Des proches de migrants disparus cherchent des réponses et à obtenir justice
02 février 2024
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Carlos Manuel González León a quitté son village au cœur du Guatemala en quête d’une vie digne aux États-Unis.
Carlos a voyagé pendant des jours à pied et en bus, rejoignant d’autres migrants dans le long et périlleux voyage vers le nord à travers l’Amérique centrale et le Mexique, dans l’espoir d’atteindre la frontière américaine.
Cependant, quelque part au cours de son voyage, quelque chose a mal tourné. Paniqué, Carlos a appelé un jour pour dire qu’il avait été enlevé par des hommes armés qui le battaient et exigeaient une rançon, sans spécifier où il se trouvait. Sa famille a tenté désespérément de le rappeler pour payer la rançon, mais leurs nombreux appels sont restés sans réponse.
Douze ans plus tard, la famille de Carlos cherche toujours des réponses.
« Tout ce que mon frère voulait, c’était une vie meilleure pour sa famille », a déclaré Juana, qui appartient à une communauté maya. « Quand nous étions enfants, nous devions parfois marcher pieds nus et il n’y avait pas assez d’argent pour nous tous. Il ne voulait pas que la même chose se produise pour ses enfants. Nous avons toujours l’espoir de le retrouver en vie. »
Chaque année, des milliers de migrants sont tués ou disparaissent en tentant de traverser la frontière entre les États-Unis et le Mexique, l’une des voies terrestres les plus dangereuses et les plus meurtrières au monde pour les migrants, selon plusieurs groupes de défense des droits humains.
Nombre d’entre eux sont contraints d’émigrer pour fuir la pauvreté, la violence et les violations des droits humains. En raison des politiques migratoires de plus en plus restrictives et des voies d’accès limitées pour une migration sûre et régulière, de nombreuses personnes empruntent des itinéraires précaires et irréguliers. Trop souvent, ils sont victimes d’extorsion, d’enlèvement, d’abus sexuels, de travail forcé et d’exécution aux mains de bandes criminelles ou d’agents de l’État.
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Les familles de migrants disparus ont droit à la vérité et à la justice, à des réparations et à des garanties de non-répétition
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CLAUDIA INTERIANO, FUNDACIÓN PARA LA JUSTICIA
Claudia Interiano, de la Fundación para la Justicia, une ONG de défense des droits humains des migrants disparus et des membres de leur famille dans les pays d’Amérique centrale, a déclaré que les chiffres réels de cette tragédie humaine sont inconnus, de nombreuses familles ne signalant pas les cas de disparition, car elles n’ont pas accès aux services dont elles ont besoin et à l’aide de l’État.
Selon elle, outre le profond traumatisme émotionnel qui accompagne la disparition d’un être cher, de nombreuses familles n’ont pas les moyens financiers d’entamer une procédure administrative complexe, ou sont issues de communautés autochtones et ne parlent pas l’espagnol, la langue officielle du gouvernement.
« Les États ont l’obligation légale de retrouver les personnes disparues, quelle que soit leur nationalité », a déclaré Claudia Interiano. « Il s’agit de normes internationales. L’accès à la justice a besoin d’une approche transnationale. »
La protection des droits humains
Le HCDH travaille avec les États Membres, les organisations de la société civile, les institutions nationales des droits de l’homme, les migrants, les familles et d’autres parties prenantes pour garantir l’accès à la justice et la protection des droits humains de tous les migrants.
Le HCDH soutient également les experts indépendants des mécanismes des droits de l’homme, tels que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et le Comité des disparitions forcées, qui a récemment adopté une observation générale sur les disparitions forcées dans le contexte des migrations.
La Fundación para la Justicia, dont le siège est au Mexique, a des bureaux au Honduras, en El Salvador et au Guatemala. Elle travaille également avec des groupes de la société civile et des défenseurs des droits humains aux États-Unis. Avec l’aide de la Fundación para la Justicia, la famille de Carlos a signalé sa disparition en 2018 au Mécanisme d’appui aux recherches et aux enquêtes à l’étranger, qui relève du Bureau du Procureur général du Mexique, car c’est au Mexique que Juana pense que son frère a disparu.
La famille a également fourni des tests ADN à des experts médico-légaux indépendants travaillant avec la Fundación para la Justicia, qui permet d’identifier les restes de migrants disparus dans les charniers découverts au Mexique et aux États-Unis.
« Ma mère ne parle pas espagnol et mon père est trop vieux et fragile pour s’occuper des recherches. J’ai donc rejoint l’Association des proches de migrants disparus du Guatemala », explique Juana, 30 ans, qui vit avec ses deux enfants près du village de Chichicastenango, sur les hauts plateaux mayas du Guatemala.
« On a entendu parler de migrants disparus qui ont été kidnappés pendant 10 ans avant d’être retrouvés vivants, alors peut-être que mon frère est parmi eux », a-t-elle déclaré, ajoutant que Carlos avait 27 ans à l’époque.
L’angoisse de la famille
Pour chaque migrant disparu, il y a une famille qui vit dans la douleur et l’incertitude.
Selon Luis Alberto López Martínez, de l’Association Committee for Dead and Missing Migrants of El Salvador, les familles des migrants disparus sont confrontées à un sentiment de culpabilité, à des problèmes de santé et à des charges financières, et n’ont pas droit à des prestations sociales ou à des programmes spéciaux du gouvernement, ce qui les enfonce encore plus dans la pauvreté.
Luis est toujours à la recherche de son frère, qui a disparu après avoir quitté El Salvador pour les États-Unis en 2001, lorsque la famille a perdu sa maison dans un tremblement de terre. Il aide également d’autres familles à retrouver leurs proches.
En l’absence de soutien de l’État, les proches et les comités de victimes ont pris l’initiative de demander la création de banques de données médico-légales pour les migrants disparus et de mécanismes d’accès à la justice transnationale pour les migrants et leurs familles, en collaboration avec les ministères des affaires étrangères et le Bureau du Procureur général du Mexique.
D’après Luis, le trajet à travers l’Amérique centrale et le Mexique vers la frontière américaine a toujours été dangereux, mais la violence s’est aggravée ces dernières années, car les cartels de la drogue ont commencé à utiliser les mêmes itinéraires que les coyotes, ou passeurs. Toutefois, les gens continuent de migrer, poussés par de multiples de raisons, dont l’instabilité économique, l’insécurité, la violence fondée sur le genre ou le regroupement familial.
« En El Salvador, beaucoup de personnes décidant de migrer par le passé avaient l’habitude de dire : si je dois de toute façon mourir en El Salvador, je préfère mourir en route vers un avenir meilleur aux États-Unis », a-t-il expliqué. Cependant, leur rêve allait devenir le cauchemar de leur famille, a-t-il ajouté.
Juana, qui gagne sa vie en brodant et se bat pour payer ses factures d’électricité et d’eau, raconte que son fils de 13 ans lui a dit qu’il comptait émigrer un jour aux États-Unis, bien qu’il sache ce qui est arrivé à son oncle.
Claudia Interiano, de la Fundación para la Justicia, a participé cette semaine à la cinquième réunion annuelle du Réseau des Nations Unies sur la migration à Genève, dans le cadre de la semaine de la migration, qui a notamment abordé la protection des droits des migrants.
« Il est important que la société civile, les gouvernements, les mécanismes de défense des droits humains et les organismes des Nations Unies, ainsi que les familles des migrants disparus, travaillent ensemble pour apporter des réponses et réclamer la justice », a-t-elle déclaré.