question en tête de ses priorités. 

Et pourtant, je suis vivement préoccupé par le grand nombre d’assassinats de militants des droits de l’homme perpétrés l’an passé, qui s’efforçaient de donner effet aux droits des peuples autochtones, aux droits à la terre et à l’environnement – la plupart, mais pas tous, en Amérique centrale. Il y a tout juste dix jours, une autre agression à main armée au Honduras visait Bertha Zuñiga, la fille de la militante autochtone assassinée, Berta Cáceres. Par chance, elle s’en est tirée. Il est inadmissible que ces agressions se poursuivent et que si peu d’auteurs de ces crimes soient inquiétés. 

Les progrès en vue de la réalisation des objectifs de la Déclaration sont éclipsés par la violence structurelle et par les injustices que tant de peuples autochtones doivent subir, notamment les obstacles leur interdisant l’accès à la justice et l’incapacité à reconnaître leur droit à l’auto-détermination.  Dans certains États, ils ne sont même pas reconnus comme peuples autochtones, ce qui les empêche quasiment de faire valoir leurs droits en tant que groupe distinct. 

Les souffrances et les injustices que subissent les peuples autochtones se traduisent dans un large éventail de recommandations formulées par le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et par d’autres experts indépendants; les organes de traités et l’EPU. Nous ne pouvons continuer comme si de rien n’était, avec un cortège d’engagements qui, dans la pratique, restent le plus souvent lettre morte.

La présente session nous donne l’occasion à tous de faire le point sur les enseignements tirés de la mise en œuvre de la Déclaration. Elle nous permet également de nous saisir du nouveau mandat élargi du MEDPA. La prise en compte de l’engagement national dans votre mandat devrait contribuer à redynamiser l’application des droits des peuples autochtones. Lorsque vous envisagez les projets de méthode de travail pour les diverses activités couvertes par ce nouveau mandat, soyez assurés du soutien du HCDH, tant au siège, ici, que sur le terrain.

J’invite l’ensemble des États à donner suite aux principaux engagements pris lors de la Conférence mondiale de 2014, notamment l’adoption de plans nationaux d’action. Une résolution de l’Assemblée générale relative à la participation des représentants des peuples autochtones aux réunions des Nations Unies est en cours de préparation et je vous encourage à la soutenir.

L’engagement a besoin de défenseurs. De nombreux défenseurs reconnus des droits des peuples autochtones sont ici aujourd’hui et je les assure de mon plus profond respect. D’autres ici présents sont nouveaux. Je souhaite la bienvenue aux boursiers du Programme 2017 de bourses destinées aux autochtones du HCDH et j’espère que les connaissances acquises ici à Genève vous convaincront de devenir les agents du changement dans vos pays respectifs. Le HCDH continuera de soutenir ce programme de formation.

Nous nous félicitons également du soutien fourni au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les populations autochtones qui a aidé de nombreux bénéficiaires à assister à cette session.

Nous devons intensifier notre action pour promouvoir les droits des peuples autochtones. Nous tous – experts, ONG, représentants des États, jeunes et vieux – devons faire en sorte que cette question devienne enfin une priorité comme elle aurait dû toujours l’être. Une décennie s’est déjà écoulée: puisse la deuxième décennie de l’histoire de la Déclaration voir sa mise en œuvre énergique et la concrétisation significative des droits des peuples autochtones.